Àl heure où la France prend des décisions



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Compte rendu de colloque Sécurité sociale et défis démographiques dans une perspective européenne Colloque organisé au Sénat les 7 et 8 novembre 2008 Christiane Crépin CNAF Direction des Statistiques, des Études et de la Recherche. Pôle Recherche et Prospective. Mots clés : Sécurité sociale Europe Démographie. Àl heure où la France prend des décisions importantes sur les retraites, sur l avenir de l économie, de l emploi et de la protection sociale, le colloque européen sur le thème «Sécurité sociale et défis démographiques dans une perspective européenne», dont on trouvera ici un compte rendu, prend tout son sens. Initié par les caisses nationales de sécurité sociale françaises dans le cadre de la présidence française de l Union européenne, ce colloque accueilli au Sénat, Palais du Luxembourg à Paris les 7 et 8 novembre 2008, a rassemblé les responsables institutionnels et politiques de la Commission européenne et des différents pays de l Union, ainsi que des chercheurs européens ou issus de la Commission. Il s agissait de réfléchir aux principaux défis à relever que sont l espérance de vie en bonne santé, la prévention et la promotion de la santé dans les systèmes de protection sociale, l élévation du taux de participation des actifs au marché du travail notamment des jeunes et des seniors, car seule une génération est au travail en Europe. Les débats ont mis en exergue les orientations que se donnent les pays de l Union pour relever ces défis. Il en ressort l unité d une problématique d ensemble intégrée, décloisonnée, sur le parcours de vie, entre des objectifs de prévention de la santé tout au long de la vie, de retraite, de famille, de gestion des âges, d économie, de marché du travail. Ce colloque a mis en évidence l atout que constituent les jeunes et les seniors dans le rôle à jouer par les entreprises européennes. Dans cet article sont reconstruites quelques inflexions de débat, d injonctions politiques et d avancées de la recherche. Une unité d axes fondateurs pour l avenir de la sécurité sociale : inclure jeunes et seniors Des messages forts sont entendus par l assemblée représentant les vingt-sept pays de l Union européenne sur les principaux défis démographiques à relever pour construire l Europe. Dans un contexte de vieillissement de la population et d évolution croissante des dépenses de sécurité sociale, sont principalement retenus, parmi de nombreux enseignements, deux objectifs agrégés : la prévention et la promotion de la santé pour tous et à tous les âges dans les systèmes de protection sociale pour atteindre une espérance de vie en bonne santé ; la participation de tous les actifs au marché du travail avec un effort en direction des jeunes et des seniors. Il s agit de l avenir de l Europe, de la qualité de vie de sa population, de la relève démographique et économique comme de la protection sociale européenne. Participation de tous les actifs au marché du travail : fondement de la solidarité sociale Le taux de fécondité de la France traduit la confiance envers l avenir, ce qui n est pas le cas de l ensemble des pays de l Union ; il existe sans doute un lien entre le dynamisme démographique et la sécurité sociale obligatoire et universelle. Globalement, on observe une tension entre la structure démographique (population vieillissante et faible taux de natalité) et l ensemble des systèmes européens de sécurité sociale. C est pourquoi l Union européenne préconise de mobiliser tous les actifs, conformément aux objectifs de Lisbonne (*) (*) La Stratégie de Lisbonne est l axe de politique économique et de développement de l Union européenne entre 2000 et 2010, décidé au Conseil européen de Lisbonne en mars 2010 par les quinze États membres à cette date. Les objectifs définis en 2000 prévoyaient d ici 2010 la participation de 70 % des actifs dont 60 % de femmes. La Stratégie de Lisbonne a été recentrée à mi-parcours en 2005 sur la croissance économique et l augmentation de l emploi. 104 Synthèses et statistiques

Axes du colloque Organisé en cinq tables rondes, les axes du colloque étaient articulés autour des thèmes suivants : «Quelle prise en charge de la santé face aux défis démographiques», présidée par Frédéric Van Roekeghem, directeur général, Caisse nationale d assurance maladie des travailleurs salariés ; «Solidarité et équité entre les générations et les travailleurs», présidée par Patrick Hermange, directeur, Caisse nationale d assurance vieillesse ; «Bien vieillir au travail dans une société inclusive : quels leviers sanitaires et sociaux?», présidée par François Gin, directeur général, Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole ; «Allongement de la vie face aux défis démographiques», présidée par Dominique Liger, directeur général, Caisse nationale du Régime social des Indépendants ; «Politique familiale : un investissement, et un retour sur investissement», présidée par Hervé Drouet, directeur général, Caisse nationale des Allocations familiales. communs aux vingt-sept États : il s agit également de maintenir la solidarité entre les pays pour lutter contre la pauvreté et l exclusion. Les liens de solidarité obligatoires sont invisibles, très denses, et étendus. Ces liens solides et résilients permettent le développement d une sécurité sociale collective. Si rien ne change, naîtront des tensions sociales inédites. Un surplus de richesse suffisant devrait être apporté à l enfance et à la jeunesse, ainsi qu aux grands âges, en encourageant les jeunes et les seniors à entrer et à rester sur le marché du travail. Des réponses existent. Travailler plus longtemps peut être un objectif pour rester en bonne santé plus longtemps, à condition d une activation de la qualité du travail et de la vie familiale. La sécurité sociale retrouverait ainsi ses fondements d origine. Qualité d emploi pour tous et qualité de vie familiale vont de pair et représentent ainsi un enjeu d avenir. Le défi de l Europe : espérance de vie en bonne santé et marché du travail La prévention et la promotion de la santé dans la protection sociale représentent un objectif de long terme. Avec 521 millions d habitants dont 17 % sont âgés de plus de 60 ans (24 % en 2050), l Europe connaît un fort vieillissement de la population entraînant une augmentation des dépenses de santé, qui représenteront plus de 1,30 points de produit intérieur brut (PIB) supplémentaires d ici à 2050. Le vieillissement de la population étant incontournable en Europe, des politiques de prévention sont à privilégier pour en contenir les effets. Reconstruire la politique de protection sociale est apparu comme une nécessité : repenser le rapport entre les actifs et les non-actifs, interroger la santé au travail, changer plus globalement le rapport au travail, répondre aux objectifs de Lisbonne sur l emploi des seniors (la Stratégie de Lisbonne prévoit 50 % des 54-64 ans en emploi, et l égalité d emploi des hommes et des femmes), trouver des liens de transition nouveaux entre activité et non-activité. L espérance de vie a gagné dix ans en moyenne en Europe en quarante ans, avec des écarts importants entre pays, de huit ans de moins en Lituanie et Estonie, et plus élevée pour les femmes que pour les hommes. Ces progrès vont encore évoluer, mais il faut s attendre à un plafond. Le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans va augmenter d ici 2050. L indicateur d espérance de vie en bonne santé (64 ans pour la France) pourrait supplanter l indicateur d espérance de vie (84 ans pour la France) retenu dans la Stratégie de Lisbonne. Aussi l objectif de la Commission européenne est de travailler sur la prévention des maladies de la vieillesse en anticipant le plus tôt possible. Les actions pour la promotion de la santé promues par la Commission européenne pour la période de 2008 à 2013 touchent tous les âges, tous les professionnels de santé, tous les sujets de prévention (tabac, alcool, sexualité, nutrition, consommation, activité physique ) et concernent tous les domaines de la vie sociale y compris du travail, de la jeunesse aux seniors ; elles se préparent dès l enfance. Les différences entre pays concernant les indicateurs de santé mettent en évidence les effets du marché du travail. L employabilité, la qualité du travail, les valeurs (le bonheur au travail), la compétence, l éducation, les symptômes liés à la santé, les conditions de vie et de travail physiques et sociales, sont les premiers fondements de la prévention et de la promotion de la santé. La réponse stratégique évolue du contrôle de santé vers la promotion de la santé. La prévention est cependant limitée : elle se heurte à la culture du fast-food, de l inactivité. Elle pourrait s attacher aux conditions de construction du bien-être à travers de nombreuses politiques. Une théorie construite par un collectif de chercheurs européens considère trois étapes : la prévention et la promotion de la santé individuelle (gestion des maladies), la santé intégrée et le management de la santé (stratégies et bénéfices des politiques), les politiques de développement (la prévention graduelle). La prévention de la santé toute la vie représente, en outre, une économie importante et un atout social. Les économistes de la santé ont insisté sur les objectifs de prévention pour atténuer les très fortes dépenses de santé aux âges élevés de la vie. Les soins dispensés avant la mort prématurée d un fumeur coûtent très cher, de même que les jours d absence au travail pour maladie. Un quart de la population européenne souffre de problèmes de 105 Synthèses et statistiques

santé mentale, facteur principal de perte de productivité, et coûte 4 % du PIB. Ces coûts ont des impacts sur la participation au marché du travail. La santé est un atout de la prospérité économique. Le bienêtre social contribue à la promotion de la santé. En Europe, une seule génération est au travail : le rôle des entreprises La question du lien entre santé et travail est naturellement renvoyée aux entreprises. Ces objectifs sont d autant plus importants à l égard des seniors et des jeunes. Pour y parvenir, la Finlande a mis en place des dispositions afin d améliorer la capacité d emploi et de maintenir les compétences à tous les âges. Les retours sur investissement prennent en considération toutes les étapes de la vie. Pour améliorer la santé et développer la protection sociale pour tous, la Finlande cherche à maintenir la motivation tout au long de la vie, de façon à atteindre une meilleure forme physique et à réduire l absentéisme. L insécurité angoisse la jeunesse ; c est pourquoi la prévention commence très tôt. Les jeunes les plus optimistes ont des projets d avenir et s investissent dans des activités au service des autres. Le temps partiel peut permettre de s intéresser à des activités en dehors du travail. Pour l année 2011, année du bénévolat, la Finlande souhaite améliorer les conditions de travail et renforcer le statut des seniors. Quatre types de résultats sont attendus : le maintien d une santé mentale optimale, l amélioration des motivations, du bienêtre et des conditions de vie, le soutien des partenaires sociaux et des organismes non gouvernementaux pour atteindre ces objectifs, la communication de l information. Parmi les premiers résultats, la Finlande observe une bonne coopération entre les ministères, les associations et la recherche, ainsi que des changements des comportements de la population. Alors qu une poignée de la population active travaille, l enjeu est d aider les travailleurs à être plus longtemps en emploi. La politique de l emploi se conjugue à celle de la santé et de l égalité des chances : tous les acteurs, y compris les partenaires sociaux et les syndicats, ont un rôle à jouer. Les entreprises sont conduites à gérer les âges, pour qu un maximum de personnes travaillent et se forment tout au long de la vie. Depuis quelques années, les entreprises européennes savent que la promotion de la santé passe par elles. Il s agit de répondre aux besoins des femmes, des jeunes, des seniors, aux besoins de qualification et de formation. Les bienfaits de ces investissements encouragent la satisfaction au travail et réduisent l absentéisme. Toutefois, il existe peu d évaluations de ces bienfaits de la gestion des âges dans les entreprises. La politique conduite notamment en Finlande a permis de relever le taux d emploi des seniors et de reporter l âge de la retraite. Les entreprises peuvent encourager les relations entre les jeunes et les personnes plus âgées, alors que la culture dominante est la préretraite et l obstacle à l emploi des seniors. C est pourquoi la prévention est au cœur de la gestion des âges et des solidarités intergénérationnelles. Le chômage touche les jeunes et les seniors : en Europe, une seule génération est au travail, alors que l on observe une forte réserve de main-d œuvre parmi les jeunes, les femmes et les seniors. «La France prépare mal l avenir de sa jeunesse». Une retraite anticipée ne crée pas de nouveaux emplois. La contribution de tous au marché du travail serait une partie de la solution à la crise financière. Les enjeux sont importants. Vers des politiques européennes de protection sociale de retraite par «répartition» L Europe s interroge sur la meilleure manière de construire un système de retraite. Quatre types de démarches peuvent être entrepris. Les échanges et les comparaisons entre pays européens, pour ce qui concerne les systèmes de retraite, permettent de comprendre et d apprendre des autres les stratégies mises en œuvre, et représentent une première approche. Le deuxième objectif est de mobiliser l ensemble des politiques de protection sociale pour «faire sens» et mettre en cohérence ces politiques. En troisième lieu, il s agit d anticiper sur la capacité de créer un droit de créance sur la société, comme lieu de solidarité intergénérationnelle au cours de la vie active. Enfin, la cohésion sociale ou la justice sociale s obtiendra par l équilibre entre actifs et inactifs. Les politiques de protection sociale hésitent entre adaptation et révolution des régimes de retraite, les pensions de vieillesse représentant 45 % des dépenses de protection sociale des pays de l Union européenne. Chaque pays fait des choix paramétriques, systémiques, ou opte pour des formules de capitalisation. Le paysage européen est très diversifié ; le socle de base reste le système classique par «répartition». Les prélèvements obligatoires, les cotisations perçues, les impôts, mesures très populaires en Europe, reposent sur la confiance. Très sensibles aux évolutions démographiques, de grands équilibres financiers sont à prévoir, sans remettre en cause le plaidoyer européen de la retraite par «répartition». Les pays qui comptent le plus de pauvres (33 % en Irlande, 27 % au Royaume-Uni, contre 19 % en France) sont ceux qui privilégient la capitalisation. Le système de cotisations sociales apparaît comme une chance à préserver. Les sociétés les plus solidaires sont les plus performantes. 106 Synthèses et statistiques

La Suède, par exemple, a opté pour un système de redistribution intergénérationnelle en conjuguant répartition et capitalisation. Associant politiques et chercheurs, la Suède, à l instar du Danemark, a entrepris une réforme pour changer le système de redistribution plus égalitaire entre les salariés et entre classes sociales. Face à un déficit économique majeur, la Suède a pour objectif de ne pas transmettre cette dette aux futures générations. Les enjeux sont démographiques, politiques et démocratiques. La confiance entre générations est à préserver. Aussi la réforme du système repose-telle sur la conjugaison de la répartition et de la capitalisation en quatre tiers, représentant 45 % des dépenses sociales. Le premier tiers définit des prestations notionnelles basées sur des cotisations pour les retraités et sur des comptes individuels. Le deuxième tiers constitué par la capitalisation sur des comptes individuels représente une part de la production future et de capitaux. Le troisième est indexé sur les salaires et les prix à la consommation. Le quatrième composé de pensions professionnelles basées sur les salaires, les ressources, la retraite professionnelle, fait le lien entre versements et cotisations. La richesse est divisée par le montant du compte individuel. Le calcul ne prend pas en compte l allongement de l espérance de vie, inéquitable entre «cols» bleus et blancs. Les cotisations créent des revenus. Des résultats sont attendus sur le comportement du marché de l emploi et l état de l économie. Les familles : une institution clé pour la cohésion et la solidarité sociales en Europe La France et sa dynamique démographique exceptionnelle en Europe interrogent la situation des familles dans les autres pays. La France ne compte que 10 % de couples sans enfant, ce qui n est pas le cas des pays voisins, où 25 % de couples n ont pas d enfant. Autre caractéristique française, la flexibilité des structures familiales s oppose aux contraintes du mariage dans les pays ayant la plus basse fécondité. La France compte quatre pactes civils de solidarité (Pacs) pour dix mariages, et une progression des familles avec des naissances hors mariage. Les effets du baby-boom français depuis trente ans ont des impacts sur le vieillissement par le haut, à l inverse du Japon qui connaît un vieillissement par le bas en raison de sa faible fécondité. Dans le cas français, la population active se maintient, le baby-boom rajeunit la population au départ, mais vieillit quarante ans après, avec une prévision de hausse des décès dans les cinquante ans à venir et une diminution des naissances. Le facteur fondamental est l allongement de la vie. La France mobilise 3,5 % de son PIB pour la famille, se situant au troisième rang en Europe. Elle vient en tête des efforts financiers consentis à la politique familiale : trente mesures existent pour soutenir les familles riches et pauvres, et pour favoriser le passage du deuxième au troisième enfant, mais elles sont difficiles à évaluer. Le système de prime à la naissance encourage la naissance sans soutenir durablement la famille : l objectif français est d accompagner l enfant tout au long de son développement. L école maternelle y contribue, ainsi que l école publique de qualité, compétitive, ouverte à tous. L enjeu est d évaluer l impact de la politique familiale sur la fécondité. Les chercheurs européens s unissent pour en comprendre les effets à partir de facteurs comparés. La politique familiale ne peut contrecarrer le vieillissement, comme c est le cas en Espagne et en Italie, avec un impact sur la baisse de la population active. Isolées, recomposées, sans enfant, cohabitantes entre parents et grands enfants, les trajectoires des familles sont moins linéaires qu aux générations précédentes ; le rôle des femmes change et les pères s investissent davantage. Les familles restent une institution clé, car elles maintiennent les liens intergénérationnels, la solidarité, la cohésion sociale entre État et marché du travail, la production et le travail des femmes. Les familles sont sensibles aux incertitudes économiques et sociales, avec des hésitations dans la formation des couples. À qui s adresser : à la famille ou aux enfants? À quel couple : marié ou non? Dans la plupart des pays, notamment anglo-saxons, l indicateur clé est la situation de pauvreté. Les objectifs diffèrent selon les pays : en Scandinavie, il s agit pour la famille de s occuper de ses enfants ; en France, l accent est mis sur la natalité. Qu en est- il de la redistribution? Pour d autres pays, l accent est mis sur l engagement familial, l accueil, la convivialité, les conditions de vie. L Europe et les familles font l objet d actions indirectes à travers d autres politiques. Relever le défi démographique, c est prendre en compte les différentes conceptions de la famille et répondre aux priorités nationales : l Europe s est ainsi dotée d objectifs communs tels que la conciliation de la vie familiale et professionnelle ou encore l égalité entre les hommes et les femmes. Les pays ayant les plus forts taux d emploi des femmes sont aussi ceux qui enregistrent les taux de fécondité les plus élevés. Les femmes européennes ont une double trajectoire, travailler et avoir des enfants. En même temps, les congés de paternité dans le cadre des mesures pour l égalité entre les hommes et les femmes progressent : 16 % des pères allemands sont dans ce cas. Les politiques familiales relatives aux jeunes enfants les plus efficaces sont celles qui répondent à un ensemble de besoins, et non massivement à un 107 Synthèses et statistiques

seul. Les politiques familiales ont probablement des impacts car, à l inverse, les pays qui n en ont pas, comme la Suisse, n ont pas d enfants. Les politiques familiales doivent-elle se centrer sur les enfants ou sur la famille? Le débat avec les participants du colloque fait valoir que les familles incluent les enfants et que les enfants considèrent aussi leur famille. L essentiel reste la relation entre les parents et leurs enfants. Paradigmes convergents de sécurité sociale en Europe : une «société inclusive» La prise de décision collective et l anticipation obligent à penser le projet de sécurité sociale européenne dans son ensemble, et à prévoir les moyens sur le long terme. L assurance maladie préconise des systèmes de sécurité sociale préservant les choix ; l assurance vieillesse prône l équité entre générations et le bon équilibre entre l individuel et la solidarité collective ; la Caisse centrale de mutualité sociale agricole insiste sur la prévention du vieillissement qui se prépare bien avant le grand âge et promeut des actions dans ce sens. Les politiques familiales françaises agissent sur une multitude d axes avec un impact majeur. Les actions ne peuvent se limiter à une dimension sectorielle, elles doivent être globales et multiples. Il existe des interactions entre la santé, la retraite, la famille L actualité est à une meilleure mise en commun. Il convient d expliquer, de faire preuve de pédagogie pour intéresser l opinion publique et les grands acteurs des entreprises et des médias. On a besoin de cotisants plus nombreux, de développer l employabilité, maintenir les seniors, faire revenir les jeunes sur le marché du travail. Les comportements et les mentalités sont en train de changer pour assurer le bien-être au travail, comme facteur d épanouissement et non d aliénation. Quelques enseignements pour la recherche ressortent de ces débats contradictoires ; les axes de recherche à poursuivre considèrent naturellement les paradoxes et les contradictions. Si l avenir de la protection sociale dépend des hommes et des femmes actifs de tous âges, en permettant la redistribution sociale vers les inactifs, le fil conducteur des débats interroge. Alors que l emploi n est réservé qu à une seule génération, il exclut de fait les jeunes et les seniors, liés par une histoire commune, d autant que les uns sont les grands enfants des autres, ce qui n aura échappé à personne. Ce colloque inédit ayant mobilisé les réseaux des chercheurs européens et de la Commission européenne, dont les travaux gagneraient à être mieux connus, les voies de recherche pourraient être d explorer comment mieux impliquer les jeunes et les seniors sur le marché du travail et d analyser les chemins permettant d y parvenir. 108 Synthèses et statistiques