Différents facteurs de tension sont apparus sur le marché



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Anne-Juliette Bessone Benoît Heitz Division synthèse conjoncturelle Jean Boissinot Division croissance et politiques macroéconomiques Différents facteurs de tension sont apparus sur le marché immobilier français ces derniers trimestres. En particulier, les volumes de transactions apparaissent relativement élevés et les stocks bas. Dans ce contexte, des interrogations sur l existence d une bulle immobilière ont surgi. De façon générale, on entend par «bulle spéculative» un écart important et persistant entre la dynamique du prix d un actif, ici l immobilier, et l évolution de ses déterminants fondamentaux. L objet de ce dossier est précisément de présenter des évaluations de cet écart. À cette fin, deux modèles sont envisagés : Le premier est fondé sur une équation d arbitrage entre actifs immobiliers et actifs financiers. Cette approche permet en théorie d analyser l évolution de la «prime de risque» pesant sur les actifs immobiliers (i.e. de la rémunération du risque pris par un investisseur lorsqu il choisit d acheter un bien immobilier et non pas un actif dont il connaît par avance le rendement). L objectif est de tirer un enseignement de la comparaison du niveau atteint par la prime de risque au moment de la bulle des années 90 avec son niveau actuel. Le second fait référence à un véritable modèle structurel. Celui-ci permet d évaluer deux grandeurs : d une part, l écart entre le prix observé sur le marché immobilier et le prix lié aux évolutions des fondamentaux de la demande (appelé prix de demande d équilibre) ; d autre part l écart entre le prix observé et le prix lié aux évolutions des déterminants de l offre (appelé prix d offre d équilibre). Dans cette modélisation, qui s inscrit dans une perspective de long terme, tout écart important entre le prix observé et le prix de demande d équilibre et/ou le prix d offre d équilibre pourra s interpréter comme une preuve de l existence d une bulle immobilière. Ces deux approches n indiquent pas la présence d une bulle immobilière. Cependant, de nombreuses incertitudes entourent leurs résultats, tant sur le plan des données utilisées que des points de vue théorique et économétrique. La hausse soutenue du prix des logements anciens, sur la France entière (+86% entre les troisièmes trimestres de 1996 et de 2004, suivant l indice -Notaires sur le champ France entière) et particulièrement à Paris (cf. graphique 1), ainsi que celle des loyers (+25% de hausse des loyers mensuels moyens sur la même période sur l agglomération parisienne) ont fait ressurgir des interrogations sur l existence d une bulle immobilière. De façon générale, on entend par «bulle spéculative» un écart important et persistant entre la dynamique du prix d un actif, ici l immobilier, et l évolution de ses déterminants fondamentaux. Dans le cas français, les derniers travaux sur le sujet de la bulle immobilière arrivent à des conclusions relativement prudentes. Ils soulignent certes les facteurs de tension sur le marché immobilier, mais ne concluent pas, pour le moment au moins, à l existence d une «bulle». L approche retenue ici se décline en trois temps : Un préambule fournit une analyse des tendances structurelles et conjoncturelles qui caractérisent le marché immobilier français ; Sur cette base, une première démarche exploratoire visant à tester l existence d une bulle immobilière est fondée sur une équation d arbitrage entre actifs immobiliers et actifs financiers. Mars 2005 37

Cette approche permet en théorie d analyser l évolution de la «prime de risque» (i.e. de la rémunération du risque pris par un investisseur lorsqu il achète un bien immobilier et non un actif dont il connaît par avance le rendement) pesant sur les actifs immobiliers. L objectif est de tirer un enseignement de la comparaison du niveau atteint par la prime de risque au moment de la bulle des années 90 avec son niveau actuel ; Toujours pour tester l hypothèse de l existence d une bulle immobilière, une seconde approche est adoptée. Elle s appuie sur un modèle structurel (1), permettant de fournir des prix d offre et de demande d équilibre sur le marché immobilier, afin de les comparer avec les (1) Du type de celui utilisé par McCarthy etpeach«arehomepricesthenext Bubble?», Federal Reserve Bank of New York, Economic Policy Review, décembre 2004. (2) Cf. A. Jacquot (2002), «La demande potentielle de logements», Première n 875, décembre 2002. prix observés. Suivant la définition du terme «bulle» évoquée précédemment, tout écart important entre le prix observé et le prix de demande d équilibre et/ou le prix d offre d équilibre pourra alors s interpréter comme une preuve de l existence d une bulle immobilière. Les tendances récentes sur le marché immobilier sont liées à la fois à des évolutions structurelles et à des facteurs plus conjoncturels L augmentation des prix de l immobilier reflète en partie un déséquilibre structurel entre une demande soutenue et une offre qui peine à s ajuster. La demande de logement, qui est principalement déterminée par la démographie, est soutenue. Si la population augmente à un rythme annuel de 0,5%, le nombre de ménages s accroît significativement plus vite (+1% par an), en raison du vieillissement de la population (qui contribue à 80% de l augmentation) et, plus marginalement, de la décohabitation des ménages. Sur cette tendance démographique, confirmée par les premières exploitations du recensement rénové de la population, se greffe une demande d amélioration de la qualité des logements (superficie, nombre de pièces, équipements, etc.) (2). Toutefois, l offre de logement s ajuste difficilement à la demande, si bien que l ajustement passe par les prix des logements anciens. En réalité, la France, comme la plupart des pays européens, est confrontée à un risque de déficit structurel de logements. Ces difficultés ont conduit à la mise en place de politiques publiques du logement. La forme de ces politiques diffère selon les pays. La France s est notamment engagée dans une politique visant à pallier une offre défaillante (construction de logements sociaux, fiscalité avantageuse de l investissement locatif, etc.). Mais parallèlement à ces déterminants structurels, des facteurs plus conjoncturels contribuent au mouvement de hausse des prix de l immobilier : une conjoncture favorable à la fin des années 90 (en particulier, augmentation du revenu et du patrimoine financier des ménages et diminution des taux d intérêt) et un assouplissement des conditions de financement (maintien de taux d intérêt bas, allongement de la durée des prêts, etc.). Une équation d arbitrage simple ne semble pas valider l hypothèse d une bulle immobilière Afin d évaluer les risques actuels de bulle immobilière, la première voie explorée consiste à exploiter une équation d arbitrage entre actifs immobiliers et autres actifs. Dans ce cadre, nous nous plaçons du point de vue d un ménage qui s interroge sur l opportunité d investir dans la pierre. Ce dernier est amené, pour se décider, à comparer le rendement attendu de son investissement immobilier avec ce que lui rapporterait un autre type de placement, par exemple l achat d une obligation. Il est alors nécessaire que les rendements de ces deux types de placements soient 38 Note de conjoncture

égaux (3). Cette égalisation des rendements va permettre de dégager une composante non observée du rendement immobilier, appelée «prime de risque», dont l évolution nous fournira un élément de diagnostic sur l existence ou non d une bulle immobilière. Il convient de préciser que cette approche examine le problème sous l angle du rendement des actifs, comme on le fait traditionnellement pour un placement financier. Cependant, cette approche appelle quelques remarques. En premier lieu, il faut souligner que pour la majorité de propriétaires qui habitent leur logement, il ne s agit pas tout à fait d'un actif patrimonial comme les autres. En particulier, le logement fournit un service et la décision d acquisition d un logement sera aussi prise en fonction d autres facteurs (la localisation géographique par rapport au lieu de travail, la nécessité de déménager dans les délais impartis, etc.). Par ailleurs, la fiscalité de l immobilier (dispositifs Robien, Besson, etc.) crée une distorsion en faveur de la détention de patrimoine immobilier : même si la relation d arbitrage est vérifiée après impôts, le rendement avant impôts d un placement immobilier peut être inférieur au rendement d un placement obligataire. Équation théorique Plus précisément, supposons que le ménage considéré soit prêt à investir p t euros à la période t (4) : (3) Pour le démontrer, raisonnons par l absurde en supposant que cela ne soit pas le cas, et que, par exemple, les obligations offrent un rendement inférieur à l immobilier. Personne n aura alors intérêt à détenir des obligations. Le marché des obligations ne sera donc pas en équilibre. Il ne pourra l être que si les rendements sont identiques. Dans cette dernière configuration, les investisseurs voudront détenir les deux types d actifs. (4) En raison des difficultés rencontrées pour en tenir compte dans la pratique, aucun aspect ayant trait à la fiscalité (frais de notaire et impôt sur les plus-values notamment) n est intégré dans le raisonnement théorique présenté ici. s il achète une obligation rémunérée au taux d intérêt r t,ildisposera de ( 1 + rt) pt euros à la période t+1. s il investit dans l immobilier, il disposera en t+1 d un montant en euros égal : d une part, au prix de son bien en t+1, noté p t + 1, inconnu à la date t et évalué suivant un certain mécanisme d anticipation ; d autre part, au montant du loyer l t, qui correspond à la rémunération du bien immobilier au cours de la période ; à ces deux composantes, il faut cependant retirer un montant, proportionnel à la valeur du bien, qui reflète la dépréciation du logement sur la période (usure, etc.). Il s agit du montant δ t p t ; enfin, il faut tenir compte du fait que le placement immobilier est risqué, dans la mesure où son rendement, contrairement à celui de l obligation, n est pas connu à l avance. Pour que le ménage trouve une incitation à l achat d un logement, il convient qu il soit suffisamment rémunéré pour sa prise de risque. Concrètement, le rendement immobilier doit donc incorporer une «prime de risque», notée ζ t p t. De façon traditionnelle, l équation d arbitrage entre actifs immobiliers et placements alternatifs (obligations) s écrit donc : (1) ( 1 + rt) pt = pt+ 1 + lt δ p ζ Avec : r t Taux d'intérêt p t t t t p t Prix de l'actif immobilier Prix de l'actif immobilier en t+1 p t + 1 anticipé en t l t δ t ζ t Loyer Taux de dépréciation Prime de risque Cette équation permet en théorie de diagnostiquer l existence d une bulle sur le marché immobilier. En effet, elle donne la possibilité d exhiber un élément non observable du rendement immobilier qu est la prime de risque. Lorsque la prime de risque implicite est faible, cela signifie que le risque est insuffisamment rémunéré, et donc qu une bulle spéculative est en formation. De fait, à mécanisme d anticipation, loyer et taux de dépréciation donnés, une prime de risque faible nécessite, pour respecter l équation d arbitrage, une baisse du prix de l immobilier, ce qui suggère bien un écart entre le prix observé et sa valeur fondamentale. Application En transformant (1), on déduit comptablement la valeur de la prime de risque par (2) : lt ζt = rt + Plus value + δt pt pt+ 1 pt où Plus value = pt L équation (2) ne permet d évaluer en réalité que partiellement la prime de risque, du fait d un manque d information sur certaines variables. D'une part, faute de données disponibles sur une période assez longue pour la France entière, l indicateur de prix des logements est restreint aux appartements parisiens, tandis que celui des loyers concerne le secteur libre hors loi 48 de l agglomération parisienne ; le taux de dépréciation, lui, est évalué sur l ensemble du patrimoine immobilier détenu par les ménages français. D'autre part, la plus-value anticipée fait l objet d hypothèses ad-hoc. Deux alternatives sont testées de manière à «encadrer» les résultats obtenus : elle a tout d abord été calculée en utilisant le taux de croissance moyen des prix des logements sur les quatre derniers trimestres, puis elle a été fixée arbitrairement à zéro. Mars 2005 39

Dans ce contexte, c est davantage la façon dont évolue ζ t qui est intéressante à commenter que le niveau absolu de cet indicateur. Indépendamment des hypothèses formulées sur la formation des anticipations de prix, il apparaît alors que (cf. graphique 2) : Au cours des années 90, la baisse des taux d intérêt, et, dans une moindre mesure, la baisse des prix immobiliers ont conduit à un redressement de la rémunération du risque immobilier, ce qui semble cohérent avec la sortie de bulle ; Sur la période récente, la prime de risque serait très supérieure à celle observée dans les années 90, ce qui conduirait à écarter l existence d une bulle immobilière. La hausse des loyers contribue d ailleurs à maintenir cette prime de risque et, partant, à limiter le risque de formation de bulle. Une tentative de modélisation des prix d équilibre à long terme sur le marché immobilier L objectif ici consiste à exploiter un modèle structurel standard permettant d appréhender le marché immobilier. Afin d étudier l équilibre sur le marché de l immobilier résidentiel, nous avons cherché à estimer Variable Signification Donnée retenue Source r t Taux d'intérêt Taux à 10 ans Banque de France p t Prix de l'actif immobilier Plus value Plus value anticipée Prix au m 2 des appartements parisiens (1) Taux de croissance moyen de p t sur les quatre derniers trimestres Hypothèse alternative : plus value anticipée nulle Division Logement Indice Notaire- l t Loyer Loyers moyens au m 2 Division Logement Enquête Loyers et charges ζ t Taux de dépréciation Taux de Consommation de Capital Fixe (champs logements et terrains détenus par les ménages) trimestrialisé Compte de patrimoine (1) Le prix au m 2 France entière n'est pas disponible sur une période suffisamment longue pour exploiter l 'équation au moment de la bulle immobilière des année 90. des équations d offre et de demande en services de logement. Du fait de la fluidité limitée de ce marché et de la lenteur de la propagation des chocs aux prix et à l investissement logement, nous nous concentrons sur des relations de long terme. En particulier, les facteurs comme les tensions sur l offre, qui pourraient être introduits sous la forme du stock de logements disponibles par exemple, ne sont pas pris en compte dans la modélisation, car ils jouent plutôt à court qu à long terme. La modélisation que nous obtenons, quoique statistiquement fragile, rend compte du retournement de 1991 (on atteint alors un point haut d écart entre le prix de marché et le prix qui équilibrerait la demande) et n indique pas la présence d une bulle immobilière à ce jour (écart limité entre le prix de marché et le prix de demande, et absence de sur-investissement). Cependant, ces résultats sont contingents aux données disponibles, qui présentent un certain nombre d incertitudes. Modèle théorique sous-jacent Le modèle d équilibre de long terme confronte une courbe de demande à une courbe d offre (cf. encadré pour plus de détail). Les flux de services rendus par le logement sont fonction du stock de logements. On peut même supposer qu ils sont proportionnels à ce stock. Ainsi, la demande en services de logement, et donc le stock de capital logement h t, sont reliés positivement au revenu des ménages, négativement au coût de détention des biens immobiliers, et enfin négativement au prix de demande. Ce prix de demande est le prix qui équilibre la demande, compte tenu de la valeur observée des autres variables (5). (5) Autrement dit, le prix de demande est le prix que l acheteur est prêt à payer, compte tenu de la quantité offerte. Classiquement, le lien entre ce prix et la demande est négatif, car c est la rareté qui fait la valeur d un bien. 40 Note de conjoncture

Pour déterminer la forme de la fonction d offre, on postule que les entreprises du secteur de la construction maximisent leur profit. Dans ce contexte, le taux d investissement des entreprises dépend négativement des coûts de construction et positivement du prix d offre. De la même façon que précédemment, ce prix d offre est le prix qui équilibre l offre, compte tenu de la valeur observée des autres variables (6). La démarche consiste à analyser l écart existant entre, d une part, le prix observé et le prix de demande théorique (résidu de la première relation) et, d autre part, le prix observé et le prix d offre théorique (résidu de la seconde équation) (7) : un résidu positif important dans la première équation pourra être interprété comme un signal de l existence d une bulle immobilière,danslamesureoùleprix observé sur le marché s éloigne de ses fondamentaux ; un résidu très négatif dans la seconde relation signalera un surinvestissement dans le secteur de la construction : l investissement est supérieur à celui qui équilibrerait le prix d offre et le prix de marché. Diagnostic sur la période récente (6) Plus les prix sont élevés, plus il y a de projets d investissement rentables pour les constructeurs de logements. Le prix d offre traduit cette relation croissante entre prix et investissement. (7) Cf. encadré pour quelques considérations sur les limites inhérentes à cette approche. Les écarts existants entre le prix observé et le prix de demande (résidu de la première équation) d un côté et, le prix observé et le prix d offre de l autre (résidu de la seconde équation) sont présentés sur le graphique 3, le niveau 0 étant le niveau moyen de ces indicateurs sur la période considérée. On constate que l écart entre prix observé et prix de demande progresse fortement à partir de 1988 et atteint un pic juste avant le retournement du marché en 1991, ce qui semble indiquer la présence d une bulle. L écart entre prix observé et prix d offre atteint un creux début 1990, où il est alors très inférieur à sa moyenne. Ce phénomène traduirait l existence d un surinvestissement immobilier, au sens où l investissement aurait été à cette période plus élevé que celui qui aurait équilibré le prix d offre et le prix de marché. Cette situation se serait brutalement retournée dans le courant de l année 1990. Le graphique 3 montre que, sur la période récente, l écart entre prix observés et prix de demande serait plus faible que sa moyenne sur la période historique et que le différentiel entre prix observé et prix d offre serait limité. En tout état de cause, on est très loin des désalignements observés au début des années 1990. Ces résultats iraient ainsi dans le sens d écarter l hypothèse de bulle immobilière ou de surinvestissement dans le secteur de l immobilier logement actuellement. Conclusion Sur la période récente, des tensions se sont progressivement matérialisées sur le marché immobilier français. En particulier, les prix ont fortement augmenté, de sorte que la solvabilité des ménages s est sensiblement dégradée et que l endettement s est accru de façon notable. Pour autant, les modélisations présentées ici suggèrent qu il serait hâtif de conclure à la présence d une bulle sur le marché de l immobilier à l heure actuelle. D une part, la prime de risque pesant sur les actifs immobiliers resterait encore très supérieure à celle observée au moment de la bulle des années 90. D autre part, le prix de l immobilier ne s écarterait pour le moment pas sensiblement du prix qui équilibre la demande de logements. Ces conclusions ne préjugent bien évidemment pas de l évolution future des prix sur le marché immobilier. Elles mettent simplement en évidence des éléments semblant écarter l existence d une bulle sur le marché immobilier français actuellement. Il faut toutefois garder à l esprit que ces modèles sont contingents aux données utilisées, qui couvrent une période de temps relativement restreinte et dont la cohérence est difficile à assurer. En outre, ils font l objet d un certain nombre d hypothèses. En particulier, dans les deux analyses, une forme ad-hoc a été adoptée sur les anticipations des ménages en matière de prix immobilier. Il convient également de rappeler que, dans le premier modèle, seuls les rendements des actifs sont intégrés pour expliquer la décision d achat prise par les ménages, et que, dans le second modèle, des problèmes économétriques se sont posés en lien notamment avec la brièveté des séries disponibles au regard des méthodes employées et la longueur des cycles sur le marché immobilier (on ne dispose que d un seul cycle). Mars 2005 41

ENCADRÉ : ESTIMATION DU MODÈLE STRUCTUREL L écriture du modèle La fonction de demande inverse détermine le prix d p t qui permet à la demande de logements de s ajuster au stock d habitations. À stock de capital immobilier donné, la position de cette fonction de demande dépend du revenu permanent des ménages et du coût d usage du capital : pt d = α1ht + α2ct + α3ut avec : Variable (1) Signification Signe attendu h t Stocks de capital immobilier Négatif c t Revenu permanent Positif Le coût d usage du capital u t représente le coût de détention d un logement, compte tenu de la fiscalité, de la valorisation anticipée de l actif et de sa dépréciation : y p ut = pt[( 1 τt )( rt τt ) + δt E( πt + 1)] avec : Variable p t Signification Prix réel de l'actif immobilier Donnée retenue Prix au m 2 des appartements parisiens, déflaté par le déflateur des dépenses de consommation des ménages Source Division Logement Indice Notaire-, Comptes trimestriels u t Coût d'usage du capital Négatif (1) Toutes les variables présentées ici sont considérées en logarithme. Sous l hypothèse que les entreprises du secteur de la construction maximisent leur profit, la fonction d offre inverse stipule que le prix d offre dépend du taux d investissement et des coûts de construction : pt o = γ1( ft ht) + γ2icct avec : τ t y r t τ t p Taux d'imposition sur le revenu Taux d'intérêt Taux de taxe sur la propriété Taux moyen apparent d'irpp et de CSG (impôts collectés rapportés à la base taxable) Taux d'intérêt à 10 ans n.d. Comptes trimestriels Banque de France Variable (1) Signification Signe attendu f t Investissement en logement Positif icc t Coût de la construction Positif (1) Toutes les variables présentées ici sont considérées en logarithme. Les données sélectionnées La variable p t correspond au prix au m² des logements à Paris. Cet indicateur n est pas corrigé des effets qualité. Il a donc mécaniquement tendance à augmenter avec le temps, du fait de l amélioration du confort des logements. La variableh t correspond au stock de capital en volume en logements et terrains détenus par les ménages issu des comptes de patrimoine. À partir de la série annuelle obtenue, on construit une série trimestrielle à l aide du taux de déclassement du capital logement et de la série d investissement logement des ménages. Ces données concernent donc la France entière. La variable c t est approchée par la consommation en biens non durables et en services (source : comptes trimestriels). En effet, d après la théorie du revenu permanent, les ménages doivent consommer à chaque période une fraction constante de leur revenu permanent tel qu ils peuvent l estimer à cette période. La consommation serait donc proportionnelle au revenu permanent. Toutefois, on peut considérer que la consommation de biens durables se rapproche plus d une décision d investissement que de consommation. Les consommations de biens non durables et de services seraient alors une meilleure approximation, à un terme d échelle près, du revenu permanent. Ainsi, dans le calcul, les prix immobiliers ne reflètent pas la situation qui prévaut sur l ensemble de la France, mais uniquement sur Paris. L influence des taux d imposition sur les actifs immobiliers a du être en partie négligée, faute d information.enfin, l évaluation de la plus-value anticipée fait l objet d une hypothèse conventionnelle identique à celle présentée dans l équation d arbitrage (moyenne mobile du taux de croissance des prix sur les quatre derniers trimestres). Au total, l évaluation du coût d usage du capital est particulièrement sujette à caution. δ t π t+1 E( ) Taux de dépréciation Gains anticipés en capital (plus value) Taux de Consommation de Capital Fixe (champs logements et terrains détenus par les ménages) trimestrialisé Taux de croissance moyen de p t sur les quatre derniers trimestres Compte de patrimoine Division Logement Indice Notaire- f t correspond à l investissement des ménages en logement issu des comptes trimestriels. Enfin, icc t correspond à l indice du coût à la construction publié par l et le Ministère de l Equipement. Il faut donc noter que ces données présentent deux limites : d une part, certaines d entre elles nécessitent d importantes approximations ; d autre part, le champ considéré peut différer d une variable à une autre. 42 Note de conjoncture

ENCADRÉ : ESTIMATION DU MODÈLE STRUCTUREL (SUITE) L estimation obtenue La modélisation retenue suppose l existence de deux relations de long terme (relations cointégrantes) entre les variables suivantes : prix de l immobilier, stock de logements et terrains, consommation en biens non durables et services, coût d opportunité de la détention d immobilier résidentiel, investissement résidentiel et coût de la construction (1). Afin d identifier les équations d offre et de demande, nous avons imposé les restrictions suivantes (2) : De l équation de demande, sont exclus l investissement logement et le coût de construction ; De l équation d offre, sont exclus le revenu permanent et le coût d usage du capital.en outre, on considère que la variable pertinente est le taux d investissement logement : on contraint donc les coefficients de l investissement et du stock de capital à l égalité. Les résultats de l estimation sont présentés dans le tableau ci-dessous (écart-type entre parenthèses), où la variable dépendante est le prix de l immobilier : Demande Offre -3,57 (0,70) -8,01 (0,78) 8,26 (0,86) Coût d'usage du capital 0,07 (0,02) - - Toutes les variables sont considérées en logarithme. Stock de capital immobilier Consommation en nondurables Investissement logement Coût de la construction - - 8,01 (0,78) 4,20 (0,50) Les coefficients sont tous significatifs et ont le signe attendu. Mais, du fait de la méthode employée et du peu de points disponibles, ces estimations ne sont pas statistiquement très robustes. Les différentes limites du modèle Les résultats présentés sont à prendre avec précaution du fait des différentes limites inhérentes au modèle et à l estimation : La démarche proposée consiste à exploiter les résidus des équations estimées. Cette approche par les résidus présente toujours le risque de capter plus que ce que l on cherche à analyser. En effet, si le modèle est mal spécifié, le résidu contiendra non seulement les écarts entre le prix observé et le prix d équilibre, mais aussi l influence de la ou des variable(s) omise(s) sur le prix d équilibre. Les approximations effectuées sur les données viennent s ajouter à celles de la modélisation. Enfin, les estimations présentent des difficultés économétriques déjà évoquées. (1) Sur la période d estimation retenue (1986-2004), le test de la trace conduirait à retenir 4 relations de cointégration. Toutefois, la théorie économique en indiquant 2 et ces tests étant fragiles, nous avons imposé que l espace cointégrant est de dimension 2 seulement. (2) Le test du chi-2 conduit à rejeter l hypothèse de sur-identification au seuil de 12%. Toutefois, ce résultat est assez fragile (il est notamment sensible au calcul du coût d usage du capital). Bibliographie Beauvois M. (2004), «La hausse des prix des logements anciens depuis 1998», Première n 991. Cornuel D. (1999) «L hypothèse de bulle immobilière», Observations de diagnostics économiques, Revue de l OFCE n 70. Cornuel D. (1999) «L hypothèse de bulle immobilière», Observations de diagnostics économiques, Revue de l OFCE n 70. Coudert V. et F. Verhille (2001), «À propos des bulles spéculatives», Bulletin de la Banque de France n 95. Eluère O. (2005), «Le haut de cycle est proche», Crédit Agricole Immobilier. Jacquot A. (2002), «La demande potentielle de logements - l impact du vieillissement de la population», Première n 875. Lecat R. (2005) «Dynamique des prix des logements : quel rôle des facteurs financiers?», Bulletin de la Banque de France n 133. McCarthy J. et R.W. Peach (2004), «Are Home Prices the Next Bubble?», Federal Reserve Bank of New York. McCarthy J. et R.W. Peach (2002), «Monetary Policy Transmission to Residential Investment», Federal Reserve Bank of New York. Moëc G. (2004), «Y a-t-il un risque de bulle immobilière en France?», Bulletin de la Banque de France n 129. Weeken O. (2004) «Asset pricing and the housing market», Bank of England Quaterly Bulletin. Mars 2005 43