Méthodes employées Outils utilisés Type de données obtenues. -Photos -Journal de terrain intégrant les échanges chercheur/informateur



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Transcription:

Une approche psycho-anthropologique des savoirs à l école de la vie chez des adultes peu ou pas scolarisés au Brésil Thèse de Candy Laurendon-Marques (Université d Angers et Universidade Federal do Rio Grande do Norte) Résumé L objectif principal de cette thèse est de rendre compte des conditions d acquisition des savoirs à l "école de la vie" par des adultes brésiliens peu ou pas scolarisés. L expression "école de la vie" couramment utilisée par les personnes brésiliennes de classe sociale populaire souligne l importance de la vie quotidienne pour les apprentissages par opposition à l Ecole où ces personnes se trouvent le plus souvent en échec scolaire. Caractérisation des savoirs à l "école de la vie" Les savoirs à l "école de la vie" correspondent à ce que les scientifiques nomment les savoirs quotidiens, également appelés savoirs informels, locaux, pratiques. Chaque champ disciplinaire des sciences humaines et sociales (la psychologie, l anthropologie, la sociologie, les sciences de l éducation, etc.) propose une conception des savoirs quotidiens : des savoirs pratiques, des savoir-faire, des savoirs d action, des savoirs d expérience, etc. Les savoirs quotidiens se développent dans des espaces d éducation informelle, à tous les instants de la vie, hors institution scolaire. Ces savoirs sont considérés comme liés à l activité au sein de laquelle ils sont mis en œuvre. En psychologie, le débat entre les chercheurs porte sur la nature des savoirs quotidiens: sont-ils de nature procédurale, de portée locale, sans possibilité de transfert à d autres domaines, ou sontils flexibles, transférables à d autres contextes et de nature conceptuelle? Pour notre part, nous considérons que les savoirs à l "école de la vie" sont des connaissances-en-acte (concepts-en-acte et théorèmes-en-acte), en adoptant la théorie de Gérard Vergnaud (1990). Ces connaissances-enacte sont mises en œuvre dans des situations ou des classes de situation par l intermédiaire des représentations. Les différents espaces dans lesquels sont mis en œuvre les savoirs quotidiens peuvent être distingués par leur «utilisation» et «leur finalité» par la personne : espace professionnel, espace informel de loisirs, espace familial, espace social, etc. La théorie des domaines d expérience de Paolo Boero (1989) permet de délimiter des domaines de savoirs dans la vie quotidienne des adultes. Les domaines d expérience sont définis comme des sphères d activité socialement pérennes, reconnaissables par les pratiques qui s y développent, les savoirs plus ou moins institutionnalisés, etc. La question des savoirs à l "école de la vie" entraine la question des apprentissages quotidiens, la vie quotidienne pouvant être caractérisée comme le lieu d apprentissages : en effet, lorsque la personne agit, elle apprend (Pastré, 2002).

Caractérisation des acquisitions à l "école de la vie" Pour étudier les conditions d acquisition des savoirs à l "école de la vie", nous avons adopté le cadre d analyse proposé par Barbara Rogoff (1995), qui considère que toute personne participant à une interaction apprend par le seul fait de participer. Rogoff propose alors d étudier les acquisitions des personnes, en prenant en compte trois plans d analyse nécessaires et interdépendants : institutionnel, interindividuel et intraindividuel. Ce modèle permet de contextualiser les acquisitions dans la culture dans laquelle elles s effectuent, de caractériser les types de relations interpersonnelles existantes, en analysant les interventions de chacun, et enfin, de connaître les compétences développées et les conditions d acquisition. Dans les domaines d expérience à l "école de la vie", il semble que les modes et les moyens d acquisition soient les suivants : - à un niveau institutionnel : en fonction du rôle et de l intention du "maître", la personne apprend soit par observation, imitation et reproduction du geste, soit par échafaudage, soit par essaierreur, peu utilisé surtout lorsqu un coût économique important est impliqué ; - à un niveau interpersonnel : si la forme d apprentissage concernée est l échafaudage, l expert procède à la démonstration du geste et à la participation progressive de l apprenti pour aboutir à une participation conjointe à l activité avec une diminution de l intervention physique du maître, l interaction non verbale est alors privilégiée avec des interventions de l expert principalement pour attirer l attention de l apprenant ; - à un niveau intrapersonnel révélé par le caractère changeant de la participation de la personne à la relation sociale : l apprenant acquiert plus de responsabilité en participant à des tâches de plus en plus complexes et peut développer de nouveaux instruments, en s appropriant ceux observés ; ce niveau pose également la question de l interprétation affective et sociale des situations d acquisition par l apprenant. Méthodologie psycho-annthropologique pour l étude des savoirs à l "école de la vie" Afin d étudier les savoirs à l "école de la vie" et les modalités d acquisition de ces savoirs par des adultes brésiliens peu scolarisés, nous avons adopté une méthodologie qui allie un volet ethnographique et un volet psychologique. Dans un premier temps, nous avons réalisé un travail ethnographique, en nous immergeant dans le milieu de vie des adultes pendant un temps suffisamment long afin d observer les activités quotidiennes et professionnelles des personnes (observation participante). Focalisés au départ sur les savoirs numériques des personnes, l observation participante nous a permis d identifier ces savoirs et d interroger les raisonnements mis en œuvre. Le recueil des observations et dialogues réalisés sur le terrain a été consigné par écrit dans un journal de terrain, accompagné de photographies afin d illustrer les notes. Dans un deuxième temps, nous avons réalisé des récits de vie afin de connaître, du point de vue des personnes interrogées, les situations de participation sociale rencontrées dans le passé, les différents emplois occupés, les compétences mises en œuvre dans les différents contextes ainsi

que les représentations sur les domaines d expérience et les formes possibles de développement de ces domaines à l "école de la vie". Le tableau n 1 résume les types de données obtenues grâce à la méthodologie employée. Méthodes employées Outils utilisés Type de données obtenues 1. Observation participante de terrain 2. Récits de vie -Photos -Journal de terrain intégrant les échanges chercheur/informateur Entretien filmé de 2h30 sur le lieu de résidence des informateurs -Expression du positionnement du chercheur -Les activités relevées et le contexte de celles-ci -Les savoirs manifestés -les échanges chercheur/ informateur à propos des savoirs identifiés par le chercheur Transcription des entretiens : -trajectoires sociales -représentations des personnes sur les formes d acquisitions des savoirs Tableau 1 : Synthèse des types de données recueillies en fonction des méthodes et outils utilisés dans notre recherche Concernant l analyse et l interprétation des résultats, nous avons adopté une approche illustrative, qui consiste, à partir d une analyse thématique du journal de terrain et des entretiens retranscrits, à sélectionner les extraits les plus pertinents et à les interpréter en s appuyant sur notre cadre théorique qui constitue le cadre d analyse des résultats : caractérisation des domaines d expérience et des structures de participation des personnes à l "école de la vie". L analyse thématique a permis d identifier les différents domaines d expérience (Boero, 1989) dans la vie des adultes et de caractériser trois composantes : les classes de situation, les techniques sociales et culturelles et les instruments matériels et symboliques. Après la sélection et l analyse des extraits concernant les différents domaines d expérience étudiés, nous avons caractérisé les conditions d acquisitions selon les trois niveaux d analyse (institutionnel, interpersonnel et intrapersonnel), proposés par Barbara Rogoff (1995). Nous avons réalisé deux études en adoptant cette démarche psycho-anthropologique : la première étude concerne les activités quotidiennes de six femmes vivant dans la périphérie de Porto Alegre, dans le Sud du Brésil (gestion du budget et des échanges marchands) et la deuxième porte sur les pratiques professionnelles d un commerçant de fruits et légumes sur un marché de Recife, dans le Nord-Est du Brésil. Acquisition des savoirs domestiques de femmes brésiliennes peu scolarisées Cette première étude concernant les domaines des échanges marchands et de la gestion du budget de six femmes retraitées, anciennes employées domestiques, révèle les différents instruments et stratégies mis en place pour faire face aux classes de situations et pour réduire ou utiliser les nombreuses variations de l environnement (variété des lieux, variété des prix, variété des produits). Les femmes s engagent, en particulier, dans une routinisation de leur activité, en faisant le «rancho», c est-à-dire l achat mensuel en grandes quantités des mêmes produits alimentaires non périssables afin d économiser. Elles mettent également en place la «pesquisa», traduit par recherche en français, qui correspond à la recherche des produits les moins onéreux, ce qui permet de tirer alors profit de la concurrence commerciale. Concernant la gestion du

budget, les femmes mettent également en place des instruments afin de calculer ce qu elles peuvent dépenser ou acheter et faire des économies, comme l utilisation de petites boites ou de petits coffres utilisés qui leur permet à la fois de représenter leurs besoins et de segmenter les sommes. L analyse des entretiens des femmes révèle peu de mise en œuvre des savoirs numériques dans les situations rencontrées et une absence totale de calculs écrits. Concernant les formes d acquisition de ces savoirs et instruments mis en place dans leur vie, les femmes rapportent toutes, dans un premier temps, qu elles ont appris par elles-mêmes. Même si elles considèrent que la gestion du budget est un domaine réservé quasi exclusivement aux femmes, les récits de vie révèlent la rencontre, à différentes étapes de leur vie, de personnes plus compétentes qu elles et dont le statut varie. Deux femmes connaissent des structures de participation sociale relevant du quasi-enseignement par l employeur ou par le père, qui enseignent de manière explicite (comme celle connue dans une institution d enseignement) les nombres aux deux femmes. L ensemble des femmes témoigne également une participation conjointe à l activité des maris ou des enfants. Cependant, cette collaboration n entraîne pas, chez les femmes, une appropriation autonome des instruments introduits par leurs proches. Acquisition des savoirs marchands chez un homme brésilien analphabète Cette étude de cas révèle les domaines d expérience professionnelle de Monsieur Julio, aujourd hui commerçant de fruits et de légumes, que nous avons observé pendant six mois, de l activité d achat des produits en campagne à leur vente sur le marché. Pour faire face aux situations, le commerçant met en œuvre un ensemble de savoirs complexes, non pas seulement des savoirs numériques mais relevant également d autres domaines comme l agriculture ou le commerce (étude de la concurrence) avec la prise en compte d autres facteurs comme les relations sociales entretenues avec la clientèle du marché (analyse des besoins des clients). L activité numérique devient alors secondaire pour laisser place à d autres activités sociales prioritaires (Lave, 2008). Dans son activité professionnelle, Monsieur Julio emploie certains instruments comme les outils pour la récolte et la vente des produits, mais également un cahier de comptes pour enregistrer les dépenses effectuées ou les crédits autorisés à certains clients. Il met également en place certaines stratégies, pour rendre le produit plus attractif ainsi que pour assurer la vente, comme la «pesquisa» c est-à-dire une recherche des tarifs proposés par les vendeurs concurrents, afin de garantir un prix accessible en prenant en compte l offre et la demande. Concernant les formes d acquisition de ces savoirs, Monsieur Julio exprime dans un premier temps avoir appris seul. L analyse des données révèle cependant la présence de personnes plus expertes dans son entourage favorisant une acquisition des savoirs et des instruments mis en œuvre dans le contexte de la vente, mais également des formes de transmission de certains savoirs aux générations suivantes, les petits-enfants. A un niveau institutionnel, la participation à différentes communautés de pratiques (familiale, commerçante, etc.) (Lave et Wenger, 1991) favorise le développement de certaines pratiques professionnelles futures. Les deux autres plans d analyse (interindividuel et intraindividuel) révèlent une participation conjointe à l activité des proches (père

ou ami) avec une appropriation plus ou moins effective des instruments en fonction de l interprétation affective et sociale de la situation par Monsieur Julio (par exemple, si cet outil est perçu comme nécessaire pour son activité future). Lors de la transmission de savoir-faire aux petits-enfants, l observation des pratiques a révélé les formes langagières mises en œuvre dans la relation, avec de faibles interventions verbales pour attirer l attention de l apprenant. Enfin, l étude des structures de participation intergénérationnelles a permis de relever la différence entre les savoirs de l "école de la vie" et les savoirs scolaires, en montrant les limites des premiers mais également leur richesse et leur nécessité, dans le contexte professionnel de la vente. Conclusion : L emploi d une méthodologie psycho-anthropologique a révélé la variété et la richesse des savoirs acquis à l école de la vie pour faire face aux situations problématiques émergeant dans les différents domaines d expérience. Les savoirs numériques apparaissent imbriqués à d autres savoirs relevant de facteurs sociaux (en fonction de l interaction client/vendeur par exemple), matériels etc. Dans la vie, les personnes créent ou adaptent une diversité d instruments au service de leurs activités, entreprenant une véritable genèse instrumentale (Rabardel, 1995). Pour les personnes brésiliennes peu ou pas scolarisées, l école de la vie signifie le lieu dans lequel les acquisitions sont effectuées à la sueur de leur front et par nécessité. L école de la vie est également le lieu dans lequel les personnes doivent savoir saisir les occasions d apprentissage, en participant à des communautés de pratique et en observant les personnes plus compétentes du groupe d appartenance (Lave et Wenger, 1991). Les structures de participation sociale existantes à l école de la vie semblent ainsi privilégier l observation, l écoute, la prise d initiative et l engagement des personnes dans les activités. Cependant, ces structures de participation sociale se révèlent dépendantes des rapports de genre et de classe sociale des personnes. Ainsi, pour des personnes non scolarisées, l appropriation effective ou non des savoirs à l école de la vie semble dépendre de l intérêt qu elles portent à l activité en cours et de leur interprétation affective et sociale de la situation d acquisition. L école de la vie constitue donc le lieu d acquisitions de savoirs et d instruments, acquisitions perçues comme nécessaires par les personnes pour mener à bien leur activité dans différents domaines d expérience (quotidien, professionnel, social, familial, de loisirs ou autre). Pour savoir comment on apprend à l "école de la vie", il est donc important de poser une question plus large : "Que fait-on dans la vie et avec qui? ". Cette recherche révèle l intérêt d employer une méthodologie psycho-anthropologique afin d étudier finement les savoirs à l école de la vie et leurs conditions d acquisition. Les récits de vie ont pu notamment favoriser pour les personnes interrogées, une prise de conscience de leurs compétences, pouvant créer ainsi une «zone potentielle de développement» (Vygostki, 1934). Cette recherche apporte également des éléments de réflexion pour mieux penser l articulation entre l école et la vie active.