SPEECH 10/ Michel Barnier Membre de la Commission européenne chargé du Marché intérieur et des services La reconnaissance des qualifications professionnelles en Europe: ce qu'il reste à faire Dialogue Inter-Parlementaire 26 octobre 2010
Monsieur le Président / Madame la Vice - Présidente Mesdames et Messieurs les Députés, Je suis très heureux de prendre part à cette réunion interparlementaire, qui me permet de poursuivre le dialogue avec les parlements nationaux, comme je l'ai déjà fait en avril dernier à propos de la Directive Services. Ces rencontres régulières témoignent de ma volonté de renouveler ce dialogue, dans l'esprit du traité de Lisbonne, dont vous savez toute la place qu'il fait aux parlements nationaux. Je voudrais remercier la commission IMCO, et en particulier son Président Malcolm Harbour et sa Vice-Présidente Bernadette Vergnaud, d'avoir pris l'initiative d'organiser cette réunion aujourd hui. Elle s inscrit dans le contexte de la nouvelle dynamique que la Commission souhaite insuffler au marché intérieur. Et, comme préconisé par le rapport de Louis Grech, cette dynamique doit se concentrer sur les citoyens, qui seront au cœur du Pacte pour le Marché unique que je présenterai demain. Aujourd hui, notre débat concerne la Directive relative aux qualifications professionnelles, et je souhaite aborder plusieurs points : (i) Les résultats accomplis : où en sont les Etats membres de la transposition de la Directive? (ii) Les travaux en cours : où en est la Commission de l évaluation de la Directive et quelles sont les pistes d amélioration déjà discutées? (iii) Mes intentions et mes projets : quelles conclusions tirer à ce stade? Quid en particulier d un projet de carte professionnelle? I. Les résultats accomplis : la transposition de la Directive En décembre dernier, à l'occasion d'une question orale, de nombreux députés européens ont exprimé leur mécontentement sur les retards pris par les Etats membres dans la transposition de la Directive. Cela m'a d'autant moins échappé que j'étais moi-même présent, comme parlementaire européen à l'époque. Aujourd'hui, mon sentiment concernant la transposition de cette Directive est partagé. D une part, je suis heureux et "soulagé" de pouvoir annoncer que la transposition de la Directive est achevée dans tous les Etats membres. D autre part, j'ai encore quelques difficultés à comprendre pourquoi cette transposition a été achevée avec parfois un retard de trois ans. Je suis en effet aussi assez surpris que cette directive, adoptée en 2005, qui consolidait des textes antérieurs, ait été transposée si tard, alors que la plupart des dispositions étaient déjà en place selon des directives antérieures. Est-ce que les Etats membres ont estimé que la Directive n était pas une priorité et n'ont pas mobilisé les ressources nécessaires pour mener à bien cet exercice dans les temps? Il existe 4600 professions réglementées dans L'Union européenne. Ce nombre a sans doute rendu la transposition de la directive compliquée. 2
Des médecins aux architectes, des ingénieurs aux moniteurs de ski, ce chiffre de 4600 illustre aussi l'importance de ce texte qui touche les européens dans leur vie quotidienne, qu'ils soient professionnels ou bénéficiaires de services. II. Les travaux en cours: L'évaluation de la Directive A. Un processus qui mobilise de nombreux acteurs Nous avons lancé une large évaluation de la Directive en mars dernier, qui a suscité un grand intérêt de la part de l'ensemble des acteurs. Nombre d'entre vous ont attiré l'attention de la Commission sur des problèmes liés à ce texte : les 25 questions écrites et orales posées par des membres du Parlement cette année montrent l'intérêt constant pour ce sujet. La Commission IMCO a aussi présenté plusieurs études et organisé des auditions avec les professionnels sur ce sujet. Ces initiatives sont évidemment les bienvenues. Les autorités compétentes se sont également engagées dans le débat. Les présentations de M. Fortuit et M. Hazell concernant certaines professions de santé illustrent cet engagement. Je tiens à remercier l'ensemble de ces autorités pour le travail accompli. Je sais qu'elles ont présenté leur retour d'expérience sur le fonctionnement de la Directive. Ces rapports constituent un matériel précieux pour l'évaluation, non seulement pour la Commission, mais aussi pour l'ensemble des milieux intéressés. Ils ont donc été rendus publics le 21 octobre. A présent, nous souhaitons savoir ce que les organisations professionnelles et les citoyens pensent du fonctionnement actuel de la Directive. Nous lancerons une large consultation sur ce sujet avant la fin de l année. B. D'ores et déjà, nous pouvons dégager certaines pistes d'amélioration. Je vois trois pistes principales: une plus grande simplification, la modernisation de l'acquis sur les qualifications et davantage de coopération proactive entre les Etats membres. a) Premier aspect: Une plus grande simplification Les procédures dans les Etats membres sont encore souvent longues, bureaucratiques et peu transparentes. La reconnaissance des qualifications professionnelles représente d une manière continue 20% des cas gérés par le réseau SOLVIT. C est trop. Un effort de simplification est nécessaire, notamment pour la mobilité temporaire. La Directive de 2005 avait l'ambition d'encourager la prestation temporaire des services. Avec le nouveau dispositif sur la mobilité temporaire, les Etats membres peuvent seulement demander aux professionnels intéressés de soumettre une déclaration préalable. Or, les Etats membres ont appliqué ces nouvelles règles avec beaucoup de réticences. Ils ont multiplié les dérogations et ont alourdi les exigences, de sorte que ce dispositif simplifié est parfois vidé de sa substance. La simplification devrait aussi passer par une utilisation totale des moyens électroniques. Aujourd'hui, de nombreuses autorités requièrent des documents 3
originaux ou certifiés conformes, limitant ainsi la possibilité d'introduire des demandes de reconnaissance en ligne. b) Deuxième aspect: La modernisation de l'acquis sur les qualifications Le système de reconnaissance automatique mis en place pour certaines professions (professions de la santé ainsi que les architectes) est un succès. Ce système est plébiscité non seulement par les professionnels, qui ont tout intérêt à une reconnaissance automatique, mais aussi par une majorité écrasante d'autorités compétentes. Ce constat est important : la reconnaissance automatique, établie dans une Europe à 6, reste valable dans une Europe à 27. Des aménagements pourraient certes être envisagés vu le temps écoulé depuis l'introduction de ce système. En particulier, il semble peut-être nécessaire d'actualiser les conditions minimales de formation qui datent parfois d'il y a plusieurs décennies. Cela sera une tâche complexe mais il est clair que le principe de reconnaissance automatique doit être maintenu. Pour la grande majorité des professions, la reconnaissance des qualifications n'est pas automatique mais est basée sur une comparaison des qualifications au cas par cas. Or, comparer des qualifications obtenues dans des pays différents n'est pas chose aisée, notamment dans le contexte de réforme des systèmes d éducation dans les Etats membres, tels que le processus de Bologne dans les universités. Nous lancerons une étude importante afin d'examiner comment ces réformes peuvent éventuellement faciliter la reconnaissance des qualifications. c) Troisième aspect : Davantage de coopération proactive Je me souviens très bien de nombreuses questions posées par différents Membres du Parlement européen, concernant notamment des médecins ayant des pratiques illégales : peuvent-ils bénéficier de la libre circulation même s ils ne sont plus autorisés à exercer dans leur pays d origine? Evidemment non. Le cas d'un médecin interdit de pratiquer en Espagne qui continuait d'exercer au Royaume-Uni a fait couler beaucoup d'encre la semaine dernière dans la presse britannique. Ce cas illustre la nécessité de promouvoir en priorité une coopération plus proactive entre autorités compétentes, notamment pour les professionnels de santé. Un système d alerte tel qu il existe déjà selon la Directive «services» est la voie à suivre. III. Les prochaines étapes. L'évaluation nous conduira vers une modernisation de la Directive. Je compte présenter un Livre Vert à l'automne 2011 et une proposition législative en 2012. Nous examinerons les différentes problématiques qui ont émergé au cours de l'évaluation et nous devrons être à l'écoute des professionnels et des citoyens. Toutefois, permettez-moi aussi d'ajouter une dimension personnelle. Tout d abord, je suis sensible aux inquiétudes et aux attentes des patients et des consommateurs. La mobilité des professionnels de la santé et les préoccupations exprimées dans ce contexte retiennent toute mon attention. Ce point a été fréquemment soulevé ces derniers mois au sein du Parlement européen. Notamment, il y a eu récemment un débat au Royaume-Uni sur les connaissances linguistiques requises pour l'exercice d'une profession. Selon la Directive, les 4
professionnels doivent avoir les connaissances linguistiques nécessaires à l'exercice de leur activité. Les Etats membres peuvent contrôler cela. Sur ce point, j attends donc d abord que les Etats membres fassent usage des possibilités offertes par la Directive actuelle. Une deuxième remarque : n'oublions pas que la Directive ne vise pas seulement les professions de santé. La Directive vise les qualifications des millions de citoyens exerçant une profession réglementée en Europe. Chaque année, environ 30.000 professionnels soumettent des demandes de reconnaissance dans un autre Etat membre, et beaucoup plus encore sont intéressés par une telle perspective. On ne connaît pas encore le nombre des professionnels qui ne se déplacent qu à titre temporaire. Il s'agit donc d'une Directive clé pour les citoyens, mais aussi pour nos marchés et notre économie. La demande de travailleurs hautement qualifiés augmentera de 16 millions dans l Union européenne et sera d'autant plus difficile à satisfaire à l'avenir avec le déclin de la population active. Nous devons donc nous préparer à une mobilité beaucoup plus élevée et plus intelligente dans l avenir. Il sera dans l intérêt de notre économie et des milieux professionnels d attirer les travailleurs qualifiés des autres Etats membres. La Directive ne doit donc pas constituer un frein à ces évolutions mais doit être un élément clé pour répondre aux défis économiques et démographiques. Elle devrait également tenir compte des changements considérables intervenus dans les systèmes d'éducation et de formation dans les Etats membres. Un projet concret : La carte professionnelle Je voudrais à ce stade en venir à un sujet auquel, je le sais aussi, tiennent beaucoup d'entre vous: la carte professionnelle. Je suis convaincu qu'une carte professionnelle peut apporter une réelle valeur ajoutée pour la relance du marché intérieur. Pour le professionnel d'abord, la carte professionnelle pourrait grandement simplifier sa mobilité en Europe. Dans certains cas, elle pourrait peut-être offrir, à elle seule, la base pour exercer sa profession dans un autre pays. Elle se substituerait ainsi à l'exigence de fournir de nombreux documents. Il faut éviter d'imposer aux professionnels des outils inutiles et bureaucratiques. Pour qu'une carte professionnelle soit attractive, elle doit présenter ces avantages et demeurer optionnelle. Une telle carte serait aussi très utile pour les autorités compétentes, notamment si elle permet d'avoir un accès rapide et fiable à des informations essentielles sur le professionnel. La carte pourrait par exemple être liée à une base de données accessible aux autorités compétentes. Le système IMI peut être un point de départ. Une telle carte pourrait enfin être utile aux bénéficiaires des services (consommateurs ou employeurs), qui auraient là encore l'assurance qu'un professionnel est pleinement compétent pour exercer son métier. Mes services sont en train d'explorer comment une carte professionnelle ainsi conçue pourrait fonctionner en pratique. Nous entamerons rapidement le dialogue avec les professionnels intéressés. Nous engagerons aussi des discussions avec les Etats membres. 5
Conclusion Les premiers résultats de l'évaluation démontrent déjà la nécessité d'une modernisation de la Directive. Je suis et je reste à l'écoute de tous ceux qui souhaitent s'investir dans la réflexion sur cette modernisation. Il faut être conscient que la modernisation de la Directive comporte des enjeux majeurs. La carte professionnelle: il est temps de passer des idées aux solutions concrètes. J'envisage un livre vert l'année prochaine. En 2012, à la lumière des réponses reçues et des études d'impact, des propositions suivront. Monsieur le Président, Madame la Vice-Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, dans tout ce travail je compte sur votre mobilisation à tous. Je vous remercie. 6