Responsabilité civile des administrateurs et membres du comité de direction des sociétés anonymes : état des lieux



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1 www.vdelegal.be Responsabilité civile des administrateurs et membres du comité de direction des sociétés anonymes : état des lieux Bruxelles, le 24 février 2004 Johan VANDEN EYNDE Avocat Vanden Eynde Legal Avenue de la Toison d'or, 77 1060 Bruxelles Tél : + 32 / (0)2.290.04.00 Fax : +32 / (0)2.290.04.10 contact : jv@vdelegal.be Web site : www.vdelegal.be

2 I. L ADMINISTRATION DE LA SOCIETE ANONYME I. Introduction : Il faut tout d abord souligner que les présentes notes ne constituent qu un résumé servant de support à l exposé oral du cours. La première hypothèse qui préside à l élaboration des présentes notes est que le syllabus s adresse à des lecteurs ayant déjà acquis la maîtrise d une part, du droit des sociétés et d autre part, des règles principales de droit civil relatives au droit des sociétés. La deuxième hypothèse posée est qu eu égard à l ampleur du sujet relatif à la responsabilité des administrateurs, les présentes notes ont volontairement pris comme objet, pour cette année 2003-2004, uniquement la responsabilité civile des administrateurs et membres des comités de direction dans le cadre d une société anonyme. Un très important champ d investigation a dès lors été volontairement laissé de côté à savoir la responsabilité pénale et, aussi, sauf exceptions directement illustratives du propos, les responsabilités civiles particulières déposées dans des lois spécifiques ou découlant de l enseignement prétorien, qui ont été volontairement laissées dans l ombre. Il est ici notamment fait référence à la jurisprudence qui se développe en matière de responsabilité pour le non paiement des cotisations sociales, des précomptes professionnels ou de la TVA, etc Enfin, il faut attirer l attention du lecteur sur le fait que les membres des conseils de direction n existent légalement que depuis la loi du 2 août 2002 et que dès lors, aucune jurisprudence n est disponible, au jour de la rédaction des présentes notes, pour apprécier de manière pratique, la portée de leur responsabilité. Mais il faut cependant rappeler au lecteur l existence de la loi du 22 mars 1993 relative aux établissements de crédit, et plus particulièrement l article 26 de cette loi et les protocoles sur l autonomie de la fonction bancaire, édités par la Commission Bancaire et Financière dans le cadre de son contrôle prudentiel qui, déjà organisaient le rôle des membres du comité de direction (ci-dessous MCD). II. Le mandat dans le Code civil : 1. Définition : Le mandat est un contrat par lequel une personne, appelée mandant, en charge une autre, appelée mandataire et qui accepte, d accomplir un acte juridique pour elle et en son nom

3 (articles 1984 et suivants du Code civil et Cassation, 27 mars 1968, Pasicrise, 1968, II, p. 916 ; Cassation, 29 avril 1988, Pasicrisie, 1988, I, p. 1033). La notion de mandat ne concerne pas l accomplissement d actes matériels ; dès que quelqu un accomplit un tel acte matériel à la demande d un autre, la relation se situe dans le cadre d un contrat d ouvrage (contrat d entreprise). La notion de «représentation commerciale» (au sens large) ne correspond dès lors pas à la définition de la représentation juridique imposée par un contrat de mandat. L analyse des contrats rencontrés dans le monde des affaires révèle ainsi souvent la coexistence d un mandat et d un louage d ouvrage. 2. Caractéristique : Dans un contrat de mandat, la représentation qui en découle implique que les droits et obligations passent directement au mandant qui devient directement créancier ou débiteur du tiers contractant avec le mandataire, sans nécessité de ratification. 3. Caractère consensuel : Le mandat se forme par la seule rencontre des consentements du mandant et du mandataire. Un écrit n est donc pas indispensable pour sa formation. Ce caractère consensuel se rencontre au moins partiellement dans tous les types de contrats d agence commerciaux. Si le contrat est qualifié de civil, ce seront les règles de preuve du droit civil qui s appliqueront ; si le mandat est commercial, ce sera le système de preuve du droit commercial qui s appliquera. 4. Portée de l objet du mandat : L article 1987 du Code civil précise qu il faut distinguer les mandats spéciaux relatifs à une ou plusieurs affaires déterminées et les mandats généraux relatifs à toutes les affaires du mandant. L article 1988 du Code civil précise en effet que le mandat reçu en des termes généraux ne s applique qu aux actes d administration. Cependant, la Cour de Cassation (2 avril 1981, J.T., 1982, p. 10) a souligné qu un mandat spécial peut être conçu en des termes généraux et ne pas constituer dès lors nécessairement un mandat express. Il y a dès lors lieu de bien vérifier toujours les pouvoirs du mandataire dans la mesure où un certain nombre de situations juridiques doivent nécessairement être régies par un mandat express (par exemple, en matière immobilière).

4 5. La ratification à posteori : Une personne «représentée» peut, s il n existait pas initialement un mandat quelconque, décider de ratifier l opération, approuvant ainsi l initiative prise par celui qui s est institué mandataire. Les effets de la ratification sont identiques à ceux d un mandat initialement donné, même à l égard des tiers. Elle intervient avec effet rétroactif. La ratification peut être expresse ou tacite. 6. Exécution du mandat : 6.1 Le mandataire doit remplir sa mission conformément aux instructions reçues et, à défaut en bon père de famille (de manière prudente et diligente). 6.2. La responsabilité du mandataire sera appréciée de manière différente si son mandat est gratuit ou rémunéré. 6.3. Le mandat ne contient pas par nature une clause de ducroire, c est-à-dire que le mandataire ne garantit pas la bonne exécution du tiers. 6.4. La possibilité de substitution d un «sous-mandataire» est de la nature du contrat de mandat mais le mandataire porte seul la responsabilité de la personne désignée pour réaliser l exécution du mandat sauf clause contraire expresse. 6.5. En aucun cas, sauf accord express du mandant, le mandataire ne peut se porter lui-même contrepartie. 6.6. Lorsque le mandat est salarié, la Cour de Cassation a décidé (6 mars 1980, Pasicrisie, I, p. 832 confirmé par un arrêt récent de l année 2001) que le juge pouvait réduire le salaire convenu pour l exécution d un mandat s il constate que ce salaire est hors de proportion avec l importance des services rendus. L arrêt précise que le principe vaut même si les mandats constituent un acte de commerce dans le chef du mandataire. Il s agit d une caractéristique exorbitante du droit commun régie par la «loi-convention» entre les parties. 6.7. La fin du contrat de mandat est régie par des clauses de droit commun ou par des clauses spécifiques.

5 Les clauses d extinction découlant du droit commun s appliquent au mandat telles que l échéance du terme prévu, la survenance d une condition résolutoire expresse, l inexécution fautive, etc Les clauses spécifiques d extinction du mandat prévues à l article 2003 du Code civil découlent du caractère intuitu persona de ce contrat ; il s agit du décès du mandant ou du mandataire, de la faillite ou de l interdiction du mandant ou du mandataire, mais surtout, la révocation par suite de changement de volonté du mandant ou du mandataire. Ainsi, par nature, le contrat de mandat est révocable ad nutum. Il peut cependant être dérogé aux principes déposés dans l article 2003 du Code civil (cependant, à contrario, en matière de droit des sociétés, en principe, rien ne peut faite obstacle à la révocation ad nutum). En outre, l article 2007 du Code civil permet également au mandataire de renoncer à sa mission. S il peut être mis fin unilatéralement au contrat de mandat, il n empêche que la révocation ou la renonciation devra être analysée à la lumière des principes généraux du droit et notamment, de l exécution de bonne foi des conventions. C est ainsi qu une renonciation ne pourrait être «intempestive». III. La théorie de l organe : 1. Base légale : L article 61 du Code des sociétés (ci-dessous C.S.) dispose que : «Les sociétés agissent par leurs organes, dont les pouvoirs sont déterminés par le présent Code, l objet social et les clauses statutaires. Les membres de ces organes ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux engagements de la société». 2. Portée de l article 61 du C.S. : A première lecture, cette disposition crée une immunité à l égard des tiers au bénéfice de l organe (administrateur ou MCD) lorsque ceux-ci prennent des engagements contractuels ou non, et pour compte de la société et n entendent pas, de ce fait, prendre d engagements personnels. En d autres termes, une lecture extrêmement formelle de cet article aboutirait à la disparition d une bonne partie des présentes notes. Cependant, même si la Cour de Cassation, dans deux arrêts extrêmement importants (7 novembre 1997, RCJB, 1999, p. 730 et 16 février 2001, RDC, 2002, p. 698) a défini très

6 clairement, de manière limitative, la portée de la responsabilité des administrateurs et des MCD à l égard des tiers, le débat n en est pas clos pour autant. Ainsi, l arrêt de 1997 précise : «Attendu que lorsqu une partie contractante agit par un organe, un préposé ou un agent pour l exécution de son obligation contractuelle, celui-ci ne peut être déclaré responsable sur le plan extra-contractuel que si la faute mise à sa charge constitue un manquement non à une obligation contractuelle mais à l obligation générale de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat ; Attendu que s il considère que la faute du demandeur ne s identifie pas avec la faute contractuelle commise par la SPRL, dont il est le gérant, l arrêt ne précise pas la dommage, autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat, qu aurait subi la défenderesse en raison de cette faute ( )». Il faut analyser le rôle du conseil d administration comme celui d un organe chargé par la personne morale d exécuter tout ou partie de ses obligations envers ses co-contractants, et qui, dans ce cadre, est protégé d une action en responsabilité intentée par le co-contractant de la personne morale. Les administrateurs qui, éventuellement, commettraient un manquement dans l exécution d un contrat entre la société qu ils représentent et un tiers, ne seront passibles de dommages et intérêts à l égard du tiers concerné que si ce dernier établit que les administrateurs ont commis, concomitamment une faute de nature extra-contractuelle. Ce qui supposerait, comme nous l analyserons infra, qu il faudrait éventuellement analyser les mêmes faits sous un double angle de faute contractuelle et de faute extra-contractuelle et, par ailleurs, que la définition du dommage engendré par les mêmes faits éventuellement fautifs, pourrait aboutir à des dommages différents et à des liens de causalité spécifiques. En ce qui concerne la relation contractuelle entre l administrateur ou le MCD et la société, celle-ci se situe, dans le cadre du mandat tel que défini par les articles 1984 et suivants du Code civil et des dispositions particulières du C.S. Ainsi, l article 527 du C.S. pose que : «Les administrateurs sont, vis-à-vis de la société : ( ) responsables conformément au droit commun de l exécution du mandat qu ils ont reçu et des fautes commises dans leur gestion». Ce régime sera examiné de manière plus approfondie ci-après mais il faut déjà souligner que dès lors, la responsabilité de l administrateur ou du MCD à l égard de la société s appréciera dans le cadre de l article 1995 du Code civil ou, comme le rappelle l article 528 du C.S., en application de dispositions particulières comme l irrespect des procédures lorsqu un administrateur a un intérêt opposé à celui de la société (article 523 du C.S.) ou l irrespect d obligations visées par le C.S. telles que, par exemple, l article 633 qui impose de convoquer les actionnaires quand l actif est devenu inférieur à la moitié du capital et de présenter un plan de continuation des activités.

7 3. La collégialité des organes (conseil d administration et comité de direction) : En application de l article 518 1 du C.S., les administrateurs doivent être au nombre de 3 sauf si la société ne compte que deux actionnaires ; dans ce cas, seuls deux administrateurs doivent être désignés. Le conseil d administration ou le comité de direction est un organe collégial (article 521 du C.S.), dans la mesure où, en principe, les administrateurs, sauf délégation particulière illimitée, ne disposent d aucun pouvoir individuel de décision. Ce principe général a pour conséquence que lorsqu une décision d un conseil d administration ou d un comité de direction est jugée fautive, cette faute doit être considérée comme commune à l ensemble des membres du conseil ou du comité. A cet égard, il faut rappeler la jurisprudence de la Cour de Cassation (24 juin 1995, Pasicrisie, 1955, p. 1151 et Cassation, 15 février 1974, RCJB, 1975, p. 229 avec note de J.L. Fagnart) qui définit la faute commune comme étant celle par laquelle plusieurs personnes ont contribué sciemment à produire le fait dommageable. Le principe de collégialité entraîne donc une éventuelle faute du conseil d administration et est imputable à l ensemble des administrateurs qui seront solidairement tenus. Ce principe déroge à la règle générale selon laquelle chacun n est responsable que de sa propre faute individuelle et du dommage que celle-ci occasionne. Par ailleurs, comme nous le verrons infra, l article 528 du C.S. permet à des administrateurs de se dégager de cette solidarité pour autant qu ils dénoncent, selon la procédure visée par le C.S., la faute à la plus prochaine assemblée générale : «Ils ne seront déchargés de cette responsabilité, quant aux infractions auxquelles ils n ont pas pris part, que si aucune faute ne leur est imputable et s ils ont dénoncé ces infractions à l assemblée générale la plus prochaine après qu ils en auront eu connaissance». IV. Rappel des règles générales de la responsabilité dans le cadre d un contrat de travail : 1. Préambule : Si beaucoup d administrateurs de sociétés anonymes sont, peu ou prou, impliqués dans l actionnariat de la société qu ils administrent, beaucoup d autres administrateurs réalisent cette mission dans le cadre d un contrat de travail. Il apparaît dès lors important de rappeler, brièvement et dans leur généralité, les règles de la responsabilité qu encourt un préposé dans l exercice de ses fonctions. A cet égard, il sera fait ci-dessous, référence de manière elliptique, à «l article 18».

8 2. La notion de préposé : Ce qui caractérise la relation entre un employeur et son employé est «le lien de subordination» c est-à-dire l exercice de l autorité, la surveillance et le contrôle d une autre personne (voir à cet égard Cassation, 27 février 1970, RGAR, 1971, n 8.556 et Cassation, 24 décembre 1980, Pas., 1981, I, p. 464). Il s agit d une notion qui s apprécie en fait, c est-à-dire qu en fonction des éléments réels de la situation, un contrat d emploi pourrait exister même si les parties concernées n avaient pas, au départ, voulu conclure pareille convention. C est ce qui permet la requalification de situations réelles existantes pour les requalifier conformément à la volonté du législateur. Il s agit ici de la problématique du «faux indépendant» qui ne sera pas discutée ici, mais qui en cas de mise en cause de la responsabilité d un administrateur, réapparaîtra très souvent. 3. L article 18 de la loi du 3 juillet 1978 : «En cas de dommage causé par le travailleur à l employeur ou à des tiers dans l exécution de son contrat, le travailleur ne répond que de son dol et de sa faute lourde. Il ne répond de sa faute légère que si celle-ci représente dans son chef un caractère habituel plutôt qu accidentel. Sous peine de nullité, il ne peut être dérogé à la responsabilité fixée aux alinéas 1 er et 2 que par une convention collective de travail rendue obligatoire par le Roi, et ce, uniquement en ce qui concerne la responsabilité à l égard de l employeur ( )». 4. Régime exceptionnel de l article 18 : 4.1. Champ d application : Cet article s applique aux personnes dont l état de subordination découle d un contrat de travail. Il s agit d une notion de fait. Comme nous le verrons infra, certaines fonctions de préposé sont cumulées avec des postes d administrateur et, parfois, comme dans le cadre de la gestion journalière ou d un comité de direction, l objet même du contrat est en relation directe avec l administration de la société. Dès lors, le cumul entre un mandat d administrateur et un contrat d emploi génèrera souvent beaucoup de discussions. La personne qui cumule son mandat d administrateur avec un contrat d emploi, ou dont l objet du contrat est la délégation journalière ou si elle fait partie du conseil de direction, pourra, dans certaines conditions, invoquer l immunité de l article 18 pour éluder les

9 responsabilités qui résultent du droit commun et des dispositions spécifiques du Code des sociétés. En théorie, pour ceux qui cumulent un mandat d administrateur et un contrat d emploi, la question devrait pouvoir normalement se résoudre facilement ; il suffirait d examiner si l acte dommageable est rattachable à la fonction d employé ou à celle d administrateur. L immunité de l article 18 devrait donc jouer pour les administrateurs délégués dont l objet des contrats d emploi est la gestion journalière et il devrait en être de même pour les membres du conseil de direction non administrateurs. 4.2.Conditions de l immunité : Il faut qu il y ait une absence de faute intentionnelle, lourde ou une faute légère répétée. Selon la Cour de Cassation, la faute intentionnelle est celle que l on a commise volontairement, même si on en a pas souhaité les conséquences (Cassation, 16 février 1987, R.W., 1986/87, Col. 2577). La faute lourde est la faute non intentionnelle qui est à ce point grossière et démesurée qu elle n est pas excusable ou encore l omission de mesures de prudence la plus élémentaire qui s imposent à tout homme censé. La faute légère habituelle se définit par rapport au concept de l homme normalement prudent mais soulignons qu il ne s agit pas nécessairement de la répétition d un même acte, mais qu un ensemble d actes peuvent constituer un faisceau démontrant l existence d une faute éventuelle. La faute doit bien entendu être commise dans l exécution du contrat de travail. Depuis l arrêt de la Cour de Cassation du 24 décembre 1980 (Pas., 1981, I, p. 467), il est admis que l immunité concerne les actes du préposé qui ont été accomplis pendant la durée des fonctions et qui sont, ne fut-ce qu indirectement et occasionnellement, en relation avec celles-ci. Le dommage doit être cause soit aux tiers, soit à l employeur. L article 18 immunise le préposé tant à l égard des tiers qu à l égard de son employeur. Cet aspect de cette disposition en matière de contrat de travail a bien entendu des répercussions très importantes dans l analyse de la responsabilité des administrateurs à l égard des tiers lorsqu ils agissent dans le cadre d un contrat de travail (lire à cet égard «La responsabilité des préposés de sociétés» par Christine Dalcq dans R.C.J.B., 1991, p. 111 et sv.). Cette immunité combinée avec les règles de cumul des responsabilités telles que nous les analyserons infra, rendra la mise en cause civile d un préposé exerçant les fonctions d un administrateur-délégué et/ou de membres du comité de direction, extrêmement difficile.

10 5. L abus de fonction : L abus de fonction est un acte qui ne constitue pas en soi une mauvaise exécution des fonctions mais qui est commis à l occasion de celles-ci, de telle manière que d une part, il n engage normalement pas la responsabilité de l employeur et que d autre part, l immunité de l article 18 ne pourrait pas être soulevée ni à l égard de la société ni à l égard des tiers préjudiciés. Il s agit là cependant d une appréciation de fait et, à tout le moins la preuve que le préposé agissait en-dehors de ses fonctions doit être apportée (Cassation, 26 octobre 1989, Pas., I, 1990, p. 241 : «Que si cet acte résulte d un abus de fonction, le commettant ne s exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à celles-ci»). Cependant, le simple fait de démontrer que le préposé a agi en-dehors de ses fonctions ne saurait mettre la société à l abri de sa responsabilité, puisque la Cour ajoute : «Que le principe de la responsabilité édicté par l article 1384 alinéa 3 du Code civil subsiste nonobstant les considérations personnelles qui ont pu déterminer les actes de la victime, réserve faite cependant des conséquences d une faute éventuelle de sa part ; Que cette faute peut résulter de la connaissance que la victime avait ou devait avoir de l abus de fonction du préposé, si, d après les circonstances, elle n avait cru ou pu croire que la personne à laquelle elle s était adressée, agissait comme préposé et dans le cadre de ses fonctions». En d autres termes, la notion d abus de fonction ne pourra être une cause d immunisation pour la société que pour autant que d une part, le préposé a agi hors sa fonction, et que d autre part, les tiers ne devaient pas connaître, eu égard aux circonstances de fait, le dépassement de fonction. V. Cumul d un mandat d administrateur et d un contrat d emploi : Un administrateur et/ou un administrateur délégué peut-il être employé de la société qu il administre? La caractéristique principale d un contrat d emploi est que l employé est dans un lien de subordination à l égard de son employeur. L administrateur, dans l exercice de sa fonction d administrateur, n est certainement pas dans un lien de subordination à l égard du conseil d administration puisque celui-ci agit en collège, sans distinction de compétences entre les administrateurs. Il est donc par nature impossible que l objet d un contrat d emplo i soit l exercice du mandat d administrateur. Par ailleurs, le principe de la révocabilité ad nutum s y opposerait également puisque, en cas de terminaison d un contrat d emploi, un préavis doit être payé ce qui serait, au minimum, un frein à la révocabilité immédiate de l administrateur.

11 Cependant, si l exécution d un mandat d administrateur ne peut faire l objet d un contrat de travail, rien n empêche, semble-t-il, qu un administrateur ait, par ailleurs un contrat d emploi dont l objet serait différent de l exécution de son mandat et porterait sur l exécution de missions particulières telles que une direction financière, de marketing, de ressources humaines, etc Cependant, il faut, en cette matière, avoir égard à la jurisprudence de la Cour de Cassation qui a décidé que les fonctions de délégué à la gestion journalière peuvent quant à elles, faire l objet, pour une personne n ayant pas la qualité d administrateur, d un contrat de travail (Cassation, 22 janvier 1981, RCJB, 1981, p. 495 et note Neudelhole). Bien plus, dans son arrêt du 28 mai 1984 (Pasicrisie, 1984, I, p. 1172), la Cour a décidé qu un administrateur peut être chargé de la gestion journalière dans le cadre d un contrat d emploi. En d autres mots, si l exécution du mandat d administrateur ne semble pas possible dans le cadre d un contrat d emploi, cette impossibilité n est pas étendue à la mission de la gestion journalière. En effet, selon la Cour, la révocabilité ad nutum du délégué à la gestion journalière n est pas d ordre public et l existence d un contrat de travail n empêche dès lors pas, la société de mettre fin aux fonctions de délégué à la gestion journalière et notamment à celles de mandataire de la société, mais l obligent seulement à accorder un préavis ou une indemnité de congé en cas de licenciement relatif à cette fonction particulière de délégué à la gestion journalière. C et ainsi, semble-t-il, qu il faut comprendre la portée de la délégation prévue par l article 525 du C.S. VI. Administrateurs M.C.D. délégations : L article 517 indique : 1. L administrateur : «Les sociétés anonyme sont administrées par des personnes physiques ou morales, rémunérées ou non». Le C.S. s abstient de donner une définition de l administrateur. Ni l article ci-dessus, ni les articles 61 et 62 du C.S. ne définissent la fonction et/ou la personne de l administrateur. Le C.S. est également silencieux sur ses capacités juridiques et/ou professionnelles. Si la loi n impose aucune condition de compétence pour devenir administrateur, l incompétence n est en soi pas une cause d exonération de responsabilité (Liège, 1 er décembre 1979, R.P.S., 1971, p. 280).

12 Etant posé que l administrateur est un mandataire, celui-ci doit dès lors avoir la capacité juridique que le Code civil requiert du mandataire. Dans l application stricte des règles du Code civil, il est admis qu éventuellement un incapable juridique puisse être mandataire et donc, administrateur. Cependant, cette position défendue par des auteurs peu récents (notamment Fredericq, Tome V, n 416) ne semble plus recevable, la désignation par l assemblée générale d un incapable semblant devoir être considérée comme une faute d un des organes de la société à savoir en l espèce, l assemblée générale. En résumé, il peut être admis que pour être administrateur, il suffit d être juridiquement capable et professionnellement apte à assumer le mandat d administrateur. Si une définition positive est donnée par le C.S., les dispositions légales de l A.R. n 22 du 24 octobre 1934 établissent par contre des interdictions. Ainsi, ne peuvent exercer les fonctions d administrateur d une S.A. : - les faillis non réhabilités - les personnes qui ont été condamnées à une peine de prison de 3 mois au moins, même conditionnellement, comme auteur ou complice de certaines infractions ou tentatives d infractions graves (fausse monnaie, contrefaçon ou falsification d effets publics, actions, obligations, coupons, billets de banque, sceaux, timbres, poinçons et marques, faux et usage de faux en écritures, corruption de fonctionnaire, vol, extorsion, détournement, abus de confiance, escroquerie, recel, banqueroute, cavalerie d actes de commerce, chèques sans provision, etc ). La loi du 4 août 1978 a également permis au Tribunal, d interdire à un ancien administrateur, démissionnaire depuis moins d un an d une société mise en faillite, s il est établi qu une faute grave et caractérisée qui a contribué à la faillite peut lui être imputée, d occuper de nouvelles fonctions d administrateur. Soulignons que dans tous les cas ci-dessus, l interdiction ne porte pas seulement sur l exercice des fonctions mais aussi sur la faculté d accomplir des actes de gestion (Bruxelles, 6 juin 1974, R.P.S., 1975). Enfin, il faut souligner qu il existe, dans des dispositions spécifiques, des incompatibilités pour certaines personnes d accepter un mandat d administrateur. Il en est par exemple ainsi pour les membres de l Institut des réviseurs d entreprises, de l Institut des experts comptables, des agents de l Etat, des notaires, des militaires, des magistrats, etc 2. Membres du comité de direction : La loi du 2 août 2002 modifiant le Code des sociétés a institué le comité de direction notamment en insérant deux articles nouveaux à savoir les articles 524 bis et 524 ter et en

13 modifiant un certain nombre pour rendre applicables aux M.C.D., les dispositions applicables aux administrateurs. Il s agit notamment des articles 527, 528, 529, 533 et 536. Le deuxième paragraphe de l article 524 bis se lit comme suit : «( ) Le comité de direction se compose de plusieurs personnes, qu ils soient administrateurs ou non. Les conditions de désignation des membres du comité de direction, leur révocation, leur rémunération, la durée de leur mission et le mode de fonctionnement du comité de direction, sont déterminés par les statuts ou, à défaut de clause statutaire, par le conseil d administration». Un M.C.D. peut donc être administrateur ou non. S il est administrateur, les règles succintement décrites au point 1 ci-dessus lui seront applicables. En ce qui concerne la capacité pour les membres non administrateurs d être M.C.D., les principes généraux de la capacité en droit civil s appliqueront. Encore faut-il définir : - le contrat qui précise la relation entre le comité de direction et le conseil d administration - le contrat du MCD avec le comité de direction et/ou o le CA o la société. L article 524 bis parle de «délégation» et les Travaux parlementaires reconnaissent qu il est licite de prévoir que les membres du comité de direction ne sont pas révocables ad nutum. Y-a-t-il dès lors mandat ou contrat de prestation de services ou combinaison des deux? La définition du contrat qui lie le M.C.D. à la société aura bien évidemment une énorme importance dans le cadre de la définition de sa responsabilité. Dans l immédiat, si le M.C.D. est administrateur, sa responsabilité se situera dans le fil de celle des administrateurs chargés d une délégation particulière. A cet égard, trois dispositions du Code des sociétés ont été modifiées en matière de responsabilité : - l article 527 pour la faute de gestion - l article 528 en ce qui concerne les infractions au Code des sociétés ou des statuts - l article 529 relatif aux conflits d intérêts. L objectif est clairement de rendre les M.C.D. responsables de la même manière que les administrateurs.

14 Cela se conçoit pour les M.C.D. membres du conseil d administration. Mais, un grand vide juridique existe pour l instant quant à la définition de ce que pourrait être un M.C.D. qui n est pas administrateur. A cet égard se posera la question de savoir si l objet de la délégation peut donner lieu à un contrat de travail, ce qui aura des répercussions sur la responsabilité du M.C.D. qui à l égard de la société, bénéficiera de la protection de l article 18 de la loi sur le contrat de travail et, pourra également arguer de cette position à l égard des tiers. La jurisprudence comblera probablement un certain nombre de manquements à la loi actuelle mais, le travail législatif devra être repris. 3. Les administrateurs dits indépendants : La notion d administrateur indépendant trouve, à défaut de son fondement, sa notion légale dans l article 524 du C.S. L article 524 1 alinéa 2 indique : «Le conseil d administration de la société concernée charge trois administrateurs choisis pour leur indépendance par rapport à la décision ou à l opération envisagée, assistés d un expert choisi pour les mêmes raisons, de procéder à une description et à une évaluation motivée des conséquences financières pour la société concernée, de la décision ou de l opération envisagée ( )». C est donc, de manière incidente, que la notion d administrateur «indépendant» apparaît à l occasion du règlement de la procédure des conflits internes aux sociétés cotées. Pour le surplus, le C.S. est muet à leur sujet. La désignation d administrateur indépendant au sein des organes de gestion des sociétés qui sont cotées, est une pratique reconnue de manière générale. Elle a été, en son temps, recommandée par la Bourse de Bruxelles, notamment dans ses recommandations en matière de Corporate Gouvernance et par la Fédération des entreprises de Belgique. La Commission bancaire et financière est aussi favorable à la désignation d administrateurs dits indépendants. Ces administrateurs sont, comme tous les autres, désignés par l assemblée générale et ne bénéficient d aucun régime particulier en ce qui concerne leur responsabilité mais, comme dans le cadre des sociétés cotées, ils sont censés apporter un regard «de sage» et «d indépendance» au sein du conseil d administration, il va de soi que leur rôle peut être éventuellement apprécié, par un Tribunal, d une autre manière que celui des administrateurs dits ordinaires.

15 Il s agit là d une supputation, aucune décision judiciaire n étant intervenue à cet égard à ce jour. Cependant, l article 524 leur donne un rôle particulier, dans un cas particulier et pourrait dès lors être considéré comme étant un cas particulier de responsabilité. Enfin, il faut souligner qu à défaut de définition, le nouvel article 524 4 du C.S. a au moins deux particularités : La première est que la nomination des candidats en tant qu administrateurs indépendants est communiquée pour information au conseil d entreprise pour celles qui en ont un au sens de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l économie. Il faut souligner le rôle particulier que ces administrateurs indépendants devraient jouer dans l esprit du législateur. L information de la nomination doit être communiquée préalablement à la nom ination par l assemblée générale, ce qui semble être un tour de force puisque le résultat du vote ne peut être connu avant la nomination La deuxième particularité est liée à l existence d incompatibilités, de restriction de droits ou d interdictions, puisque les administrateurs indépendants ne peuvent, pendant une période de 2 ans avant leur nomination avoir été administrateur, gérant ou membre du comité de direction, délégué à la gestion journalière ou travailleur auprès de la société. Remarquons que cet interdit s applique lorsque leur parent ou allié au 4 ème degré a été dans la même situation. Ils ne peuvent par ailleurs détenir aucun droit social représentant 1/10 ème ou plus du capital du fonds social ou d une catégorie particulière d actions. Si néanmoins, ils détiennent ces droits sociaux au-delà de 10 %, de manière directe ou indirecte, les actes de disposition relatifs à ces actions ou à l exercice des droits y afférents ne peuvent être soumis à des stipulations conventionnelles ou à des engagements unilatéraux auxquels l administrateur indépendant a souscrit. Enfin, le 3 de l article 524 4 édicte un principe général : «Ils n entretiennent aucune relation avec une société qui est de nature à mettre en cause son indépendance». 4. L administrateur de fait : La notion d administrateur de fait est une contravention évidente au principe de la spécialisation de la gestion d une société par des organes compétents (C.A. et/ou C.D.) et dès lors, également à l égard du principe de la collégialité. L administrateur de fait n est pas non plus un mandataire de la société.

16 Cette absence de place dans le dispositif légal et/ou statutaire de la société, n empêche pas que l administrateur de fait aura à répondre de sa responsabilité aussi bien à l égard de la société qu à l égard des tiers. La jurisprudence approuvée par la doctrine, a jugé que ceux qui exercent en fait les prérogatives réservées aux administrateurs et/ou MCD, et se comportent en tant qu «administrateurs de fait» pouvaient être soumis aux mêmes responsabilités que les administrateurs en titre. Cette responsabilité peut, au demeurant, être combinée avec des responsabilités fondées sur d autres bases juridiques. Il faut cependant souligner que les tribunaux restent très prudents dans leur appréciation des circonstances qui permettent éventuellement d analyser l intervention d une personne comme étant équivalente à la prise en charge de l administration de fait. Ils considèrent que ne peuvent être qualifiées d administrateurs de fait que les personnes qui se sont réellement appropriées le pouvoir de décision des administrateurs soit, en se substituant à eux, soit en leur donnant des instructions précises. Il faut également souligner que la qualification d administrateur de fait suppose que l immixtion dans la gestion intervienne sans aucun fondement légal ou contractuel. Ainsi, l exercice de missions de conseil ou de surveillance ou l accomplissement de certains actes de gestion, lorsqu ils interviennent en exécution d un mandat ou d une convention de prestation de services donnés par la société, ne suffisent pas à justifier de la qualification d administrateur de fait. C est ainsi que la Cour d Appel de Bruxelles (14 septembre 1988, RDC, 1989, p. 171 et note) définit la notion de la manière suivante : «La Cour rappelle d abord que la qualité d administrateur de fait apparaît lorsque quelqu un, en toute indépendance et liberté, réellement et de manière positive, a pris en main l administration de la société par la fixation de la politique commerciale et de l organisation du personnel, la conclusion de contrats, l achat de matériel, la participation à l administration technique et administrative et le fait de contracter des emprunts. Les abstentions et les négligences pas plus que les suggestions, les conseils et la surveillance légale (comme par exemple comme fournisseur de crédit ou comme caution) ne suffisent pas pour caractériser une administration de fait». Ainsi, deux caractéristiques importantes définissent l administration de fait : - l exercice d une activité de gestion et d appropriation de pouvoir permettant de disposer du sort de l entreprise ; - l exercice de cette activité en totale indépendance. En résumé, ces deux caractéristiques conduisent à une gestion réelle de la société sur base de critères et de motivations propres à l administrateur de fait sans que celui-ci n ait à se justifier à l égard d aucun autre organe de la société ou, en d autres termes, qu il ne fait à aucun moment ratifier sa gestion par la société concernée.

17 L administrateur de fait est donc celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion ou de direction, contrairement, par exemple, à un expert indépendant désigné par le banquier de l entreprise, lequel expert est chargé de surveiller les travaux du conseil d administration et le suivi des décisions (Commerce Bruxelles, 3 avril 1984, RPS, 1984, p. 184). C est ce que rappelle la Cour d Appel de Mons dans son arrêt du 13 janvier 2003 (J.L.M.B., 2004, p. 54) : «La qualification du dirigeant de fait qui est l une des conditions nécessaires à l intentement d une action en comblement du passif, suppose que l immixion dans la gestion de l entreprise du failli intervienne sans aucun fondement légal ou contractuel. Et il faut ici, pour être dirigeant de fait, avoir accompli des actes positifs de gestion». Soulignons, enfin, deux points importants : - l administrateur de fait peut être ou ne pas être un administrateur de la société. En effet, un des administrateurs de la société pourrait parfaitement s approprier la direction effective de la société sans tenir compte des prérogatives du conseil d administration et de l assemblée générale ; - les administrateurs en titre de la société pourraient voir leur responsabilité mise en cause s ils acceptaient passivement d être «désappropriés» de leur pouvoir de gestion de l entreprise. 5. L administrateur préposé d une société de contrôle : 5.1. Le Code des sociétés connaît la notion de contrôle (article 5), de consortium (article 10) et de groupe (article 16). L article 5 1 er indique : «Par «contrôle» d une société, il faut entendre le pouvoir de droit ou de fait d exercer une influence décisive sur la désignation de la majorité des administrateurs ou gérants de celle-ci ou sur l orientation de sa gestion». En d autres termes, la société de contrôle a la possibilité de désigner une partie ou tous les administrateurs de la société filiale. Le législateur a prévu des conditions qui rendent ce contrôle présumé de manière irréfragable (article 5 2) ou pouvant être démontré éventuellement par des éléments de fait (article 5 3). Le consortium est quant à lui, établi lorsque de fait, un ensemble de sociétés qui ne sont pas filiales d une autre société sont placées sous une direction unique (article 10 1). Ici aussi, le législateur a prévu l existence d un consortium lorsque les conditions prévues à l article 10 2 sont réunies, mais par ailleurs, le consortium peut être démontré par des éléments de fait (article 10 3).

18 La notion de groupe est quant à elle abordée par le biais de l article 16 du Code des sociétés. 5.2. Dans ce contexte, il est également important de rappeler la notion d intérêt social car, comme le rappelait le rapport au Roi précédant l A.R. du 8 octobre 1976 pris en exécution de la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises : «L entreprise n est pas seulement un patrimoine générateur des profits ou des pertes, elle est essentiellement un agencement dynamique et durable d hommes, de moyens techniques et de capitaux, organisé en vue de l exercice d une activité économique débouchant sur la réalisation d un produit brut, permettant d attribuer des revenus bruts ou nets à tous ceux qui ont concouru à sa réalisation», ce qui implique théoriquement, que les décisions doivent être prises dans l intérêt de l entreprise, ce qui peut se concevoir de manière restrictive, en tenant compte uniquement des intérêts des actionnaires (voir notamment J.M. Nelissen-Grade, «De la validité et de l exécution de la convention de vote dans les sociétés commerciales», R.C.J.B., 1991, p. 234) ou en tenant compte d une conception plus large incluant les actionnaires, les travailleurs, les intérêts économiques de la région où est implantée l entreprise, etc (voir notamment Xavier Dieux, «La responsabilité civile des associés en matière de sociétés commerciales solutions récentes» in La responsabilité des associés, organes et préposés des sociétés, E.J.B., 1991, p. 70). Il est assez évident que l acceptation extensive peut entrer en conflit avec la notion d intérêt social du groupe, surtout si ce dernier est également compris de manière restrictive. 5.3. Les articles 517 à 524 du Code des sociétés ne donne aucune définition de l indépendance d un administrateur. Seuls les articles 523 et 524 organisent une éventuelle opposition d intérêts. A cet égard, il est intéressant de souligner l exclusion d un éventuel conflit d intérêts organisé par l article 523 1 qui précise : «Le 1 n est pas applicable lorsque les décisions ou les opérations relevant du conseil d administration concernant des décisions ou des opérations conclues entre sociétés dont l une détient directement ou indirectement 95 % au moins des voix attachées à l ensemble des titres émis par l autre ou entre sociétés dont 95 % au moins des voix attachées à l ensemble des titres émis par chacune d elles sont détenus par une autre société». Il est difficile de souligner mieux l existence omniprésente, mais silencieuse, de l intérêt des groupes. 5.4. Comme nous l avons vu ci-dessus, la jurisprudence admet que la délégation journalière d une société fasse l objet d un contrat de travail.

19 La jurisprudence admet également la co-existence d un contrat de mandat d administrateur et d un contrat de travail pour autant que les deux fonctions puissent être définies de manière indépendante. Il faut cependant souligner que la jurisprudence s est uniquement prononcée sur des cas où était analysée la relation entre l administrateur/employé et la société dont il était l administrateur. 5.5. La nouvelle loi instituant, comme nous l avons vu ci-dessus, les conseils de direction, augmente le nombre des questions potentiellement à poser puisque, si le membre du conseil de direction n est pas un administrateur, il ne semble pas possible d analyser la relation contractuelle qui le lie à la société autrement qu en un contrat de travail. Ici aussi, le législateur n a analysé que la relation directe entre le MCD et la société. 5.6. La question de la définition de la responsabilité d un administrateur au sein d un groupe se pose dès lors qu un préposé d une société de contrôle est nommé administrateur d une société filiale. Souvent, dans ce cas, l employé de la société de contrôle accepte la nomination d administrateurs dans la société filiale dans le cadre du lien de subordination qui le lie à son employeur mais cette nomination engendre une nouvelle relation contractuelle de mandat entre l administrateur de la filiale et cette société. Il est aisément acceptable de considérer que le régime de la protection de l article 18 soit étendu à l administrateur/employé dans sa relation avec la société de contrôle. Mais, qu en est-il de la relation de l administrateur/employé avec la société filiale puisque par définition, le contrat ici est un contrat de mandat? En d autres termes, éventuellement, la société filiale pourra mettre en œuvre la responsabilité de l administrateur/employé alors que la société de contrôle, en application de l article 18, sera dans l incapacité de le faire. La même question se pose dans la mise en œuvre de la responsabilité de l administrateur/employé à l égard des tiers. Le régime de l article 18 pourra-t-il être revendiqué par l administrateur/employé à l égard des tiers qui mettraient éventuellement sa responsabilité en cause? Il y a ici clairement un conflit potentiel entre les régimes de responsabilité organisés par la loi sur le contrat de travail et celui organisé par le Code des sociétés et la jurisprudence y afférente. Il semble que si l on admet que l article 18 bénéficie à l administrateur/employé, cela devrait signifier qu un mandat d administrateur puisse faire l objet d un contrat de travail mais, alors, se poserait la question de savoir où se situe le lien de subordination entre l administrateur et son employeur.

20 Ou, en d autres termes, si le législateur admet et organise le contrôle entre sociétés, il devrait également se pencher sur l organisation interne de ces groupes et/ou consortiums pour apporter une réponse à la responsabilité des administrateurs par rapport, éventuellement, au régime d immunité de l article 18. 6. L administrateur personne morale et son représentant permanent : En application de l article 517 du C.S., il est possible de nommer une personne morale administrateur. La loi du 2 août 2002 a, en modifiant l article 61 du C.S., imposé à toute personne morale nommée administrateur, de désigner un représentant, personne physique, de manière permanente. L éventuelle absence de désignation du représentant permanent est déjà une violation du C.S., sanctionnée notamment par les articles 263, 408 et 528. C est aussi bien la société désignée comme administrateur que la société administrée qui doivent veiller à la désignation d un représentant permanent pour une personne morale. La responsabilité de la personne morale désignée comme administrateur est soumise aux règles générales de la responsabilité des administrateurs mais, en l espèce, les tiers et la société trouveront un deuxième interlocuteur puisque l article 61 2 du C.S. indique : «( ) Ce représentant est soumis aux mêmes conditions et encourt les mêmes responsabilités civiles et pénales que s il exerçait cette mission en nom et pour compte propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu il représente ( )». En d autres termes, le représentant permanent, sans être administrateur, encourt les mêmes responsabilités qu un administrateur! Dans ce cas de figure, se posera bien entendu un problème majeur de concours de responsabilités et de l étendue du recours récursoire des uns par rapport aux autres. A cet égard, il faut souligner que la loi ne définit pas quel lien contractuel doit exister entre le représentant permanent et la société administratrice. Les recours éventuels devront s analyser sur la base de différents contrats : - employé de la société administratrice - détenteur, par un préposé, d une mission particulière - contrat de prestation de services - administrateur sans contrat d emploi - délégué à la gestion journalière de la société administratrice - MCD avec une délégation particulière ; chacune de ces situations engendrant des analyses juridiques particulières.

21 Voir à cet égard : «Responsabilité des employés représentants permanents d une personne morale nommée administrateur et couverture du risque lié à la fonction» (Julien Wolff et Johan Vanden Eynde). 7. L administrateur judiciaire : Dans la pratique, il n est pas rare, lorsqu une situation de conflit naît au sein d une société de telle manière à rendre impossible un fonctionnement normal de ses organes de décision (assemblée générale, conseil d administration et MCD), qu un administrateur soit nommé à, l initiative d une personne intéressée par le Tribunal de Commerce. Très souvent, cet administrateur judiciaire se voit confier la totalité ou une partie des tâches d un des organes de la société. S il se voit confier certains pouvoirs d administration, l administrateur judiciai re n est cependant pas nommé par l assemblée générale mais, dans le cadre de la gestion qui lui est confiée, il pourrait éventuellement commettre une faute soit à l égard de la société, soit à l égard des tiers. En effet, en fonction de l analyse de la mission qui lui aura été confiée par le Tribunal l ensemble des obligations à charge des administrateurs lui sont également imposées (soumission des comptes à l assemblée générale, dépôt des comptes annuels, rapport spécial 633 du Code des sociétés, etc ). Il ne fait en effet aucun doute que la nomination par le Tribunal puisse constituer une immunité de quelque ordre que ce soit. Mais la question reste ouverte de savoir quel est le contrat qui le lie à l assemblée et dans quelle mesure, sa responsabilité pourrait être mise en cause par des tiers. Il semble bien qu étant nommé par une décision externe à la société, il puisse être admis qu il n y ait pas de lien contractuel entre l administrateur judiciaire et la société. En fonction des points particuliers abordés pour définir sa fonction, il faudra faire preuve de pragmatisme. En effet, à titre d exemple, il va de soi qu il n est pas révocable ad nutum par l assemblée générale. En matière de responsabilité, seul le fondement de l article 1382, aussi bien à l égard de la société qu à l égard des tiers peut fonder une éventuelle action mais, outre le comportement normalement prudent et diligent, un certain nombre de dispositions particulières à l exécution correcte d un mandat d administrateur constitueront également une faute aquilienne. A cet égard, il est intéressant de relever l arrêt de la Cour de Cassation française du 21 juin 2000 qui consacre une vision très large de la responsabilité pénale de l administrateur judiciaire.