Effet du paysage sur la diversité des espèces généralistes et spécialistes



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Master 2 Ecologie Fonctionnelle, Comportementale et Evolutive Ecole doctorale Vie-Agro-Santé Université de Rennes 1 2009 2010 Rapport bibliographique Effet du paysage sur la diversité des espèces généralistes et spécialistes Maxime HERVE Laboratoires d accueil UMR CNRS 6553 Ecobio, Campus de Beaulieu UMR 320 INRA-Agrocampus-Université Bio3P, Campus de Beaulieu Responsables scientifiques Liliane KRESPI Yannick OUTREMAN Joan VAN BAAREN

SOMMAIRE INTRODUCTION... 3 1. Facteurs du paysage pouvant influencer la diversité des espèces généralistes et/ou spécialistes... 4 1.1. Surface de l habitat... 4 1.2. Fragmentation des habitats... 5 1.3. Diversité du paysage... 8 2. Un paysage peut-il être optimal à la fois pour les espèces généralistes et spécialistes?... 9 2.1. Un constat : la diversité spécifique des deux groupes répond différemment au paysage... 9 2.2. Une hypothèse explicative : deux modes d utilisation des ressources différents... 10 3. A quelle échelle les organismes perçoivent-ils le paysage?... 12 3.1. Hypothèse du niveau trophique... 12 3.2. Hypothèse du niveau de spécialisation trophique... 13 3.3. Hypothèse de la capacité de dispersion... 15 CONCLUSION... 16 ANNEXE : METHODOLOGIE... 17 BIBLIOGRAPHIE... 18 2

INTRODUCTION Chaque espèce peut se définir par sa niche écologique, c est-à-dire selon Hutchinson (1957) un hyper-volume à n dimensions dont les axes sont constitués par les variables ou les ressources environnementales. L étendue de cette niche peut varier pour un axe donné, sous la pression (ou le relâchement) des contraintes rencontrées par l espèce : intrinsèques (génétiques) et extrinsèques (conditions biotiques et abiotiques du milieu) (Barbault 2008). Selon la taille de sa niche pour un axe considéré, chaque espèce peut être placée le long d un continuum allant d espèces dites «généralistes» (à niche large) à des espèces dites «spécialistes» (à niche étroite). En particulier, on peut définir des espèces généralistes et spécialistes pour leur niche alimentaire, selon le nombre de ressources qu elles peuvent utiliser (Fox & Morrow 1981). La diversité des espèces généralistes et spécialistes dans un milieu dépend de nombreux facteurs agissant à différentes échelles spatiales et temporelles, dont l une est représentée par le paysage (Vitousek et al. 1997). Celui-ci est caractérisé par sa structure, sa composition ou encore sa dynamique, tous ces facteurs structurant de fait les habitats des espèces généralistes et spécialistes (Burel & Baudry 1999). Nous nous posons ici la question de l influence que peuvent avoir les caractéristiques paysagères sur la diversité des espèces généralistes et spécialistes. Pour ce faire, nous réaliserons un état de l art des recherches réalisées dans ce domaine, en nous basant sur le modèle des communautés d insectes phytophages (qui se nourrissent de matière végétale), de leurs parasitoïdes (qui se développent à l intérieur des insectes phytophages et les tuent à la fin de leur développement) et de leurs prédateurs (qui se nourrissent des insectes phytophages). Les paysages agricoles représentant plus de la moitié de la surface de l Union Européene (chiffre de la Commission Européenne), nous nous placerons dans ce contexte. Le paysage et la biodiversité étant deux notions dépassant largement le cadre ce mémoire, nous avons choisi d en réduire l étendue et de nous focaliser sur deux points : l aspect spatial du paysage d une part et l aspect richesse de la biodiversité d autre part. Nous n aborderons donc ni la dynamique temporelle des paysages, ni la notion d abondance des espèces. Nous commencerons pas examiner l effet de quelques facteurs majeurs du paysage sur la diversité des espèces généralistes et spécialistes, puis nous tenterons d expliquer les 3

résultats observés. Nous nous poserons pour finir la question de l échelle à laquelle les organismes perçoivent le paysage, donnée cruciale pour comprendre à quelle échelle celui-ci influence la diversité spécifique. 1. Facteurs du paysage pouvant influencer la diversité des espèces généralistes et/ou spécialistes 1.1. Surface de l habitat L étude de la relation entre la surface d un habitat et le nombre d espèces présentes n est pas nouvelle. Elle fut modélisée par Olaf Arrhenius en 1921 sous la forme : S = caz ou logs = log c + z.log A (appelée «relation espèces-surface») où S désigne le nombre d espèces, A la surface considérée et c une constante propre au groupe biologique étudié. Sous sa forme logarithmique l équation donne une réponse linéaire, dont le paramètre z représente le coefficient directeur, décrivant donc la force de la relation (plus z est grand, plus la richesse spécifique augmente avec la surface). Différentes études ont montré que cette règle, l une des plus robustes et générales de l écologie (Holt et al.1999), s applique aux insectes phytophages comme les Lépidoptères (Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000), les Hyménoptères (Steffan-Dewenter 2003), les Hémiptères ou les Coléoptères (Zabel & Tscharntke 1998). Cependant, les espèces généralistes et les spécialistes présentent-elles la même réponse à la taille de leur habitat? Il semblerait que non. En effet, même si l existence d une telle relation a été vérifiée dans les deux groupes, elle apparaît plus forte chez les spécialistes, c est-à-dire que la richesse spécifique augmente plus rapidement avec la surface que chez les généralistes (Zabel & Tscharntke 1998 ; Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000). Steffan-Dewenter & Tscharntke (2000) ont même démontré une relation positive et significative entre le degré de spécialisation trophique et la valeur du paramètre z, ce qui tend à généraliser ce résultat chez les espèces étudiées. Cette différence de réponse entre généralistes et spécialistes serait liée au fait que (i) la diversité végétale augmente avec la surface de l habitat (Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000) et (ii) la plupart des insectes phytophages sont des spécialistes (Jaenike 1990). Ainsi, chaque nouvelle espèce de plante présente dans un habitat donné forme de fait une (ou plusieurs) nouvelle(s) unité(s) de ressource (ou taches, réparties discrètement dans l espace). Chaque nouvelle plante permet ainsi l installation d au moins une nouvelle espèce de 4

phytophage spécialiste vis-à-vis d elle-même, à la condition que les individus soient en mesure d atteindre la ou les taches qu elle forme. Cette dépendance trophique stricte n existe pas chez les généralistes et de plus la plupart sont opportunistes (Holt et al. 1999). Par conséquent, l augmentation de leur diversité spécifique avec la surface de l habitat est faible (Zabel & Tscharntke 1998, Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000), et ne semble pas être influencée par la diversité végétale (Jonsen & Fahrig 1997). Holt et al. (1999) suggèrent qu elle serait plutôt due à la dynamique de leurs populations. Concernant les parasitoïdes et prédateurs d insectes phytophages, l existence d une relation espèces-surface reste controversée (Zabel & Tscharntke 1998 ; Steffan-Dewenter 2003). En effet, l installation d espèces de troisième niveau trophique dépend de l installation préalable des ressources des deux niveaux inférieurs, contraignant un peu plus la relation (Zabel & Tscharntke 1998). Kruess (2003) a montré que la richesse spécifique des parasitoïdes augmente avec celle des phytophages, ce qui conforte cette hypothèse. De plus, les parasitoïdes spécialistes sont le plus souvent associés à des hôtes eux-mêmes spécialistes (Stireman & Singer 2003), ce qui va aussi dans le sens d une relation positive entre surface et diversité spécifique au troisième niveau trophique. 1.2. Fragmentation des habitats Depuis des siècles, les activités humaines ont contribué au morcellement des habitats naturels (tels que les forêts par exemple), notamment pour l agriculture, la construction des réseaux routiers et l urbanisation. Ce phénomène nommé fragmentation des habitats, implique nécessairement la fragmentation des ressources contenues dans ces habitats, qui se retrouvent alors distribuées en taches (Figure 1). Figure 1 Fragmentation d une forêt par l agriculture et la construction d une route 5

Dès lors, si les ressources contenues dans une tache ne sont pas suffisantes, les organismes doivent se déplacer d une tache à l autre. Il se pose donc la question des relations spatiales entre les taches de ressources, et c est ainsi que deux notions fondamentales de l écologie du paysage sont définies : l isolement et la connectivité, qui traduisent respectivement la difficulté et la facilité à passer d une tache à l autre (Kindlmann & Burel 2008). Lorsque l isolement diminue la connectivité augmente et vice-versa. Dans la plupart des cas, il est prédit que l isolement aura un effet négatif sur la richesse spécifique, car plus une tache est isolée plus son taux d immigration est faible ; moins d espèces pourront ainsi l atteindre pour s y installer (Fahrig & Jonsen 1998). Cependant on peut penser que les espèces spécialistes et généralistes répondront de manière différente à l isolement, car si pour les spécialistes le paysage produit un ensemble de taches séparées les unes des autres, pour les généralistes ces taches peuvent être connectées par d autres ressources exploitables. Les spécialistes devraient donc théoriquement être plus affectés par l isolement que les généralistes (Zabel & Tscharntke 1998). Plusieurs auteurs ont étudié l impact de l isolement des taches de ressources sur la richesse spécifique d insectes phytophages (Coléoptères (Jonsen & Fahrig 1997 ; Fahrig & Jonsen 1998 ; Zabel & Tscharntke 1998), Hémiptères (Jonsen & Fahrig 1997 ; Zabel & Tscharntke 1998), Lépidoptères (Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000) et Orthoptères (Haynes et al. 1997)), d insectes parasitoïdes (Elzinga et al. 2007) et d Arthropodes prédateurs (Zabel & Tscharntke 1998). Dans les études prenant en compte à la fois des espèces spécialistes et généralistes, l isolement a été calculé de la même manière pour toutes. Au total, il ne ressort aucun lien entre l isolement et la richesse spécifique des généralistes (phytophages, parasitoïdes et prédateurs). Plus étonnamment, il ne ressort également aucune corrélation chez les espèces spécialistes (excepté pour une espèce de parasitoïde de papillon dont la probabilité de présence diminue lorsque l isolement augmente (Elzinga et al. 2007)). Les auteurs ont tenté d expliquer ce résultat contre-intuitif en émettant les hypothèses que les taches qu ils ont étudiées ne seraient pas assez isolées pour que les espèces qu ils prenaient en compte en souffrent (Haynes et al. 1997 ; Jonsen & Fahrig 1997), qu ils auraient négligé des taches plus petites (leur mesure de l isolement étant alors sur-estimée) (Jonsen & Fahrig 1997) ou que leur mesure de l isolement ne serait pas adaptée à la réalité (Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000 ; Elzinga et al. 2007). 6

Quoiqu il en soit, l absence de corrélation entre isolement (ou connectivité, la mesure pouvant être la même mais interprétée de façon inverse) et richesse spécifique rend nécessaire le doute sur le réalisme des mesures de l isolement et de la connectivité utilisées. La connectivité pose en particulier de nombreux problèmes (Encart 1). Encart 1 Comment est calculée la connectivité d un paysage? La connectivité d un paysage peut être définie de deux façons : la connectivité structurale, basée entièrement sur la structure du paysage ; la connectivité fonctionnelle, qui prend également en compte le comportement des organismes au sein du paysage (Baudry & Merriam 1988). Chaque définition comporte des avantages mais aussi des inconvénients non négligeables : considérer la connectivité structurale permet des mesures simples mais ne tient pas compte des particularités des différents organismes, tandis que considérer la connectivité fonctionnelle permet d être plus proche de la réalité pour une ou quelques espèces mais rend les mesures difficiles et non généralisables. Chaque définition a donné naissance à de nombreuses méthodes de mesure : basées sur la présence/absence et la configuration des corridors (éléments linéaires du paysage dont la physionomie diffère des éléments adjacents et qui permettent leur liaison (Burel & Baudry 1999)), sur les distances entre taches de ressources ou sur le nombre de taches dans le paysage pour la connectivité structurale ; basées sur la probabilité de mouvement entre taches, sur les taux d immigration ou sur la perméabilité de la matrice (ensemble de tout ce qui n est pas de l habitat utilisable (Kindlmann & Burel 2008)) pour la connectivité fonctionnelle (pour une revue complète des méthodes de mesure voir Kindlmann & Burel 2008). Au final, Goodwin & Fahrig (2002b) concluent que la connectivité est un concept mal défini et qu un même paysage peut avoir plusieurs valeurs de connectivité suivant la mesure utilisée. Il est donc nécessaire de développer des mesures de connectivité fonctionnelle spécifiques au comportement de chaque espèce, prenant en compte la structure du paysage et relativement simples à calculer (Kindlmann & Burel 2008). 7

1.3. Diversité du paysage Un paysage est en général formé par un assemblage d éléments de nature différente, plus ou moins fragmentés et connectés, qui forment un ensemble spatialement hétérogène : la mosaïque paysagère. On peut dès lors définir la diversité (ou hétérogénéité) d un paysage comme une mesure rendant compte des différences de nature, de taille ou de forme entre ces éléments. Cette hétérogénéité présente deux composantes : la diversité des éléments et la complexité de leurs relations spatiales (Figure 2) (Burel & Baudry 1999). A B C D Figure 2 Augmentation de la diversité du paysage, par augmentation du nombre d éléments (de A à B) ou par complexification des arrangements spatiaux entre les éléments (de C à D) (d après Burel & Baudry 1999) Une augmentation de la diversité du paysage implique une augmentation de la diversité des ressources trophiques disponibles. Les espèces généralistes pouvant utiliser plusieurs ressources différentes, une meilleure diversité paysagère représente donc potentiellement à la fois un plus grand nombre de ressources utilisables et une meilleure connectivité entre elles (Jonsen & Fahrig 1997 ; Taylor et al. 2003). On s attend donc à ce qu au sein d un habitat donné, la richesse spécifique des généralistes augmente avec l hétérogénéité du paysage. A l inverse, les espèces spécialistes sont dépendantes d un 8

nombre bien plus limité de ressources. La diversité du paysage ne devrait donc pas avoir d impact sur leur richesse spécifique, au sein d un habitat donné (Jonsen & Fahrig 1997). Peu d études se sont penchées sur cette question, cependant des résultats existent chez des phytophages (charançons et cicadelles, représentant 7 espèces généralistes et 9 spécialistes (Jonsen & Fahrig 1997)) et des prédateurs généralistes (69 espèces d araignées (Schimdt et al. 2005)). Ces résultats confirment les prédictions précédentes, puisque la richesse spécifique des généralistes est bien positivement corrélée à la diversité paysagère (chez les phytophages et les prédateurs (Jonsen & Fahrig 1997 ; Schmidt et al. 2005)), tandis qu il n a pas été trouvé de relation entre cette même diversité et la richesse spécifique des phytophages spécialistes (Jonsen & Fahrig 1997). On notera cependant la faiblesse de ces conclusions au vu du petit nombre d études réalisées et d espèces étudiées. 2. Un paysage peut-il être optimal à la fois pour les espèces généralistes et spécialistes? 2.1. Un constat : la diversité spécifique des deux groupes répond différemment au paysage On peut résumer brièvement les prédictions et résultats expérimentaux examinés en première partie (Tableau 1). Tableau 1 Relations entre diversité des espèces généralistes ou spécialistes et trois caractéristiques paysagères majeures, à partir de résultats expérimentaux (surface des taches et diversité du paysage) ou théoriques (isolement des taches). La relation la plus forte est donnée en rouge (synthèse personnelle) Richesse spécifique des généralistes Richesse spécifique des spécialistes Surface de la tache de ressource Augmente avec la surface mais relation faible Augmente avec la surface et relation forte Isolement de la tache de ressources Diminuerait avec l'isolement mais relation faible Diminuerait avec l'isolement et relation forte Diversité du paysage Augmente avec la diversité et relation forte Pas de relation 9

On constate que pour ces trois caractéristiques essentielles définissant le paysage, les espèces généralistes et spécialistes ne répondent pas de la même façon (Jonsen & Fahrig 1997 ; Fahrig & Jonsen 1998 ; Zabel & Tscharntke 1998 ; Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000 ; Schmidt et al. 2005). En effet, un facteur très déterminant pour la richesse spécifique d un groupe semble chaque fois peu ou pas déterminant pour celle de l autre. Il semblerait donc que le paysage soit perçu et utilisé de manière différente par les espèces généralistes et spécialistes. 2.2. Une hypothèse explicative : deux modes d utilisation des ressources différents On peut comprendre ces réponses différentes à la structure et à la composition du paysage dans le cadre de l hypothèse de complémentation / supplémentation proposée par Dunning et al. (1992). Ces auteurs définissent la complémentation et la supplémentation comme deux processus écologiques fondamentaux agissant à l échelle du paysage sur la diversité spécifique, mais dans des contextes bien distincts : (i) dans le cas de la complémentation, un organisme est dans l obligation d utiliser plusieurs ressources (trophiques ou autres : site de ponte, refuge ). Ces ressources sont distribuées dans des taches différentes (typiquement deux ressources réparties en deux types de taches) et ne peuvent pas être substituées l une par l autre. L organisme doit donc se déplacer au sein du paysage pour atteindre les différentes taches et subvenir à tous ses besoins. (ii) Dans le cas de la supplémentation, un organisme ne nécessite qu une seule ressource, mais celle-ci est distribuée en plusieurs taches trop petites pour qu une seule lui apporte la quantité totale dont il a besoin. Il doit donc également se déplacer au sein du paysage mais cette fois pour atteindre des taches du même type (Figure 3). Figure 3 Processus de complémentation (à gauche) et de supplémentation (à droite) du paysage. Dans la complémentation, une espèce devant utiliser 2 ressources réparties dans 2 types de taches différents (vert clair et vert foncé) pourra se maintenir dans le paysage A mais pas dans le B. Dans la supplémentation, une espèce devant utiliser la ressource distribuée dans les taches vert foncé et aux capacités de dispersion limitées (ovale rouge), pourra se maintenir dans le paysage A mais pas dans le B (d après Dunning et al. (1992)) 10

Dans son article de 1992, Dunning cite des taxons dans lesquels ces processus ont été démontrés : complémentation chez des oiseaux (Petit 1989), des poissons (McIvor & Odum 1988) et des papillons (Weiss et al. 1988) ; supplémentation également chez des oiseaux (Whitcomb et al.1977 ; Clark and Weatherhead 1987) et des poissons (Werner et al. 1983a). Les espèces généralistes et spécialistes rentrent par définition dans le cadre de cette hypothèse : les généralistes doivent utiliser plusieurs ressources et les spécialistes un nombre bien plus faible (schématiquement une seule). Voyons donc comment on peut relier ces processus avec les relations observées (Tableau 1) La richesse spécifique des spécialistes ne peut être influencée que par la supplémentation du paysage. On comprend donc que la diversité paysagère n ait pas d influence sur elle (Jonsen & Fahrig 1997). Par contre, la surface des taches est primordiale car elle joue sur la quantité de ressources disponibles (Steffan-Dewenter & Tscharntke 2000) et donc sur les déplacements à entreprendre (plus les taches sont petites, moins elles sont riches en ressources et donc plus il faut se déplacer des unes aux autres). En parallèle, l isolement et la connectivité des taches déterminent si ces déplacements sont possibles (l isolement les rend plus difficiles voire impossibles, la connectivité les facilite). On saisit par conséquent l importance que ces facteurs devraient avoir sur la diversité des espèces spécialistes, même si en pratique cette influence reste à démontrer (Zabel & Tscharntke 1998). Le cas des espèces généralistes est légèrement plus complexe. En effet, comme pour les espèces spécialistes, leur diversité est nécessairement influencée par la supplémentation du paysage : les généralistes ont besoin d une certaine quantité de ressources par unité de temps, et si les taches sont trop petites, ils doivent atteindre cette quantité en en visitant plusieurs. Cependant, la diversité du paysage améliore la connectivité entre les taches pour les généralistes (Taylor et al. 1993). On comprend donc que l isolement des taches, calculé le plus souvent par la distance inter-taches, devrait avoir moins d impact sur leur diversité (Zabel & Tscharntke 1998). Par contre, à la différence des espèces spécialistes, les généralistes doivent utiliser plusieurs ressources différentes. La diversité paysagère, synonyme de diversité des ressources, est donc essentielle dans la détermination de leur richesse spécifique (Jonsen & Fahrig 1997 ; Schmidt et al. 2005). On rentre là typiquement dans le cadre du processus de complémentation du paysage (moins le paysage est diversifié, moins les espèces généralistes peuvent s installer). 11

Pour résumer, la diversité des espèces spécialistes devrait être influencée uniquement par la supplémentation du paysage, tandis que celle des généralistes devrait être influencée à la fois par la supplémentation et la complémentation, mais principalement par la complémentation. Autrement dit, le paysage devrait être plus favorable aux espèces spécialistes lorsqu il est homogène (taches de grande taille et grande connectivité), et plus favorable aux espèces généralistes lorsqu il est hétérogène (diversité des ressources importante). Dans une synthèse sur les expériences de sélection artificielle, Kassen (2002) a montré qu expérimentalement, un environnement homogène sélectionne pour une spécialisation de la niche trophique, tandis qu un environnement hétérogène sélectionne pour une généralisation de cette même niche, ce qui va dans le sens de cette hypothèse (études réalisées sur des algues, bactéries et insectes). Un paysage ne peut donc fondamentalement pas être optimal à la fois pour les espèces généralistes et pour les espèces spécialistes. Cette conclusion apparemment simple est pourtant lourde de conséquences dans le domaine de la biologie de la conservation. 3. A quelle échelle les organismes perçoivent-ils le paysage? Nous nous sommes intéressés depuis le départ aux relations qui lient le paysage et la diversité des espèces qui y vivent. Nous avons ainsi parlé de surfaces, de distances ou encore de déplacements. Cependant, nous n avons pas abordé une question essentielle : à quelle échelle les processus que nous avons décrits ont-ils lieu? Prenons la diversité du paysage par exemple, comment est-elle perçue par les différentes espèces? Plusieurs hypothèses ont été proposées pour répondre à cette question. 3.1. Hypothèse du niveau trophique Holt (1996) a proposé que l échelle spatiale perçue par un organisme serait dépendante de son niveau trophique. Il s appuie pour cela sur les considérations suivantes : les plantes seraient sensibles à leur microhabitat, les herbivores couvriraient une zone plus grande mais seraient toutefois confinés dans une communauté locale, et les prédateurs engloberaient plusieurs communautés d herbivores, percevant l espace à une échelle encore supérieure (Figure 4). 12

Figure 4 L espace est perçu à une échelle d autant plus grande que l on monte dans la hiérarchie trophique (d après Holt 1996) Cette hypothèse est basée sur deux postulats : l échelle à laquelle le paysage est perçu dépend de la taille de l organisme (Roland & Taylor 1997) et cette taille augmente avec le niveau trophique (ce qui est classiquement le cas dans un système de proie invertébrée et de prédateur vertébré (Thies et al. 2003)). Si l hypothèse du niveau trophique s applique assez bien aux prédateurs vertébrés, elle est moins convaincante pour les prédateurs invertébrés (Tscharntke et al. 2005), et la plupart du temps est contredite par les études sur les parasitoïdes (Thies et al. 2003 ; Tscharntke et al. 2005). Ce résultat est expliqué par le fait que chez les invertébrés, l augmentation de la taille du corps avec le niveau trophique n est pas systématique, en particulier chez les parasitoïdes qui nécessitent des hôtes de leur taille (Thies et al. 2003 ; Tscharntke et al. 2005). 3.2. Hypothèse du niveau de spécialisation trophique Il a été proposé, suite à l hypothèse de Holt (1996), de prendre en compte un autre facteur pour comprendre l échelle de perception du paysage : le niveau de spécialisation trophique (Thies et al. 2003 ; Tscharntke et al. 2005). Le postulat de base de cette hypothèse est que plus un organisme est spécialiste, plus il est étroitement associé dans l espace avec sa ressource (plante, proie ou hôte) et donc plus il percevra cet espace localement. Les généralistes doivent en effet se déplacer beaucoup plus pour atteindre les taches 13

correspondant à toutes les ressources dont ils ont besoin. Ils percevraient donc le paysage à une échelle plus large. Dans l ensemble, cette hypothèse prédit que cette échelle augmenterait lorsque l on passe des plantes aux herbivores (en accord avec Holt (1996)), et varierait selon les espèces au troisième niveau trophique : large pour les espèces de grande taille et généralistes (beaucoup de Mammifères et d Oiseaux par exemple), intermédiaire (beaucoup d invertébrés prédateurs et les parasitoïdes de taille et de spécialisation trophique intermédiaire), réduite pour les espèces de petite taille et spécialistes (la plupart des parasitoïdes) (Tscharntke et al. 2005) (Figure 5). Figure 5 La perception de l espace augmente avec la taille du corps et diminue avec la spécialisation trophique. Les relations principales sont représentées en traits et cercles pleins, les variations possibles au sein d un niveau trophique en traits pointillés et cercles vides (d après Tscharntke et al. 2005) Plusieurs études viennent confirmer cette hypothèse : par exemple, les parasitoïdes des pucerons des céréales sont influencés à une échelle spatiale plus petite que leurs hôtes (Thies et al. 2005), les Coléoptères du colza et leurs parasitoïdes sont influencés à la même échelle spatiale (Thies et al. 2003), de même pour les phytophages du chardon et leurs parasitoïdes (Kruess 2003). Cependant, pour Hui & McGeoch (2006), la relation entre taille du corps et spécialisation trophique n est pas linéaire mais triangulaire : les espèces de taille intermédiaire seraient généralistes, tandis que les plus petites et les plus grandes seraient spécialistes. L hypothèse de Tscharntke et al. (2005) ne serait donc pas valide pour toutes les espèces. 14

3.3. Hypothèse de la capacité de dispersion Il a enfin été proposé que l échelle à laquelle les organismes perçoivent le paysage serait dépendante de leur capacité de dispersion (Steffan-Dewenter et al. 2001 ; Roschewitz et al. 2005). Plus une espèce disperserait sur de grandes distances, plus elle serait influencée par la structure et la composition du paysage à une grande échelle. Le facteur le plus déterminant dans la capacité de dispersion est la taille du corps (Roland & Taylor 1997 ; Gathmann & Tscharntke 2002). On devrait donc revenir à la conclusion que plus une espèce est grande, plus elle perçoit le paysage à grande échelle. Or la dispersion est également influencée par d autres facteurs : elle peut être en partie passive, facilitée par l environnement (les pucerons peuvent ainsi disperser sur des dizaines de kilomètres en étant portés par le vent (Riley et al. 1995)), elle peut dépendre de l organisation sociale (les abeilles sociales, grâce à de meilleures techniques de communication, explorent mieux le paysage que les solitaires (Tscharntke et al. 2005)), de la distribution spatiale des ressources (des ressources distribuées en taches obligent à davantage de dispersion que si elles sont continues (Thies et al. 2003)) ou encore de la dynamique des ressources (une population d hôtes ou de proies très fluctuante (dans le temps ou l espace) obligera les ennemis naturels à une plus grande dispersion (Thies et al. 2003)). Par contre, la dispersion ne semble pas influencée par le niveau de spécialisation trophique (Gathmann & Tscharntke 2002). Pour résumer, déterminer l échelle à laquelle les organismes perçoivent le paysage est une entreprise complexe nécessitant la prise en compte de nombreux facteurs : anatomiques, comportementaux, environnementaux, peut-être encore métaboliques et autres En d autres termes, cela veut dire que la perception et la réponse à la complexité et à la structure du paysage sont caractéristiques de chaque espèce (Thies et al. 2003). Les mesures servant à caractériser le paysage doivent donc être adaptées à l espèce que l on étudie (Thies et al.2003), ce qui rejoint la vision de Kindlmann & Burel (2008) sur la connectivité fonctionnelle (Encart 1). 15

CONCLUSION Les espèces généralistes et spécialistes, par un mode d utilisation des ressources différent (complémentation / supplémentation) ne sont pas affectées de la même façon par la structure et la composition du paysage. De plus, l échelle à laquelle les organismes perçoivent et répondent aux caractéristiques paysagères est dépendante d un grand nombre de facteurs, rendant celle-ci différente pour chaque espèce. Nous en avons donc conclu que les études menées en écologie du paysage devaient être adaptées aux espèces sur lesquelles elles sont centrées, en adaptant notamment les outils de mesure du paysage (Taylor et al.1993 ; Thies et al. 2003 ; Kindlmann & Burel 2008). En réponse à ces impératifs, un grand champ de recherche est en train de s ouvrir, étudiant les relations paysage-biodiversité à l échelle d une ou de quelques espèces seulement. Il apparaît dans ce cadre important de se focaliser sur les traits d histoire de vie des espèces et leur relation au paysage, afin de garantir la spécificité et l exploitabilité des résultats. Le succès de cette voie de recherche ne pourra toutefois être assuré que par un grand nombre, une grande qualité de précision et une grande complémentarité des études qu il reste à mener. C est dans cette optique que nous étudierons lors de notre stage l impact de l hôte sur certains traits d histoire de vie de parasitoïdes de pucerons des céréales (du genre Aphidius), pour ensuite tester l influence que les caractéristiques du paysage peuvent avoir sur eux. Ces études sont importantes lorsque l on rentre dans le domaine de la biologie de la conservation, ou bien souvent les espèces à conserver sont ciblées. On peut penser aux espèces patrimoniales par exemple (rares, à valeur culturelle ou esthétique ). Le simple fait qu elles soient généralistes ou spécialistes dans l utilisation de leurs ressources alimentaires obligera à une gestion du territoire différente. Il est donc nécessaire que les espèces ciblées soient intensément étudiées, tout autant dans leur biologie que dans leurs relations aux autres espèces et au milieu physico-chimique. Car n oublions pas que la diversité spécifique est influencée à bien d autres échelles que le paysage et par de nombreux facteurs biotiques : on peut penser aux processus de compétition au niveau local, à la dynamique des métapopulations et à celle des métacommunautés à une échelle supérieure, ou encore à la dynamique régionale et aux processus de spéciation à un niveau encore plus large. La conservation de la biodiversité par la gestion des paysages doit faire face à l immense difficulté de la prise en compte de tous ces niveaux (Bestelmeyer et al. 2003). 16

Enfin, nous avons considéré durant tout notre propos que le caractère généraliste ou spécialiste pour les ressources trophiques était fixe. Cependant, il a été démontré que l étendue de la niche alimentaire était soumis à l évolution, que ce soit vers une plus grande généralisation ou une plus grande spécialisation (Futuyama & Moreno 1988). On peut donc se demander si le paysage, par sa dynamique spatio-temporelle, ne jouerait pas un rôle dans cette évolution. Que les écologues du paysage ne s inquiètent pas, ils ont encore de longues heures de travail devant eux ANNEXE : METHODOLOGIE Le sujet proposé pour ce rapport bibliographique était aussi intéressant que vaste, il aurait mérité bien plus que le présent rapport. Le premier travail a donc été d en réduire la portée. Il a en premier lieu été décidé de ne s intéresser qu aux invertébrés, précisément insectes phytophages, parasitoïdes et prédateurs. Puis au fil des lectures, nous nous sommes focalisés sur la composante spatiale du paysage et sur l aspect richesse spécifique de la biodiversité. La plupart des références ont été obtenues grâce aux moteurs de recherche Web of Knowledge et Science Direct via le site du CNRS, quelques unes proviennent directement de Google Scholar. Celles qui n étaient pas disponibles en ligne ont fait l objet d un prêt interbibliothèque via l UMR 6553 Ecobio. Beaucoup d articles sont issus de citations contenues dans des documents déjà connus, ou citant les documents en question (grâce à la recherche par citation sur Web of Knowledge). Les ouvrages utilisés sont issus de la bibliothèque de l UMR 6553 Ecobio et d une collection personnelle. Après acquisition des documents, les références ont été entrées dans le logiciel EndNote, qui a été utilisé pour rédiger la bibliographie de ce rapport. Mots-clés utilisés : landscape, diversity, heterogeneity, isolation, area, complementation, supplementation, scale, phytophages, parasitoids, predators, specialist, generalist, species richness, trophic rank, dispersal range, body size. 17

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RESUME La richesse spécifique des insectes phytophages, de leurs parasitoïdes et de leurs prédateurs ne présente pas le même patron de réponse à la structure et à la composition du paysage suivant qu ils soient généralistes ou spécialistes pour les ressources trophiques. Le nombre d espèces augmente plus rapidement avec la surface de l habitat chez les spécialistes, et seul les généralistes sont influencés (positivement) par la diversité du paysage. Quant à la fragmentation du paysage, elle devrait théoriquement affecter plus fortement les espèces spécialistes mais aucune relation n a pour l heure été démontrée. Ces différences de réponse seraient expliquées par un mode d utilisation des ressources différent : influencé par la supplémentation du paysage pour les espèces spécialistes, influencé plutôt par la complémentation du paysage pour les espèces généralistes. Une question essentielle est de savoir à quelle échelle spatiale les organismes perçoivent le paysage dans lequel ils vivent. Plusieurs hypothèses ont été proposées : l échelle serait fonction du niveau trophique, du niveau de spécialisation trophique ou encore de la capacité de dispersion. Cette dernière hypothèse semble la plus appropriée car elle tient compte à la fois des caractéristiques de l espèce mais également du contexte biotique et abiotique dans lequel elle se trouve. Les futures recherches en écologie du paysage devraient donc se recentrer sur l espèce, en adaptant notamment les outils de mesure à chaque situation. Mots-clés : paysage, généraliste, spécialistes, ressources trophiques, complémentation, supplémentation, échelle de perception. ABSTRACT Species richness of phytophagous insects, their parasitoids and their predators does not present the same response pattern to landscape structure and composition if they are genralists or specialists for trophic resources. Number of species increases faster with habitat area for specialists, and only generalists are influenced (positively) by landscape diversity. Concerning landscape fragmentation, it should theoretically strongly affect specialist species but no relation has been demonstrated for the moment. These differences of response would be explained by a different way of using resource : influenced by landscape supplementation for specialist species, influenced rather by landscape complementation for generalist species. An essential question is to know at what spatial scale organisms perceive their landscape. Several hypothesis have been suggested : scale would be a fonction of trophic rank, of level of trophic specialization or of dispersal capacity. The latter seems to be the most appropriated because it considers at the same time caracteristics of species, biotic and abiotic contexts. Futur researches in landscape ecology should thus focus on species, notably by adapting measures to each situation. Key words : landscape, generalist, specialist, trophic resources, complementation, supplementation, perception scale. 23