Economie circulaire et développement rural Freins et leviers au déploiement de projets territoriaux innovants Thibaud Delplancke, Thomas Eglin, Audrey Trévisiol (ADEME), Frédéric Wallet (INRA), Jean-Marc Callois (Irstea) Synthèse (5p) Janvier 2018 Résumé Les projets innovants alliant économie circulaire et développement rural permettent de développer de nombreuses synergies afin de dynamiser le territoire, au profit des différents aspects de la durabilité : économique, social et environnemental. Néanmoins, la réussite de ce type de projet nécessite la combinaison de plusieurs conditions. Des leviers sont à actionner et des freins sont à lever pour l émergence du projet et son développement. L analyse ci-présente met en exergue quelques-uns de ces paramètres clés, sur la base de l étude de six projets sélectionnés notamment pour leur diversité. Introduction L ADEME, avec la collaboration de l INRA et Irstea, a réalisé une analyse du déploiement de l économie circulaire dans le domaine du développement rural. Ce travail a été mené en lien avec le projet CAPDOR 1. Il a mis en évidence, à partir de six cas d étude sélectionnés et analysés, les freins et les leviers rencontrés au déploiement et au développement de projets de ce type combinant économie circulaire et développement rural. A partir de ces éléments, une typologie «ad hoc» a été établie afin de comprendre les nouvelles exigences, conditions de mises en œuvre et modalités d accompagnement que nécessitent ces projets. D après l ADEME, l économie circulaire peut se définir comme «un système économique d échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l efficacité de l utilisation des ressources et à diminuer l impact sur l environnement tout en développant le bien-être des individus». 2 Elle touche trois domaines : l offre, la demande et le comportement des consommateurs, ainsi que la gestion des déchets. 1 Capitalisation et Diffusion des Connaissances issues des dispositifs de Recherche partenariale sur le développement agricole et rural, projet lauréat du dispositif MCDR du Réseau Rural (2015-2018). 2 Fiche technique «Economie circulaire : notions» (ADEME, octobre 2013 version modifiée octobre 2014).
Appliquée au développement rural, elle se traduit de diverses manières, notamment : La production agroécologique et la gestion durable de l exploitation forestière. La gestion et la valorisation des déchets, avec en particulier la méthanisation. L efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Les économies de matières premières. La lutte contre le gaspillage, notamment alimentaire. Intégrer l économie circulaire à un projet rural engendre la nécessité de développer des activités locales pour améliorer la gestion des ressources, énergies, écosystèmes et déchets afin de renforcer l efficacité des systèmes, ce qui génère de nouvelles pistes de création de valeur. Cette multitude de nouvelles initiatives doit permettre de créer de nombreuses opportunités, ayant des retombées directes sur le territoire, par exemple en matière d emplois non-délocalisables. S intégrer dans une démarche d économie circulaire induit l obligation de penser de manière renouvelée la gestion des flux sur le territoire : pour les ressources, les déchets et les productions. Méthode L analyse menée s est appuyée dans un premier temps sur l identification de divers projets combinant économie circulaire et développement rural. Les projets choisis répondent aux principes de l économie circulaire (notamment réduction de la consommation de ressources, réduction des impacts environnementaux, intégration du cycle de vie des produits) et en même temps, touchent au développement rural (création d emplois, contribution à l attractivité du territoire, amélioration de la résilience du territoire, dimension fédératrice dans la mobilisation des acteurs, développement des formes d innovation). La sélection des projets étudiés s est opérée selon les objectifs suivants : - Une diversité des entrées dans le développement rural (ressources, processus, infrastructures différents). - Des actions multiples dans différents piliers de l économie circulaire, représentés dans le schéma ci-dessous. Figure 1 : L économie circulaire selon l ADEME - Une diversité de territoires, pour refléter une certaine variété des différents contextes territoriaux. - Le développement de différentes formes d innovation. - Un panorama de projets à des stades d avancement différents, pour tenter d identifier des éléments de temporalité en matière des freins et leviers.
Ainsi, les projets sélectionnés sont les suivants : - BIODECOL 2 Développement de l économie circulaire afin d aider à l autonomie territoriale (axé sur la méthanisation) - Organic Vallée Ecologie industrielle et territoriale pour valoriser différentes sources de biomasse - Pôle Laine en Pays de Saugues Développement d une filière s appuyant sur la valorisation d une ressource patrimoniale - Alimentation durable dans la commune de Mouans-Sartoux Construction de projets d alimentation durable et locale - Agriculture durable et territoriale dans le pays du Ternois Développement du Plan climaténergie territorial sur la base de l outil et la démarche ADEME ClimAgri 3 - Oui-Gef Valorisation de la filière bois et la construction d outils aidant à la gestion de la forêt Figure 2 : Localisation des projets analysés Dans un deuxième temps, une analyse des projets a été conduite, à partir de données issues d une recherche bibliographique et de la réalisation d entretiens, notamment auprès des porteurs de projets. Ces entretiens se sont appuyés sur une grille d entretien établie à partir d éléments de la méthode d audit patrimonial. Cette démarche de «facilitation stratégique» a pour but de déterminer les difficultés rencontrées par un projet et de proposer des recommandations. L analyse des différents projets a permis de dégager une liste de freins et leviers au développement des projets ainsi qu une classification de ces freins et leviers. Résultats Les projets mettent en évidence un lien fondamental qui s établit entre l économie circulaire et le développement rural : la gestion des flux et la valorisation de la matière. Plus précisément, ils font ressortir quatre dimensions principales d ancrage rural de ces démarches d économie circulaire : L articulation autour de la question agricole (Pays du Ternois) ; La capacité de production de matière organique (Mouans-Sartoux, Biodecol) ; 3 En savoir plus : http://www.ademe.fr/climagri
La gestion des déchets urbains (Organic Vallée) ; Le développement d une filière production, transformation et recyclage, la partie consommation pouvant être reliée à l urbain (Oui-Gef, Saugues). Dans la réussite des projets, l analyse souligne l importance du contexte et des dynamiques territoriales, du système de gouvernance du projet, ainsi que les financements. L analyse des projets souligne la difficulté de fédérer les acteurs et de déterminer le système de gouvernance, mais aussi de répliquer terme à terme les solutions mises en œuvre ailleurs dans des contextes marqués par la nouveauté et une forte diversité de situations locales. Enfin, les questions de financement sont toujours considérées comme à la base des projets, mais sans pour autant apparaître comme le type de frein le plus important. L identification des freins et leviers dans les différents projets a nécessité de porter attention à la gestion des flux dans les milieux ruraux. Elle permet la mise en évidence de trois classes de facteurs à analyser pour comprendre la spécificité de chaque cas : Le type de ressource valorisée et les formes d innovation dans sa gestion, impactant la multiplicité des acteurs concernés ; Des déterminants du territoire : les relations entre acteurs, avec notamment l importance de leaders capables de fédérer différentes catégories d acteurs, le soutien politique local et les dynamiques ; Enfin, les capacités des porteurs de projet à mobiliser les opportunités de soutiens et d accompagnements extérieurs. La transférabilité des projets a également été analysée. Chaque projet a des particularités quant à sa capacité à être répliqué ou transféré, ce qui plaide en faveur d un examen plus précis des facteurs qui y sont favorables. Dans les projets de recherche-action, la transférabilité peut faire partie des objectifs explicites des projets. La transférabilité dépend des spécificités présentées ci-dessus, et de l existence de ces caractéristiques sur d autres territoires. Dans tous les cas, la réplication de modèles d économie circulaire à d autres territoires exige une démarche progressive, dans le temps long, d adaptation des pratiques et des représentations, des dispositifs techniques et organisationnels, et des formes de gouvernance. Conclusions En étudiant les freins et leviers rencontrés, de nouvelles nécessités de réflexion pour la gestion des ressources et des flux ont été mises en évidence, et quelques points ont été dégagés comme indispensables. Figure 3 : Conditions et exigences au développement de ce type de projet
Les points clés sont les suivants : La ressource, sa disponibilité et sa gestion sont au centre des projets. Le développement des actions dépend lui du contexte initial, du système d acteurs, de besoins techniques et du développement possible de filières locales. Ces quatre points sont reliés pour montrer des exigences spécifiques à ce type de projet : sensibiliser la population et les acteurs sur de nouveaux sujets, rendre disponible de l information scientifique, développer de nouveaux systèmes de gouvernance et mobiliser des animateurs avec un rôle d ensemblier de diverses compétences. Des étapes clés sont à souligner : établir de nouvelles collaborations entre acteurs centrées sur la ressource, fédérer une grande diversité d acteurs tout au long de la filière, aborder le projet par une réflexion systémique et apporter de nouveaux types d accompagnement spécialisés pour ces projets. Quatre actions se rejoignent dans tous les projets : réflexion en amont sur les flux, concertation entre les acteurs, diversification des activités et production de connaissances. Recommandations Des pistes de création d outils nécessaires à l accompagnement des projets ont émergé de ces analyses : L importance de l influence du contexte territorial demande à évaluer en amont les implications positives ou négatives qu il aura sur le développement du projet. La diversité des activités sur un même endroit a montré la nécessité de voir les administrations et réglementations évoluer ou s adapter autant que possible en fonction des nécessités des projets. Globalement, une phase de sensibilisation des acteurs, des élus et de la population est demandée pour expliquer les nouveaux enjeux exprimés au travers des projets. La ressource est l élément déclencheur par sa disponibilité et l élément structurant par sa gestion, il est donc essentiel de pouvoir avoir un recensement précis des ressources. Un accompagnement extérieur (par exemple par des acteurs de la recherche ou un bureau d étude spécialisé) pour aider à la structuration du système d acteurs et du système de gouvernance est primordial. Enfin, une réflexion sur les types d accompagnement et la manière dont ils sont mis en œuvre pourrait apporter plus d efficience.