Les troubles du sommeil en périnatalité : un symptôme?



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Transcription:

1 Les troubles du sommeil en périnatalité : un symptôme? par Benoît Bayle Collège National des Sages-Femmes (CNSF), Paris, les 2 et 3 février 2009 Je ne suis guère un spécialiste des troubles du sommeil en périnatalité, mais simplement un praticien de terrain, praticien hospitalier en psychiatrie, amené à suivre des femmes enceintes ou venant d'accoucher. De prime abord, les troubles du sommeil en périnatalité apparaissent volontiers complexes à décrypter. En début de grossesse, la femme dort davantage du fait du climat hormonal progestatif de la grossesse. En fin de grossesse, les mouvements du fœtus la gêne... Après l'accouchement, outre cette fois encore la question des modifications hormonales, c'est également le bébé qui pleure la nuit et réveille la mère afin qu'elle le nourrisse. Sans parler du mouvement dépressif quasi physiologique du baby-blues. À chaque fois, il y a donc une bonne raison pour dormir, ou trop, ou pas assez, voire même une raison toute naturelle pour être déprimée! Alors, comment y voir clair? Quels sont les différents repères pour aborder cette question? Tout d'abord, les troubles du sommeil pendant la période périnatale nous confrontent à une triple intrication : - d'un côté, nous avons affaire aux aspects physiologiques de la grossesse et du post-partum, avec l'imprégnation hormonale particulière de cette période, mais aussi avec la croissance physique du fœtus in utero, puis enfin, la délivrance. Je n'y reviens pas. - nous avons également affaire aux remaniements psychologiques ordinaires de la grossesse. - enfin, un certain nombre de pathologies psychiatriques sont susceptibles d'affecter la femme enceinte ou venant d'accoucher, comme toute autre personne. Ces pathologies ont bien souvent un impact sur le sommeil, volontiers caractéristique, et il convient par conséquent de savoir en reconnaître les symptômes. Les aspects physiologiques de la grossesse et post-partum Je ne fais que mentionner ce chapitre pour le traiter brièvement.

2 Schématiquement, on peut diviser la grossesse en trois périodes : le premier trimestre correspond à une phase de somnolence liée à l'imprégnation hormonale riche en progestérone, dont l'effet sédatif semble reconnu ; le deuxième trimestre constitue une période plus neutre quant à la question du sommeil de la femme enceinte ; le troisième trimestre est dominé par la croissance in utero du fœtus et l'inconfort que celui-ci occasionne. Après l accouchement, les remaniements hormonaux semblent aussi à l origine d une dysrégulation de l humeur bien connue, le post-partum blues (ou baby blues). Les remaniements psychologiques de la grossesse Il reste difficile d évoquer la période périnatale sans souligner les remaniements psychologiques observés au cours de la grossesse. La conception de l'enfant provoque chez la femme un véritable raz de marée émotionnel, un bouleversement dont les aspects physiologiques sous-jacents, notamment hormonaux, ne doivent pas faire oublier la hauteur des enjeux psychologiques. La grossesse représente véritablement une période de crise identitaire et de maturation psychologique pour la femme qui devient mère. Le psychanalyste anglais Donald Winnicott a employé, dès 1956, le terme de préoccupation maternelle primaire pour décrire cette hypersensibilité particulière, qui ressemble à une maladie mais qui n'en est pas une, et qui sensibilise la femme enceinte aux besoins de son enfant après la naissance. Dans les années 50, le pédiatre Ted Berry Brazelton a également exprimé son étonnement : les femmes enceintes qu il examine présentent un état d'anxiété qui lui semble pathologique. La bizarrerie des matériaux inconscients exprimés et l'univers fantasmatique de ces femmes l'inquiètent. Il redoute des difficultés avec l'enfant au moment de la naissance. Cependant il n'en est rien. Ces mères s'adaptent parfaitement à leur nouveau rôle. En France, le psychiatre Paul-Claude Racamier utilise, en 1979, le terme de maternalité pour décrire les processus psychiques en oeuvre au cours de la grossesse. Selon cet auteur, la femme a tendance à s'aimer plus fortement durant la grossesse. Elle aime indistinctement son propre corps et l'enfant qu'elle porte. Son fonctionnement psychique évolue : elle établit un rapport à autrui plus indifférencié, comme si elle seule existait. Plus récemment, dans le prolongement de ces travaux, la psychanalyste Monique Bydlowski a employé le terme de transparence psychique. La vie psychique de la femme enceinte se manifeste avec une authenticité particulière, une «transparence» perceptible dès le début de la grossesse. Les remémorations infantiles vont de soi, et ne soulèvent pas les résistances habituelles. L'inconscient est comme à nu, il ne rencontre pas la barrière du refoulement. Ces modifications psychologiques s observent sur le terrain. Les sages-femmes qui rencontrent une femme enceinte à son domicile et se mettent dans une position d écoute et d attention, savent que l entretien sera parfois long, très long, car la femme enceinte mise en confiance lui livrera ses soucis, ses espoirs, ses craintes, n hésitera pas à parler sans retenue des difficultés qu elle a rencontrée au cours de son existence. Le psychiatre note aussi la façon particulière dont la grossesse peut

3 sensibiliser la femme à son passé. Dans d autres cas, certaines femmes paraissent éprouver un intense besoin que l on s occupe d elle, faisant abstraction du temps et des réalités. [Ce bouleversement psychique a souvent été interprété dans une perspective finaliste : il prépare la femme à s occuper de son enfant. Mais cette finalité adaptative ne doit pas faire oublier l intrusion de l être humain conçu dans l espace corporel et psychique de la femme. En effet, la conception impose à la femme la présence de l'être humain conçu à l intérieur de son appareil génital. La femme doit établir progressivement avec l être en gestation une forme inhabituelle de relation, où autrui se trouve enserré à l intérieur de soi. Pour le psychanalyste français P.-C. Racamier, la relation d objet est modifiée au cours de la grossesse ordinaire. Le fonctionnement psychique de la femme enceinte s approche normalement mais réversiblement d une modalité psychotique, ce qui signifie que la femme enceinte établit un rapport au monde et à autrui plus indifférencié. Cette modification correspond au processus de nidification psychique : l être en gestation ne s implante pas seulement dans l endomètre de la femme, il doit aussi se faire une place, un nid, dans son psychisme, alors même qu il impose à la femme enceinte une situation hors du commun, proche de la folie : être soi et autrui, en même temps. ] C'est dire la période de sensibilité particulière que représentent la grossesse et le post-partum. Troubles du sommeil et pathologie psychiatrique puerpérale L'exploration de la qualité du sommeil est une question importante dans la pratique psychiatrique. Les remaniements psychologiques de la grossesse ne changent en rien cette donnée et nous retrouvons les orientations cliniques habituelles, sachant que la grossesse complique parfois l'observation du sommeil, mais ne changent pas, schématiquement, l'interprétation des faits. Ainsi nous retrouvons des troubles du sommeil dans un certain nombre de pathologies susceptibles d'affecter la grossesse ou le post-partum. Les états anxieux L'anxiété est une peur sans objet, qui se traduit par un état d'inquiétude, parfois quasi permanent, qui infiltre le quotidien du sujet et lui fait redouter toute chose à tout moment. Rien ne rassure l'anxieux, ni ne saurait le convaincre qu'il a tort de se faire du souci... Il vit dans un état d'alerte permanent, s'inquiète de tout, appréhende tout, redoute tout. L'anxieux peut être également en proie à des crises d'angoisse aiguë, avec le cortège de signes physiques qui accompagnent celles-ci : sensation d'oppression thoracique, palpitations, gorge serrée, dyspnée, etc. Du côté des signes psychiques, la crise d'angoisse aiguë s'accompagne de symptômes bruyants, avec sentiment de mort imminente ou impression de devenir folle.

4 Dans ce contexte, de façon caractéristique, l'anxieux a du mal à s'endormir. Il présente par conséquent des insomnies d'endormissement, à la différence du dépressif, qui quant à lui a tendance à s'endormir facilement, mais se réveille au cours de la nuit, sans parvenir à se rendormir. L'anxiété est parfois associée à de la dépression. On parle alors de syndrome anxio-dépressif. L'anxiété se rencontre dans diverses pathologies, bien entendu : états névrotiques divers, mais aussi à l'occasion de situations particulières, dans le cadre de la grossesse, comme par exemple lors de grossesses survenant après le deuil d'un enfant. Dans ces circonstances, la grossesse est volontiers placée sous le sceau d'une anxiété que je qualifierais de «physiologique», car la grossesse ravive le deuil de l'enfant précédent. La femme craint de perdre son enfant, elle a plus de mal à s'attacher à lui, de peur également de délaisser dans sa mémoire l enfant mort. La grossesse tant à réactiver le deuil de l'enfant précédent, favorisant l'émergence d'éléments dépressifs. Des troubles du sommeil peuvent apparaître (insomnies d'endormissement ou de réveil). Les rêves sont susceptibles d'être marqués par ce contexte douloureux. L'état de stress post-traumatique L'état de stress post-traumatique survient chez un sujet qui a vécu un traumatisme psychique, c'està-dire la confrontation à une expérience d'anéantissement de soi ou d'autrui. Il est caractérisé par l'association des symptômes suivants : la reviviscence diurne ou nocturnes du traumatisme psychique, sous forme de flashs ou de cauchemars ; le déclenchement de ces flashs à l'occasion de situations qui rappellent le traumatisme ; l'évitement des lieux rappelant la situation traumatique. Ici, le sommeil va être perturbé par des cauchemars caractéristiques, au cours desquelles la femme revit une scène traumatique réelle, parfois légèrement modifiée par des éléments imaginaires. Ces cauchemars peuvent s'accompagner de geste moteur, le conjoint signale parfois que sa compagne lui donne par exemple des coups de pieds, etc. au cours de son sommeil. La grossesse peut sensibiliser de façon particulière des femmes à différents traumatismes psychiques, en particulier sexuels. Ainsi, certaines femmes peuvent revivre à l'occasion de la grossesse, de l'accouchement ou de l'allaitement, un traumatisme sexuel jusqu'alors enfoui. Souvent méconnu, un état de stress post-traumatique peut également apparaître, lorsque la femme a vécu un accouchement antérieur traumatique, où elle a été confrontée à une menace de mort pour elle-même ou pour son enfant, par exemple à l'occasion d'une hémorragie grave, etc. L'approche de l'accouchement réveille le traumatisme psychique, et favorise sa reviviscence, favorisant une anxiété parfois vive, qui peut affecter le sommeil. Des cauchemars peuvent apparaître à cette occasion, mettant en scène l'accouchement traumatique. Une IVG peut parfois avoir une valeur comparable. Les troubles de l humeur L'humeur donne une tonalité agréable ou désagréable à ce que nous vivons. Son altération peut colorer la vie en noir ici, nous sommes dans le cadre de la dépression, ou au contraire en rose, et il s'agit alors de l'euphorie rencontrée dans l'état hypomaniaque ou maniaque

5 Le plus souvent, l'humeur est pessimiste dans le cadre du syndrome dépressif, qui associe notamment tristesse, découragement, perte du goût des choses, envie de ne rien faire, idées noires, etc. La signification d'un syndrome dépressif est variable. Il peut s'agir de dépression «névrotique», de dépression réactionnelle, ou encore, de dépression rentrant dans le cadre d'un trouble bipolaire ou d'épisodes dépressifs récurrents Classiquement, la dépression s'accompagne d'une altération du sommeil : de façon typique, nous rencontrons alors une insomnie de réveil, c'est-à-dire un réveil en première partie de nuit avec réendormissement difficile. Le temps de sommeil est en général réduit, avec volontiers, apparition d'un réveil précoce. Plus rarement, on assiste au phénomène inverse avec une augmentation du temps de sommeil, encore appelé hypersomnie. On peut voir dans cette manifestation une sorte de régression psychologique, ou de fuite face à la réalité morose. Lorsque l'humeur est altérée dans le sens de l'euphorie, c'est-à-dire de l'état hypomaniaque ou maniaque, il est habituel d'observer une réduction du temps de sommeil avec une euphorie faite de jeux de mots, de coq-à-l'âne, etc., une hyperactivité, une fuite des idées, un sentiment de facilité de l'existence, qui s'accompagne volontiers d'agressivité. Les idées délirantes accompagnent cet état sérieux, qui nécessite des soins spécialisés. Dans le cadre de la grossesse et post-partum, nous rencontrons bien évidemment bon nombre de troubles de l'humeur, en particulier dans le spectre de la dépression. La dépression du post-partum commence par une dépression durant la grossesse, dans près de la moitié des cas semble-t-il. Le post-partum blues survient très rapidement après l'accouchement, et constitue un trouble de l'humeur transitoire, rapidement résolutif. Dans sa forme typique, il survient entre le troisième et le cinquième jour et dure de 12 à 24 heures. Il se manifeste par la présence de pleurs, par une dépression ou une exaltation de l'humeur (avec euphorie), des pertes de mémoire, des troubles de la concentration, des éléments de dépersonnalisation. Par rapport à la dépression ordinaire, la dépression du post-partum présente quelques particularités, notamment au niveau du sommeil. Il est en effet décrit davantage des difficultés d'endormissement que des réveils précoces. Les émotions sont labiles, plus changeantes que dans la dépression ordinaire. Les idées suicidaires sont plutôt rares. La perte d'estime de soi se manifeste par une perte d'estime de ses capacités maternelles. L'anxiété est fréquente, déplacée vers le bébé. Je traiterai des états maniaques du post-partum et des accès dépressifs majeurs, avec symptômes psychotiques, dans le chapitre suivant... Les états délirants à l heure de la grossesse et du post-partum Tout syndrome délirant peut aboutir à des perturbations graves du comportement, avec agitation, etc ; susceptibles d'affecter le sommeil... Je ne parlerai pas ici de la schizophrénie, vous laissant le soin de vous procurer le cahier Marcé numéro 3, intitulée «Ma mère est schizophrène».

6 J évoquerais plutôt la question des psychoses puerpérales. On en distingue trois formes essentielles : les désordres thymiques francs, maniaques ou dépressifs, les psychoses aiguës délirantes (plus ou moins confusionnelles), et les troubles schizophréniques, forme accessoire, avec dissociation et discordance. Les accès maniaques surviennent pour la plupart du temps les quinze premiers jours du post-partum. Le début est brutal et précoce. L'agitation est intense, avec une grande fréquence des productions hallucinatoires et délirantes, irrégulièrement centrées sur l'enfant (idées de toute-puissance, d'influence, de mission divine, thèmes érotomaniaques ou de persécution). Bien évidemment, le sommeil est altéré dans de tels états, avec une réduction importante du temps de sommeil en l'absence de toute plainte de la patiente, qui juge tout à fait normal de dormir deux ou trois heures par nuit, alors qu'elle a tant à faire, et surtout tellement de projet à réaliser. Les accès dépressifs majeurs sont associés à des idées délirantes convergeant volontiers vers le nourrisson. La femme exprime son sentiment d'incapacité, de culpabilité, de ruines et de mort. Elle ne sait pas soigner son enfant, celui-ci aura par sa faute un destin malheureux, il va mourir ou bien elle l'a tué. La jeune femme sent peser sur elle ou sur son enfant des menaces précises. Elle est hantée par des visions funestes où ses proches font disparaître. Raptus suicidaires ou infanticides sont toujours à redouter dans de tels cas. Les psychoses aiguës délirantes réalisent un tableau de bouffée délirante aiguë. Il est intéressant de noter que dans la phase pré-délirante, des troubles du sommeil à type de cauchemar avec agitation nocturne peuvent survenir. D'autres signes peuvent alors être associés : rumination anxieuse, bizarrerie du comportement, désintérêt ou dégoût progressif à l'égard du contact corporel avec l'enfant, crises de larmes, plaintes somatiques. À la phase d'état, souvent vers les trois premières semaines du post-partum, avec un pic de fréquence au 10e jour, le délire apparaît brutalement, accompagné de signes de confusion de profondeur variable, et associé à des troubles thymiques. Le vécu délirant est généralement persécutoire et terrifiant. L'angoisse est intense. La thématique délirante est souvent centrée sur la naissance et la relation à l'enfant (elle n'est pas mariée, son enfant n'est pas d'elle, il n'est pas né, etc.). Les états schizophréniformes représentent une faible proportion des psychoses puerpérales. Ils peuvent débuter tout de suite après l'accouchement, réalisant une véritable flambée schizophrénique avec agitation délirante, discordance et bizarrerie du comportement, etc. ou un tableau de schizophrénie dysthymique atypique, dépression délirante et discordante. Dans de tels troubles délirants, il est rare que le sommeil ne soit pas perturbé de façon importante, avec insomnie, agitation et réduction du temps de sommeil. Pour conclure, Nous voyons combien les troubles du sommeil peuvent constituer un symptôme susceptible d'indiquer une pathologie psychiatrique sous-jacente.

7 Certes, au cours de la grossesse et du post-partum, il existe des hypersomnies ou des insomnies qui relèvent de perturbations physiologiques du sommeil à cette période particulière de la vie la femme. Cependant, dans de nombreux cas, il s'agit aussi d'un symptôme, qui doit conduire à affiner la recherche d'autres signes cliniques. On recherchera notamment une anxiété, des peurs, des cauchemars traumatiques (que ceux-ci soient en rapport avec un événement de l'enfance ou un accouchement antérieur), une tristesse, etc. On s'intéressera également aux deuils périnataux antérieurs, et aux éventuels antécédents psychopathologiques ou psychiatriques. Parfois, de façon plus rare bien entendue, un trouble sévère du sommeil peut-être le précurseur d'un trouble psychiatrique sérieux qui va éclore dans les jours suivants, comme par exemple une psychose puerpérale. C'est dire l'intérêt qu'il y a à rechercher des symptômes psychiques dans la période du post-partum, afin de pouvoir orienter au mieux la prise en charge de la jeune mère, et lorsque votre intuition vous laisse à penser que quelque chose d'anormal se passe, il ne faut pas hésiter à demander si besoin un avis spécialisé.