Le rôle des emigrés dans les villes touristiques: L'exemple du Nord-Ouest tunisien * 0) Introduction (Andreas Kagermeier, Université de Paderborn, R.F.A.) Au cours des années 80, deux nouveaux centres touristiques ont vu le jour en Tunisie ; outre la volonté de continuer à développer la capacité d accueil du pays, ces deux créations visaient aussi le développement économique des régions périphériques par le biais de l activité touristique. Il s agit ici des régions de Touzeur dans le Sud pré-saharien et de Tabarka dans l'extrême Nord-Ouest tunisien (cf. fig. 1). Or, souvent, les régions périphériques des pays maghrébins correspondent, en même temps, à d importants foyers de la migration internationale du travail. Les transferts de capitaux, ainsi que les investissements de ces émigrés dans leurs régions d origine peuvent jouer un important rôle dans le développement de l économie régionale. A travers l exemple de Tabarka nous tenterons de voir comment les émigrés réagissent aux efforts de l Etat visant à intégrer ces régions sur le marché touristique. Ces impulsions représentent un nouveau champ d action pour les investissements des acteurs locaux et régionaux. Algérie Tabarka Jendouba Le Kef Siliana Tozeur Béja 0 50 100 km Kasserine Gafsa Kébili Bizerte Tunis Hammamet ZaghouanNabeul Kairouan Sidi Bouzid Gabes Sousse Monastir Mahdia Sfax Medenine Jerba Zarzis Tataouine Libye Capacité hôtelière en Tunisie actuelle capacité 100.000 50.000 25.000 10.000 5.000 prévue nombre de lits source : le tourisme tunisien en chiffres 1998 et Miossec 1997 Les émigrés jouent, dans ce Fig. 1 : Distribution spatiale de la capacité hôtelière actuelle et processus, un rôle décisif en tant prévue en Tunisie en 1996 qu entrepreneurs du secteur des services accompagnant le tourisme. Leur rôle est également important dans le marché de * Traduction par Yasmine BERRIANE 1
l immobilier où ils dominent la demande en résidences secondaires. Dans cette contribution nous présenterons, d une part, le rôle de différents groupes d acteurs émigrés sur la base des différentes stratégies menées par ces derniers. D autre part, nous nous pencherons sur les stratégies d action des émigrés face aux conditions générales locales et sur l interaction de ces acteurs avec d autres groupes d acteurs. 1) Le développement touristique de Tabarka comme cadre général de l action des émigrés Pour permettre de mieux comprendre le rôle des émigrés à Tabarka nous allons, au préalable, esquisser, de façon brève, le cadre général du développement touristique dans cette région. Le nouveau centre touristique de Tabarka, situé à l extrême Nord-Ouest du pays, est né, comme dans le cas de Touzeur d une décision volontariste de l Etat de soutenir le développement touristique du pays. Suivant l exemple des zones touristiques aménagées par le passé, il était prévu de créer un nouveau pôle touristique dans le Nord-Ouest du pays; ce dernier ne connaissant, jusqu alors, guère de développement économique. Suivant le principe adopté à Port-el-Kantaoui, un terrain situé à une certaine distance de la ville de Tabarka a été affecté à une zone hôtelière; une société privée d aménagement et de développement touristique étant chargée de l aménagement et de la commercialisation. La zone touristique comprend quatre éléments centraux (cf. fig. 2): Larmel (résidences secondaires) Front de mer (Marina / appartements) El Morjane (zone hôtelière) ancienne forteresse portugaise ville de Tabarka Marina Centre d Animation Golf Beach S.N.C.F.T. Fig. 2 : Tabarka et sa zone touristique Oued Kebir etablissements touristiques ACTUELS PRÉVUES hôtel résidence animation terrain de golf Dar Tabarka Montazah Beach Club Route Nationale Mehari El Morjane Residence Mehari Hotel **** Royal Golf Tennis Club 0 100 200 300 400 500 m club de golf 1) une zone hôtelière classique, située dans la baie de Tabarka (El Morjane) 2) une zone Marina avec des appartements, suivant l exemple de Port-el-Kantaoui 3) une zone destinée à des résidences secondaires privées (Zone Larmel) et 4) en tant qu élément supplémentaire, un terrain de golfe. 2
L état est intervenu au niveau de l aménagement d un aéroport, pour que la région soit directement accessible de l étranger, la construction d une station d épuration et l amélioration de la desserte routière de la région (en cours de réalisation). Depuis le début des années 90, environ 2.000 lits hôteliers ont été créés à Tabarka. A l exception de deux petits hôtels (90 lits au total), il s agit exclusivement d unités d une certaine taille (entre 300 et 400 lits), situées dans la zone hôtelière, à l extérieur du centre de la ville (cf. fig. 2). Outre l infrastructure hôtelière classique, une partie importante de l offre totale de 10.000 lits, prévue dans la première phase de construction, devait être réalisée sous forme de résidences secondaires et d appartements. Ainsi, l ancien port de pêche avoisinant directement le centre ville a été transformé en port de plaisance et sur le front de mer, plusieurs immeubles ont été créés, comprenant, au total, presque 300 appartements. Ceci correspond à un chiffre d environ 1.000 lits. Outre les appartements, presque 200 parcelles ont été créées dans la zone appelée "Larmel", zone située à l extrême Ouest du complexe touristique. Ces nouvelles parcelles ont été, viabilisées et commercialisées. Une société privée fut chargée de l aménagement du site de Tabarka et de le doter de toutes les infrastructures touristiques, après avoir acquis le terrain de la future zone touristique à des conditions très avantageuses. Cette société était responsable de tout le développement de cette zone touristique: l élaboration des concepts, la viabilisation et la commercialisation. V.V.T. Alors que l objectif initial % selon la stratégie de diversification % était de créer avec la destination de Tabarka une zone 2 étoiles 1 étoile touristique s adressant surtout à une clientèle aisée (en provenance d Europe et 3 étoiles 4 étoiles des pays arabes du Golf; cf. Société d Aménagement et de Développement Touristique de Tabarka, s. a.), les source: données de l ONTT investisseurs ont construit, durant la Fig. 3 : Nombre de lits dans la ville de Tabarka selon la catégorie hôtelière en 1997 première phase de mise en uvre, exclusivement des établissements hôteliers dont le niveau ne se différencie guère de celui des autres destinations tunisiennes (cf. fig. 3), c est-à-dire que l offre se base essentiellement sur des hôtels de catégorie moyenne, à savoir des hôtels 3 étoiles et des villages de vacances de catégorie comparable (V.V.T.). Ainsi, les hôtels vont attirer un autre groupe cible qui n avait pas été pris en compte lors de la planification initiale et qui concerne la couche moyenne tunisienne. De ce fait, plus d un tiers des nuitées d hôtel à Tabarka sont aujourd hui consommées par des Tunisiens. Dans le cas des appartements touristiques, ce n est pas non plus une clientèle étrangère pourvue d un fort 3
pouvoir d achat qui représente la majorité des clients. Une grande partie des appartements a été acquise par des Tunisiens des grandes villes du pays. Afin d évaluer les effets économiques liés à l aménagement touristique, des enquêtes ont été réalisées sur place, pendant l été 1997, avec le concours d étudiants tunisiens. Dans la ville de Tabarka, une enquête touchant la totalité des 385 établissements commerciaux a été réalisée. Dans le cadre de cette enquête, les propriétaires des établissements commerciaux furent priés d indiquer le taux de touristes parmi leurs clients. Dans la moitié des cas, ce taux de touristes dépasse les 5%. Ainsi, on peut retenir l idée qu une partie importante des établissements commerciaux profite directement de l afflux de touristes à Tabarka sans pour autant être prioritairement orientée vers le tourisme. Afin de saisir les effets directs du tourisme commerce de détail (en général) commerce de détail touristique sur l emploi dans les deux cas étudiés, le taux de touristes mentionné a été réparti sur services (en général) les employés dans les différents services touristiques établissements commerciaux. Nous café-restaurant calculons l effet direct sur l emploi en hôtel supposant que dans un établissement 0 100 200 300 400 500 600 700 800 nombre d emplois commercial avec deux employés, par source: enquêtes personnelles (N=329) exemple, un taux de touristes de 50% induit Fig. 4 : Emplois dans le secteur touristique dans la un emploi. Dans ce contexte, des emplois à ville de Tabarka selon les activités durée limitée ne sont comptés que comme demi emplois. La figure 4 présente le résultat de cette estimation. Une bonne moitié des plus de 2.000 emplois recensés à Tabarka résulte, ainsi, des activités touristiques. Cependant, la majeure partie des emplois directement dus au tourisme se trouve dans le secteur de l hébergement, tandis que l effet sur les établissements commerciaux qui ne sont pas exclusivement orientés vers le tourisme est plutôt faible. 2) Evaluation quantitative du rôle des émigrés comme entrepreneurs dans le secteur touristique Après avoir esquissé la situation générale à Tabarka, nous nous pencherons sur le poids réel des émigrés en tant que propriétaires des établissements de commerce à Tabarka. Notons tout d abord que sur 300 propriétaires d établissements commerciaux ayant déclaré avoir un lien avec l émigration, un quart a déjà séjourné à l étranger. Il s agit en grande partie de "rémigrés", c est à dire d anciens émigrés retournés définitivement au pays d origine. Dans neuf cas seulement, il s agissait de propriétaires, émigrés, et vivant encore à l étranger au moment de l enquête. On remarque que les commerces tenus par des émigrés sont beaucoup plus tournés vers le secteur touristique que les autres commerces. Ainsi, un tiers des 4
établissements commerciaux liés au tourisme sont au mains d émigrés (cf. fig. 5). Comparés à la moyenne, les émigrés réagissent donc plus aux nouvelles impulsions économiques mise en place par l introduction de la région sur le marché du tourisme. Activités économiques entières Nombre d établissements Création d emploi Activités touristiques Nombre d établissements Création d emploi 0% 20% 40% 60% 80% 100% émigrés non-migrants source: enquêtes personnelles (N=298) Fig. 5 : Rôle des émigrés dans l economie tabarquoise Rapportés à la moyenne, les émigrés sont, en général, non seulement plus actifs dans le tourisme mais ils ont aussi créé plus d emplois. Si l on écarte les hôtels et les entreprises qui fonctionnent sous forme de sociétés de capital (par exemple les agences de location de voiture et les agences de voyage), 320 emplois dans le secteur touristique sont dus à des petites et moyennes entreprises. Un tiers de ces entreprises est tenu par des émigrés et offre 40 % des emplois. C est à dire que les entreprises d émigrés sont, en moyenne, un peu plus grandes que les autres entreprises. Une observation plus attentive nous amène à reconnaître au sein du groupe des émigrés une grande différenciation quant à l engagement économique. Celle-ci a déjà été reconnue par d autres études sur le rôle des émigrés dans le développement économiques (cf. par exemple BERRIANE & HOPFINGER 1999 ou KAGERMEIER 1995). Les émigrés qui ne sont pas restés longtemps à l étranger (c est à dire ceux rentrés à leur pays d origine de façon prématurée) et les émigrés qui sont restés très longtemps à l étranger (c est à dire ceux rentrés peu avant la retraite) ont ouvert surtout des petits commerces qu ils gèrent eux-mêmes ou qu ils confient aux membres de leur familles. Les émigrés dont la durée d émigration est comprise entre 3 et 6 ans sont, par contre, les plus actifs dans le secteur touristique. Ceux ayant eu une durée d absence moyenne ne représentent qu un cinquième des propriétaires d établissements de commerce orientés vers le tourisme mais offrent presque la moitié de la totalité des emplois créés par les émigrés. Dans ce contexte, les émigrés sont surtout actifs dans des domaines qui nécessitent des investissements de taille moyenne. Ils investissent dans des restaurants et des cafés orientés vers une clientèle touristique, dans des studios de photos mais aussi dans des magasins d artisanat d art et des magasins de souvenirs. Rapportés à la moyenne obtenue pour tous les commerçants, les émigrés et anciens émigrés sont plus souvent propriétaires de leurs magasins, investissent plus d argent et leurs locaux sont bien implantés le long des principaux axes commerciaux et autour de la marina (c.f. fig. 6). A travers l observation des données structurelles on pourrait conclure, à première vue, que le rôle des émigrés, dans le développement touristique de Tabarka, est couronné de succès. Toutefois, l analyse quantitative montre que leur position ne présente pas toujours que des aspects positifs. Ainsi, que ce soit pour l acquisition ou pour la location d un local de 5
commerce de même localisation, les émigrés payent bien plus que les autres propriétaires nonémigrés. Ceci vient du fait que les émigrés n ont pas souvent, lors de leur installation à Tabarka, une vue d ensemble suffisante sur les prix de l immobilier ; une partie des investissements des émigrés passe ainsi dans les poches des propriétaires de locaux. Plage Port de plaisance Employés 1 5 10 20 Avenue Habib Bourguiba (Ancien) Emigré Oui Av. 7. Novembre Non Relation avec le secteur touristique Oui Non Plage Residences Espace bati Espace vert Av. Habib Bourguiba 0 50 100 m Fig. 6 : Etablissements commerciales à Tabarka selon les statut migratoire du proprietaire De même, il est frappant de constater que, jusqu à présent, - à part une seule exception- aucun émigré n a réussi à bâtir un petit hôtel à l intérieur de la ville. La construction d un hôtel à l intérieur de la ville nécessite, d une part, l acquisition, au fil du temps, de plusieurs parcelles se trouvant l une à côté de l autre car les parcelles à l intérieur de la ville ne sont souvent pas assez grandes pour la construction d un hôtel. D autre part, il est nécessaire d avoir de bonnes relations avec les services habilités à délivrer les autorisations nécessaires pour que ceux-ci accompagnent de façon bienveillante le projet. Etant donné que très peu d émigrés ont la possibilité, pendant leur séjour à l étranger, d avoir une idée précise de la situation des lieux potentiels de leur retour, et vu qu ils ne peuvent pas, de leurs lieux de séjour à l étranger, préparer leur retour de façon systématique, ils se retrouvent, à leur retour, face à un nombre restreint d options et doivent faire leur choix de façon relativement rapide. Ils bénéficient donc de conditions beaucoup moins favorables que les investisseurs vivant sur place et qui possèdent donc plus d informations et de contacts. 6
3) Les émigrés et le marché de l immobilier La situation est la même, lorsque les émigrés abordent le domaine de l immobilier. On a signalé, au début, que Tabarka est devenue, entre temps, une destination importante du tourisme intérieur tunisien. La demande en biens immobiliers concerne non seulement des hommes d affaires et des fonctionnaires, venus des métropoles du pays et bénéficiant d un pouvoir d achat élevé, mais aussi un nombre important d émigrés tunisiens. Ainsi, un tiers des 200 parcelles de la zone Larmel prévue pour des résidences secondaires, a été vendu à des émigrés tunisiens. Ces derniers, presque exclusivement originaires de l arrière-pays de Tabarka, préfèrent construire une maison de retraite sur la côte, au lieu d un logement dans leur commune d origine. Ils utilisent cette maison, en attendant leur retour définitif, comme domicile de vacances. Ainsi, lors de leurs séjours estivaux, ils peuvent aussi bien rendre visite à leurs parents vivant dans l arrière-pays de Tabarka, que profiter de l infrastructures du tourisme balnéaire de Tabarka. Il en est de même pour les appartements qui ont été construits par différentes sociétés autour de la Marina. En outre, sont représentées à Tabarka, deux organisations Time-Sharing faisant une publicité avec comme groupe cible les émigrés. Dans le cas des ces trois formes de résidences secondaires, les prix demandés sont, visiblement plus élevés que le niveau du prix normal à Tabarka. C est à dire que les promoteurs immobiliers absorbent une grande partie du pouvoir d achat des émigrés originaires de la région mais aussi d acheteurs venus de l étranger ou de Tunis. Comme ceci a déjà été relevé à Nador, au Maroc, (cf. BERRIANE & HOPFINGER 1999), vu les prix excessivement élevés exigés des émigrés par le secteur de l immobilier, une grande partie de l apport des capitaux de l émigration est absorbée par ce secteur et se dirige, la plupart du temps, vers les métropoles des pays d origines. 4) Vision qualitative du rôle des émigrés comme entrepreneurs dans le secteur touristique Dans le cas de Tabarka, c est surtout la société chargée de l aménagement, de la viabilisation et de la commercialisation de la zone touristique qui décide d une grande partie du marché foncier. Les parcelles désignées pour la construction d hôtels et de villages de vacances ont été vendues à des acteurs internationaux et à des investisseurs disposant déjà d installations analogues dans d autres destinations touristiques tunisiennes. Le fait d intégrer des acteurs internationaux a l avantage de permettre la vente avec succès de la destination sur le marché international. Ainsi par exemple, les deux Tour Operator allemands TUI et Neckermann entretiennent entre les fêtes de Pâques et la fin du mois d Octobre leurs propres liaisons aériennes avec cette zone. Dans la zone hôtelière, une série d installations centrales visant l animation de la zone (école de plongée, club d équitation) ont déjà été réalisées ou sont prévues. Dans le cas de l octroie 7
de ces projets, il existe une certaine tendance à privilégier des investisseurs extérieurs à la région ayant déjà des installations analogues dans d autres zones touristiques et disposant ainsi de contacts avec les représentants de la société d aménagement du site. C est également le cas pour la zone du "Front de mer". Les résidences de vacances localisées autour de la Marina et le long de la plage, ainsi que les terrains prévus pour les projets d animation dans cette zone ont été confiés principalement à des investisseurs étrangers à la région. Ces parcelles ont été rarement cédées à des investisseurs originaires de la région de Tabarka et parmi ces derniers on ne trouve pas d émigrés. Parmi les acteurs locaux, il n y a que ceux qui bénéficient d un bon réseau de connaissances parmi les acteurs de la société d aménagement qui peuvent profiter de ces projets lucratifs. En outre, il apparaît, d après nos questionnaires, qu un certain nombre de propriétaires d établissements de commerce d origine locale se sont efforcés de se faire attribuer dans la zone "Front de mer" un des objets qui soit d un bon apport. Dans ces choix d attribution, la société chargée de l aménagement et de la commercialisation du projet vise à rationaliser et à rentabiliser le projet en s adressant de préférence à des investisseurs ayant déjà de l expérience dans d autres programmes de tourisme et ayant déjà coopéré avec la société. La région perd, de ce fait, de précieuses occasions pour profiter d importantes impulsions endogènes. Dans ce face à face opposant des émigrés possédant le capital nécessaire mais des possibilités de contact très faibles et un agent de développement qui agit au niveau national, la commune pourrait jouer le rôle de médiateur et d animateur. Or aucune démarche émanant des communes et destinée à faciliter la tâche aux émigrés prêts à investir n a pu être enregistrée. Il semblerait bien plus que certains acteurs politiques municipaux poursuivent des intérêts économiques personnels dans le processus de développement touristique. Ainsi, les émigrés sont dans la plupart des cas perçus comme des concurrents. Un certain nombre d indices montrent que les élites locales utilisent leur influence politique pour gêner les initiatives des émigrés au lieu de soutenir l engagement de ces derniers pour le bien de la communauté. Au niveau des communes, les émigrés sont considérés comme des "vaches à lait" à qui on vend des résidences secondaires et loue des locaux de commerces à des prix surélevés. Mais, d un autre côté, on ne relève aucune initiative prise par les communes et visant l intérêt général, pour tenter d aider et de soutenir les émigrés de la région dans leurs tentatives d investissement. Ainsi, les projets d investissement réalisés par les émigrés sont, la plupart du temps, des "stratégies de niches". En effet, vu que l accès à une partie des projets lucratifs leur reste fermé, les émigrés se rabattent sur des projets rapportant moins mais dont l accès leur est possible. En plus de ces conditions générales peu favorables pour les émigrés on constate également chez ces derniers deux autres contraintes qui, dans le domaine touristique, gênent les investissements et réduisent leurs chances de réussite. 8
1) Seul un petit nombre parmi ces émigrés possède, par son activité à l étranger, - en plus des compétences linguistiques- une préparation spécifique pour un engagement professionnel dans le secteur touristique. 2) Parmi les émigrés, seuls très peu d entre-eux sont prêts à se regrouper avec d autres émigrés pour réaliser un projet en commun et pouvoir tenir tête aux investisseurs extraregionaux, en tant que partenaires égaux. L attitude de "chacun pour soi et dieu pour tous" est beaucoup plus accentuée chez les émigrés venant de la région et se sentant souvent, jusqu à un certain degrés, comme des étrangers dans la ville de Tabarka, que chez ceux qui sont originaires de la ville même. 5) Conclusion En dernière analyse, on peut retenir qu à première vue, les émigrés jouent un rôle important en tant qu acteurs économiques dans le processus d intégration de Tabarka au marché du tourisme. Ils présentent des affinités avec ce secteur qui dépassent la norme et leurs activités dans le domaine sont tout à fait couronnées de succès. Mais une observation plus fine, révèle que les conditions générales prévalant à Tabarka ne sont pas très favorables aux essais d engagement des émigrés dans le secteur du tourisme, sauf en ce qui concerne l acquisition des résidences secondaires. Les émigrés - surtout ceux originaires de l arrière-pays rural de Tabarka- qui sont prêts à investir dans ce secteur se heurtent à deux groupes qui n ont aucun intérêt à les soutenir. Ces deux groupes sont, d une part, les sociétés d aménagement privées et, d autre part, l élite locale possédant un réseau de connaissances et de lobbying efficace. On peut constater ainsi, le manque d une instance jouant le rôle de médiateur et d animateur. Les tâches d une telles instance pourraient être décrites de la façon suivante: 1) D une part, celle-ci devrait représenter les intérêts des émigrés sur place, face aux acteurs municipaux. 2) D autre part, une des tâches les plus importantes de cette instance serait de conseiller, voire de former les émigrés prêts à revenir à leur pays d origine et ceci pendant la phase même qui précède leur retour. Ces conseils et cette formation devrait ainsi permettre d informer les émigrés sur des possibilités d investissements favorables et de leur apporter le savoirfaire nécessaire. 3) En plus, cette sorte d agence de développement devrait essayer d intéresser des émigrés actifs à l étranger et prêts à investir; ceci ayant été pratiqué avec succès dans le cas des résidences secondaires. 4) Une telle instance pourrait aussi, par exemple, drainer des petites participations financières des émigrés vers le capital de quelques projets touristiques. De tels projets, organisés sous forme de coopératives pourrait permettre à des émigrés sans savoir-faire spécifique, de participer au développement économique dans le secteur touristique. Cette participation ne 9
nécessite pas un savoir-faire approprié puisque ce seront des employés spécialisés qui se chargeront de la gestion, les émigrés intervenant uniquement au niveau du capital. Toutefois, ces réflexions relèvent pour l instant de l utopie dans la mesure où on ne relève aujourd hui, dans ces régions aucun indice laissant supposer la prise de telles initiatives. Il semblerait même que le fossé entre émigrés d une part et élites locales d autre part se creuse de plus en plus. Certains entrepreneurs "rémigrés", se sentant marginalisés par l élite locale traditionnelle, commencent petit à petit à se solidariser et à mettre en place un contrepoids contre cette dernière. Ayant vécu la même expérience de marginalisation, des non-émigrés de la région se joignent à ce groupe. Ainsi une confrontation, qui résulte du fait que la politique locale n a pas préparé et soutenu de façon suffisante l intégration des émigrés, pourrait s installer. Les avantages économiques de courte durée dont bénéficient les élites locales traditionnelles pourraient, dans quelque temps, se faire payer par des tensions politiques municipales qui auront certainement des conséquences contre-productives sur le développement économique de la région. Bibliographie BERRIANE, M. & H. HOPFINGER: Nador. Petite ville parmi les grandes. Tours 1999 (= Collection Villes du Monde arabe, Vol. 4). KAGERMEIER, A.: REMIGRATION NADOR II: Der tertiäre Sektor im ländlichen Raum der Provinz Nador (Marokko) unter dem Einfluß der Arbeitsmigration. % Le secteur tertiaire en milieu rural de la Province de Nador (Maroc) et les effets de l émigration du travail. Passau 1995 (= Maghreb-Studien, 6; biligue allemand/francais). Societé d Aménagement et de Développement Touristique de Tabarka: Tabarka. Mille Sites et loisirs. Tunis (sans année de parution). 10