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Transcription:

Coordination internationale : la condition sine qua non du succès de la réforme des marchés de dérivés négociés de gré à gré Michel BARNIER Commissaire européen chargé du Marché intérieur et des Services Commission européenne La dimension internationale de la réforme des marchés de dérivés de gré à gré est incontournable : ils représentent un encours notionnel d environ 700 000 milliards d euros fin 2011. La réforme de ces marchés trouve son origine dans les engagements internationaux pris par le G20 en septembre 2009 à Pittsburgh puis à Cannes en 2011. Ceux-ci fixent les objectifs de cette réforme : compensation centralisée obligatoire, standardisation, reporting à des registres de données, échanges de garanties sur les contrats non compensés. La mise en œuvre de ces objectifs fixés au niveau international repose sur l adoption de législations nationales. Au moment où cette réforme est en train d être effectivement mise en œuvre (mise en œuvre de la loi Dodd-Frank et de l European Market Infrastructure Regulation EMIR), il est plus que jamais crucial que les nouvelles règles fixées au niveau national puissent fonctionner de manière harmonieuse au niveau mondial. Pour cela, deux conditions doivent être remplies : une harmonisation suffisante du contenu des règles et des mécanismes efficaces de coordination internationale de l application des règles nationales. Banque de France Revue de la stabilité financière N 17 Avril 2013 47

La dimension internationale est une des dimensions clés d une véritable réforme des marchés de dérivés de gré à gré. Sur un plan économique et financier, de par leur taille (639 000 milliards de dollars à fin juin 2012), ces marchés constituent sans nul doute un enjeu crucial pour la stabilité financière internationale. Les transactions transfrontalières y jouent un rôle prépondérant. À titre d exemple, à fin juin 2012, 80 % des transactions sur dérivés de crédit étaient conclues entre des contreparties établies dans des pays différents 1. Sur le plan politique, cette réforme n aurait pu voir le jour sans un fort engagement international. L accord des chefs d État et de gouvernement du G20 à Pittsburgh en septembre 2009 a lancé de manière décisive la mise en œuvre de la réforme de ces marchés. Les tentatives nationales de réformes envisagées dans les années quatre vingt dix avaient échoué 2 face aux risques qu une initiative unilatérale ne conduise à des phénomènes d arbitrage réglementaire, faute de garanties suffisantes sur la mise en œuvre à court terme de réformes analogues dans les autres juridictions. Un peu plus de trois ans après Pittsburgh, au moment où cette réforme entre en vigueur dans la plupart des pays du G20, avec notamment la mise en œuvre de la loi Dodd Frank aux États Unis et d EMIR en Europe 3, cette dimension internationale paraît plus cruciale que jamais. En effet, si elle a été déterminante au lancement de cette réforme, elle est non moins nécessaire au succès de sa concrétisation. Or, malgré des efforts importants, cet enjeu semble encore aujourd hui insuffisamment pris en compte. Pour que les nouvelles règles puissent fonctionner de manière harmonieuse au niveau mondial, deux conditions doivent être remplies : une harmonisation suffisante du contenu des règles et des mécanismes de coordination internationale efficaces de l application des règles domestiques 4. I L harmonisation du contenu des règles : une condition nécessaire mais pas suffisante 1 1 Des efforts importants d harmonisation du contenu des règles ont été menés L harmonisation du contenu des règles 5 est une condition essentielle d une application internationale efficace des réformes décidées au niveau domestique. En effet, l adoption par une juridiction de règles dont le contenu n assurerait pas un niveau de protection équivalent à celles adoptées par les autres juridictions créerait automatiquement des opportunités pour les acteurs financiers d arbitrer en faveur des règles de cette juridiction et d organiser leur activité de manière à en bénéficier. En réaction, les autres juridictions seraient amenées à aligner leur réglementation à la baisse, ce phénomène conduisant in fine à baisser le niveau général de protection offert par la réglementation. Conscients de ces risques d arbitrage réglementaire, les autorités du G20 ont rapidement mis en place des structures destinées à harmoniser les principes de mise en œuvre de chacun des éléments essentiels de la réforme des marchés de dérivés de gré à gré. Il s agit en particulier de l obligation de compensation par contrepartie centrale (CCP), obligation de déclaration à un référentiel central et obligation de négociation et obligations de collatéralisation des contrats ne faisant pas l objet d une compensation. Ainsi, dès avril 2010, le Conseil de stabilité financière (CSF) a mis en place l OTC Derivatives Working Group (ODWG) qui a joué un rôle moteur dans la transposition au niveau domestique des objectifs du G20. Son premier rapport publié en octobre 2010 établissait vingt et une recommandations traitant des questions pratiques auxquelles pouvaient faire face les autorités dans la mise en œuvre des engagements G20. Le groupe a par la suite étendu ses travaux au suivi des 1 Cf. données de la Banque des règlements internationaux publiées en novembre 2012 2 Cf. l ouvrage de Gillian Tett (2009), Fools Gold, pour une description de ces tentatives de réforme aux États Unis notamment 3 Le règlement européen n 648/2012 est entrée en vigueur le 16 août 2012. La Commission a adopté l essentiel des standards techniques le 19 décembre 2012. 4 Pour éviter toute confusion liée à la signification particulière de l expression «règles nationales» dans le contexte de l Union européenne, nous utiliserons dans cet article le terme «règles domestiques» pour désigner les règles applicables à l ensemble de l Union européenne ou à l intérieur d un pays tiers. 5 Le terme «harmonisation» n implique pas ici un alignement complet des règles mais un degré de convergence suffisant permettant d assurer la cohérence du contenu des règles. 48 Banque de France Revue de la stabilité financière N 17 Avril 2013

progrès effectués par chaque juridiction en publiant des rapports d évaluation semestriels. L ODWG a, par ailleurs, chargé plusieurs autres groupes de travail d approfondir les principes de mise en œuvre de certains points spécifiques de la réforme. Dans ce cadre, l OTC Derivatives Regulators Forum (ODRF) qui regroupe trente huit autorités en charge de la supervision des marchés de dérivés négociés de gré à gré, a ainsi travaillé à l harmonisation de la supervision des CCP et des référentiels centraux, ainsi que des données que ces derniers collectent. L Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a mis en place une task force sur la règlementation des dérivés OTC. Parallèlement, le Comité sur les paiements et les règlements de la Banque des règlements internationaux et l OICV ont procédé à une revue systématique des standards de gestion des risques applicables aux infrastructures de marchés. La concentration accrue des risques sur les CCP résultant de l obligation de compensation imposait de renforcer les principes de gestion des risques applicables à ces infrastructures. Enfin, suite au G20 de Cannes en novembre 2011, le Comité de Bâle et l OICV ont établi un groupe de travail conjoint sur l harmonisation des pratiques d appels de marges sur les contrats ne faisant pas l objet d une compensation par contrepartie centrale. Il est très salutaire que ces travaux d harmonisation préalable soient devenus un réflexe naturel en matière de réglementation financière. Il n est toutefois pas inutile de pointer une spécificité du processus engagé pour les dérivés de gré à gré. Contrairement à la démarche suivie par exemple en matière de réglementation prudentielle des banques (Bâle II, Bâle III), la définition des règles internationales en matière de dérivés de gré à gré s est faite de manière parallèle à la définition des règles domestiques et non de manière séquentielle comme pour les banques. Ce choix résulte de la contrainte exercée par l échéance de fin 2012 fixée par le G20. Cette dernière a eu le mérite de mettre rapidement les autorités publiques en ordre de marche pour être au rendez vous du G20 et d assurer une mobilisation de l ensemble des parties prenantes à cette réforme qui n aurait sans doute pas été possible autrement. Mais elle a eu pour prix une complexité accrue des travaux d harmonisation et de mise en œuvre. Au delà de ces structures formelles, il convient de mentionner le rôle important joué par les nombreux contacts bilatéraux informels établis entre les autorités en charge de la réglementation financière. La Commission européenne entretient, ainsi, des contacts très étroits avec les autorités compétentes des principaux pays engagés dans la réforme des marchés de dérivés de gré à gré qui ont permis une compréhension mutuelle approfondie de nos approches respectives. Ces contacts ont été récemment formalisés dans le cadre de l OTC Derivatives Regulators Group (ODRG). 1 2 L harmonisation sans la coordination est source d inefficacité Si l harmonisation du contenu des règles est une condition nécessaire pour limiter les risques d arbitrage réglementaire, elle n est pas suffisante pour assurer une mise en œuvre internationale efficace de la réforme des dérivés de gré à gré. L importance des transactions transfrontalières sur les marchés dérivés de gré à gré accroît la probabilité qu une transaction soit assujettie à la mise en œuvre simultanée de différentes règles domestiques. Chacune des contreparties à la transaction étant soumise à la législation de l État où elle est établie, leur transaction se voit donc assujettie à au moins deux législations. Cette situation est particulièrement problématique lorsque les deux législations imposent des obligations incompatibles entre elles. Si les contreparties ne sont pas en mesure de se conformer simultanément aux deux corps de règles, la seule alternative à leur disposition sera de renoncer à conclure la transaction ce qui est économiquement sous optimal. Une illustration de cette situation de conflit entre des règles est fournie par le cas d une classe de produits dérivés donnée soumise à l obligation de compensation dans une juridiction mais pas dans une autre. Lors de transactions entre des contreparties établies dans chacune de ces juridictions, l une serait donc soumise à l obligation de compenser alors que l autre devrait appliquer le régime applicable aux transactions non compensées, c est à dire échanger des marges bilatérales. Le coût prohibitif engendré par cette situation conduirait vraisemblablement les contreparties à renoncer à l idée même de Banque de France Revue de la stabilité financière N 17 Avril 2013 49

conclure des transactions ensemble. Il pourrait même leur être juridiquement impossible de conclure ces transactions si la contrepartie non soumise à l obligation de compensation n est pas autorisée par le droit applicable dans son pays d origine à utiliser la CCP utilisée par sa contrepartie. Sans rendre impossible la conclusion de la transaction, des incohérences entre les législations peuvent sérieusement en complexifier sa réalisation et accroître son coût. La définition des types d actifs éligibles pouvant être remis en collatéral dans le cadre des transactions non compensées en est un bon exemple. En cas de convergence partielle des listes d actifs définies par les deux réglementations domestiques, les contreparties établies dans ces deux juridictions verraient se réduire la gamme du collatéral utilisable entre elles. Elles pourraient, en conséquence, être conduites à privilégier des transactions avec des contreparties domestiques soumises aux mêmes règles. Au delà de cette distorsion, ceci implique pour les contreparties une gestion différenciée de leur stock de collatéral, source de complexité et d inefficience. Une troisième catégorie de difficultés, non moins problématique, est constituée par le risque que certaines transactions échappent à toute forme de réglementation en n étant couvertes par aucune réglementation domestique. Il ne fait aucun doute que les acteurs financiers exercent d ores et déjà leur créativité naturelle pour exploiter ces failles éventuelles. Pour maîtriser ces situations de risque maximal d arbitrage réglementaire, les régulateurs doivent être dotés d outils permettant de contrecarrer cette évasion réglementaire 6. Ces difficultés ne peuvent être résolues par la seule harmonisation internationale du contenu des règles. Si l harmonisation peut limiter l ampleur du problème, elle n apporte pas de solution lorsqu il se matérialise. Pour ce faire, un mécanisme de coordination internationale efficace de l application des réglementations domestiques est nécessaire permettant d assurer qu aucune transaction reste non régulée et que chaque transaction n est soumise qu à un seul droit. 2 L urgence d une coordination internationale efficace dans la mise en œuvre des nouvelles règles 2 1 Éléments essentiels d un mécanisme de coordination efficace La première étape d une coordination efficace est de procéder à une délimitation claire du champ d application de chaque législation. Ceci est nécessaire pour identifier les éventuels gaps entre les législations domestiques, ainsi que les éventuels chevauchements. La définition d un champ d application territorial extrêmement large de façon à garantir une compétence directe du régulateur sur toute transaction susceptible d affecter sa juridiction n est pas une solution. C est l approche envisagée par exemple par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) dans l International Guidance publiée en juillet 2012 7. En imposant l enregistrement comme swap dealer ou major swap participant des entités établies aux États Unis ainsi que des entités établies dans des pays tiers, la CFTC vise à limiter drastiquement les risques de gaps. Mais ce faisant, une telle approche a également pour effet d exacerber les risques de chevauchement liés à l application simultanée de plusieurs législations domestiques. C est pourquoi un champ d application territoriale limité est préférable. C est en outre le seul compatible avec les principes généraux du droit international, tels que le principe de comity 8. Le second élément essentiel de ce mécanisme est la possibilité de déférer à l application des législations étrangères lorsqu elles délivrent des résultats équivalents à la législation du pays d origine. Cette approche permet de traiter les situations de chevauchement. Lorsque deux législations s appliquent à une même situation, les contreparties ont la possibilité d appliquer la législation de leur choix à condition que celle ci soit équivalente. Cette condition d équivalence est 6 Voir par exemple l article 4(4) d EMIR qui prévoit l adoption d un standard technique réglementaire sur les contrats devant être soumis à l obligation pour prévenir un contournement de cette obligation. 7 Cross border application of certain swaps provisions of the Commodity Exchange Act, 77 FR 41214, 12 juillet 2012 8 Il s agit d un principe de droit international fondant l obligation des organes d un État de respecter la compétence territoriale et les lois des autres États, de manière à parvenir à une meilleure coordination internationale. 50 Banque de France Revue de la stabilité financière N 17 Avril 2013

déterminante pour prévenir les risques d arbitrage réglementaire. À défaut, les contreparties seraient tentées d appliquer systématiquement les conditions les plus flexibles ce qui conduirait à un nivellement par le bas inacceptable de la régulation. Le troisième élément, non moins important, est la coopération entre les autorités de supervision dans la mise en œuvre de cette approche. Déférer à l application de la loi étrangère ne signifie pas que les superviseurs renoncent à leur droit de regard sur les transactions concernées par cette approche. Il est déterminant que les autorités de supervision puissent être informées à tout moment de la bonne régulation de ces transactions par le droit étranger sous la supervision de l autorité du pays tiers. La mise en œuvre pratique de cette coopération repose sur la conclusion d accords entre les superviseurs leur garantissant un accès permanent à l information, y compris en cas de crise. Il convient également de souligner que le pays qui défère à l application de la loi d un autre pays conserve un levier essentiel dans la possibilité de retirer à tout moment sa décision reconnaissant l équivalence de la législation du pays tiers, s il juge que les conditions prévalant au moment de son adoption ne sont plus réunies. Cette approche reposant sur les trois éléments qui viennent d être indiqués a été déclinée à de nombreuses reprises dans la législation de l Union européenne. EMIR en fournit plusieurs illustrations notamment en matière de reconnaissance des CCP ou des référentiels centraux établis dans les pays tiers, ainsi que pour le traitement des exigences «duplicatives» (article 13). Cette dernière disposition fournit un outil de résolution des cas de chevauchement et de conflits expliqués ci dessus, en offrant la possibilité aux contreparties établies dans l Union européenne lorsqu elles traitent avec une contrepartie étrangère de déférer à l application de la loi étrangère équivalente. Les co législateurs ont toutefois conditionné la mise en œuvre de cette disposition à l existence d une application non distorsive de la loi étrangère. Cette condition pourrait être difficile à remplir dans l hypothèse où la loi étrangère prévoit un champ d application territorial extrêmement large. Certains de ces éléments se retrouvent également dans l International Guidance proposée par la CFTC. Le concept de conformité de substitution présente certaines analogies 9. Il permet dans certains cas à une entité non américaine de se conformer aux obligations prévues par la loi américaine en appliquant la législation de son pays d origine si celle ci est considérée «comparable» à la législation américaine. Il serait toutefois de portée plus limitée que l article 13 d EMIR s il ne devait s appliquer qu à des transactions entre des contreparties établies en dehors des États Unis et non à des transactions entre une contrepartie établie aux États Unis et une contrepartie étrangère. 2 2 La réalisation de ces principes est elle à portée de main? Les principes qui viennent d être développés sont essentiels au succès de la mise en œuvre de la réforme des marchés de dérivés de gré à gré. Ils permettront un fonctionnement sûr et efficace des dispositifs de régulation que nous avons adoptés dans nos juridictions respectives. Leur application ne peut cependant se concevoir que dans un cadre concerté assurant que chaque juridiction les adopte. Il ne serait en effet pas acceptable qu une juridiction défère à l application de la loi étrangère sans que les juridictions concernées ne fassent de même. Cela reviendrait à faire peser le poids de la résolution des conflits exclusivement sur cette juridiction, qui serait en conséquence amenée à systématiquement retirer sa loi. La mise en œuvre de ces principes passe donc nécessairement par un accord de l ensemble des juridictions concernées par la réforme des dérivés de gré à gré. Un tel accord doit intervenir avant que les nouvelles règles applicables à ces produits n entrent définitivement en vigueur pour éviter que les marchés de dérivés de gré à gré ne subissent des dysfonctionnements significatifs. Les régulateurs internationaux travaillent activement à la résolution de ces questions. Certains progrès encourageants commencent à poindre. La récente décision d exemption temporaire publiée le 21 décembre dernier par la CFTC qui envisage 9 Voir l article de Tafara (E.) et Peterson (R. J.) (2007) : A blueprint for cross border access to US investors: a new international framework, Harvard International Law Review, qui a partiellement inspiré l approche américaine Banque de France Revue de la stabilité financière N 17 Avril 2013 51

une définition plus limitée du champ d application territorial des règles applicables aux swap dealers est un signe positif. Rien ne garantit toutefois à ce stade que la CFTC adopte cette approche dans ses règles définitives. On ne peut qu encourager nos collègues américains à poursuivre dans cette voie. Par ailleurs, l OTC Derivatives Regulators Group 10 s est accordé en novembre dernier sur un plan de travail pour résoudre ces problèmes. Il est très positif que le sujet de la coordination internationale soit bien identifié au niveau international et soit désormais pris en charge par un groupe spécialisé. Mais force est de constater que l essai doit encore être transformé! En conclusion, je voudrais souligner que la mise en œuvre des objectifs du G20 est une étape décisive pour la sauvegarde de la stabilité financière mondiale. La décision à l origine de cette réforme n a été possible que grâce à l action coordonnée des chefs d État et de gouvernement. Nous ne devons pas perdre cet état d esprit originel. La coordination internationale demeure une condition sine qua non de la réussite des efforts importants collectivement entrepris ces dernières années. Nous devons désormais nous accorder sur des principes communs aptes à assurer une interaction fluide et efficace de nos réglementations. 10 Ce groupe réunit les régulateurs de marchés des États Unis, du Japon, d Australie, du canada, du Brésil, de Suisse, de Hong Kong, de Singapour et de l Union européenne (AEMF et Commission européenne). 52 Banque de France Revue de la stabilité financière N 17 Avril 2013