Veille citoyenne sur les multinationales AVANT-PROJET Introduction Les grandes entreprises sont devenues des acteurs clés de la vie politique, économique et sociale. Leur impact en matière d environnement est devenu prépondérant. Elles influent sur les politiques publiques, tant au niveau local, régional que mondial. Elles déterminent souvent le mode de développement d un territoire. Et paradoxalement, les grandes entreprises ne sont évaluées que sur leur rentabilité financière. Nous l avons vu avec la crise financière, les catastrophes écologiques ou la crise alimentaire : les États peinent à contrôler et réguler les activités de ces grands groupes, quand ils ne s y refusent pas carrément au nom de la croissance et de la création d emplois. En dehors des États et des élus, peu de contre-pouvoirs existent. En interne, les syndicats, souvent faibles quand ils ne sont pas interdits, ne sont pas encore arrivés à s adapter aux modes d organisation de plus en plus complexes de ces groupes (société mère, filiale, sous-traitant, fournisseur ). À l extérieur, si des organisations écologistes, de lutte contre la corruption, ou de défense des droits du travail assurent un travail de veille et d alerte sur certains secteurs, leurs actions restent bien souvent cloisonnées et limitées. L «Observatoire des multinationales» vise à devenir un espace transversal pour rendre visible ces différents types d informations et, via la constitution d un réseau de veille et d un pôle d investigation sur les pratiques sociales et environnementales des grandes entreprises, à produire du contenu sur ces sujets. Un tel espace d informations et de ressources sur les pratiques environnementales et sociales, ainsi que sur les stratégies de gouvernance des grandes entreprises transnationales, n existe pas en langue française. L enjeu de l information L information apparaît comme un enjeu majeur pour la régulation des activités des entreprises transnationales. L information est en effet indispensable pour que les citoyens et leurs élus prennent des décisions éclairées, pour que les contre-pouvoirs internes et externes de l entreprise puissent faire valoir efficacement leurs revendications, pour que les entreprises soient mises face à leurs responsabilités légales et assument les conséquences de leurs pratiques. Or, en matière d agissements des entreprises transnationales, l information est souvent absente, incomplète, biaisée ou trompeuse, pour plusieurs raisons. Tout d abord, les entreprises ont tout intérêt à ce que les informations relatives à certaines pratiques douteuses ne soient pas rendues publiques et se montrent donc peu coopératives. Même lorsque certains journalistes ou acteurs sociaux ont connaissance d un manquement possible, ils sont souvent dépourvus des moyens matériels, ou de la compétence technique, pour aller plus loin. Dans certains cas (OGM, etc.), les entreprises tentent d organiser délibérément le secret et la désinformation. Plus profondément, les entreprises transnationales se sont constituées en dehors des cadres politiques, juridiques et administratifs traditionnels. Leurs activités et leur fonctionnement
interne restent en dehors de l espace public, malgré leur considérable influence pratique, et ne sont pas soumis au regard de l opinion de la même manière que la vie politique «officielle». Celle-ci apparaît dès lors de plus en plus dépourvue de substance, non pas que les élus soient déconnectés des réalités économiques, au contraire, mais parce que les relations de connivence entre élites politiques et économiques se déroulent dans des cadres moins transparents et démocratiques. Le journalisme traditionnel, précisément parce qu il est focalisé sur la vie politique «publique», apparaît bien démuni pour rendre compte de la nouvelle réalité des transnationales. Enfin, le phénomène du «greenwashing» met en lumière la tendance des grandes entreprises à jouer des faux-semblants et à entretenir, y compris dans les grands médias, la confusion entre marketing et information. Elles parviennent ainsi à occuper le terrain même de leurs «opposants». La création d outils tels que l Observatoire des multinationales est un moyen de corriger l asymétrie de pouvoirs entre les grands groupes et tous ceux qui veulent orienter leurs pratiques vers davantage de démocratie, de justice et de durabilité. Philosophie et objectifs Dans la lignée des différentes «veilles citoyennes d information» qui ont vu le jour ces dernières années, l Observatoire a vocation à fournir une information indépendante, engagée en faveur de certaines valeurs - de démocratie, de justice sociale et de respect de l environnement - et utile à l action des citoyens, des élus, des acteurs économiques, de la société civile. Il n a pas pour objectif de diaboliser les grandes entreprises, mais de mettre en lumière les aspects négatifs comme positifs de leurs activités, en donnant à comprendre les conditions et les facteurs qui les expliquent. Ce site a pour objectif de regrouper et mutualiser les informations existantes nombreuses mais dispersées ou cloisonnées sur l impact des activités, et des stratégies, des grandes entreprises tant en matière sociale qu environnementale. Il vise par exemple à mettre en lien des informations syndicales avec des rapports d associations environnementales, à permettre l expression de «lanceurs d alerte» Plusieurs sites existent déjà qui portent sur divers aspects l activité des entreprises transnationales. Les sites généralistes sont relativement rares. On peut citer en anglais les sites de SOMO, basé aux Pays-Bas, ou de CorpWatch, basé aux États-Unis (notamment son site http://www.crocodyl.org/ qui constitue un véritable wikipedia des transnationales en anglais), et enfin le site http://www.business-humanrights.org (avec certains contenus en français) basé au Royaume-Uni. En français, le site Novethic ne peut être considéré comme une source véritablement indépendante, le CFIE (Centre français d information sur les entreprises) ne propose pas une large gamme de contenus destinés à un public externe au milieu et ses informations sont souvent basées sur les rapports «développement durable» publiés par les entreprises sans capacité de les vérifier ou de produire une «contre-enquête», le Gresea se concentre sur la Belgique L Observatoire a vocation à développer des partenariats et échanger des informations avec la plupart de ces sites, avec les traductions nécessaires. Par ailleurs, l Observatoire travaillera avec des journalistes pour produire des enquêtes et des articles originaux, dans la lignée du travail déjà effectué dans le cadre du site Basta! De
nombreux articles y ont déjà été publiés en lien étroit avec la publication de rapports ou certaines campagnes initiatives associatives ou syndicales (Amis de la terre, Éthique sur l étiquette, etc.). Ce faisant, l Observatoire jouera également un rôle de relais et de facilitateur vis-à-vis des médias et, directement ou indirectement, du grand public. On constate en effet que les «grands» journaux, en particulier en France, publient de moins en moins d articles et d enquêtes originaux, mais se contentent de reprendre diverses sources (agences, presse étrangère, communiqués et RP, internet). L expérience du site Basta! montre qu une information initiée par un site d audience «intermédiaire» entre le niveau du grand public et les sites associatifs trouve ensuite souvent son chemin dans les médias «mainstream». Dans d autres cas, les informations circulent et exercent une influence sans même avoir besoin d être relayées par les grands médias. L Observatoire rassemblera donc en un même lieu une information complète, fiable, accessible structurée et actualisée sur les entreprises transnationales, et a pour objectif de devenir un véritable outil de référence. En dernière instance, il a pour but de faciliter l accès à l information sur les pratiques sociales et environnementales pour l ensemble des citoyens ainsi que pour les décideurs politiques et économiques qui le souhaitent. Un outil d information pour différents publics Pour les associations, syndicats et autres contre-pouvoirs : par la visibilité du contenu publié et par la mutualisation de sources, le projet peut aider les acteurs syndicaux, les organisations écologistes ou de solidarité internationale à connaître davantage les multiples facettes d une multinationale, à élaborer des solutions pour répondre aux problèmes que certaines pratiques ou stratégies peuvent poser, et à mieux agir pour les résorber. L Observatoire constitue aussi un moyen pour elles de se faire connaître et de sortir de l isolement où certains de ces contrepouvoirs se trouvent. Pour les élus et agents publics, les acteurs économiques (solidaires, mais aussi au sein des grandes entreprises elles-mêmes), les investisseurs «éthiques» en quête d analyse «extrafinancière» (critères sociaux et environnementaux) : l Observatoire leur fournit une information importante pour certaines prises de décisions et établira des fiches synthétiques sur le comportement des grands groupes. Pour les journalistes : l Observatoire doit constituer une source de référence, qu ils pourront reprendre, opposer aux informations fournies par les entreprises concernées, ou utiliser comme base pour leurs propres informations. Pour les citoyens : au même titre que s il s agissait des conséquences d une législation ou des pratiques d un État en matière de respect ou non - des droits humains, les citoyens doivent avoir accès à une information la plus complète possible sur les pratiques des multinationales en matière sociale et environnementale et leurs conséquences. Axes de travail
Un pôle «enquêtes et actualités» (production d informations originales) - La production d enquêtes ou de reportages destinés à être diffusés et/ou à servir de source ou d'incitation pour des journalistes de médias à plus grande diffusion, et la réalisation de dossiers en lien avec l'actualité. - Une fonction d «incubateur d'articles et de reportages» : espace de publication d'informations sur les entreprises transnationales en lien avec des personnesressources d origine syndicale, associative, veilles citoyennes d information, ou des chercheurs. Un pôle «veille et mutualisation» (mise en valeur d informations issues d autres sources) - Une fonction de veille : rassembler en un même lieu et relayer les matériaux existants sur les sites ou dans les publications d'ong, de syndicats, de veilles citoyennes d information, de médias, de think tanks - les commenter ou les traduire le cas échéant. - Réalisation de dossiers d actualités sur un thème donné avec les différents contenus (originaux ou non) du site. Un pôle «centre de ressources» - Organiser l'information avec différents points d'entrée, pour permettre un suivi, un croisement des différents types d infos et une mise en contexte. - Animer et mettre à jour ce qui s apparente à une sorte de «wikipedia» des multinationales françaises (pour commencer) sur le modèle du site Crocodyl. Un pôle «appui et évaluation» - Une fonction d'appui aux ONG ou aux structures syndicales dans la rédaction de rapports et autres documents à destination du grand public. - Une fonction d évaluation des pratiques sociales et environnementales auprès de décideurs sensibles aux questions d éthique et de responsabilité sociale : ce centre de ressources pourra servir notamment aux acteurs économiques (collectivités, investisseurs socialement responsables ) en quête d informations sur un secteur ou une entreprise. L organisation de l information sur internet Ce projet d Observatoire se traduira concrètement par un site internet spécifique, reposant sur une double fonction : - une fonction de portail d actualité et d information, mettant en avant les dossiers d actualité (rassemblant les différents contenus autour d un même thème, par exemple le stress au travail, le greenwashing, telle ou telle filière ), la veille (c est-à-dire les informations émanant des partenaires ou d autres sources), les dernières publications. - une fonction de centre de ressources et de référence, mettant en avant le caractère structuré, complet et actualisé de l information. En ce qui concerne le centre de ressources, pour accéder à l information mutualisée, trois grandes entrées sont privilégiées : Par secteurs :
Agroalimentaire, Armement, Automobile, BTP, énergie, grande distribution, finances, métallurgie, mines, télécoms, textile, transport... Par nom de multinationale : Champ initial : les grands groupes français, c est-à-dire, avant tout, ceux du CAC 40 (plus leurs filiales et fournisseurs), puis progressivement étendu aux grands groupes mondiaux, et aux entreprises du SBF 120. Par thématiques : - Conditions de travail. Niveaux de salaires, temps de travail, pénibilités (troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux, exposition des employés à des produits toxiques ) - Droits. Droits syndicaux, violations des droits humains, respect des législations sur le travail - Impact environnemental. Épuisement des ressources naturelles, empreinte carbone, pollutions, gestion des déchets, greenwashing, risques technologiques et sanitaires et respect du principe de précaution - Finances et gouvernance. Lobbying, corruption, paradis fiscaux, rémunérations des dirigeants, répartition de la valeur ajoutée, ratios financiers, partenariat public-privé, efforts de transparence Mise en place et perspectives de développement Le projet sera porté par l association Alter-médias, éditrice du magazine en ligne Basta!, partenaire de Ritimo et de la Coredem depuis sa création. Dans le cadre de ce partenariat, Alter-médias a notamment produit des dossiers dph sur la question des filières et des nouvelles technologies, et a participé au «mercredi de la Coredem» multinationales. Plus généralement, comme indiqué, le thème de la responsabilité des entreprises transnationales, notamment françaises, est l un des axes de travail les plus significatifs des journalistes de Basta! La première phase de développement sera d une part de mettre en place le cadre général du site et d autre part de rassembler les informations, textes et autres matériaux déjà élaborés dans le cadre d Alter-médias, ainsi que tout ce qui existe sur le site dph et plus largement dans les sites de la Coredem. Parallèlement le travail devra commencer sur les premiers grands dossiers d actualité (Rio+20, etc.). Un comité scientifique/de soutien/de supervision sera mis en place avec des chercheurs, militants, syndicalistes, etc. L étape suivante sera de développer le pôle investigation (au-delà de ce qui est déjà fait par les journalistes du projet Basta!), notamment en ce qui concerne les grands groupes français, et de renforcer les partenariats et, plus généralement, d assurer la veille et la vie du centre de ressources. Enfin, l une des ambitions à moyen terme de l Observatoire des multinationales est de publier un rapport annuel sur les pratiques sociales et environnementales des multinationales, classé
par secteurs et grands groupes, sur le modèle des rapports dressant l état des lieux des droits de l Homme qui sont classés par Etat (rapport Amnesty International). En termes de modèle économique, outre le financement à travers subventions et donations de lecteurs, il semble possible d envisager différentes manières d autofinancer partiellement le projet (formules d abonnement spécifiques pour organisations, dossier de synthèse payant à destination des investisseurs éthiques.).