INTRODUCTION. Dunod La photocopie non autorisée est un délit.



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INTRODUCTION Dunod La photocopie non autorisée est un délit. Le présent chapitre traite d un modèle de l évaluation cognitive dans la genèse de l émotion ou appraisal theory of emotion. L épisode émotionnel, dans le cadre de ce modèle, est conceptualisé comme un ensemble de sousprocessus d évaluations cognitives ayant un impact sur les différentes composantes de l émotion. Ces évaluations cognitives sont vues comme un processus séquentiel impliqué dans la différenciation des émotions ; par ailleurs, cette théorie de l évaluation cognitive est partie intégrante du modèle des processus composants décrit par Scherer (2001). Cette théorie a pour but de proposer un cadre conceptuel permettant d expliquer la différenciation des états émotionnels comme une résultante d une séquence évaluative d un stimulus ou d un événement donné et permet de proposer des prédictions concernant des patrons ou pattern d activations dans différents sous-systèmes de l organisme. Des versions préliminaires de ce modèle ont été présentées dans des chapitres et des articles scientifiques empiriques (Grandjean, Sander, Scherer, 2008 ; Sander, Grandjean, Scherer, 2005 ; Scherer, 1982, 1984d, 1988, 1992, 1993, 1997a, 1999a, 1999b, 2000, 2001). Durant le développement de la théorie, des détails concernant les prédictions et des aspects liés à la terminologie ont évolué. Dans ce chapitre, une description systématique de l ensemble des éléments de la théorie est présentée et discutée, une deuxième partie s intéresse plus spécifiquement à la notion du traitement séquentiel du processus d évaluation cognitif proposé par Scherer dès 1984.

44 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS 1 LE MODÈLE DES PROCESSUS COMPOSANTS Suivant des suggestions similaires dans la littérature, Scherer décrit l émotion comme un système ayant évolué, et donc un mécanisme phylogénétiquement continu permettant une adaptation de plus en plus flexible aux contingences environnementales par découplage progressif, dans l évolution des espèces, entre le stimulus et la réponse, permettant ainsi une réponse optimale et finement différenciée en fonction d un grand nombre de paramètres internes à l organisme et/ou environnementaux (Scherer, 1984d). Comme pour d autres fonctionnements organiques, les émotions interagissent avec des réponses plus anciennes sur le plan phylogénétique telles que des réflexes ou des «patterns innés d action» ou fixed action patterns. L émotion est ici considérée comme un construit théorique consistant en cinq composantes correspondantes à cinq fonctions distinctes (voir tableau 2.1 pour une liste de ces fonctions, les systèmes les desservants et les composants émotionnels respectifs). L analyse théorique présentée ici conceptualise donc l émotion comme un processus continu d évaluation ou «appraisal» et suggère que les sous-systèmes organiques fonctionnellement définis, les composantes de l émotion, sont inter-reliés de manière dynamique et récursive. Ainsi, un changement dans une des composantes peut conduire directement à un changement dans les autres composantes (figure 2.1 ci-contre). Tableau 2.1 Fonctions Évaluations d événements et de stimulus Système de régulation Préparation et direction de l action Communication des réactions et des intentions comportementales Contrôle et interactions états internes-environnement Composantes Composante cognitive Composante périphérique efférente Composante motivationnelle Composante expressive motrice Composante du sentiment subjectif Sous-systèmes organiques (substrat majeur) Traitement de l information (SNC) Support (SNC, SNE, SNA) Exécutif (SNC) Action (SNS) Moniteur (SNC) SNC : système nerveux central ; SNE : système neuro-endocrinien ; SNA : système nerveux autonome ; SNS : système nerveux somatique. Les sous-systèmes organiques sont théoriquement des unités ou des réseaux fonctionnels.

ÉVALUATION COGNITIVE ET DYNAMIQUE DES PROCESSUS ÉMOTIONNELS 45 Dans le cadre de ce modèle des processus composants, l émotion est définie comme un épisode de changements corrélés et synchronisés de l état de tous ou de la plupart des cinq sous-systèmes de l organisme en réponse à l évaluation d un stimulus ou d un événement interne ou externe évalué comme pertinent pour les préoccupations majeures de l organisme. En d autres termes, il est suggéré de réserver le terme «émotion» uniquement à cette période durant laquelle plusieurs sous-systèmes de l organisme sont couplés ou synchronisés afin de produire une réaction adaptée à un événement considéré comme essentiel pour le bien-être de l individu. Les caractéristiques majeures de cette définition ont été discutées de manière plus détaillée dans d autres contributions (Grandjean et al., 2008 ; Sander et al., 2005 ; Scherer, 1993) et dans une tentative d utiliser les concepts de dynamique non linéaire pour définir l émotion (Scherer, 2000). Dunod La photocopie non autorisée est un délit. La dynamique temporelle du processus d appraisal situé dans la partie haute de ce graphique est illustrée par la succession des critères d évaluations. Ces critères d évaluations cognitives (sous-composante cognitive) influencent les autres sous-composantes de l organisme que sont la physiologie périphérique, les tendances à l action, l expression motrice et le sentiment subjectif. Ces composantes peuvent également, en rétroaction, influencer le processus d évaluation cognitif lui-même. Figure 2.1 Modèle des composantes de Scherer et de ses interactions avec d autres systèmes fonctionnels tels que l attention, la mémoire, la motivation, le raisonnement et le soi (adapté de Scherer, 2005).

46 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS 2 THÉORIE DES CRITÈRES SÉQUENTIELS DANS LA DIFFÉRENCIATION DES ÉMOTIONS Presque toutes les théories de l émotion présument, au moins implicitement, que les caractéristiques spécifiques de l émotion vécue dépendent du résultat d une évaluation de l événement en termes de signification pour la survie et le bien-être de l organisme. La nature de cette évaluation a été rarement spécifiée, quand bien même quelques philosophes ont montré le chemin en identifiant quelques dimensions majeures inhérentes à l évaluation de la signification d événements (Gardiner, Clark-Metclaf, Beebe-Center, 1937). Arnold (1960) et Lazarus (1966) ont été les premiers théoriciens de l émotion à avoir tenté une description plus explicite du processus d évaluation (pour une revue historique et plus générale du processus d appraisal, voir Roseman, Smith, 2001 ; Schorr, 2001). Basé sur ces premières approches et sur l observation que les dimensions de valence, d activation et de puissance de la signification émotionnelle semblent être liées aux critères d évaluation des événements-stimulus (valence = opportunité aux buts/besoins, activation = urgence, et puissance = potentiel de maîtrise), Scherer a proposé un ensemble de critères sous-jacents (appelé stimulus evaluation checks, «SECs» ou critères d évaluation de stimulus, CES) prédisant l évaluation de la signification d un événement-stimulus pour un organisme (Scherer, 1984a, 1984d, 2001). Tandis que le nombre et la définition de ces CES ont évolué avec le développement de la théorie, le principe sous-jacent de la construction de cette théorie est resté constant. Les CES ont été choisis afin de représenter un ensemble minimal de dimensions ou critères considérés comme nécessaires pour rendre compte de la différenciation des familles majeures des états émotionnels (voir Scherer, 1997a pour plus de détails concernant la justification du choix des critères et la comparaison avec d autres approches). Alors que le terme «critère» pourrait sous-entendre des évaluations de type binaires «oui/non» ou «absent/présent», Scherer propose que les opérations et résultats de ces évaluations sont aussi différenciés et complexes que les capacités de traitement de l information respectifs à l organisme considéré. Dans de nombreux cas, cela consiste en une évaluation continue ou graduée sur un critère scalaire et/ou une évaluation multidimensionnelle. Il est suggéré que le type et l intensité d une émotion provoquée par un événement ou stimulus donné dépend du profil résultant du processus d évaluation basé sur les CES.

ÉVALUATION COGNITIVE ET DYNAMIQUE DES PROCESSUS ÉMOTIONNELS 47 3 LA NATURE DES CRITÈRES D ÉVALUATION DE STIMULUS Les CES postulés dans la plus récente version du modèle sont organisés en quatre objectifs évaluatifs. Ces objectifs sont liés aux types ou classes majeures d information que l organisme doit évaluer afin de préparer une réaction appropriée à un événement ou un stimulus : Dunod La photocopie non autorisée est un délit. 1. l évaluation de pertinence : à quel point cet événement est-il pertinent pour moi? est-ce qu il va m affecter directement ou mon groupe de référence social? 2. l évaluation des implications : quelles sont les implications ou les conséquences de cet événement et à quel point affectera-t-il mon bien-être et mes buts immédiats ou à plus long terme? 3. l évaluation du potentiel de maîtrise : à quel point je vais pouvoir m adapter ou m ajuster à ces conséquences? 4. l évaluation de la signification normative : quelle est la signification de cet événement en ce qui concerne mes standards internes (concept de soi) et les valeurs et normes sociales? Les critères supposés être responsables de la production de ces informations sont décrits en détail, groupés par objectifs évaluatifs ci-dessous. Il est important d insister sur le fait que la résultante de tous les CES décrits cidessus sont toujours subjectifs et dépendent exclusivement de l évaluation individuelle de la perception et des inférences au sujet des caractéristiques de l événement-stimulus. Tandis que lors de circonstances normales et pour une confrontation à la réalité (reality testing) individuelle cette perception subjective partage de nombreuses caractéristiques de l événement avec une réalité objective, ces deux éléments peuvent diverger radicalement dans certains cas (voir Perrez, Reicherts, 1995). De plus, les différences interindividuelles (voir van Reekum, Scherer, 1997), les états motivationnels transitoires et les humeurs (Forgas, 1991), les valeurs culturelles, les pressions des groupes et d autres influences semblables peuvent moduler fortement le processus d évaluation (voir Manstead, Fischer, 2001 ; Mesquita, Ellsworth, 2001 ; Mesquita, Frijda, Scherer, 1997 ; Scherer, 1997a, 1997b). 3.1 Détection de la pertinence Les organismes ont besoin d examiner constamment les stimuli internes et externes afin d évaluer si l apparition d un événement-stimulus (ou l absence d une telle occurrence prévue) requiert un déploiement de l attention, un

48 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS supplément de traitement d informations, une réponse adaptée ou si le statu quo peut être maintenu et l activité en cours poursuivie. Le plus important étant d offrir un barrage constant aux stimulations, permettant à l organisme de décider quels sont les stimuli suffisamment pertinents afin de leur garantir un traitement plus approfondi et donc une réaction adaptée. Critère de nouveauté Au niveau le plus primitif du traitement sensori-moteur, n importe quel stimulus soudain (caractérisé par une abrupte apparition et une intensité relativement élevée) est enregistré comme nouveau et donc méritant l allocation de ressources attentionnelles (en produisant une réponse d orientation ; voir Siddle, Lipp, 1997). Ces phénomènes de capture attentionnelle en relation avec des stimuli émotionnels ont été étudiés très largement pour les différentes modalités sensorielles, visuelle, auditive (Grandjean et al., 2005) et olfactive (Delplanque et al., sous presse). Au-delà de ce niveau le plus bas de détection de la nouveauté, que Scherer appellera détection de la soudaineté (voir aussi Tulving et Kroll, 1995), l évaluation de la nouveauté varie grandement en fonction des espèces, des différences interindividuelles et de contingences des situations, et pourrait également dépendre de l état motivationnel, de l expérience préalable avec le stimulus ou des attentes de l organisme. Un des mécanismes le plus important pourrait être le schéma de correspondance pour déterminer le degré de familiarité avec un objet ou un événement (voir Tulving, Markowitsch, Craik, Habib, Houle, 1996 pour une discussion entre la détection de la soudaineté et de la familiarité). À un haut niveau de traitement, l évaluation de la nouveauté est probablement basée sur une estimation complexe (basée sur l observation de régularités dans le monde) de la probabilité et de la prédictibilité de l apparition d un stimulus. Critère d agrément intrinsèque L évaluation d un stimulus selon que celui-ci va plus probablement induire un plaisir ou de la douleur (dans le sens le plus large) est fondamentale pour de nombreuses réponses émotionnelles et est souvent assimilée au sentiment subjectif avec ses réactions positives ou négatives envers un stimulus. Au contraire, le modèle que nous préconisons ici propose que l évaluation de l agrément intrinsèque est dissociée et précède une évaluation en lien avec le critère de congruence aux buts-besoins courants de l organisme. En particulier, il est suggéré que le côté plaisant ou déplaisant, détecté par le critère d agrément intrinsèque, est lié aux caractéristiques du stimulus même si la préférence peut avoir été acquise et est indépendante de l état momentané de l organisme. Par contre, l évaluation positive d un stimulus permettant d atteindre ses buts ou satisfaire ses besoins courants dépend des relations entre la signification du stimulus et l état motivationnel de l organisme. En fait, la congruence aux

ÉVALUATION COGNITIVE ET DYNAMIQUE DES PROCESSUS ÉMOTIONNELS 49 buts serait orthogonale à l agrément intrinsèque. En effet, quelque chose d intrinsèquement positif, comme le cake au chocolat, peut être très entravant à un but donné, si par exemple quelqu un est forcé de manger trois tablettes de chocolat alors qu il essaie de perdre du poids. Le critère d agrément intrinsèque détermine la réaction ou la réponse fondamentale de l organisme : l attirance ou un penchant pour quelque chose encourageant généralement l approche alors que quelque chose de déplaisant ou d aversif conduit à l évitement ou la fuite (en une forme plus primitive une réponse de défense ; Vila Fernandez, 1989). Critère de pertinence avec les buts et besoins Cette évaluation établit la pertinence ou l importance d un stimulus ou d une situation à un moment donné dans la hiérarchie des buts et des besoins de l organisme. Un stimulus est pertinent pour un individu si le stimulus ou ses effets vont affecter les buts et besoins majeurs de l individu en question. La pertinence est probablement de nature continue et en relation avec le nombre de buts et de besoins affectés et/ou leurs statuts au sein de la hiérarchie des buts et besoins. Par exemple, un événement est plus pertinent s il menace mes propres moyens de subsistance ou même ma survie que s il m empêche l écoute d une pièce de musique. 3.2 Évaluation de l implication Dunod La photocopie non autorisée est un délit. Un objectif essentiel de l évaluation est de déterminer à quel point un stimulus ou une situation est évalué(e) comme facilitateur(trice) ou au contraire est une potentielle entrave pour la survie de l organisme et son adaptation à un environnement donné ou encore s il (elle) permet de favoriser la satisfaction des besoins et l atteinte des buts de l organisme. Tandis que les phénomènes de motivation et les comportements orientés vers les buts sont centraux dans les sciences du comportement, l état actuel de ce champ constitue plutôt une difficulté pour spécifier les fondements motivationnels sous-jacents à l appraisal de manière plus concrète. La terminologie dans ce domaine est même plutôt confuse : il n y a pas de vrai consensus sur les différentes utilisations des termes tels que conduites, besoins, instincts, motifs, buts et d autres encore concernant les motivations. Dans ce qui va suivre ci-dessous nous utiliserons donc le terme de but/besoins de manière générale pour tous les termes liés à des motivations que nous venons d évoquer ci-dessus. Critère d attribution causale Les organismes vont tenter de déterminer la ou les causes à l origine d un événement et plus particulièrement tenter d identifier l agent responsable de

50 TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS l événement ou du stimulus en cours de traitement. Dans les cas pour lesquels l agent identifié est un être animé, l organisme va également chercher à identifier les motivations de celui-ci et donc les aspects d intentionnalité. Les informations pertinentes et utilisées dans les processus d inférences liés à l attribution peuvent être relativement complexes (voir Weiner, 1985 pour une description des facteurs impliqués). Bien évidemment, les évaluations sur l évolution de la situation, particulièrement la probabilité de la ou des conséquences et la capacité de l organisme à s adapter ou à réagir à ces conséquences, vont dépendre de manière importante du résultat de l attribution causale de l agent et de ses intentions perçues. Par exemple, l évaluation que va réaliser un étudiant et les émotions qu il va ressentir suite à l échec d un examen va dépendre de manière importante de ces processus d attributions. Si l étudiant pense que c est suite à une erreur de transcription d un professeur qu il a échoué ou si au contraire il pense que c est une erreur volontaire du professeur pour le punir de son inattention durant ses cours ou encore par manque de travail, les émotions ressenties seront effectivement très différentes. Critère de probabilité des conséquences L élément central des théories de l appraisal est que ce n est pas l événement lui-même qui est déterminant mais bien les conséquences possibles évaluées qui vont déterminer les émotions ressenties (voir aussi Lazarus, 2001 ; Roseman, Smith, 2001). En conséquence, l individu a besoin d évaluer la probabilité des différentes conséquences possibles qui sont attendues. Ceci est particulièrement important dans le cas des «marqueurs d événements» ou signal events, par exemple une menace verbale, pour lesquels à la fois la probabilité d occurrence de l événement signalé et ses conséquences sont incertaines, et donc sujet au doute. Ceci est également vrai pour les événements ayant déjà eu lieu dans le passé et pour lesquels la probabilité des différentes conséquences alternatives doit être évaluée. Par exemple, un étudiant ayant échoué à un examen ne peut évaluer les différentes conséquences de cet événement, comme par exemple la réaction des parents, que d une manière probabiliste. Critère de différence avec les attentes La situation générée par un événement peut être consistante ou dissonante avec les attentes de l individu concernant différentes dimensions, comme le déroulement temporel ou la séquence des occurrences des actions conduisant à un but donné. Par exemple, si le père de l étudiant ayant échoué à son examen lui donne un cadeau après avoir appris son échec, celui-ci sera fortement étonné. Le degré de consistance ou de dissonance avec les attentes peut être déterminé par le nombre de caractéristiques ou d éléments de l événement qui vont correspondre avec les attentes initiales.