dossier thématique Coordinateur : E. Raffoux en onco-hématologie RÉSUMÉ



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Les inhibiteurs des histone déacétylases en onco-hématologie Histone De etylase Inhibitors in onco-hematology T. Prebet*, Y. Collette* RÉSUMÉ Les inhibiteurs des histone déacétylases sont une nouvelle classe thérapeutique prometteuse ciblant la régulation épigénétique du cancer. Les données in vitro indiquent une activité antitumorale importante liée à la réexpression de gènes anti-oncogéniques et aux réactivations de voies apoptotiques et de différenciation. Les études pharmacologiques montrent une synergie avec de nombreux traitements actuellement utilisés en onco-hématologie. Le profil de toxicité est acceptable (toxicité digestive dominante). Enfin, les données cliniques actuelles montrent une activité dans les lymphomes T cutanés, les myélodysplasies et les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM). Plus de 50 essais (monothérapies et associations) sont en cours ; les facteurs prédictifs de réponse ne sont pour l instant pas déterminés. Mots-clés : Épigénétique Histone. Summary. Histone deacetylase (HDAC) inhibitors are new promising therapeutical compounds targeting the epigenetic regulation of cancer. In vitro, studies have demonstrated antitumoral activity linked to the reexpression of antioncogenic proteins and the triggering of apoptotic and differentiation pathways. Pharmacological studies have highlighted the potential synergy of HDAC inhibitors with a number of drugs currently used in onco-hematology. Clinical data show an acceptable toxicity profile (mainly gastrointestinal toxicity) and provide evidence of clinical activity in cutaneous T cell lymphoma, myelodysplastic syndroms and acute myelogenous leukemia. More than 50 clinical trials (using HDAC inhibitors alone or in combination) are ongoing and surrogate markers for response are still pending. Keywords: Epigenetics Histone. * Département d hématologie, institut Paoli-Calmettes, Marseille ; centre de recherche en cancérologie de Marseille, Inserm UMR 891 ; et université de la Méditerranée, Aix-Marseille II. Au cours de la dernière décennie, la mise en évidence de modifications épigénétiques (1, 2) a été l une des avancées majeures dans notre compréhension des mécanismes de la cancérogenèse (encadré). Ces modifications épigénétiques incluent la méthylation de l ADN et les modifications des protéines clés du nucléosome : les histones (figure) et, par extension, les mirna (3). Le processus d acétylation/déacétylation des histones est actuellement l un des mieux caractérisés et il est à l origine d applications cliniques avancées en onco-hématologie par l utilisation d inhibiteurs des histones déacétylases (HDAC). LE CODE HISTONE La conformation de l ADN, et plus particulièrement de la chromatine, est l un des éléments clés de la transcription des gènes. L accessibilité du cadre de lecture aux facteurs de transcription est corrélée à la structure et au positionnement des nucléosomes qui forment les particules élémentaires de la chromatine (figure). Ces nucléosomes sont formés d un octamère d histones composé de quatre paires d histones H2a, H2b, et autour duquel s enroule l ADN grâce à des interactions électrostatiques 172

Les inhibiteurs des histone déacétylases en onco-hématologie Encadré. Épigénétique et cancer. Le terme épigénétique recouvre tous les mécanismes entraînant une modification de l expression de gènes par la cellule sans modification de la structure primaire de la double hélice d ADN (c est-à-dire sans mutation, addition ni délétion de matériel génétique). Pour rentrer dans la définition, ces mécanismes doivent être réversibles mais également pouvoir persister de manière stable au fil de la vie cellulaire et être transmissibles d une cellule mère à ses cellules filles à travers la mitose. Les mécanismes les mieux connus actuellement sont la méthylation de l ADN, les modifications des histones du nucléosome et, par extension, les mirna. L ensemble de ces phénomènes est impliqué en physiologie durant l embryogenèse, dans l inactivation du chromosome X chez la femme (corpuscule de Barr) et durant la différenciation tissulaire (les différenciations monocytaire et érythrocytaire au cours de l hématopoïèse sont de bons exemples). Des aberrations de ces mécanismes ont été mises en évidence aussi bien dans les tumeurs solides (cancer du côlon, de l estomac, etc.) que dans les hémopathies malignes et entraînent notamment une inhibition de la transcription de gènes suppresseurs de tumeurs. Ces marqueurs épigénétiques sont actuellement évalués comme marqueurs diagnostiques et dans le suivi d hémopathies et de tumeurs solides. L utilisation d agents modulant la régulation épigénétique découle directement de notre compréhension actuelle de ces phénomènes. Les agents déméthylants (5-azacytidine et 5-aza-2-déoxycytidine) sont actuellement les thérapeutiques les plus avancées dans les LAM et les myélodysplasies (cf. Correspondances en onco-hématologie, vol. III, n 1, 2008). Leurs résultats sont supérieurs ou équivalents à ceux des chimiothérapies actuellement utilisées dans les différents groupes de patients sur la base des études de phase II et III (Fenaux et al., ASH 2007). Agents modulant l épigénétique HAT/HDAC, DNMT, HMT, polycomb, microrna Met Inhibiteurs des HDAC Agents déméthylants, (inhibiteurs des HMT) Figure. Altération des marques épigénétiques dans la cellule tumorale. Abréviations. HAT : histone acetyl transferase ; DNMT : DNA methyl transferase ; HMT : histone methyl transferase ; : groupement acétyl. Met Met Dérégulation de la machinerie épigénétique dans la cellule tumorale impliquant les queues amino-terminales des histones riches en résidus lysine et arginine. Les modifications post-traductionnelles de ces résidus (méthylation, acétylation, phosphorylation, ubiquitination, etc.) modulent les interactions des protéines histones avec l ADN ainsi qu avec les facteurs spécifiques et généraux de transcription. L'ensemble de ces modifications et de leurs conséquences biologiques est appelé code histone (4). L acétylation des histones est la plus étudiée de ces modifications post-traductionnelles. Elle implique deux types d activités enzymatiques antagonistes : les histone acétyl-transférases (HAT) et les HDAC (figure). L acétylation des histones par les HAT favorise le relâchement de la fibre chromatinienne et la transcription des gènes cibles, qui comprennent notamment des gènes du cycle cellulaire (P15, P21/WAF) [5], des voies apoptotiques et des voies de différenciation. Il est important de noter que les HAT ont également comme substrat certains facteurs de transcription clés comme P53, E2F1 ou GATA1. À l inverse, les HDAC catalysent la réaction de déacétylation des histones, favorisant ainsi la condensation de la chromatine et la répression de la transcription. Comme les HAT, les HDAC ont d autres substrats que les histones et régulent le taux d acétylation de facteurs de transcription (P53, GATA1, STAT3, NF-κB), mais également d autres protéines comme les protéines de stress (HSP90) ou la tubuline. Ces modifications des protéines non histones entraînent des altérations de la fonction, du recyclage ou de la demi-vie de ces protéines. Il existe quatre classes d HDAC (tableau I, p. 174), dont la localisation subcellulaire (nucléaires pour les HDAC de classe I, nucléaires et cytoplasmiques pour les HDAC de classe II), la fonction et la sensibilité aux inhibiteurs varient. HAT/HDAC ET HÉMOPATHIES En onco-hématologie, plusieurs preuves de l implication des HAT/HDAC sont actuellement disponibles (6). Les leucémies aiguës myéloïdes promyélocytaires [t(15;17)] et les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) avec anomalies du core binding factor [t(8;21) et inversion(16)] sont associées à l expression des protéines de fusion secondaires aux translocations qui vont recruter des complexes répresseurs comportant des HDAC. Ces complexes bloquent le cycle cellulaire et la différenciation, et favorisent la leucémogenèse. Dans les lymphomes B à grandes cellules, la protéine oncogénique BCL-6 va également recruter des HDAC et bloquer l expression de gènes de régulation. 173

Tableau I. Les HDAC et leurs différentes classes. LES INHIBITEURS DES HISTONE DÉACÉTYLASES Structure La structure des HDAC se caractérise par un site catalytique conservé comprenant, pour les HDAC de classe I et II, une poche avec site de liaison au zinc qui est essentielle pour son activité catalytique et pour l action des inhibiteurs des HDAC (7). Il existe plusieurs classes d inhibiteurs des HDAC, de structures différentes, tous conservant cette liaison au zinc et entraînant une compétition avec les substrats ou créant une liaison covalente inactivant l enzyme. Le valproate de sodium, détourné de ses applications neurologiques, en est le chef de file historique. Le tableau II détaille les principaux composés et l état de leur développement clinique. Il est important de noter que la plupart des composés sont disponibles non seulement sous forme intraveineuse, mais également sous forme orale avec des demi-vies relativement courtes requérant une ou deux prises journalières selon les molécules et les protocoles. tivités biologiques In vitro, les inhibiteurs des HDAC bloquent la prolifération et induisent différenciation et apoptose à la fois dans des lignées cellulaires et dans des cellules primaires. Ces effets biologiques varient Classe HDAC Localisation 1 1, 2, 3 Noyau 2 4, 5, 6, 7, 9, 10 Noyau et cytosol 3 Sirtuines : SIRT 1-7 Noyau, cytosol, mitochondrie 4 11 Noyau Tableau II. Les différents inhibiteurs des HDAC, leurs cibles et leur stade de développement clinique. Classe Composé Classes de HDAC ciblées Hydroxamate Vorinostat (SAHA) PXD 101, LBH 589 LAQ 824 Phase de développement 1, 2 I/II/III/IV I/II I Peptide cyclique FK 228 (depsipeptide) 1 I/II ide aliphatique ide valproïque 1, 2 I/II Benzamide MS 275 MGCD0103 1, 2, 3, 11 1, 2, 3, 11 I/II I/II d un type de tumeur à l autre ; la contribution des différents mécanismes impliqués peut également varier selon l inhibiteur. Deux types d effets principaux sont attendus : des effets transcriptionnels et des effets non transcriptionnels. Les inhibiteurs des HDAC entraînent un arrêt du cycle cellulaire en G1/S ou G2 en activant des protéines comme P21. D autre part, les inhibiteurs des HDAC activent les voies apoptotiques intrinsèque (activation mitochondriale et diminution de Bcl2) et extrinsèque (activation TNF/TRAIL), entraînent la production de radicaux libres et diminuent l action protectrice des HSP (Heat Shock Proteins) [8]. Plus récemment, une action antiangiogénique des inhibiteurs des HDAC a été démontrée, avec modulation de P53 et diminution de la production de cytokines proangiogéniques comme le VEGF ou le PDGF. L accumulation d histone acétylée est actuellement considérée comme un bon reflet biologique de l effet attendu de l inhibiteur, même si ce marqueur n est pas corrélé à une réponse tumorale objective. Enfin, les études pharmacologiques ont montré un effet potentialisant des inhibiteurs des HDAC sur l action de nombreux médicaments utilisés en hématologie (anthracyclines, inhibiteurs des topoïsomérases, bortézomib, fludarabine, ATRA, etc.) et sur la radiothérapie. La participation de chacun des mécanismes précités reste à préciser dans de futures études, de même que le schéma optimal d association, la séquence d administration des composés pouvant influer sur l efficacité de l association. LES INHIBITEURS DES HDAC EN CLINIQUE Plus de 100 essais cliniques (ClinicalTrials.gov) sont actuellement recensés : une cinquantaine sont en cours et une vingtaine déjà publiés dans le domaine des tumeurs solides ou en hématologie. En dehors des essais de phase I et de phase I/II avec recherche de dose optimale, on voit se développer de nombreuses études d associations avec des traitements de référence existants pour profiter de l effet synergique déjà décrit. Un profil de toxicité spécifique? Les études de phase I et II des différents composés ont permis de mieux cerner les effets indésirables de cette classe thérapeutique (tableau III). Les toxicités digestives et la fatigue restent les événements les plus fréquents et représentent les toxicités limitantes dans les études de phase I (9, 10). 174

Les inhibiteurs des histone déacétylases en onco-hématologie Tableau III. Profil de toxicité des inhibiteurs des HDAC. Les cotations sont établies d après les critères CTCAE et les fréquences de survenue sont celles référencées dans les essais publiés. Effets indésirables Grade I-II Grade III-IV Fatigue (%) 20-40 10-25 Nausées/vomissements (%) 25-70 5-10 Diarrhées (%) 40-60 0-10 Anorexie (%) 20-50 0-5 Neutropénie* (%) 10-30 0-20 Infection (%) 10-30 5-20 Thrombopénie* (%) 5-40 0-10 Hypocalcémie (%) 40-50 0 Hypoalbuminémie (%) 30-50 0 * Les toxicités hématologiques pour les hémopathies myéloïdes sont cotées selon le score CTCAE adapté. Tableau IV. Principaux essais thérapeutiques publiés dans les hémopathies myéloïdes. Étude Schéma n ORR (%) HI + MLFS (%) CR + CRi (%) Garcia Manero, Blood 2008 Gojo, Blood 2005* Garcia Manero, Blood 2008 Kuentgen, Cancer 2006 Soriano, Blood 2007 Silverman, ASCO 2008 Vorinostat phase I monothérapie MS-275 phase I monothérapie MGCD0103 phase I monothérapie Lénalidomide ± ATRA 5-AZA + ATRA + lénalidomide 41 17 7 10 38 0 NE 0 23 13 13 0 55 16 16 0 53 42 13 29 5-AZA + vorinostat 16 82 27 55 * L étude de Gojo et al. n a pas utilisé les critères IWG 2006 pour qualifier les réponses ; les HI et MLFS ne sont donc pas évaluées. Abréviations. ORR : taux de réponse globale ; HI : amélioration hématologique (plaquettaire, érythrocytaire, leucocytaire ou combinée) ; MLFS : clairance des blastes médullaires ; RP : réponse partielle ; RC : réponse complète ; RCi : réponse complète sans récupération hématologique complète ; NE : non évalué. Une toxicité hématologique est également notée (thrombopénie et neutropénie). Elle est principalement constatée chez les patients suivis pour des hémopathies avancées. Enfin, il faut signaler, d une part, les possibles troubles de conduction avec allongement du QT qui doivent être surveillés durant le traitement (et faire rechercher les interactions médicamenteuses potentiellement gênantes) et, d autre part, les troubles neurologiques (confusion, somnolence), variables selon les classes d inhibiteurs (fréquents avec l acide valproïque et le MS-275). Inhibiteurs des HDAC dans les lymphopathies Le lymphome T cutané est la première pathologie pour laquelle la Food and Drug Administration (FDA) a donné son agrément à un inhibiteur des HDAC (11). Le Zolinza (vorinostat, 400 mg/j) a permis d obtenir des taux de réponse globale de 24 % (36 % dans le syndrome de Sézary) pour une durée médiane de réponse de 30 semaines chez des patients déjà traités par au moins deux lignes de traitement. Il faut noter dans cette indication un délai de réponse relativement long, de l ordre de 10 à 12 semaines. Plus récemment, le depsipeptide (FK-228) et le panobinostat (LBH- 589) ont également démontré, pour le même type de population, des taux de réponse similaires à ceux du vorinostat dans des essais de phase II (12). Des essais de phase II, le plus souvent en monothérapie, sont en cours dans le domaine des leucémies lymphoïdes chroniques, des maladies de Hodgkin, des lymphomes T et des lymphomes B en rechute (étude GELA). Inhibiteurs des HDAC dans le myélome Des essais de phase I et I/II, principalement avec le vorinostat, sont en cours en monothérapie et en combinaison avec le bortézomib, le lénalidomide ou la chimiothérapie. La phase I du vorinostat en monothérapie retrouvait des stabilisations des maladies chez 9 des 10 patients inclus et 1 réponse mineure. La phase I de l association vorinostat (de J4 à J11) + bortézomib (1,3 mg/m 2 à J1, J4, J8 et J11) a été présentée à l ASCO 2008 (13). La dose maximale tolérée est de 400 mg/j ; des réponses ont été constatées (2 très bonnes réponses partielles, 7 réponses partielles et 9 maladies stables sur 21 patients évaluables) même chez des patients réfractaires préalablement traités par bortézomib (3 PR sur 8 patients réfractaires à une ou deux lignes de traitement par bortézomib). Inhibiteurs des HDAC dans les hémopathies myéloïdes C est dans les LAM et les myélodysplasies de haut risque que les données sont actuellement les plus nombreuses et les plus avancées (10, 14-16) [tableau IV]. Les essais en monothérapie ont montré l activité clinique des composés, mais les taux de réponse restent limités avec 10 à 15 % de réponse (incluant des réponses incomplètes de type MLFS (Marrow-Leukemia-Free State) et amélioration hématologique) dans des populations de patients lourdement prétraités. Les essais d association de l acide valproïque avec les agents déméthylants (17) et/ou l ATRA (16) ont 175

Remerciements Nous voudrions remercier le Dr Norbert Vey et le Pr Jean-Paul Borg pour la relecture critique de cette revue et leurs commentaires pertinents. montré des effets modérés en termes d amélioration de la réponse. Certaines études retiennent cependant une accélération de l obtention des réponses (qui peuvent nécessiter 4 à 6 cures de traitement pour la 5-azacytidine par exemple). Les résultats préliminaires sur les inhibiteurs les plus puissants (comme le vorinostat ou le MS-275) sont plus encourageants (18), avec une augmentation des taux de réponse (82 % de réponse globale dont 55 % de RC + RCi. Nous ne disposons pas actuellement d essais de phase III permettant de confirmer ces données de phase II. Des essais d association à la chimiothérapie conventionnelle (chimiothérapie intensive [MD Anderson CC] ; cytarabine faible dose dans les myélodysplasies de haut risque [Groupe francophone des myélodysplasies]) sont en cours. Dans le cadre des syndromes myéloprolifératifs (les LMC et les maladies JAK2 V617F mutées), des essais thérapeutiques sont ouverts ou prévus, sans que les données en soient pour l instant disponibles. PERSPECTIVES Nous sommes encore aux débuts de l évaluation de cette classe thérapeutique, et de nombreuses questions peuvent se poser. Quel inhibiteur des HDAC utiliser? Comme le montre le tableau IV, de nombreux composés sont utilisés ou vont l être en clinique. Seul le vorinostat bénéficie actuellement d un enregistrement de la FDA pour les lymphomes T cutanés. En pratique, peu de données in vivo et in vitro sont disponibles sur les comparaisons directes des différents composés en dehors de comparaisons avec le valproate de sodium, le plus souvent 10 à 100 fois moins puissant que les composés plus récemment développés. Les données disponibles in vitro montrent que les HDAC impliquées dans la cancérogenèse varient d une tumeur à l autre, ce qui plaide pour l utilisation de composés présentant la meilleure affinité pour les HDAC prédominantes (8). Monothérapie ou combinaison? Les données in vitro, les résultats des essais en monothérapie (limités en dehors du lymphome T cutané [CTCL]) et le profil de toxicité (limité également) orientent vers le développement de stratégies combinées. Les nombreux essais en cours de phase I et I/II permettront d apprécier si cette synergie démontrée in vitro est retrouvée et si elle ne se complique pas d une potentialisation des effets indésirables, hématologiques notamment. Quelle population cibler? Les premières études cliniques ont montré que le niveau global d acétylation (histone sur extrait de cellules mononucléées sanguines) n était pas corrélé à une réponse clinique. Par ailleurs, notre connaissance actuelle des thérapeutiques ciblées plaide pour l identification, au sein d un groupe pathologique, des individus pour lesquels l index thérapeutique de ces nouveaux composés sera le plus satisfaisant. Les études in vitro, incluant les études biologiques associées aux essais cliniques (répondeurs versus non répondeurs), essayent actuellement de répondre à cette question. Des données récentes (19) impliquent la sous-expression de certaines HDAC, clé de l action des inhibiteurs dans un type cellulaire donné (HDAC6 dans les LAM par exemple), ou encore l hyperactivation des protéines de réponse au stress comme HSP90. Néanmoins, aucun surrogate marker validé n est encore disponible. R ÉFÉRENCES 1. Esteller M. Epigenetics in cancer. N Engl J Med 2008;358(11):1148-59. 2. Claus R, Lubbert M. Epigenetic targets in hematopoietic malignancies. Oncogene 2003;22(42):6489-96. 3. Fabbri M, Garzon R, Andreeff M et al. MicroRNAs and noncoding RNAs in hematological malignancies: mo lecular, clinical and therapeutic implications. Leukemia 2008;22(6):1095-105. 4. Jenuwein T, Allis CD. Translating the histone code. Science 2001;293(5532):1074-80. 5. Richon VM, Sandhoff TW, Rifkind RA et al. Histone de acetylase inhibitor selectively induces p21waf1 expression and gene-associated histone acetylation. Proc Natl ad Sci USA 2000;97(18):10014-9. 6. Matsushita H, Scaglioni PP, Bhaumik M et al. In vivo analysis of the role of aberrant histone deacetylase recruitment and RAR alpha blockade in the pathogenesis of acute promyelocytic leukemia. J Exp Med 2006;203(4):821-8. 7. Mehnert JM, Kelly WK. Histone deacetylase inhibitors: bi ology and mechanism of action. Cancer J 2007;13(1):23-9. 8. Inoue S, Mai A, Dyer MJ et al. Inhibition of histone deacetylase class I but not class II is critical for the sensitization of leukemic cells to tumor necrosis factor-related apoptosis-inducing ligand-induced apoptosis. Cancer Res 2006;66(13):6785-92. Retrouvez l intégralité des références bibliographiques sur www.edimark.fr 176

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