Préface de Camil Girard



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Transcription:

Préface de Camil Girard Repenser l historiographie des fondations Cette publication des Derniers récits de voyages en Nouvelle- France et autres écrits, 1620-1632 de Samuel de Champlain vient compléter l œuvre amorcée il y a treize ans par l historien Mathieu d Avignon sur ce personnage historique et ses écrits. Parue en 2008, sa thèse de doctorat 1 porte en outre sur les alliances fondatrices et invite à revoir notre historiographie dans une perspective de reconnaissance effective de la contribution des peuples autochtones à la cofondation du Québec actuel. Nous avons publié en codirection, en 2009, un ouvrage collectif portant sur les alliances fondatrices et la reconnaissance des peuples autochtones dans l histoire du Québec 2. Dans cet ouvrage, il approfondit sa réflexion sur l alliance francomontagnaise au temps de Champlain 3. Depuis, il a signé une réédition des premiers récits de Champlain sur la Nouvelle-France, parus entre 1603 et 1619 4. Donc, le présent ouvrage complète ce cycle de publication. Par ailleurs, il faut mentionner que cet historien a entrepris une série d entrevues avec des penseurs qui remettent en question l histoire et réfléchissent sur la place des peuples autochtones dans les historiographies nationales et les sociétés américaines actuelles. Les témoignages de l historien québécois Marcel Trudel 5 et du sociologue mexicain Rodolfo Stavenhagen 6 constituent les premiers jalons 1. D Avignon, M. Champlain et les historiens francophones du Québec : les figures du père et le mythe de la fondation. Thèse de doctorat. Québec, Université Laval, 2006. Parue sous le titre Champlain et les fondateurs oubliés. Les figures du père et le mythe de la fondation. Québec, Les Presses de l Université Laval, 2008. 2. D Avignon, M. et C. Girard, dir. A-t-on oublié que jadis nous étions «frères»? Alliances fondatrices et reconnaissance des peuples autochtones dans l histoire du Québec. Québec, Les Presses de l Université Laval, 2009. 3. D Avignon, M. «L alliance franco-montagnaise de 1603: un événement fondateur méconnu de l histoire du Québec», ibid., p. 59-94. 4. Samuel de Champlain. Premiers récits de voyages en Nouvelle-France, 1603-1619. Réédition en français moderne, introduction et notes par Mathieu d Avignon. Québec, Les Presses de l Université Laval, 2009. 5. Avec M. Trudel. «Connaître pour le plaisir de connaître». Entretien avec l historien Marcel Trudel sur le métier d historien et la science historique au Québec. Québec, Les Presses de l Université Laval, série Entretiens, 2005. 6. Avec R. Stavenhagen. La reconstruction de l histoire des Amériques. Entretien de l historien Mathieu d Avignon avec le sociologue mexicain Rodolfo Stavenhagen, premier rapporteur spécial de l ONU sur la situation des droits de l homme et des libertés fondamentales des populations autochtones. Québec, Les Presses de l Université Laval, collection Entretiens, 2010.

xiv Samuel de Champlain de la collection Entretiens, éditée par les Presses de l Université Laval, qu il dirige officiellement depuis 2010. Je garde encore le souvenir de cette journée ensoleillée de juin 1997, lorsque Mathieu d Avignon est venu frapper à la porte de mon bureau à l Université du Québec à Chicoutimi. Je venais de terminer mes propres recherches pour la Commission royale sur les peuples autochtones du Canada, recherches qui avaient mené à la publication de trois ouvrages sur les revendications des Innus du Saguenay et du nord-est du Québec 7. En 1995, j avais publié un premier article avec l historienne Édith Gagné sur l alliance de 1603 8. Cette étude nous avait incités à relire les Œuvres de Champlain, éditées par Charles-Honoré Laverdière en 1870 et rééditées aux Éditions du Jour en 1973 9. La réédition de Laverdière se trouvait dans ma bibliothèque. Je venais, comme par hasard, de relire le récit de la fameuse rencontre du 27 mai 1603 à la pointe Saint-Mathieu, près de Tadoussac. De plus, la commission d Henri IV accordée le 8 novembre 1603 10 à Pierre Dugua de Mons s était ajoutée au dossier et confirmait déjà, selon moi, le fait historique suivant, longtemps négligé ou occulté par les historiens d ici et d ailleurs : les alliances franco-amérindiennes étaient au centre du titre coutumier autochtone reconnu dès les premiers contacts avec la France. Ces rencontres interculturelles ont rendu possibles la traite des fourrures, les explorations des Français et la fondation de la Nouvelle-France dans un contexte de souveraineté partagée autour des alliances entre les peuples autochtones et les Européens. Quand j ai engagé d Avignon comme jeune chercheur à l époque, je lui ai remis les Œuvres de Champlain et lui ai demandé de rédiger un rapport sur les alliances franco-amérindiennes que décrivait l auteur. Ce fut l amorce d une longue réflexion intellectuelle et de plusieurs recherches approfondies. Depuis, il a entrepris l étude de cette période charnière de la fondation de Québec (1603-1635), une histoire de rencontres et d alliances interculturelles. 7. Girard, C. Culture et dynamique interculturelle. Trois femmes et trois hommes témoignent de leur vie. Chicoutimi, Les Éditions JCL, collection «Interculture», 1997; Siméon, A.-M. et C. Girard. Un monde autour de moi. Témoignage d une Montagnaise. Uikutshikatishun. Ilnushkueu utipatshimun. Chicoutimi, Les Éditions JCL, collection «Interculture», 1997; Kurtness, H. et C. Girard. La prise en charge. Témoignage d un Montagnais. Tipelimitishun. Ilnu utipatshimun, Chicoutimi, Les Éditions JCL, collection «Interculture», 1997. 8. Girard, C. et É. Gagné. «Première alliance interculturelle. Rencontre entre Montagnais et Français à Tadoussac en 1603», Recherches amérindiennes au Québec, vol. XXV, n o 3 (1995), p. 3-14. 9. Œuvres de Champlain. Montréal, Les Éditions du Jour, 1973, 3 vol. Réédition de l édition de C.-H. Laverdière. Québec, Geo-E. Desbarats, 1870, 6 vol. 10. «Commissions du Roy & de Monsieur l Admiral au sieur de Monts, pour l habitation és terres de la Cadie, Canada, & autres endroits de la Nouvelle-France. Ensemble les defenses à tous autres de trafiquer avec les sauvages [ ]» (8 novembre 1603), dans M. Lescarbot. Histoire de la Novvelle France [ ]. Paris, Jean Milot, 1609, p. 453.

Préface xv Comme je l ai noté, cet ouvrage complète la réédition intégrale des récits originaux de Champlain sur la Nouvelle-France. Les récits présentés dépeignent un départ difficile de la fondation et du peuplement au cours des années 1620 et au tournant des années 1630. Le soutien accordé par la métropole ne permet aucune véritable expansion coloniale à grande échelle. La concurrence des Anglais et des Hollandais se fait déjà sentir. Les alliances des Français avec les autochtones sont mises à l épreuve. Les Montagnais entreprennent des pourparlers de paix avec des Iroquois, premières négociations de paix du XVII e siècle documentées par les Français, mais la complexité de la géopolitique amérindienne les fait échouer. D ailleurs, on ne sait trop si Champlain, qui s attribue exagérement un rôle de médiateur dans cette affaire à travers ses écrits, souhaitait vraiment que cette paix devienne une réalité En ce qui concerne la cohabitation avec les Montagnais, elle reste marquée par divers problèmes, entre autres par l assassinat de Français commis par un ou des guerriers alliés. La gestion des conflits montre comment les leaders montagnais (innus) et Champlain situent les enjeux politiques, notamment les alliances, au dessus de considérations strictement légales ou individuelles. Les alliances restent au centre d une politique qui place les acteurs dans une relation de respect mutuel et de souveraineté partagée. Dans les faits, le contrôle des territoires et des ressources reste entre les mains des peuples autochtones, sauf en certains lieux où les Européens s installent. Car, il faut bien le reconnaître, sous le Régime français, la souveraineté affirmée de la France ne dépassera pas les mots des commissions et des lettres patentes officielles, des récits des administrateurs et des missionnaires, des cartes des explorateurs, qui prétendaient tous que tel et tel territoires avaient été découverts ou conquis, colonisés parce qu ils ont été «christianisés». Elle ne dépassera pas les limites des zones de peuplement comme Québec et, un peu plus tard, Trois-Rivières et Montréal. En dehors des lieux de peuplement, la souveraineté prétendue de la France ne dépassera pas la portée des armes à feu des quelques soldats ou engagés des forts et des postes de traite qui assurent la défense du territoire, comme celle des habitants, et le bon déroulement des affaires commerciales. La Nouvelle- France restera dans la réalité un territoire à souveraineté partagée. Cela vaudra aussi, tout au long du XVII e siècle et du XVIII e siècle, au Canada, en Acadie et en Louisiane, principales «provinces» françaises formant la Nouvelle-France. À cet égard, Champlain montre qu il fallait user de diplomatie, faire preuve de patience et de tolérance, recourir à des stratégies complexes et subtiles, tout en disposant de moyens insuffisants, faire taire les rumeurs, afin d assurer la paix en Nouvelle-France. Le travail de défrichement et de mise en valeur de la terre reste minime et ne permet pas de subvenir aux besoins de la population de Québec lorsque les

xvi Samuel de Champlain vaisseaux de ravitaillement tardent ou ne viennent tout simplement pas. Le soutien accordé par les compagnies de traite demeure minimal et les nombreux changements de garde dans la métropole au sein de l administration coloniale retardent plusieurs projets et travaux sur le terrain. En regard des moyens de transport de l époque, l Amérique du Nord-Est, comme territoire, est immense et toujours contrôlée par les peuples autochtones. La géopolitique nord-américaine reste difficile, voire impossible à gérer : des groupes d intérêts et des jeux de pouvoirs entre groupes, tribus, nations et confédérations autochtones, limitent souvent les projets de Champlain et des Français. À l occasion, Champlain lui-même peine à comprendre ce qui lui arrive et les situations auxquelles il doit faire face. Mais, fin diplomate, il manœuvre la plupart du temps avec intelligence et doigté lorsque surviennent des crises importantes. Il sait tirer profit des alliances. Par exemple, en temps de disette, il sollicite l appui des Montagnais pour conclure une alliance avec les Abénaquis, capables de fournir des farines de blé d Inde ou d héberger des Français pendant l hiver. Il sollicite en même temps l aide des Micmacs, qui acceptent de donner du sel marin, denrée précieuse, et d héberger quelques hommes pendant l hiver. Il continue d accorder une grande importance à la diplomatie avec les chefs autochtones alliés et ennemis, même s il voyage moins qu au début de sa carrière canadienne. Ce récit décrit aussi la première conquête de Québec par les Anglais aux dépens des prétentions des Français sur ledit territoire, réalisée par les frères Kirke en 1628-1629, et son occupation de 1629 à 1632. L Acadie aussi demeure fragile, comme en témoigne Champlain par ses récits et par ceux de contemporains qu il reproduit. Lorsque s affrontent pour la première fois ces puissances rivales dans la vallée du Saint-Laurent, on constate un premier échec de la France, qui ne semble pas avoir les moyens et la capacité de ses ambitions. Il n aura fallu que deux expéditions (celles de 1628 et de 1629) pour que les Anglais prennent le contrôle de Tadoussac, du cap Tourmente et de Québec, et contraignent Champlain à rendre la place sans combattre les assiégeants ni même exiger de ses alliés amérindiens qu ils s impliquent dans le conflit en attaquant ces ennemis des Français venus d Europe. Les Français, Champlain le premier, avaient beau critiquer cette entreprise anglaise qui fut couronnée de succès, il n en demeure pas moins évident qu un autre problème grave qu il révèle minait le projet de fondation : les rapports mêmes entre les Français, notamment entre catholiques et protestants, créaient des tensions qui nuisaient à la colonisation et à la conversion souhaitée des Amérindiens. Et que penser de la fidélité des Français qui choisissent de servir la Couronne anglaise lorsque les Kirke arrivent et s installent pour un moment?

Préface xvii Ainsi, le cycle de recherches sur les «origines» de Québec de l historien Mathieu d Avignon est complété. De telles recherches permettront de remettre à jour une historiographie qui cherche à repenser les fondations et à formuler une histoire plus inclusive, une histoire qui transcende les mythes entourant les découvertes, les conquêtes, la colonisation et les héros nationaux. Espérons qu elles permettront de lancer de nouvelles réflexions et recherches sur les fondations françaises du temps de la Nouvelle-France et sur la cohabitation avec les peuples autochtones. Camil Girard Groupe de recherche sur l histoire, Université du Québec à Chicoutimi Le 10 janvier 2010