Josée St-Pierre, Ph. D. Directrice Laboratoire de recherche sur la performance des entreprises



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Transcription:

Faire appel à la créativité de tous pour récolter de bonnes idées et les exploiter! Éditorial InfoPME est publié par le Laboratoire de recherche sur la performance des entreprises (LaRePE) Institut de recherche sur les PME Université du Québec à Trois-Rivières Alors que l innovation est devenue l enjeu de la compétitivité et même de la survie des entreprises, beaucoup se demande encore comment peut-on la stimuler afin de devenir une entreprise innovante. Doit-on investir dans des technologies sophistiquées de production? Doit-on consacrer une grande part de nos ressources financières à la R-D? Doit-on implanter de nouveaux processus de gestion ou de production? Il est possible qu il faille répondre par l affirmative à ces interrogations, mais cela n est peut-être pas essentiel ou même prioritaire si l entreprise ne fait pas appel d abord, à la créativité et aux connaissances de ses propres ressources humaines qui constituent l actif immatériel le plus précieux des entreprises innovantes. Josée St-Pierre, Ph. D. Directrice Laboratoire de recherche sur la performance des entreprises Bulletin InfoPME Le bulletin InfoPME a pour objectif de présenter des statistiques fidèles et «à jour» sur l état des PME au Québec, des chroniques sur des thèmes d actualité importants et des notes sur divers phénomènes touchant les PME afin de fournir des informations pertinentes aux entrepreneurs, aux conseillers économiques, aux consultants, aux banquiers et aux chercheurs intéressés au développement de ces entreprises. Il est publié trimestriellement et disponible sur le site www.uqtr.ca/inrpme/larepe.

Faire appel à la créativité de tous pour récolter de bonnes idées et les exploiter! CAMILLE CARRIER, D. SC. de Gestion Professeure Département des Sciences de la gestion, UQTR Pour se familiariser avec la créativité, le lecteur peut consulter le livre suivant : Carrier, C. (1997), De la créativité à l intrapreneuriat, Collection PME titulaire, et Entrepreneuriat, Québec : Presses de l Université du Québec, 154 pages. Créer, innover et entreprendre, tels sont maintenant les impératifs de toutes les organisations. Dès lors, la grande richesse des entreprises réside dans l intelligence et la créativité de leurs employés. L auteure nous invite à redécouvrir la créativité et nous montre comment elle peut donner lieu à des réalisations concrètes, fertiles et fructueuses. À l heure où le changement est devenu une constante et où les bonnes idées des concurrents sont devenues plus menaçantes que leurs ressources matérielles et financières, la créativité devient un impératif incontournable pour l entreprise qui veut se démarquer et conserver une bonne position concurrentielle. L entreprise doit miser sur le principe de «l intelligence ajoutée» en utilisant au maximum les connaissances, l expertise, l intelligence et l imagination de ses ressources humaines. Après tout, ce sont les employés qui, encore plus et mieux que les gestionnaires, exécutent quotidiennement le travail. Ainsi, ils sont à même de voir ce qui pourrait être amélioré dans les modes de production ou de service, ce qui entraîne du gaspillage, ce qui frustre les clients, ce qui pourrait permettre de réduire les coûts ou les délais; bref, ils sont susceptibles de voir mieux encore que tout consultant, si avisé soit-il, toutes les améliorations possibles. Malgré ces constats, il semble malheureusement que plusieurs entreprises aient encore de la difficulté à favoriser, reconnaître et exploiter la créativité de leurs employés. Dans un ouvrage récent, Robinson et Schroeder lancent un message percutant à cet égard : «Que penseront les générations futures de notre pratique de la gestion? Que considéreront-elles comme notre plus remarquable échec? Nous sommes convaincus qu elles nous accuseront d avoir gaspillé l une des ressources les plus importantes disponibles : les idées des employés» 1. Effectivement, dans encore trop d entreprises, on confine les employés dans un rôle d exécutants; ils doivent alors parfois regarder avec impuissance et en silence leur entreprise qui rate des opportunités, perd des clients ou gaspille ses ressources. Il est loisible de croire pourtant que le problème n est plus de convaincre les entreprises de la valeur des idées de leurs employés mais plutôt de les aider à identifier des moyens pour les stimuler et les faire émerger, de façon à en exploiter tout le potentiel. La mise en œuvre d un programme de suggestions constitue l un de ces moyens. Au cours du présent article nous examinerons différents aspects relatifs à la mise sur pied et au succès de ce type d approche pour solliciter les suggestions des employés. Le programme de suggestions : quoi, pour qui, pourquoi?! Un programme de suggestions formalisé invite les employés, ou des groupes d employés, à soumettre toute idée susceptible d améliorer quelque aspect que ce soit des activités de l entreprise, d engendrer des économies ou des bénéfices supplémentaires ou mieux encore d amener l entreprise à innover au plan de son produit ou de son service. Les idées soumises sont par la suite évaluées par un comité formé à cette fin et les idées jugées les meilleures sont récompensées et mises en œuvre. Un des grands avantages du programme de suggestions est qu il lance un appel à tous. En effet, dans une telle approche, tous les employés, quelle que soit leur fonction dans l organisation, sont invités à faire connaître une ou des idées de toute nature pouvant amener l entreprise à améliorer divers éléments sur l ensemble de sa chaîne de valeur. Ce faisant, on ne se limite plus à croire qu il y a ça et là dans l entreprise, quelques champions ou héros, souvent difficiles à repérer, et qui un bon matin vont offrir une idée géniale! Cela est important, car ce qui est le plus susceptible d aider une entreprise à se démarquer résulte plus souvent d une combinaison réussie d une foule de petites améliorations en synergie les unes avec les autres, favorisant ainsi non pas la GRANDE innovation mais plutôt ce que Pierre-André Julien appelle l innovation globale 2. L entreprise qui apporte simultanément une foule de petites améliorations menées sur de multiples fronts à la fois devient conséquemment plus difficile à imiter par ses concurrents. Car il ne suffit pas d être créatif aux seuls plans du produit ou des processus de fabrication. Il faut réussir à se démarquer aussi au plan stratégique, dans la conception de modèles d affaires porteurs, dans le choix des partenaires, dans les façons de commercialiser le produit, etc. 2

On parle beaucoup de l importance et des avantages supposés de ces programmes de suggestions dans nos volumes de gestion des ressources humaines. Pourtant, il est fascinant de constater qu on retrouve encore très peu d études empiriques permettant de connaître les objectifs réels de ces programmes, les exigences reliées à leur implantation et à leur développement, les types de résultats qu ils permettent aux entreprises d obtenir et leur degré de satisfaction à l égard de cette approche. Pour combler cette lacune et mieux comprendre ce qui se passe dans nos entreprises québécoises à cet égard, une étude 3 a été menée auprès de 22 entreprises manufacturières québécoises ayant mis sur pied de tels programmes. Il est intéressant de noter que la recherche a été menée tant auprès de PME que de plus grandes entreprises et a donc permis d établir certaines comparaisons entre les résultats et pratiques des unes et des autres. Et comme en témoigneront les sections suivantes, la PME semble avoir plus avantage encore que la grande entreprise à favoriser de tels programmes. Des résultats jugés intéressants pour les entreprises de toutes tailles Pour être mieux en mesure de constater les résultats obtenus avec de tels programmes de suggestions, nous avons étudié seulement des entreprises l ayant instauré et activement utilisé depuis et durant au moins deux années complètes. Tant les PME que les grandes entreprises ayant participé à l étude se sont montrées très satisfaites des résultats obtenus par le biais de ces programmes. En effet, dans près de 70 % des cas, on estime le degré de participation des employés au programme comme excellent et allant même bien audelà des attentes initiales. Par exemple, le nombre d idées valables présentées par les employés a varié entre 10 et 40 par année pour les entreprises entre 25 et 150 employés et se situait entre 50 et 300 par année dans les entreprises comptant plus de 200 employés pour la même période. On constate que la plupart des idées soumises concernent les opérations de production ou les processus de travail. La très grande majorité des améliorations proposées et qui ont été primées ont eu pour résultat de diminuer certains coûts d opération, de réduire les temps de production, de raffiner et améliorer les procédés et de résorber les taux d accidents ou les risques de bris. Parmi tous les types d idées émises par les employés, ce sont des suggestions concernant l amélioration de la santé et sécurité au travail qui ont fourni les résultats positifs jugés comme les plus importants par les participants à l étude. Ainsi, par exemple, une des entreprises ayant participé à l étude a réussi, à l aide d idées de ce type, à réduire le nombre d accidents de travail de 50% au cours d une même année. Une autre, une PME manufacturière, a réussi à économiser plus de 200 000 $ en diminuant le nombre d accidents, auparavant très élevé. Quant au pourcentage d idées qui ont été primées, on a observé que plus de 30 % le sont dans la grande entreprise, alors que dans les cas des PME, c est près de 50 % des idées soumises qui ont reçu une reconnaissance. Ce pourcentage d idées retenues peut sembler élevé à première vue. Mais il s avère que les bonnes idées émises sont souvent relativement faciles à implanter et leur mise en œuvre ne requiert pas d investissement majeur dans l entreprise, ce qui en facilite d autant l acceptation. Par surcroît, dans plusieurs cas, l employé qui fait la suggestion possède aussi les compétences pour participer activement à son développement, et est alors invité à y travailler, ce qui semble généralement très apprécié par celui-ci. Dans le cas des PME, les dirigeants interrogés expliquent également ce haut taux d acceptation par les coûts assez faibles qu ils doivent assumer relativement aux récompenses reliées aux idées retenues (comme on le verra plus loin, les primes varient beaucoup dans les PME et la grande entreprise). Des différences entre les pratiques des PME et des plus grandes entreprises Soulignons tout d abord que les grandes entreprises et les PME ayant participé à l étude ont instauré ces programmes avec des objectifs fort différents. En effet, dans la grande entreprise, on vise d abord la réduction des coûts. Plus précisément, on recherche l amélioration des méthodes, des équipements et de leur utilisation, de même que les processus, y compris la procédure administrative. Dans le cas des PME étudiées, les objectifs se voulaient très différents. La plus grande motivation évoquée réside dans le désir des dirigeants concernés de favoriser la responsabilisation et l engagement organisationnel chez leurs employés. On veut que les employés sentent qu on en appelle à leur expérience de leur travail, à leur imagination et à leurs talents. La plupart des dirigeants des PME concernées avaient aussi le souci de soutenir ainsi une politique d innovation affirmée et dynamisante. Les grandes entreprises et les PME se rejoignent cependant dans le sens où dans les deux cas, on ne recherche pas la grande idée qui va mener à une innovation majeure mais plutôt une innovation de type utilitaire basée sur de multiples améliorations en synergie les unes avec les autres. Et comme on l a vu précédemment, on semble obtenir justement ce que l on cherche. 3

Au plan des récompenses offertes aux auteurs des meilleures idées, les contributions sont reconnues symboliquement tant dans la grande entreprise que dans la PME. Comme le tableau 1 permet de le constater, ces reconnaissances symboliques peuvent prendre différentes formes, l essentiel demeurant que les «idéateurs» soient reconnus ou félicités publiquement ou plus officiellement. Les gestionnaires de ces programmes jugent généralement important que l ensemble des employés soient informés du succès obtenu par l un de leurs collègues; selon eux, cela peut ainsi créer une certaine émulation et amener d autres employés à vouloir imiter leurs collègues et à contribuer à leur tour au programme éventuellement. Tableau 1 Récompenses offertes Récompenses matérielles Dans la grande entreprise Primes entre 500 $ et 10 000 $ Dans la PME Primes enter 50 $ et 500 $ Points et cadeaux Récompenses symboliques Tableau d honneur Article dans le journal interne (GE) Cérémonies, célébrations diverses Félicitations formelles de la direction Participation à l implantation de l idée On note cependant une grande différence dans les récompenses offertes aux participants dont les idées sont retenues dans les grandes entreprises et les PME. Un examen du tableau 1 montre bien que lorsque les récompenses sont matérielles ou monétaires, leur valeur est beaucoup plus élevée dans la grande entreprise que dans la PME. Quelques précisions pour interpréter ce tableau : dans le cas des grandes entreprises, la prime est le plus souvent fixée à 15% des économies ou bénéfices supplémentaires nets, calculés sur un an, que la suggestion permet de réaliser. Bien que le tableau indique une valeur maximale de 10 000$, dans un cas, elle a été de 25 000$. En ce qui concerne la PME, la valeur des primes paraît évaluée de façon beaucoup plus intuitive, à partir du jugement porté sur l importance de l idée, de son impact perçu sur la productivité ou encore des avantages de tous ordres qu elle procure. Il est cependant fascinant de constater qu il n y a aucune relation entre l importance de la prime offerte et la valeur des idées générées par le biais du programme de suggestions. En d autres mots, les idées qui ont permis aux entreprises de générer le plus de bénéfices ou d économies sont fréquemment apparues dans des contextes où les récompenses restaient modestes au plan financier ou même dans certains cas, purement symboliques. Ces résultats nous étonnent moins lorsque l on prend en compte de nombreuses études sur la créativité organisationnelle ayant mis en évidence que la motivation des individus créatifs était essentiellement intrinsèque. Quelques aspects importants mis en évidence par l étude de ces programmes La fréquence avec laquelle on procède à l évaluation des idées vient en tout premier lieu. Certaines entreprises étudiées ne procédaient à l évaluation des idées qu à 3 ou 4 reprises au cours de l année. Fait étonnant : ces délais les plus longs ont surtout été constatés dans les grandes entreprises. Pourtant, elles ont en principe plus de ressources humaines que les PME pour gérer ces programmes. Cette pratique de retarder indûment l évaluation des idées peut nuire à la fois à l entreprise et à l employé. L entreprise a tout avantage à découvrir le plus rapidement possible les bonnes idées dans un contexte où les changements sont aussi rapides. Quant à l employé, il peut lui paraître étrange et même dévalorisant qu on ne se s occupe pas de ses idées avec plus de diligence et d enthousiasme. On sait que le geste est plus important que la parole lorsqu il s agit d apprécier l importance que l on nous accorde dans une organisation. Les entreprises ayant obtenu les meilleurs résultats avec ces programmes évaluaient les idées de façon régulière et, dans la plupart des cas, dans un délai de 3 à 4 semaines suivant celle de leur émission. Il semble également approprié d accorder une attention particulière à la composition du comité qui procède à l évaluation des idées. Dans la plupart des cas, il est préférable que le supérieur immédiat de l employé ayant soumis une idée ne soit pas associé à l évaluation de celle-ci. En effet, on peut s interroger sur l objectivité du supérieur immédiat dans des situations où il vit certains conflits avec l employé qui soumet l idée. Dans le même ordre d idées, il peut se présenter des cas où le supérieur immédiat se sente menacé par l importance, la qualité ou l originalité d une idée émise par une personne oeuvrant quotidiennement sous son autorité. Et le risque devient encore plus grand lorsque l employé émet une idée qu on aurait plus normalement attendue de la part de son supérieur. 4

En troisième lieu, on constate que de plus en plus d entreprises commencent à privilégier des idées soumises par des groupes par rapport à celles émanant d un individu. Il semble que les idées présentées en groupe seraient souvent meilleures, mieux structurées et même plus largement documentées, ce qui en facilite aussi l implantation éventuellement. Comme l ont souligné certains gestionnaires de ces programmes ayant participé à l étude, favoriser un programme individuel en même temps que l on souhaite promouvoir le travail d équipe et la collaboration multidisciplinaire risque d amener les employés à garder secrètes leurs bonnes idées pour les soumettre individuellement et à moins s investir dans les processus d amélioration qui gagnent pourtant plus souvent à profiter des expertises variées et complémentaires d une équipe. De plus, comme on l a vu, il est avantageux d impliquer la personne qui émet l idée dans sa concrétisation chaque fois que cela est possible, ce qui peut déjà être un pas vers l intrapreneuriat. Une équipe peut donc profiter d une telle occasion pour expérimenter de nouvelles tâches en même temps que le changement requiert généralement un travail collectif. Contrairement à ce que l on pourrait penser à première vue, il semble que la PME peut s avérer un terrain particulièrement intéressant pour implanter un programme de suggestions. En effet, comme nous l avons vu précédemment, malgré le fait que les récompenses monétaires soient en général dix fois plus élevées dans la grande entreprise, les innovations ou améliorations obtenues ne sont pas meilleures que dans les plus petites entreprises. Bien au contraire, selon les résultats de notre étude, ce que les PME investissent dans de tels programmes et ce qu ils reçoivent en retour semble même à la limite beaucoup plus intéressant sur le plan économique. De plus, selon les dirigeants interrogés dans notre étude, la meilleure promotion pour ce programme dans l entreprise reste celle qui se transmet par le biais des personnes qui ont elles-mêmes participé au programme et qui ont vu leur idée primée ou récompensée de quelque façon. Le bouche à oreille semble constituer le mode le plus efficace pour faire connaître les possibilités offertes. Un tel constat met bien en évidence certains des avantages de la convivialité des relations interpersonnelles prévalant généralement dans la PME. Cette dernière facilite des mécanismes d imitation sociale lorsque des individus sont à même de constater que leurs pairs se voient reconnus pour les nouvelles idées qu ils apportent à l entreprise. Un programme de suggestions doit cependant se construire et évoluer dans un environnement propice à la créativité et à l innovation. Il reste un outil qui doit être supporté par une culture, des pratiques et un environnement qui permettent aux personnes de déployer leurs capacités et d exploiter au maximum leur potentiel. Enfin, plusieurs autres outils et techniques sont disponibles pour l entreprise soucieuse de créativité 4 et d innovation et peuvent gagner à être utilisés de pair avec un programme de suggestions. Notes : 1 Robinson, A.G. et D.M. Schroeder (2006), Les bonnes idées ne coûtent rien, Montréal : Les Éditions de l Homme, p.11. 2 Julien, P. A. et Carrier, C. (2005), «Innovation et PME», dans P. A. Julien (dir.), Les PME : Bilan et perspectives, ouvrage co-édité par Presses Inter Universitaires (Québec) et Economica (Paris). 3 Carrier, C. (2006), «L implantation et la gestion des programmes de suggestions : le cas d entreprises du Québec», dans M. Tremblay (dir.), La mobilisation des personnes au travail, Montréal : Gestion HEC, 481-506. 4 Voir Carrier, C. (1997), De la créativité à l intrapreneuriat, Collection PME et Entrepreneuriat, Québec : Presses de l Université du Québec. 5