Les approches alternatives au PIB : l exemple de l indicateur de revenu équivalent



Documents pareils
Il est bien connu que le produit intérieur brut (PIB), qui sert

Comment va la vie en France?

DANS QUELLE MESURE LA CROISSANCE ECONOMIQUE PERMET-ELLE LE DEVELOPPEMENT?

FONCTION DE DEMANDE : REVENU ET PRIX

Quelles ressources pour vivre seul, en 2014, dans une commune du Doubs? Essai d évaluation

Avis légal. I 2 FISCALLIANCE 2011 L Incorporation des Courtiers Immobiliers du Québec

TD 3 : suites réelles : application économique et nancière

RAPPELS DU COURS PRÉCÉDENT

Mesurer la pauvreté : l apport de l approche par les capabilités. L exemple de l aire urbaine parisienne en 2010

Richesse, bonheur, niveau de vie, bien-être social?

L Equilibre Macroéconomique en Economie Ouverte

Nobody s Unpredictable

Chapitre 1 : Évolution COURS

Options, Futures, Parité call put

Qu est-ce qu une problématique?

Avec Gaël Callonnec (Ademe)

REGARDS SUR L ÉDUCATION 2013 : POINTS SAILLANTS POUR LE CANADA

CONSOMMATION INTERTEMPORELLE & MARCHE FINANCIER. Epargne et emprunt Calcul actuariel

Infos, Intox et Alternative pour le financement des retraites et de la protection sociale et la compétitivité

QUELLE DOIT ÊTRE L AMPLEUR DE LA CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE POUR RAMENER LA DETTE À UN NIVEAU PRUDENT?

A propos de l enseignant Introduction aux réseaux sociaux

Contexte Colloque Santé et Société Mai 2015

EXERCICES - ANALYSE GÉNÉRALE

Qu est-ce que la croissance économique? Quels sont ses moteurs?

LES EUROPEENS ET LA QUALITE DE VIE

THÈME 1. Ménages et consommation

Attitude des ménages face au risque. M1 - Arnold Chassagnon, Université de Tours, PSE - Automne 2014

L équilibre Ressources Emplois de biens et services schématisé par une balance

Septembre Enquête CLCV LES CONSOMMATEURS ET LEURS ASSURANCES

Chapitre 8 La gestion des compétences permet-elle de garantir l employabilité de l individu

Corefris RAPPORT ANNUEL Annexe 3 : La hausse des prix de l immobilier est-elle associée à une «bulle» de crédit en France?

CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET BIEN-ÊTRE

C11 : Principes et pratique de l assurance

Les Français et le pouvoir d achat

Existe-t-il un taux d endettement optimal des États?

Les contrats multi-supports

Les indices à surplus constant

La relation client constitue un axe progrès stratégique pour toutes les entreprises.

Chapitre 2/ La fonction de consommation et la fonction d épargne

PROMOUVOIR LA SANTÉ ET LES DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS

Quepeut-ondiredelavolatilitédel euro?

Chapitre 3 : INFERENCE

L impact du vieillissement sur la structure de consommation des séniors : assurance IARD, santé et SAP entre (P)

L Assurance. L Assurance

Concours Bachelor Bac + 3 Métiers de la Communication et des Médias. Samedi 28 mai 2011 ESSAI DE REFLEXION. Coef. 5

«Qu est-ce qui fait courir les gens aisés?» Aspirations, valeurs et styles de vie Etude HSBC Premier / CSA

Feuille 6 : Tests. Peut-on dire que l usine a respecté ses engagements? Faire un test d hypothèses pour y répondre.

LE ROLE DES INCITATIONS MONETAIRES DANS LA DEMANDE DE SOINS : UNE EVALUATION EMPIRIQUE.

Institut Informatique de gestion. Communication en situation de crise

ENSAE, 1A Maths. Roland Rathelot Septembre 2010

Probabilités conditionnelles Loi binomiale

Chapitre 3. La répartition

La demande Du consommateur. Contrainte budgétaire Préférences Choix optimal

Comment atteindre ses objectifs de façon certaine

Les incitations fiscales aux dons sont-elles efficaces?

CORPORATION DE PROTECTION DES INVESTISSEURS DE L ACFM DIRECTIVE RELATIVE À LA COUVERTURE

Conseil économique et social. Document établi par le Bureau central de statistique d Israël

PARTIE 2 : LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES CONJONCTURELLES

PROGRAMME INTERNATIONAL POUR LE SUIVI DES ACQUIS DES ÉLÈVES QUESTIONS ET RÉPONSES DE L ÉVALUATION PISA 2012 DE LA CULTURE FINANCIÈRE

Bulletin d information en économie de la santé n 32 - octobre questions 37% 24% Cadre et profession intellect. Profession intermédiaire

UN REVENU QUOI QU IL ARRIVE

SEP 2B juin 20. Guide méthodologique de calcul du coût d une prestation

COMITÉ DE LA RÉGLEMENTATION COMPTABLE RÈGLEMENT N DU 14 DÉCEMBRE 2007

ESSEC Cours Wealth management

Berne, mai Questions fréquentes au sujet de l aide sociale

PMB et produits dérivés

BACCALAURÉAT GÉNÉRAL SESSION 2012 OBLIGATOIRE MATHÉMATIQUES. Série S. Durée de l épreuve : 4 heures Coefficient : 7 ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE

Ressources Humaines Enjeux et Stratégie dans un contexte international

Fiscalité de l épargne et financement des entreprises. Eléments de constat et propositions

REER, CELI ou prêt hypothécaire : comment faire le bon choix?

Normes de référence. Comparaison. Commande cognitive Sentiments épistémiques Incarnés dépendants de l activité

Les allocataires des minima sociaux: CMU, état de santé et recours aux soins

Guides de Tangerine sur les finances personnelles. Prise de possession. Points à considérer lors de l achat d une première propriété

Comprendre le financement des placements par emprunt. Prêts placement

ANALYSE DU BESOIN. L ANALYSE FONCTIONNELLE par Jean-Marie VIRELY & all (ENS Cachan) Cette présentation décrit l outil «Analyse du Besoin».

CHOIX OPTIMAL DU CONSOMMATEUR. A - Propriétés et détermination du choix optimal

Partie 5 : La consommation et l investissement

VISA PLATINE AFFAIRES VOYAGES RBC BANQUE ROYALE ASSURANCE ACHATS D ARTICLES DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ CERTIFICAT D ASSURANCE INTRODUCTION

Comment générer des revenus en Affiliation

Economie de l incertain et de l information Partie 1 : Décision en incertain probabilisé Chapitre 1 : Introduction à l incertitude et théorie de

Stratégie simple et efficace pour augmenter officieusement le taux de vos livrets d épargne défiscalisés

CAP TERTIAIRE/INDUSTRIEL

ASSURANCE MALADIE : REDÉFINIR LE PARTAGE ENTRE COUVERTURE OBLIGATOIRE ET COMPLÉMENTAIRE? *

Inégalités sociales de santé et accès aux soins. Inégalités sociales de santé et protection sociale Psychomot 1 UPMC/VHF

Info-assurance Séance d information de l IASB du 19 mars 2015

Epargne : définitions, formes et finalités.

Evaluation Agi Son Agi son Evaluation de la campagne de sensibilisation aux risques auditifs liés à l écoute de musiques amplifiées

2) Les déterminants de la motivation des arbitres et entraîneurs:

LES DIFFERENTS TYPES DE MESURE

Compte rendu du 7 ème colloque organisé par Groupama Asset Management, CEPII-CIREM, le 22 octobre 2009

Focus. Lien entre rémunération du travail et allocation de chômage

PERCEPTION ET PERCEPTION SOCIALE

ASSURANCE-LITIGE EN MATIÈRE DE BREVETS

Canada-Inde Profil et perspective

La fumée de tabac secondaire (FTS) en Mauricie et au Centre-du- Québec, indicateurs du plan commun tirés de l ESCC de

LA GESTION DE LA FORCE DE VENTE ABORDEE SOUS L ANGLE DE LA REMUNERATION

Sylvie Guessab Professeur à Supélec et responsable pédagogique du Mastère Spécialisé en Soutien Logistique Intégré des Systèmes Complexes

LA MIGRATION DES FEMMES ET LES TRANSFERTS DE FONDS : CAS DU CAP VERT, DE LA CÔTE D IVOIRE, DU MAROC ET DU SENEGAL

Transcription:

Les approches alternatives au PIB : l exemple de l indicateur de revenu équivalent Guillaume Gaulier Banque de France et CEPII Cette présentation s appuie principalement sur des travaux de recherche conduits avec Marc Fleurbaey (Directeur de recherches au CNRS, CERSES, et Princeton) et Michel Fouquin (CEPII). Cf. «Mesurer et comparer les niveaux de vie» dans Economie mondiale 2011, Repères, La Découverte, et «Au-delà du PIB, mais jusqu où?», Lettre du CEPII de

Les indicateurs de production passent à côté de dimensions importantes du niveau de vie : le temps de loisir la qualité du travail la sécurité économique la qualité de l environnement l accès aux biens et services publics la structure familiale la santé 2

Pourquoi aller au-delà du PIB? Il est dangereux de fixer un cap avec une mauvaise boussole Si les mesures sont défectueuses, les décisions risquent d être inadaptées Nul ne sait quel doit être l objectif ultime des individus et des collectivités. Mais on peut, au moins, avoir l ambition raisonnable d évaluer l influence de différents éléments de la situation socio-économique des populations sur leur bien-être, compte tenu de leurs propres préférences à ce sujet 3

Mesure subjective ou objective? Utilité subjective : beaucoup de progrès dans la collecte des données, dans leur analyse économétrique, etc. Mais deux caractéristiques qui limitent l usage à des fins de comparaisons (internationales par exemple) : Les aspirations s adaptent aux circonstances Et dépendent de comparaisons avec différents groupes (collègues, amis, famille) 4

Les situations objectives comptent pour ellesmêmes, indépendamment de leur appréciation subjective par les personnes concernées : En admettant que la proportion de personnes se déclarant heureuses n ait pas varié depuis cinquante ans dans les pays développés (paradoxe d Easterlin, contesté), peut-on penser que les habitants de ces pays seraient prêts à revenir aux conditions matérielles qui prévalaient dans les années soixante? Serait-il acceptable de réaliser l égalité de bonheur subjectif sans s attaquer aux sources des inégalités objectives? 5

L approche par le revenu-équivalent Elle se réfère à une notion de base de l économie du bien-être : les variations compensatoires L idée est qu un arbitrage existe entre les différentes composantes, monétaires et non-monétaires, du niveau de vie et que la variation de l une de ces composantes peut être compensée par la variation d une autre Par exemple, nous ne sommes pas prêts à sacrifier tout notre temps libre ou toute notre santé pour un supplément de revenu (contrairement à ce que suppose implicitement une mesure du niveau de vie par le PIB). En revanche, nous pouvons arbitrer entre un peu moins de loisir et un peu plus de revenu : On peut imaginer qu un individu qui travaille 35 heures par semaine avec un revenu de 100 serait prêt à travailler 42 heures avec un revenu de 150 ; mais une situation où, travaillant 42 heures, il ne recevrait que 130 équivaudrait pour lui à sa situation de départ : 7 heures de travail en moins seraient, pour lui, équivalentes à 30 de revenu en plus Une limite : connaissance des préférences individuelles très limitée. Mais les indicateurs de bien-être subjectifs peuvent donner des informations 6 précieuses (cf Decancq, Fleurbaey et Schokkaert sur le cas de la Russie)

Le temps de loisir C est aux préférences révélées par le partage entre-temps de loisir et temps de travail, et non à l utilité subjective du temps de loisir (à quoi il est consacré, quelle satisfaction il procure) que nous nous intéressons 7

La taille des ménages Un ménage plus nombreux peut utiliser son revenu de façon plus efficace car un même équipement ou service l espace, le chauffage, les appareils électroménagers, la voiture, les assurances bénéficie à chacun de ses membres. 8

Le bien-être social Il s agit de considérer une fonction de bien-être social qui agrège les situations individuelles en marquant une aversion pour les inégalités, c est-à-dire en valorisant moins un euro pour une personne riche qu un euro pour une personne pauvre. 9

Au total (9 corrections) : 10

Revenu équivalent et bien-être subjectif Notre indicateur, bien qu il incorpore plusieurs dimensions non-monétaires du niveau de vie et fasse des hypothèses sur les préférences, n est pas plus proche des indicateurs de bien-être subjectif que du PIB L adaptation des aspirations joue probablement au moins autant pour la santé ou le loisir que pour la richesse monétaire Le Revenu équivalent est peu corrélé avec le degré d optimisme, les affects, en particulier positifs, la confiance dans les institutions, ou la cohésion sociale 11

Un des principaux facteurs permettant de comprendre l hétérogénéité internationale du bien-être subjectif pourrait être d ordre «collectif» : cohésion sociale, adhésion à des valeurs communes, confiance mutuelle et dans les institutions (plus négativement, on pourrait parler de contrôle social) L exceptionnel bonheur danois ne s explique pas principalement par des facteurs objectifs : il pourrait s expliquer par l homogénéité de la société danoise et par son fort degré de consensus et de confiance mutuelle La défiance pourrait l emporter dans l appréciation subjective de la vie par les Français face aux facteurs de bien-être objectifs (temps libre, santé) qui donnent à la France un niveau relativement haut de Revenu équivalent Avec notre approche, tenir compte du degré de confiance mutuelle supposerait de connaître la disposition des Français à diminuer leur revenu (ou leur loisir ) pour bénéficier de la cohésion sociale danoise! 12