À la veille du grand débat sur la protection sociale, annoncé par le premier ministre, beaucoup d interrogations demeurent. Dans une société de plus en plus individualiste, maintenir un système de protection basé sur la solidarité exige des choix politiques forts. Thierry Beaudet, président de la MGEN, nous explique les enjeux et les pistes à explorer. La protection sociale DOSSIER «Après le vote de la Loi de financement de la Sécurité sociale, après la loi sur les retraites, le débat autour de la dépendance, quelles sont pour vous les grandes évolutions qui s esquissent pour la protection sociale en France? Thierry Beaudet : Trop souvent, la question de la protection sociale s envi - sage comme un débat technique et comptable. C est trop réducteur. Il s agit avant tout d un enjeu de société. La vraie question qui doit initier nos réflexions est : veut-on aller vers plus ou vers moins de solidarité nationale? Cela mérite des réponses pensées, réfléchies à partir de la situation réelle et concrète. Depuis des années, les mesures gouvernementales ne sont que des décisions budgétaires, elles tiennent rarement compte des besoins des assurés sociaux, en particulier ceux qui ont les revenus les plus faibles. Au fil des PLFSS ( * ), nous consta - tons que les principes solidaires de notre protection sociale sont consommés. À la veille du grand débat sur la protection sociale, nous pouvons nous interroger n 143 février 2011 l enseignant 15
sur les orientations gouvernementales. Souhaite-t-on que la protection sociale soit toujours fondée sur un régime obligatoire de haut niveau? Croit-on encore à la pertinence de la solidarité intergéné rationnelle et financière? Ou, au contraire, veut-on la privatisation de la protection sociale, la déréglementation de la santé et l individualisation des risques? Ces questions Thierry Beaudet, président de la MGEN. feront le sens de notre système de protection sociale, qui aujourd hui mérite une réforme pour en garantir sa pérennité. Concernant la dépendance, il est important de rappeler que nous ne partons pas de rien. Les dépenses de santé couvertes par l Assurance maladie, l aide personnalisée à l autonomie, les services de proximité et les structures d hébergement existent déjà. Ces acquis doivent être protégés. Il est nécessaire d en évaluer la qualité et de mesurer les insuffisances, sans ignorer la fragilité des financements, l importance des restes à charge pour les familles, les inégalités territoriales. Ensuite, il faut énoncer deux principes. Il ne s agit pas seulement d une question financière. Il faut se préparer au grand-âge. La prévention est essentielle. Comme certaines maladies peuvent être évitées, l inévi - table déclin de nos facultés doit être anticipé pour être mieux géré. L accompagne - ment est aussi de première importance. Les mutuelles sont prêtes à prendre leurs responsabilités dans un cadre partenarial. Ce qui ne veut pas dire une segmentation de plus entre opérateurs publics et privés. De notre point de vue, l État a un rôle déterminant à jouer. Les départements doivent garder leur place dans un futur dispositif. La MGEN insiste sur deux aspects : le lien entre santé et dépendance, dans le sens de la continuité des prises en charge et d une large mutualisation, et la présence dans le débat de notre choix en faveur de garanties annuelles par rapport aux garanties viagères. Concernant l Assurance maladie, nous ne pouvons envisager que l État ne se charge que du «grand risque» et se désengage MGEN, première mutuelle santé française Gestion de la protection sociale de plus de 3 millions de personnes, profession nels de l'éducation nationale, de la Recherche, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. 3676 un numéro unique pour joindre la MGEN de 8h à 18h30. Un réseau de près de 20000 militants et quelques 9 000 salariés. 33 établissements sanitaires et médico-sociaux. Et en 2009, 1,256 milliard distribués en complémentaire santé, 144 millions consacrés aux prestations spécifiques (autonomie, maternité, soutien social, soins coûteux, décès). 16 Syndicat des enseignants - Unsa www.se-unsa.org
complètement du «petit risque», la médecine de ville, les médicaments au profit d opérateurs privés à but lucratif. Quels sont les risques à terme? T. B. : Le risque est réel de cons - tater un recul de l accès aux soins ou un report des soins. Sont visés particulièrement nos concitoyens aux revenus les plus modestes. Nous le constatons chaque jour pour des actes peu pris en charge et coûteux comme en dentaire. Déjà, en France, un étudiant sur quatre déclare avoir déjà renoncé ou retardé des soins parce qu ils étaient trop coûteux. Soyons convaincus que personne ne refuse de se protéger contre le «risque maladie» à moins d y être contraint. Je reviens encore une fois sur la question de la solidarité nationale. Si l Assurance maladie ne remplit plus son rôle originel, chacun essaiera de trouver une solution individuelle en fonction de ses moyens et non pas en fonction de ses besoins. Doit-on se résoudre à une société qui oppose les ménages aisés, avec des complémentaires de haut niveau, et les ménages économiquement plus fragiles qui ne peuvent se payer que des complémentaires «low cost»? Je voudrais finir en rappelant un élément essentiel. La protection sociale est, avec l Éducation notamment, l un des facteurs-clés de développement. Lorsqu elle est insuffisante, les inégalités sociales se creusent. Quelles seraient les pistes possibles afin d assurer une protection sociale optimale? Quelles sont les propositions de la MGEN? T. B. : Comme je l ai dit, nous sommes convaincus que la solution est d abord publique. Prenons la dépendance, notre conviction est plutôt du côté du partenariat public-privé. Je pense aussi que nous devons fondamentalement changer notre vision de la protection sociale : il faut passer de l assurance maladie à l assurance santé. Cela signifie mieux prévenir les risques, mieux éduquer les assurés sociaux et soutenir la Recherche. C est une attente forte de nombreux assurés sociaux qui, par exemple, se tournent vers des médecines nouvelles, plus douces. Nous le percevons aussi dans nos centres de soins avec les patients atteints de maladie chronique qui veulent davantage être acteurs de leur traitement. L éducation thérapeutique des patients et la prévention sont des axes de progrès majeurs. Ensuite, il y a des réformes très concrètes à mettre en œuvre pour assurer l équilibre du système et sa pérennité. Il faut, par exemple, revoir la politique de remboursement des médicaments qui est devenue incompréhensible. Il faut aussi s attaquer aux dépassements d honoraires De notre côté, en tant que mutuelle santé, nous devons faire en sorte que les restes à charge soient les plus réduits possibles. Cela nous incite en particulier à passer des accords avec les praticiens pour réduire les coûts, ce que nous faisons déjà avec les opticiens et les dentistes. Propos recueillis par Dorothée Crespin (*) Projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale. SYNDICAT L AVIS DU Guy Barbier, secrétaire national Retrouvez l interview de Thierry Beaudet en vidéo sur www.se-unsa.org NOUS PARTAGEONS la même vision d une politique de santé globale fondée sur un choix politique fort : celui de la solidarité. Pour le SE-Unsa, la politique gouvernementale menée depuis plusieurs années conduit à l inverse. Thierry Beaudet en présente plusieurs effets néfastes dont le choix, par les plus démunis, d abandonner des soins en raison de leurs coûts. C est un système de protection sociale à plusieurs vitesses qui se développe. La MGEN et le SE-Unsa sont convaincus que des évolutions profondes sont nécessaires et que la solution est d abord publique. À rebours des orientations menées jusqu à aujourd hui, il faut développer la prévention pour préserver la santé plutôt que de guérir la maladie. Au plan budgétaire, la solidarité doit concerner tout le monde y compris les professionnels de la santé. n 143 février 2011 l enseignant 17
FINANCEMENT Les enjeux de la protection C«CHACUN COTISE SELON SES MOYENS ET REÇOIT SELON SES BESOINS». Ce principe majeur issu du Conseil national de la Résistance fonde l équité et la solidarité de notre système de protection sociale. D année en année, ce principe est amoindri et remplacé par des dispositions plus mercantiles. De loi de finances en loi de finances, la tendance s inverse. Les malades supportent per son - nellement, de plus en plus, les coûts liés à leur pathologie. La plupart des dispositifs de protection sociale complémentaire (à l exception notable de quelques mutuelles dont La solidarité nationale doit être la base du système la MGEN) sont basés sur des cotisations indé - pendantes des revenus. Dès lors, toute taxation fait davantage reposer la charge sur les moins riches. Le débat sur la dépendance est éclairant. Les assurances sont à l affût d un marché dont les profits espérés sont à la dimension du nombre de personnes concernées. Pour l Unsa, le financement de la dépendance doit reposer sur la solidarité. Elle refuse l instauration d une protection sociale à deux vitesses. Guy Barbier À l heure où notre système de protection sociale est menacé en France et que les acquis du Conseil national de la Résistance se trouvent mis à mal par notre gouvernement, le SE-Unsa et l Unsa-Éducation accompagnent la MGEN au sein du projet du Réseau Éducation et Solidarité ( * ). Celui-ci travaille dans le but de déve - lopper et promouvoir des systèmes de protection sociale solidaires ou encore de développer des stratégies d éducation et de formation à la protection sociale solidaire. (*) www.educationsolidarite.org 18 Syndicat des enseignants - Unsa www.se-unsa.org
Un peu d histoire 1944 Le Conseil national de la Résistance propose dans son programme un «plan complet de Sécurité sociale» 1945 Ordonnances assurant la création du système de Sécurité sociale ainsi que la refonte du système des assurances 1967 Réorganisation du régime général de la Sécurité sociale 1975 Généralisation à l ensemble de la population active de l assurance vieillesse obligatoire 1988 Création du revenu minimum d insertion (RMI) 1990 Création de la contribution sociale généralisée (CSG) 1997 Instauration de la Carte vitale 1999 Création de la couverture maladie universelle (CMU) 2004 Réforme de l Assurance maladie 2006 Mise en place du Régime social des indépendants SICKO Qui se souvient de ce film de Michael Moore? Le SE-Unsa vous avait invités à le découvrir à sa sortie en septembre 2007 (Ens n 108). Actuellement en DVD, ce documentaire, s attaquant au système de sécurité américain, permet d aborder les enjeux de la politique de Santé en France. QUELQUES CHIFFRES 15 à 20% des Français renoncent aux soins pour des raisons économiques. Selon une enquête Baromètre Ipsos-SPF réalisée en août 2008, 30% des renoncements aux soins concernent des lunettes, 24% des actes dentaires. Chez les jeunes, la situation est pire. 30% des 20-24 ans ont déjà renoncé à l achat de médicaments. 22% des Français faisant partie des couches populaires estiment ne pas être en bonne santé. Sur 100 euros versés à la MGEN : 9,67 partent directement dans les caisses de l État dont 3,67 relatives à la fiscalité et le reste pour financer la CMU (couverture maladie universelle). La Sécurité sociale affiche une prise en charge de 75% des dépenses de santé. Or, à y regarder de près, pour les 80% de personnes qui ne souffrent pas d ALD (affections de longue durée) ou qui ne sont pas hospitalisées, seulement 1 euro sur 2, en termes de dépense de santé, est pris en charge. Indignez-vous! Dans son petit livre «Indignez-vous!», paru aux éditions Indigènes, Stéphane Hessel évoque comme socle de son engagement politique le programme élaboré par le Conseil national de la Résistance en 1944 qui regroupait «un ensemble de principes et de valeurs sur lesquels reposerait la démocratie moderne de notre pays». Il rappelle l importance de ces valeurs, sans cesse remises en cause par les politiques menées successivement depuis 1992 : la retraite et la Sécurité sociale, l Éducation pour tous, une presse indépendante, la nationalisation des sources d énergie et des grandes banques, la soumission de l intérêt particulier à l intérêt général. REPÈRES SÉCURITÉ SOCIALE FRANCE / ÉTATS-UNIS La Sécurité sociale en France comporte actuellement quatre branches pour le régime général : la branche maladie, la branche famille, la branche recouvrement et la branche vieillesse. Son financement repose essentiellement sur les cotisations sociales, contrastant avec celui des pays nordiques, ou dits libéraux, qui utilisent le financement par l impôt. Aux États-Unis, les droits sociaux ne sont pas inscrits dans la Constitution, malgré cela, le gouvernement américain applique plusieurs programmes afin d aider les personnes en difficulté. La protection sociale dépend de la situation de l individu : l assurance maladie n est pas obligatoire et les programmes Medicare et Medicaid sont utilisés par les plus démunis, tandis que les actifs passent en général par des assurances privées. n 143 février 2011 l enseignant 19