L application du droit de la concurrence dans le gaz et l électricité : puissance ou impuissance? François Lévêque (energypolicyblog.com) 17 janvier 2008 Séminaire d Economie de l Energie
Les pouvoirs de la Commission selon le Règlement 1/2003 Décisions (Art. 7 à 10) Plainte et auto-saisine Remèdes comportementaux et structurels (mais avec garde-fou) Mesures conservatoires Pouvoirs d enquêtes (Art. 17 à 21) Enquête sectorielle Toute information nécessaire Inspection (y.c dans les parties privées, mais très encadré) Pouvoirs de sanction Jusqu à 1% du CA total si l information fournie est incorrecte ou trompeuse Jusqu à 10 % du CA total en cas d infraction Mais pas de sanction pénale (e.g., emprisonnement)
Procédures engagées et décisions Contrôle des concentrations de dimension européennes GdF/Suez, EdP/GdP, Eon/Endesa Art. 81 : comportements coordonnés Accords horizontaux Clause de destination : Gazprom/ENI (2005); Omv/Gazprom (2005). Procédure formelle contre EON et GdF soupçonnés de partage de marché via le gazoduc MEGAL (2007). Collusion. En Allemagne, procédure en cours du Bundeskartellamt contre EON, Vattenfall, RWE e EnBW (allégations de réunions secrètes et d échanges d informations) Accords verticaux, contrats de long terme de commercialisation (Distrigas) et d approvisionnement (EON) Article 82 : pratiques unilatérales (abus de position dominante) Décision du 10 décembre 2007 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre par EdF (plainte de Direct Energie)
Les obstacles au développement de la concurrence dans le gaz et l électricité Les forces du marché qui érodent traditionnellement les monopoles sont ralenties Élargissement géographique du marché lent car dépendant des investissements en infrastructures Innovation technologique longue La volonté politique de libéralisation est modérée attachement des Etats-membres au caractère national de la politique énergétique patriotisme énergétique
Difficultés de l application du droit de la concurrence dans l électricité et le gaz Concentrations Règle des 2/3 inadaptée : trop de fusions sont contrôlées par les Etats-membres effets de la fusion plus incertains Art. 81 et 82 Mise en évidence de l abus très difficile tant pour la collusion tacite que pour les pratiques unilatérales Potentiel de pouvoir de marché élevé Exercice de pouvoir de marché difficile à déceler et à prouver Voir : F. Lévêque, La mise en oeuvre du droit de la concurrence dans les industries électriques et gazières : problèmes et solutions, Concurrences, n 2, 2006
Tentations d interventionnisme Les autorités de la concurrence nationales et la Commission pourraient vouloir donner un coup de pouce au processus de libéralisation et aux nouveaux entrants ainsi qu un coup de main aux autorités de régulation l opportunisme n est pas l apanage des entreprises réglementées En recourant à des moyens habituellement peu utilisés (enquête sectorielle, prix excessifs 82(a)) En étant plus sévères dans les décisions (e.g., concentrations) En obtenant des avancées dans le cadre de transactions (e.g., négociations pour la modification des contrats de long terme) Ont-elles résisté à la tentation?
Prix excessifs Les pratiques d exclusion (e.g., prédation) forment la majorité des infractions à l article 82 Mais le Traité ouvre également la porte à la condamnation pour prix excessifs (i.e., pratiques d exploitation) Usage rarissime (4 cas en 40 ans) mais menace plus fréquente (Motta et de Streel, 2003) Application en cours ou à venir dans le secteur énergétique? Proposition : limiter le recours à l article 82(a) dans le cadre de comités de surveillance des marchés de gros et des interconnections
Une plus grande sévérité dans le contrôle des concentrations? Rappel : elle serait économiquement justifiée car dans l énergie les conséquences négatives pour le consommateur sont plus fortes lorsque l autorité de concurrence se trompe en laissant filer une concentration anticoncurrentielle qu en bloquant une fusion proconcurrentielle (Barquin et alii, 2006) Cas exemplaires EdF/EnBW : élimination d un concurrent potentiel? EdP/GdP : interdiction trop sévère? GdF/Suez : remèdes disproportionnés?
Vue d ensemble (247 fusions, 1998-2007)
Nombre d opérations et valeurs Dimension européenne Dimension nationale ou européenne
En général, pas d effets anticoncurrentiels
Le contrôle des concentrations n empêche pas la consolidation du secteur
Les parties de bras de fer dans l application de l article 81 et 82 Article 81 Les documents n étant pas publics, il est difficile de se faire une idée de la partie jouée D autant que pour les contrats de long terme d approvisionnement gazier, il s agit moins d antitrust que d intégration de marché Il semble cependant que la Commission néglige les aspect proconcurrentiels des contrats de long terme et n examine pas s ils contrebalancent les effets anticoncurrentiels Article 82 Pas de décision européenne Seul cas documenté : la décision du Conseil de la concurrence du 10 janvier 2007
Direct Energie contre EdF 22 février 2007: saisine du Conseil de la Concurrence par Direct Energie qui reproche à EdF de refuser de lui fournir de l électricité d origine nucléaire sur le long terme (offre sur 15 ans) et de l associer aux investissements pour la construction de nouvelles centrales de pratiquer des prix discriminatoires dans l approvisionnement en électricité pour ses activités de commercialisation (Direct Energie obtiendra-t-il mieux à travers le Conseil? ) 28 juin 2007: Décision de mesures conservatoires (abandon du tarif EdFPro) 10 Décembre 2007: fin de la procédure suite à un engagement d EdF d offrir un accès à 1500 MW de sa capacité nucléaire installée
Le marché et l abus Le marché libre de détail des petits consommateurs EdF détient 65% de part de marché grâce au contrat EdF Pro qui, à peu de choses près, calque le tarif réglementé le marché retenu n est pas le marché réglementé où le prix est fixé par «l Etat selon une logique de couverture des coûts et non d alignement sur les prix de gros» Le Conseil rejette l idée d intervenir pour permettre aux opérateurs alternatifs de concurrencer EdF dans la fourniture d électricité au tarif réglementé Des opérateurs alternatifs pris en ciseau entre un prix de détail faible (contrat EdF Pro) et un prix de gros élevé
Test de squeeze (source : Décision 07-MC-04)
Le remède L engagement d EdF consiste à ouvrir l accès à une partie de sa capacité (1500 MW pour une durée de 15 ans) soit de l ordre de 10 TWh/an, soit un 1/4 de plus que la taille du marché d aujourd hui servi aux 2/3 par EdF, soit une possibilité de croissance de 10% par an de la clientèle des opérateurs alternatifs, soit 5% de la taille du marché réglementé au jour d aujourd hui En deux périodes 2008-2012 : prix fixe de 36,8 /kwh à 47,2 /kwh 2013-2022 : méthode de calcul fixe cherchant à refléter l évolution du coût complet d un nouveau réacteur (EPR Flamanville 3) Ce contrat est mis en enchère (P0) et peut être cédé à la fin de la première période
Les déterminants de l effet de l engagement Persistance et niveau des tarifs réglementés Taille du marché libre puis à leur disparition, degré d influence des prix de gros sur les prix de détail Si EdF établi son prix de détail à partir du prix sur le marché de gros, la hausse risque d être très forte pour les petits consommateurs; et si EdF ne le fait pas, l opérateur historique court le risque d être accusé de squeeze Caractère concurrentiel de l enchère A l équilibre P0 devrait être égal à l écart entre le prix de gros anticipé et l évolution anticipée du coût complet (i.e., pas de gain pour les opérateurs alternatifs) Le Conseil espère-t-il la collusion?
Fin des tarifs réglementés en 2012 Le Conseil affirme que P0 n a pas d incidence sur la première période car la revente de P0 est autorisée Mais rien n assure que le contrat pourra être revendu à un prix égal ou supérieur à son prix d achat Par ailleurs, même à P0 nul, il n est pas sûr qu il soit rentable pour les opérateurs alternatifs d y souscrire Vivement mai 2008, date de la première enchère pour 500 MW, pour savoir s il y aura des acheteurs et quel sera P0!
Fin des tarifs réglementés en 2022 Sous-investissements en production probable Gaspillage de l électricité puisque les consommateurs ne sont pas soumis à la contrainte de rareté À l encontre des politiques environnementales Développement de la concurrence freiné
Le Conseil de la concurrence, nouveau régulateur de l électricité Surveillance du comportement d EdF sur le marché libre qui revient à lui imposer un prix de détail Encadrement en volume de la croissance des opérateurs alternatifs (+ 10%/an) Risque de collusion Risque de promotion et de maintien d entrants moins efficaces
Conclusion La Commission européenne en tant qu autorité de la concurrence n est pas toute puissante Le droit de la concurrence est, de façon général, impuissant pour créer et développer la concurrence. Son rôle est de la protéger lorsqu elle existe, et non de servir de voiture balai ou de cache-misère lorsque qu une politique d ouverture à la concurrence dans une industrie de réseau ne se donne pas les moyens de réussir