LE TRANSFERT D ARGENT DES MIGRANTS : LE CAS LUXEMBOURG - CAP VERT

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Transcription:

LE TRANSFERT D ARGENT DES MIGRANTS : LE CAS LUXEMBOURG - CAP VERT Publié par l ATTF (Agence de Transfert de Technologie Financière, Luxembourg) dans le cadre de l Année des Nations-Unies dédiée au microcrédit. Auteur : Jean-Louis Guarniero, consultant, Luxembourg Luxembourg - Décembre 2005 I

Cette étude a été réalisée à la demande de l'attf par M. Jean-Louis Guarniero, consultant, avec le soutien du Ministère des Affaires Etrangères, Direction de la Coopération au Développement. ADA (Appui au Développement Autonome) a contribué à cette étude en tant que conseiller. Ce document peut être téléchargé aux adresses suivantes : www.microfinance2005.lu ou sur www.attf.lu. Vos commentaires peuvent être envoyés à l ATTF (contact@attf.lu). Copyright 2005 ATTF Agence de Transfert de Technologie Financière, Luxembourg De courts extraits de cette publication pourront être utilisés sans autorisation, à condition que la source soit mentionnée. Pour tout droit de reproduction ou de traduction, veuillez prendre contact avec l ATTF (contact@attf.lu). II

CONTEXTE ET OBJECTIFS Cette étude a été financée par le Ministère des Affaires Etrangères, Direction de la Coopération au Développement, dans la cadre des financements alloués à l ATTF pour ses activités 2005 et dans l optique particulière de l année des Nations- Unies dédiée au micro-crédit. Un des buts de cette étude était d examiner comment la gestion des transferts financiers des migrants pourrait gagner en efficacité tant en amont qu en aval. Dans cette optique, les questions des canaux et des coûts des transferts ont été étudiées en amont tandis que celle de l utilisation des fonds transférés dans les circuits économiques du pays concerné l ont été en aval. Etant donné la relation particulière existant entre le Luxembourg et le Cap Vert, l étude s est focalisée sur les transferts des migrants entre ces deux pays. Il s agit donc de favoriser le développement économique des pays concernés et d encourager la captation des flux financiers afférents par le système bancaire traditionnel tout en gardant à l esprit la responsabilité sociétale du banquier vis-à-vis du tiers-monde. L étude intègre également la question du blanchiment d argent et de la lutte contre celui-ci. Cette étude a été présentée lors de la «Semaine Microfinance Luxembourg : Marché des capitaux Dialogue européen Finance rurale», qui s est tenue du 17 au 19 octobre 2005 à Luxembourg.

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert

TABLE DES MATIÈRES TABLEAU DES ACRONYMES...5 SYNTHÈSE...7 INTRODUCTION GÉNÉRALE... 11 - Caractéristiques géographiques et climatiques du Cap Vert - L importance de la diaspora capverdienne 1. DEFINITION ET IMPORTANCE DES TRANSFERTS DES MIGRANTS... 13 1.1. Définition 1.2. Les transferts formels 1.3. Les transferts informels 2. SYNTHESE DES ETUDES SUR LES TRANSFERTS DES MIGRANTS... 17 2.1. Les canaux de transfert 2.1.1. Les étapes des transferts internationaux 2.1.2. Les mécanismes de transfert internationaux 2.2. L accès aux services et le coût 2.2.1. L accès aux services dans le pays d accueil comme dans le pays bénéficiaire 2.2.2. Le coût de la prestation, facteur déterminant mais pas exclusif 2.3. Les facteurs communs des transferts des migrants 2.4. Les particularités des transferts des migrants capverdiens 3. LES TRANSFERTS DES MIGRANTS CAPVERDIENS DU LUXEMBOURG... 23 3.1. Importance relative des transferts des migrants 3.2. Les attentes des migrants capverdiens 3.3. Les banques de la place : la BCEE acteur historique 3.4. Le rôle prédominant de Western Union-PTT 3.5. Les transferts informels 4. LA SITUATION AU CAP VERT... 31 4.1. Le secteur bancaire formel : Caixa Economica et BCA 4.2. La forte implantation récente de Western Union 4.3. Les ONG et associations communautaires, véritables relais des activités de microfinance 4.4. Les avantages et inconvénients de la situation actuelle 4.4.1. Les caractéristiques particulières du Cap Vert 4.4.2. L absence de législation spécifique concernant la microfinance 4.4.3. Des besoins d assistance technique au sein des banques et des ONG / associations communautaires 4.4.4. L Instituto das Comunidades : facteur de regroupement de la diaspora 4.4.5. La tradition des mouvements associatifs au Cap Vert, pilier des formes de solidarité sociale 5. SYNTHESE DE LA SITUATION ET PROPOSITION DE PLAN D ACTION... 55 5.1. Un déficit d image à combler pour les acteurs du secteur formel au GDL 5.2. Satisfaire les attentes d une clientèle ciblée et sensibiliser la fibre communautaire 5.3. Encourager le financement d activité de microfinance par des produits d épargne spécifiques 5.4. Mettre en place des lignes de crédit en faveur d une banque capverdienne active dans le domaine 5.5. Assurer une assistance technique à l égard des acteurs locaux 3

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert CONCLUSION... 59 ANNEXES... 60 Annexe A : Termes de références Annexe B : Personnes rencontrées et programme de travail Annexe C : Documents bibliographiques Annexe D : Questionnaire proposé aux établissements financiers Annexe E : Projet de loi microfinance Annexe F : Loi de 1995 sur les dépôts des migrants Annexe G : Loi sur le blanchiment de l argent 4

TABLEAU DES ACRONYMES TABLEAU DES ACRONYMES ACDI/VOCA ACH ADF AMINA BAD BCV BCA BCEE BCN CCP CECV CGAP CVE FAMPICOS FAO IMF MAE MORABI MTO MTPN OMCV PFEME PSF PT PVD SWIFT UNDP WOCCU WU Agricultural Cooperative Development International/Volunteers in Overseas Cooperative Assistance Automatic Clearing House African Development Fund African Development Fund Microfinance Initiative for Africa Banque Africaine pour le Développement Banco de Cabo Verde (Banque Centrale du Cap Vert) Banco Comercial do Atlantico Banque et Caisse d Epargne de l Etat Banco Caboverdiano de Negocios Compte Chèque Postal Caixa Economica de Cabo Verde The Consultative Group to Assist the Poors Cabo Verde Escudos Association communautaire de caisses mutuelles villageoises Food and Agriculture Organisation of the United Nations Institution de Microfinance Ministères des Affaires Etrangères Coopérative Morabi de promotion socio économique des femmes Money Transfer Operator Money Transfer Proprietary Network Organisacao das Mulheres de Cabo Verde (Organisation des Femmes du Cap Vert) Programme de Formation et Emprunts aux Microentreprises Professionnel du Secteur Financier Postes & Télécommunications Pays en Voie de Développement Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication United Nations Development Programme World Council of Credit Unions Western Union Taux de change indicatif : 110,265 CVE = 1 EUR 5

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert 6

SYNTHESE SYNTHESE Le Cap Vert, par sa situation géographique particulière, est soumis à des conditions climatiques difficiles qui exposent le secteur de l agriculture à des risques récurrents de sécheresse. Durant le siècle passé, l archipel a connu des phénomènes migratoires massifs vers les 3 continents, américain, africain, et européen, suite à de nombreuses famines, et pour répondre également à une demande croissante de migrants dans les pays d accueil. Ainsi, la population d origine capverdienne vivant en dehors du pays serait plus importante que la population résidente. Les transferts des migrants représentent une proportion significative des flux financiers qui alimentent la balance des paiements du pays, et contribuent aux besoins de consommation des familles. Les transferts des migrants, définis comme une proportion variable du revenu du travailleur envoyée dans son pays d origine, se décomposent en deux catégories principales, les transferts formels et les transferts informels. Les transferts formels, enregistrés dans la comptabilité d un établissement financier, transitent par le réseau bancaire ou par celui d un opérateur spécialisé (MTO). Les transferts informels passent par des intermédiaires non officiels, ou sont assurés par le migrant lui-même, lors d un voyage dans son pays. Les transferts des migrants considérés comme un flux financier stable et soutenu vers les PVD, dépassent l aide internationale au développement depuis 1995. La World Bank estime que les volumes ont triplé de 1990 à 2003, passant de USD 30,4 Mrd à USD 93 Mrd. Les études sur les transferts des migrants font apparaître quelques points communs et surtout de nombreuses divergences selon les pays concernés, les infrastructures disponibles et les approches culturelles. En effet, les étapes des transferts internationaux se caractérisent par : - la qualité et le nombre des intermédiaires au point d entrée de la transaction (Banques, poste, MTO) - les mécanismes de transfert disponibles (électronique ou papier) - la densité et la qualité des intermédiaires dans le pays du bénéficiaire (Banques, Caisses Mutuelles, poste, MTO, bureau de change). Le choix du migrant entre transfert formel et informel sera influencé par l accès aux services dans le pays d accueil comme dans le pays de réception, la convivialité des mécanismes de transfert, le coût de la prestation, et l approche culturelle. Le migrant capverdien regrette le manque d information disponible pour initier un transfert vers son pays, et souhaiterait un accueil personnalisé. Selon le degré d urgence, il choisira le service le plus fiable et rapide au détriment du coût. Certaines particularités du Cap Vert favorisent l utilisation des transferts formels, telles qu un secteur bancaire libéral et structuré, une législation bancaire qui favorise depuis 1995 l épargne rapatriée des migrants, un pays ouvert vers l extérieur, et une confiance dans un système démocratique stable. Les transferts de la diaspora capverdienne représentent des flux de 75 à 80 Mio par an sur la période 2002 à 2004, et affichent une tendance haussière sur la période. Les transferts formels en provenance de Luxembourg, et enregistrés par la BCV en 2004 s élèvent à 1,5 Mio. Parmi les transferts des migrants, trois catégories doivent être distinguées : - les transferts vers un compte épargne au Cap Vert - les transferts plus réguliers pour soutenir la consommation des membres de la famille - les pensions transférées aux capverdiens retraités qui ont travaillé à l étranger. Une relation historique des migrants capverdiens existe avec une banque de la place de Luxembourg, mais de manière générale l accueil au sein des agences bancaires n est pas perçu comme adapté aux besoins. Les migrants affichent cependant une préférence pour les sommes en liquide, ou font appel à un MTO pour un transfert urgent aux membres de la famille. 7

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert Au sein du secteur bancaire, la BCEE et la Dexia assurent la majorité des transferts formels pour le compte des migrants vers le Cap Vert. La BCEE occupe la première place en volume, du fait d un partenariat avec la Caixa Economica et d une relation historique avec les migrants depuis l975. La Dexia occupe la 2 e place en volume, mais constate une diminution des transferts des personnes physiques depuis 2002. Les banques portugaises n assurent qu une part marginale des transactions vers le Cap Vert. La Poste de Luxembourg propose les services de Western Union, auxquels les migrants font appel massivement pour des transferts urgents couvrant les besoins de consommation de la famille. Les transferts informels sont pratiqués souvent lors d un retour au pays. Au Cap Vert, grâce à la législation favorable, le secteur bancaire capte une part significative des transferts des migrants sous forme d épargne, car elle constitue des ressources stables pour les banques. Un des deux acteurs principaux du secteur bancaire, la Caixa Economica joue un rôle actif en microfinance et gère directement depuis plusieurs années quatre lignes de micro-crédit, tout en étant agent WU et assurant l alimentation du réseau des sous-agents dans l archipel. L autre acteur principal, la BCA se concentre sur son métier de banque universelle, sans activité particulière en microfinance, bien qu une demande de la clientèle existe. WU bénéficie d un réseau étendu de 30 agents et sous-agents dans l archipel grâce aux partenariats signés avec Caixa Economica et les Postes du Cap Vert, qui lui permettent de couvrir géographiquement les îles de l archipel. Les ONG et associations communautaires constituent de véritables relais de microfinance, à la fois grâce à la connaissance des besoins des populations, et à l approche participative de la politique de décentralisation. Certaines associations ont renforcé leur capacité institutionnelle, et acquis une expérience significative dans la distribution et la gestion de micro-crédits. En effet, depuis 1997, ACDI/Voca a contribué à diffuser une culture microfinance au sein du tissu associatif, sur la base d un projet de distribution de micro-crédits, complété par des actions continues de formation et d assistance technique. Morabi et OMCV ont ainsi bénéficié de ce savoir-faire et proposent également des micro-crédits à leurs membres. Les ONG se sont regroupées au sein de la plateforme des ONG, et les organisations spécialisées en microfinance au sein de la FAMEF, afin de bénéficier de l effet de taille en matière de négociation et d équipements. Le développement potentiel de la microfinance au Cap Vert repose à la fois sur des facteurs défavorables comme l isolement géographique, la dispersion géographique et le climat, et des facteurs favorables comme la stabilité du régime politique, un taux de croissance élevé assuré par les services, et l impact significatif des transferts des migrants sur la population locale et le système bancaire. Le cadre légal des activités de microfinance n étant pas encore finalisé, une concertation des acteurs du secteur a été initiée sur le projet de loi concerné. Ce projet de loi devrait ensuite être ratifié par le Parlement en 2006. Des besoins d assistance technique persistent dans plusieurs domaines, malgré le savoir-faire acquis depuis plusieurs années par les ONG et associations communautaires. La tradition capverdienne du mouvement associatif, de solidarité entre les communautés, et l existence d un acteur public en charge des relations entre la diaspora et le pays d origine, sont des facteurs fondamentaux pour encourager le soutien du secteur de la microfinance par l épargne des migrants. Un plan d action efficace repose sur l implication active de l ensemble des acteurs concernés, afin de susciter la prise de conscience, de stimuler la fibre communautaire, et d offrir un panel de services adapté aux attentes de la clientèle concernée. Un déficit d image affecte le secteur bancaire, et éloigne certains migrants des services de transferts internationaux assurés par les banques. Ces derniers utilisent les services d un MTO ou les transferts informels. 8

SYNTHESE L orientation d une partie de l épargne des migrants vers le secteur de la microfinance pourrait s envisager par le lancement de plusieurs actions dans les domaines suivants : - Lancement d une étude marketing afin de segmenter la clientèle des migrants, et affiner les moyens proposés - Satisfaire les attentes d une clientèle ciblée, en améliorant les services proposés par des guichets spécialisés - Stimuler la fibre communautaire grâce à une politique de communication adaptée - Encourager le financement d activités de microfinance en proposant des produits spécifiques d épargne - Mettre en place une ligne de crédit spécialisée en faveur d une banque capverdienne active en microfinance - Assurer une assistance technique définie sur la base des besoins exprimés par les acteurs locaux. La taille relativement réduite du Cap Vert, et la volonté du gouvernement capverdien en matière de lutte contre la pauvreté par la décentralisation, permettent d envisager des résultats rapides en matière de distribution de micro-crédits, dès que la loi microfinance sera votée. Le tissu associatif dense, le rôle clé des collectivités locales, et le savoir-faire au sein des ONG et associations communautaires constituent également des facteurs favorables. La relation historique entre la BCEE et la Caixa Economica pourrait servir de base à une action ciblée du Grand-Duché. 9

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert 10

ETUDE INTRODUCTION GÉNÉRALE 1. Caractéristiques géographiques et climatiques du Cap Vert Le Cap Vert, situé à environ 600 km à l ouest des côtes du Sénégal, est composé d un archipel de 10 îles, pour la plupart montagneuses, dont 9 sont habitées. L archipel est scindé en deux groupes d îles : le groupe du nord appelé Barlavento, et le groupe du sud, plus peuplé, appelé Sotavento. Les îles du Cap Vert, colonisées par les Portugais en 1456, ont été initialement peuplées par de nombreux esclaves venant du continent africain. Au cours de leur histoire, les populations locales ont subi de nombreuses famines causées par la sécheresse, qui ont provoqué un exode massif à l étranger, notamment vers les USA au début du 20 e siècle. A titre d exemple, le pays a souffert de 2 famines consécutives à la fin des années 40, famines qui ont provoqué la mort de 25% des résidents de l époque. L archipel, soumis à l influence d un climat sahélien, souffre notamment d un manque de pluie, associé à une faible surface de terres arables (environ 10% de la surface totale). La production agricole ne couvre que 10 à 15% des besoins alimentaires de la population, ce qui rend le pays chroniquement dépendant de l aide internationale. La sécheresse, considérée comme une composante structurelle de la planification nationale, reste un facteur de vulnérabilité des populations rurales et une source d insécurité alimentaire. De plus, le manque de ressources naturelles exploitables conditionne sérieusement les possibilités de développement. Des facteurs climatiques et historiques expliquent ainsi l importance relative de la diaspora capverdienne, notamment jusqu en 1975, année de l indépendance. 11

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert 2. L importance de la diaspora capverdienne L émigration cap verdienne a été marquée par 3 périodes principales durant le 20 e siècle. La première vague remonte au début du 20 e siècle, époque durant laquelle les émigrants ont traversé l Atlantique pour se rendre aux USA, comme par ailleurs de nombreux Européens. La deuxième vague d émigration correspond à la mise en place de quotas d immigration aux Etats-Unis dans les années 20 et aux grandes famines des années 40. La majorité des migrants s est ainsi orientée vers le Portugal, l Afrique de l Ouest et l Amérique du Sud. Durant les années 60, les émigrés capverdiens ont rejoint le flux de migrants vers les pays de l Europe de l Ouest, cette 3 ème vague culminant à l époque de l indépendance en 1975. A la même époque, la migration de citoyens portugais vers les pays du nord de l Europe, a créé un déficit de main d œuvre non qualifiée au Portugal, phénomène qui a accéléré l arrivée de migrants capverdiens dans ce pays. Le Portugal a toujours été un pays de destination en Europe, mais le recrutement de marins capverdiens par le biais du port de Rotterdam a marqué le début de l immigration aux Pays-Bas, et plus généralement dans les pays d Europe du Nord. Ce mouvement a été freiné depuis la dernière décennie, en particulier par une politique plus restrictive d immigration dans les pays de destination, en Amérique du Nord et en Europe. Ce ralentissement du flux migratoire a généré une augmentation notable du taux de croissance de la population résidente. La caractéristique principale de la diaspora capverdienne repose sur une population plus nombreuse de migrants vivant à l étranger (estimée à plus de 500.000 individus en 2001) que la population des résidents au Cap Vert (environ 456.000 habitants). En 2000, la proportion de migrants par rapport à la population de résidents était estimée à 111% (source OCDE). Du fait de cette émigration massive qui a marqué le siècle dernier, l économie du Cap Vert dépend fortement des flux financiers venant de l étranger, en particulier des transferts des migrants. En conséquence, l impact des transferts des migrants s avère prépondérant dans l amélioration de la balance des paiements du pays, et contribue sensiblement à l élévation du niveau de vie de ses habitants, amélioration soutenue par la tradition capverdienne de solidarité au sein des communautés locales, mais également entre la diaspora et les résidents au pays. Cependant, l estimation des transferts informels et des transferts «en nature» reste difficile à appréhender, du fait de l absence de données statistiques fiables. 12

ETUDE 1. DÉFINITION DES TRANSFERTS DES MIGRANTS 1.1. Les transferts de migrants : définition Un transfert de migrant est un envoi transfrontalier de fonds, de la part d un individu qui travaille dans un pays étranger à une autre personne vivant dans le pays d origine. Ces transferts représentent une fraction des sommes gagnées par le labeur du travailleur migrant, et sont envoyées principalement à des membres de sa famille. Certains facteurs distinguent les transferts des migrants des autres catégories de paiements internationaux : - transactions entre individus ou entre individus et foyers - transferts entre pays relativement riches et foyers ou individus relativement pauvres dans le pays de réception - faible montant individuel et fréquence élevée (en général mensuelle) - augmentation de cette fréquence durant certaines périodes de l année (dates culturelles, religieuses) - transferts en augmentation en cas de ralentissement économique ou de difficultés (climatiques, politiques) dans le pays de réception - une part significative des transferts des migrants circule par les circuits informels. Comme les migrations internationales ont fortement augmenté notamment depuis les années 90, ces envois de fonds contribuent à maintenir le contact entre les membres de familles vivant dans des pays différents, à augmenter le niveau de vie dans le pays d origine, et améliorer la croissance économique des pays concernés. Pour les migrants et leurs familles, il est naturel d envoyer des fonds dans le pays d origine, afin de soutenir financièrement les membres de la famille, épargner sur le long terme, ou investir dans un actif immobilier pour le futur. En général, les bénéficiaires utilisent une grande partie de ces fonds pour les besoins quotidiens de consommation, mais également pour investir dans le «capital humain» (nourriture, éducation, santé, amélioration de l habitation) ou des actifs immobiliers ou économiques (achat d appartement, construction d une maison, lancement d une activité professionnelle). Les montants mensuels envoyés s avèrent en général relativement modestes, en moyenne de l ordre de 100 à 200, mais peuvent s élever à 1000, comme pour ceux envoyés par les migrants indiens vivant aux USA. On distingue deux catégories principales de transferts : les transferts formels et les transferts informels. 1.2. Les transferts formels Les transferts formels se présentent principalement comme des mouvements de fonds d un compte bancaire à un autre compte bancaire, en général par le biais du système de messages SWIFT, plus rarement par télex. Une part prépondérante des transferts formels est également assurée par des opérateurs spécialisés (MTO), comme Western Union ou Money Gram, qui assurent des transferts rapides, fiables et sécurisés, mais disposent également d un vaste réseau d agents et de sous-agents. Le premier type de transferts formels suppose que la personne initiant la transaction comme le bénéficiaire disposent d un compte bancaire ouvert dans un établissement financier. Le second type de transferts ne nécessite pas de compte bancaire, notamment au niveau du bénéficiaire. La World Bank estimait les transferts formels de migrants vers les PVD à 80 Mrds d USD en 2002 et à 93 Mrds en 2003, ce qui représente une croissance annuelle de 16% sur la période considérée 2002/2003. En 2003, l Amérique Latine et les Caraïbes ont reçu 30% des flux mondiaux de transferts formels de migrants, suivies par l Asie du Sud (20%), le Moyen Orient et l Afrique du Nord (18%), l Asie de l Est et le Pacifique (14%) l Europe et l Asie Centrale (13%) et enfin l Afrique sub-saharienne (5%). Le Cap Vert est intégré dans cette dernière région, mais se distingue notamment par le pourcentage relatif élevé des transferts des migrants dans le PIB (13% en 2003). 13

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert Le tableau ci-dessous représente la part relative dans le PIB des transferts des migrants pour certains pays de la zone géographique concernée : West African Countries : Workers remittances (Per cent of GDP, average 1998-2000) % of GDP Cape Verde Nigeria Benin Senegal Ghana Togo Guinea 13.20% 5.00% 3.00% 2.70% 0.70% 0.30% 0.20% Source : UNDP 2002 Du fait de certaines insuffisances de reporting, notamment au sein de certains PVD, et de l impact conséquent des transferts informels, ces montants restent probablement sous-estimés. Durant la dernière décennie, les estimations disponibles attestent d un triplement du volume entre 1990 et 2003 (de 30,4 Mrd à 93 Mrd USD). Les transferts des migrants ont notamment dépassé le volume de l aide officielle au développement dès 1995, et occupent la deuxième place juste dernière les investissements directs étrangers. Actuellement, les transferts des migrants constituent un flux financier stable et soutenu vers les PVD, et leur volume croissant a été mis en exergue par les acteurs internationaux et les bailleurs de fonds des pays donateurs. 3 facteurs fondamentaux expliquent l importance croissante de ce type de transferts pour la communauté internationale : -Les transferts des migrants représentent la 2 e source de fonds externes pour les PVD, juste derrière les investissements directs étrangers et dépassent l aide internationale au développement. -Ces fonds, source stable de devises pour les PVD, contribuent à l amélioration de la balance des paiements, des réserves de change, et au bien-être des foyers bénéficiaires. -Le volume de ces transferts devrait encore augmenter dans le futur, et connaître un taux de croissance significatif, bien que le taux de croissance global des migrations semble diminuer. 1.3. Les transferts informels Les transferts informels consistent en un ensemble de moyens de mise à disposition de fonds directement par le migrant lui-même ou par des intermédiaires. Le mécanisme le plus connu est le migrant rapportant une somme d argent à sa famille lors d un voyage dans son pays d origine, ou confiant cette somme à des amis ou relations qui se rendent dans le pays concerné. D autres systèmes opèrent comme des services annexes à une activité de services, telle que l import-export, le commerce de détail, de pierres précieuses ou de métaux précieux, le bureau de change, l agence de voyage. Enfin certains transferts informels sont associés à des pratiques particulières d une communauté religieuse ou ethnique (Hundi, Hawala). Les transferts informels requièrent en général peu de documentation, et le détail de la transaction peut être communiqué par téléphone, fax ou email à la contrepartie qui mettra l argent à disposition du bénéficiaire. Le bénéficiaire utilisera un mot de passe, ou un autre moyen d identification afin de sécuriser la transaction. Ce type de transfert est particulièrement adapté à une population peu lettrée (voir illettrée), non bancarisée et peu familiarisée avec les formalités administratives. Alors que les transferts formels sont enregistrés dans le système comptable d un établissement, aucun support enregistré n est en général disponible pour les transferts informels. De grandes variations ont été constatées selon les pays, basées sur le poids des traditions au sein des populations, le niveau de confiance dans le système bancaire, ou sur la densité du réseau bancaire dans le pays d accueil. 14

ETUDE Concernant la masse des transferts informels, les estimations des experts varient entre 50 et 100% du volume des transferts formels, voir plus de 100% pour certains pays destinataires connaissant une crise politique, disposant d un faible secteur financier, ou soumis à un strict contrôle des changes. Le cycle des transferts des migrants est illustré par le schéma ci-dessous : The cycle of remittances and the players 15

Le transfert d argent des migrants : le cas Luxembourg - Cap Vert 16

ETUDE 2. SYNTHESE DES ETUDES SUR LES TRANSFERTS DES MIGRANTS Du fait de l importance croissante des transferts des migrants dans les flux internationaux, de nombreuses études ont été menées sur le sujet qui ont fait apparaître certains points communs entre les régions ou les pays concernés, mais surtout de nombreuses différences. Bien que cette étude soit limitée aux transferts internationaux des migrants entre pays développés et PVD, les transferts régionaux de migrants et les transferts domestiques de migrants peuvent également être influencés par des facteurs similaires. En effet, le marché du transfert d argent des migrants comporte plusieurs segments, aux facettes plus ou moins complexes et toujours en relation avec les facteurs suivants : - l approche culturelle des ressortissants du pays face à l argent - le nombre d acteurs formels au point d entrée dans le pays d accueil - la densité des acteurs formels dans le pays de destination - l accessibilité des bénéficiaires aux services disponibles. Cette diversité entre mode de transfert et pays concernés peut être illustrée par les données du tableau ci-dessous : Surveys of remittances recipients in different countries or regions Philippines Bangladesh Latin America Mexico Channels Banks 49% 46% 20% 8% MTO/Money couriers 37% - 41% n/a Posts n/a - 14% 68% Other formal n/a - n/a 5% Self/travellers 14% 13% 15% 19% Informal service n/a 40% n/a n/a Source Bannock Consulting June 2003 Nous pouvons examiner les transferts des migrants entre le point d entrée et le point d arrivée de la transaction selon le schéma suivant : - les canaux de transfert disponibles dans le pays d accueil, et la densité de l offre de services au point d entrée - la qualité d accès à ces services et le coût associé - le mode de distribution et la densité des agents disponibles dans le pays bénéficiaire, point d arrivée. 17