St-Cyr c. Résidence Le Monaco inc. 2013 QCCQ 830 CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL «Chambre civile» N : 500-80-023920-128 COUR DU QUÉBEC «Division administrative et d appel» DATE : LE 14 février 2013 SOUS LA PRÉSIDENCE DE L HONORABLE CHRISTIAN M. TREMBLAY, J.C.Q. JEAN-MARIE ST-CYR ÉMILIENNE MONETTE ST-CYR Partie requérante c. RÉSIDENCE LE MONACO INC. Partie intimée et LA RÉGIE DU LOGEMENT Mise en cause JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR PERMISSION D'APPELER D'UNE DÉCISION DE LA RÉGIE DU LOGEMENT (Articles 91 et suivants de la Loi sur la Régie du logement, L.R.Q., c. R-8.1) [1] M. St-Cyr et sa conjointe désirent appeler de la décision rendue le 15 octobre 2012 par la Régie du logement, celle-ci ayant rejeté leur demande. [2] Par cette demande, les locataires désiraient voir l'entente de terminaison de bail, signée le 12 mai 2011, être annulée. Ils réclamaient également une compensation adéquate en raison de leur éviction de la résidence pour personnes âgées qu'ils habitaient depuis 1997, ainsi que des dommages-intérêts et punitifs.
500-80-019632-117 PAGE : 2 [3] Les locataires, qui sont âgés de plus de 80 ans, soutiennent être victimes d'une forme d'exploitation en raison de leur âge, ce qui est contraire à l'article 48 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne 1. [4] Il appert de la décision rendue par la Régie du logement que Résidence Le Monaco inc. était propriétaire d'une résidence pour personnes âgées. [5] Suite à des difficultés financières, Résidence Le Monaco inc. décide de mettre un terme à ses opérations. Le 10 mai 2011, elle avise ses 123 locataires que la résidence fermera ses portes le 22 juin 2011. [6] L'entente de terminaison prévoyait notamment des mesures pour aider les locataires à se reloger, une indemnité équivalente à trois mois de loyer et le remboursement des frais de déménagement. [7] Après le départ de tous les locataires, l'immeuble est vendu le 16 avril 2012 à un prix inférieur à celui payé par Résidence Le Monaco inc. en 2001. [8] L'analyse qu'en fait le régisseur et les conclusions qu'il en tire sont assez sommaires: 4) ANALYSES ET CONCLUSIONS : [99] Quant au statut de madame Monette St-Cyr, les éléments de preuve soutiennent qu'elle fut locataire (dont le bail et certains avis de reconduction L-1, le bail initial indiquant que les locataires sont «Mr. Mme. J-M St-Cyr»), au surplus du fait que l'article 397 du Code civil impose ici de conclure que madame St-Cyr est liée par le bail. Il appert manifeste qu'elle était une locataire tout comme il appert manifeste que l'entente de terminaison fut signée par son mari avec son accord. [100] Il est vrai que la fermeture d'une résidence pour personnes âgées n'est pas spécifiquement visée par une disposition du Code civil. Il est des décisions qui indiquent que le droit au maintien dans les lieux survit à la faillite d'un locateur, mais aucune décision soumise ne concerne le cas d'une résidence pour personnes âgées qui choisit de fermer ou qui ne peut plus continuer à opérer. Peut-on forcer le droit au maintien dans les lieux en l'absence des services reliés? Quels seraient alors l'indemnité appropriée et le délai de préavis requis? Il s'agit là de questions intéressantes, mais que le tribunal n'a pas à trancher pour disposer du présent recours. [101] Si les principes énoncés dans l'arrêt Vallée devaient être appliqués aveuglément, sans tenir compte des faits, cela emporterait une infantilisation inappropriée des personnes âgées. Et cela serait contraire aux enseignements 1 Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.
500-80-019632-117 PAGE : 3 de la Cour d appel dans l arrêt postérieur rendu le 5 avril 2012 (Turcotte c. Turcotte, EYB 2012-204996). [102] C'est dans l'ensemble de la preuve qu'il faut rechercher si les droits des personnes âgées ont été, en l'espèce, bafoués à cause de leurs vulnérabilités spécifiques. [103] Or, en l'espèce, la preuve démontre au contraire que les demandeurs disposaient de toutes leurs capacités au moment d'exercer le choix de signer. [104] De plus, la preuve ne permet pas de conclure que l ensemble de la situation a obligé les locataires à signer : ils auraient très bien pu décider de ne pas le faire, quitte à déposer les recours appropriés pour obtenir les compensations découlant de la fermeture. [105] Cette compensation aurait-elle été supérieure aux frais de déménagements et à deux mois de loyers? Cette question n'a pas non plus à être répondue en l'espèce. [106] Il est manifeste que les demandeurs avaient un esprit libre et éclairé lorsqu'ils ont signé l'entente qui prohibe tout recours. [107] L'entente convenue fut respectée par la locatrice et le paiement fut versé et encaissé sans réserve, les frais de déménagement ayant été assumés par la locatrice. [108] Rien dans la preuve ne permet de justifier la nullité de cette entente et de la quittance qui y est incluse. [9] Le procureur des locataires soutient que le régisseur a limité son analyse à la question du consentement. Il a mal interprété la jurisprudence 2 en matière d'exploitation des personnes âgées (art. 48 de la Charte). [10] Selon lui, il n'est pas nécessaire ici de reprendre l'audition de novo. Il y a au dossier une preuve suffisante pour conclure à une forme d'exploitation des locataires. [11] Il souligne qu'il s'agit ici de la première fois que la Régie du logement était appelée à se prononcer sur l'application de l'article 48 de la Charte dans le contexte de l'éviction de locataires d'une résidence pour personnes âgées. [12] Puisque les locataires ne soulèvent pas d'erreur d'appréciation de la preuve par le régisseur, les représentations du procureur du locateur, à l'effet que les requérants ont fait défaut d'accompagner leur requête de l'ensemble des pièces de la contestation à la 2 C.D.P.D.J. c. Brzozowski, [1994] R.J.Q. 1447 (T.D.P.Q.); Vallée c. C.D.P.D.J., 2005 QCCA 316; Turcotte c. Turcotte, 2012 QCCA 645.
500-80-019632-117 PAGE : 4 Régie du logement (art. 92 al. 1 L.R.L.) ainsi que les transcriptions des témoignages, ne sont plus pertinentes aux fins de décider s'il y a lieu d'accorder la permission d'appeler. [13] Comme le rappelle avec justesse le procureur des locataires dans son volume L'Appel à la Cour du Québec d'une décision de la Régie du logement 3 : À l'étape de la permission d'appeler, le critère servant à accorder une permission d'appeler ne consiste pas à se demander si le tribunal administratif de première instance a commis une erreur de droit ou si cette décision est bien fondée, mais bien si la question soumise en est une d'intérêt général que l'instance d'appel devrait trancher. La Cour du Québec doit rechercher ou déterminer si le plaideur soulève des arguments juridiques sérieux raisonnables, cohérents, défendables et significatifs, bien que contestables. [14] En l'espèce, les locataires soulèvent une question de respect de la Charte qui n'a, semble-t-il, qu'été effleurée par le régisseur. Vu l'importance de la question et le précédent dont la Régie était saisie, il eut été souhaitable que la question soit abordée avec plus d'attention. [15] Le Tribunal croit qu'il s'agit d'une question dont l'importance mérite qu'elle soit soumise à l'attention de la Cour du Québec. [16] Les locataires suggèrent de saisir la Cour du Québec de la question suivante: QUESTION 7 L'annonce aux requérants de la fermeture irrévocable de la résidence, combinée à des menaces de privations de services de relocalisation, de déménagement et de compensations financières, visant à obtenir leur consentement à la résiliation de leur bail constitue-t-elle une situation d'exploitation au sens de l'article 48 de la Charte québécoise lorsqu'elle est exercée envers des personnes âgées de plus de 80 ans et vulnérables? [17] Avec respect, cette formulation manque de neutralité. La question que devra aborder le Tribunal est plutôt la suivante: À la lumière des faits mis en preuve devant la Régie du logement et en tenant notamment compte des dispositions législatives en matière d'éviction, les locataires Jean-Marie St-Cyr et Émilienne Monette St-Cyr ont-ils été victimes d'une forme d'exploitation au sens de l'article 48 de la Charte québécoise? 3 Denis LAMY, L'Appel à la Cour du Québec d'une décision de la Régie du logement, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 161.
500-80-019632-117 PAGE : 5 [18] Afin de répondre à cette question, la Cour du Québec pourra prendre connaissance de toute la preuve présentée devant la Régie du logement comme le prévoit l'article 98 L.R.L. Par conséquent, non seulement les pièces, mais également une transcription sténographique des témoignages devront être produites au dossier avant l'audition. POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : ACCUEILLE la requête; AUTORISE l'appel de la décision de la Régie du logement; PRÉCISE que la question dont est saisie la Cour du Québec en appel est celle indiquée au paragraphe 17 du présent jugement; INVITE le juge coordonnateur adjoint responsable de la division administrative et d'appel à fixer l'audition du présent appel le plus tôt possible en raison de l'âge avancé des appelants; LE TOUT, frais à suivre. CHRISTIAN M. TREMBLAY, j.c.q. Me Denis Lamy Avocat de la partie requérante Me Étienne Bisson-Michaud Gascon & Associés Avocats de la partie intimée Date d audience : Le 4 décembre 2012