Le canal de distribution est-il un outil d analyse dépassé pour étudier les relations clients fournisseurs face à la chaîne logistique?



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Transcription:

Session 7-2 Le canal de distribution est-il un outil d analyse dépassé pour étudier les relations clients fournisseurs face à la chaîne logistique? Carole Poirel Maître de conférences CRET-LOG Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II) 413, avenue Gaston Berger 13 625 Aix-en-Provence cedex 1 mail : cpoirel@univ-aix.fr Résumé : La chaîne logistique est un concept récent, en prise directe avec les pratiques managériales les plus actuelles entre clients et fournisseurs, et vient, selon nous, concurrencer un concept plus ancien : le canal de distribution. Quelles différences, voire quelles oppositions, peut-on déceler entre la chaîne et le canal quant à l analyse de la distribution? Telle est la question posée dans cet article qui tente d y répondre en abordant la délimitation du champ d investigation, la définition des activités et les options managériales privilégiées.

Session 7-3 Le canal de distribution est un outil d analyse fécond des relations entre clients et fournisseurs. Bien qu il soit ancien, les premiers développements datant des années 1950, il est encore beaucoup mobilisé par les chercheurs à l heure actuelle (Filser, 2004). Nous y voyons plusieurs raisons. - Il donne une définition simple des relations interentreprises impliquées dans la distribution d un même bien. Celle que l on peut par exemple retenir : une suite organisée d entreprises chargées d acheminer un produit ou un service du producteur au consommateur, permet d aborder la distribution de façon assez souple. Cette définition peu contraignante ouvre la réflexion à des questions très variées de gestion de la distribution. Ainsi, le canal peut-il tout aussi bien supporter une problématique de flux poussés où le producteur, en position de surplomb vis-à-vis des autres membres, serait capable de leur dicter ses impératifs, qu une problématique de flux tirés où le distributeur, guidé par la recherche de la satisfaction du consommateur, pourrait imposer ses vues à l ensemble de ses partenaires. Toute une gamme de comportements est susceptible d être analysée, qu il s agisse de comportements de minimisation des coûts ou de conquête du pouvoir. - Le canal bénéficie par ailleurs d un ancrage théorique fort et bien connu. La distinction entre deux paradigmes dominants, l un économique et l autre sociopolitique, offre au chercheur l opportunité d un positionnement théorique clarifié, même si (ou surtout si) il souhaite mêler dans son schéma conceptuel les deux types de variables, économiques et sociopolitiques, comme il est courant de le faire. Si le canal de distribution est avant tout un concept marketing, il n est donc pas hermétique aux approches économiques (comme celle de la théorie des coûts de transaction en particulier), béhavioristes (concernant l analyse interentreprises du pouvoir et de la dépendance) ou stratégiques (sous l angle des interactions entre stratégies d acteurs). C est d ailleurs de ce croisement avec d autres approches qu il tire sa richesse d analyse et se renouvelle. D autres concepts que le canal de distribution, comme la filière ou la chaîne de valeur, sont mobilisables pour étudier la distribution comme phénomène interorganisationnel. Il est vrai que la filière n est guère prisée des gestionnaires, en particulier parce qu elle est un concept d économie industrielle, par conséquent attaché à une conception radicalement différente de celle des Sciences de Gestion, de tout ce qui concerne l entreprise et le monde des affaires en général (Bréchet, 1996). De plus, la filière a un champ d analyse différent du canal dans la

Session 7-4 mesure où elle s intéresse à un ensemble d entreprises chargées non seulement de la distribution mais également et surtout de la production. Selon les termes de Morvan (1991), la filière décrit une «succession d opérations s enchaînant très logiquement, depuis le traitement de la matière première jusqu'au produit semi-fini, puis jusqu au produit fini». La chaîne de valeur, concept portérien (Porter, 1982, 1997), a en revanche souvent été associée au canal de distribution dans une perspective d élargissement à la stratégie. Lapassouse (1989) par exemple l a utilisée pour tenter de comprendre comment un acteur du canal pouvait s immiscer de façon intempestive dans la conduite des affaires d un autre acteur et l empêcher ainsi de réaliser ses propres objectifs stratégiques, et comment ce dernier pouvait espérer reconquérir une marge d autonomie vis-à-vis du partenaire envahissant en adoptant un comportement de résistance. La chaîne logistique constitue encore un autre concept, récent et plutôt en vogue aujourd hui, pour appréhender les relations interorganisationnelles. Après avoir été questionnée par rapport au marketing Colin et Paché se demandaient en 1988 si elle n était pas l avenir du marketing (Colin et Paché, 1988) ; Tixier, Mathe et Colin, si elle n était pas le maillon manquant entre production et marketing? (Tixier, Mathe et Colin, 1996) la logistique s est émancipée pour devenir une discipline de gestion à part entière. Loin de se réduire à une série d opérations de base telles que le transport, le stockage ou la manutention, elle est aujourd hui reconnue comme une démarche spécifique reposant sur la gestion des flux et des interfaces. Définie comme la «technologie de la maîtrise des flux» (Colin et Paché, 1988), la logistique envisage l organisation comme «un ensemble de flux en interrelation» (Lebraty, 2000) et met d emblée, les relations entre entreprises, au centre de ses préoccupations. De fait, la distribution en fait partie mais en étant reliée aux activités de gestion de production et des approvisionnements, dans une logique de commandement des flux physiques (marchandises, matières premières etc.) par les flux d informations (commandes des clients, ordres de fabrication ou d approvisionnement). Les développements les plus récents autour du supply chain management (SCM) font de la chaîne logistique, un système de chaînes de valeur caractérisé par un double décloisonnement portant d une part, sur les fonctions à l intérieur des organisations et d autre part, sur les organisations entre elles. Pour Paché et Colin (2000), «le SCM visualise la nécessité d intégrer l ensemble des opérations transverses aux flux physiques et d informations associées, en repérant quels sont les principaux acteurs, entre qui il est capital d établir des

Session 7-5 liens durables et quels processus permettent d y parvenir». Le SCM constituerait ainsi pour ces auteurs, un saut paradigmatique par rapport à la logistique. L objet de cet article n est pas tant de développer ce que recouvrent les notions de logistique et de SCM que de comparer la chaîne logistique, y compris dans ses dernières avancées conceptuelles, au canal de distribution. Nous nous demandons en particulier, si les deux concepts sont conciliables (comme la chaîne de valeur semble l être avec le canal de distribution) ou non (comme la filière de production ne semble pas l être avec le canal). La réponse argumentée ici, est plutôt négative. Canal de distribution et chaîne logistique nous apparaissent en effet, plus concurrents que complémentaires (bien qu ils relèvent a priori tous deux des Sciences de Gestion) tant les représentations qu ils sous-tendent de l entreprise et des relations interentreprises sont différentes. Ce sont ces différences que nous voulons mettre en exergue, non pas tellement pour souligner des antagonismes que pour mettre en lumière des dominantes propres à chacun des deux concepts. Pour ce faire, nous aborderons la comparaison à partir de trois traits constitutifs : la délimitation du champ d investigation, la définition des activités et les options managériales privilégiées. 1. La délimitation du champ d investigation La délimitation du champ d investigation consiste à circonscrire l objet de recherche luimême. Alors que le canal de distribution s en tient au produit fini prêt à commercialiser, la chaîne logistique, à l instar d ailleurs de la filière, inclut en sus de la distribution du produit, les phases de production. Quand ils examinent la chaîne logistique, Lambert et Cooper (2000) s interrogent sur les acteurs participants. Pour ces auteurs, il convient d identifier les acteurs clefs avec lesquels travaille l entreprise focale, c est-à-dire ceux dont le comportement a une répercussion forte et décisive sur cette dernière. Il peut s agir de partenaires de premier rang qui participent directement au processus productif et des partenaires de second rang qui fournissent aux précédents des actifs matériels et immatériels. Aussi la chaîne logistique estelle composée des fournisseurs des fournisseurs ainsi que des clients des clients, comme indiqué dans la figure n 1 ci-après. Surtout, la notion de client est prédominante pour circonscrire la chaîne logistique. Chaque acteur est en effet considéré comme un client car c est l expression du besoin des clients qui permet, d aval en amont, à partir du consommateur final de repérer et d intégrer les participants.

Session 7-6 Figure n 1 : La chaîne logistique Flux d informations Fournisseur du fournisseur Fournisseur Firme focale Client Client du client Consomma- -teur final Gestion de la relation client Gestion du service client Gestion prévisionnelle de la demande Traitement des commandes Gestion des flux de matières et de produits Gestion et planification des équipements Développement et commercialisation des nouveaux produits Gestion des retours Source : d après Lambert et Cooper, 2000. Flux physiques Le canal de distribution a un champ d investigation plus étroit que la chaîne logistique. Les membres du canal sont des entreprises remplissant, au stade du commerce de gros ou de détail, des fonctions d intermédiation commerciale, marketing ou logistique situées entre production et consommation. Contrairement à la chaîne logistique, ni les industriels ni les consommateurs ne sont véritablement considérés comme des acteurs à part entière. Les industriels n intéressent le canal que pour les décisions qu ils prennent en matière de distribution, ce qui escamote toute la sphère productive. Quant aux consommateurs, le canal peine à les intégrer tant il est marqué par une vision traditionnelle du marketing qui veut que l offre (en l occurrence, le canal) soit nettement distinguée de la demande (c est-à-dire, le marché final). Les différences de délimitation du champ d investigation entre canal de distribution et chaîne logistique ont des conséquences analytiques importantes d une part, parce que la figure dominante n est pas la même le distributeur dans le cas du canal ; le client dans le cas de la chaîne et d autre part, parce que les modes relationnels entre acteurs ne sont pas les mêmes non plus un mode vertical pour le canal ; un mode transversal pour la chaîne.

Session 7-7 C est ainsi que le canal devient un cadre naturellement approprié à l étude de toutes les questions concernant le distributeur : son existence, la définition de ses fonctions, sa conquête de légitimité dans le canal, sa stratégie, la nature de ses interactions avec ses partenaires etc. En faisant du client le protagoniste principal, la chaîne logistique met en exergue, quant à elle, une logique de flux tirés par la demande ; c est-à-dire une logique selon laquelle les acteurs répondent à une demande réelle et ne cherchent pas à constituer des stocks à partir de prévisions. C est donc là, nous semble-t-il, une vision très marquée idéologiquement que le canal, en revanche, ne s oblige pas à avoir. Ce qui démarque franchement la chaîne du canal, est son approche transversale des relations entre acteurs. La configuration de la chaîne n est pas celle d un enchaînement de type «un fournisseur une entreprise un distributeur un client» mais plutôt celle de ramifications entre plusieurs fournisseurs avec plusieurs entreprises et plusieurs distributeurs (Morana, 2002). Alors que le canal s en tient surtout à des relations verticales, hiérarchiques, fondées principalement sur la dyade, la chaîne logistique développe également des relations horizontales et latérales dans une perspective de réseau. 2. La définition des activités. Le canal et la chaîne n appréhendent pas de la même manière les activités. Alors que la notion de fonctions caractérise le canal, celle de processus symbolise la chaîne. La fonction est un regroupement d activités commerciales, marketing ou logistiques ; le processus, «un ensemble d activités organisées en réseau, de manière séquentielle ou parallèle, combinant et mettant en œuvre de multiples ressources, des capacités et des compétences, pour produire un résultat ayant de la valeur pour un client externe» (Tarondeau, 1998). Ces différences renvoient à celles évoquées précédemment, à savoir le canal comme organisation verticale et la chaîne comme une organisation en réseau. Le flux constitue une autre façon encore de représenter les activités. Il est en quelque sorte la matière première de la logistique compte tenu de la définition retenue («la technologie de la maîtrise des flux»). Pour certains auteurs, la logistique correspond aujourd hui à une gestion par les flux (Paché et Colin, 2000), signifiant en cela que les décisions intra et inter organisationnelles sont désormais prises en fonction des processus traversant les entreprises impliquées dans une même chaîne. La demande exprimée étant l élément déclencheur de la

Session 7-8 mise en mouvement de la chaîne, le flux prédominant parmi ceux qui existent (physique, financier, d information etc.) est sans conteste le flux d information (Lebraty, 2000). C est lui qui permet de repérer les participants et donc de délimiter la chaîne (voir le point précédent) mais également d organiser la circulation des biens et des matières en vue de servir le consommateur final dans les meilleures conditions possibles. Il est dès lors, l élément structurant l ensemble des processus. Le flux n est pas une notion étrangère au canal de distribution. Stern, El Ansary et Coughlan (1996) l ont en effet introduit dans l analyse du canal. Cependant, pour Lambert et Cooper (2000), «les spécialistes du canal de distribution se sont [ ] focalisés sur les activités marketing et les flux traversant le canal et ont négligé le besoin d intégrer et de gérer les multiples processus clefs à l intérieur et entre chaque entreprise». Autrement dit, le canal opérerait davantage une gestion des flux qu une gestion par les flux (comme la logistique), et confinerait ainsi les flux dans leur statut opérationnel. De plus, la critique des auteurs à l adresse des théoriciens du canal rappelle le principe de séparation fonctionnelle du canal. Depuis Bowersox et al (1980) il est devenu courant de distinguer les fonctions préparant l échange (canal transactionnel) de celles réalisant concrètement l échange (canal logistique). Il est vrai que ce principe tend à faire des deux canaux, des objets autonomes, au fonctionnement distinct. Même si des connexions entre les deux peuvent être recherchées, elles ne s inscrivent pas dans la logique processuelle qui est celle de la chaîne logistique. Le canal demeure par conséquent, dans une vision séparative alors que la chaîne logistique s appuie a contrario sur une vision intégrative. 3. Les options managériales privilégiées L orientation stratégique privilégiée est en rapport avec les caractéristiques d organisation verticale pour le canal et d organisation réseautique pour la chaîne. Le canal de distribution est ainsi le lieu propice aux stratégies d intégration verticale alors que la chaîne logistique s emploie davantage à la gestion stratégique des interfaces. Dans la chaîne, les acteurs sont enclins à promouvoir des mécanismes de communication, de coopération et d engagement réciproque, l expertise des uns ou des autres en matière de coordination et de gestion des flux apparaissant alors cruciale dans la conduite des activités. Dans le canal, les acteurs voient

Session 7-9 plutôt l acquisition d actifs comme le moyen d assumer le contrôle de l ensemble. Il nous semble, en forçant quelque peu les traits pour mieux saisir les oppositions, que la chaîne tend à favoriser les comportements d externalisation et ce faisant, multiplie le nombre de partenaires et rend absolument nécessaire le renforcement des liens entre eux et que le canal est, à l opposé, dans une logique d ajouts d activités (et non de retrait ou d externalisation) pour un acteur ayant des velléités de leadership. La capacité d adaptation est appréhendée comme une nécessité dans le cadre de la chaîne. La réactivité s impose dans un environnement jugé imprévisible qui peut appeler des changements importants tant au plan opérationnel que stratégique pour l entreprise (intraorganisationnelle) et pour la chaîne (niveau interorganisationnel). Le principe d agilité développé par Christopher (2000, 2005) doit être doublement mise à profit par l entreprise pour fonctionner : au niveau externe, «l entreprise réactive doit avoir des fournisseurs flexibles, [ ], être proche de ses clients, se mettre à l écoute de la demande réelle et transmettre ces informations à ses partenaires sur son réseau» ; au niveau interne, «elle doit également se concentrer sur sa propre flexibilité dans sa façon de s organiser, en puisant dans les ressources des silos fonctionnels pour créer des équipes par processus». Le canal de distribution, en revanche, est moins porté sur les impératifs de changements que la chaîne logistique, même si la problématique ne lui est pas étrangère. De plus, la logistique a un rapport au temps primordial, comme le souligne Lebraty (2000), ne serait-ce qu en raison de la notion de flux, qui invite naturellement à prendre en compte le phénomène de circulation des flux en fonction de sa vitesse (mais aussi de sa fluidité). Le temps n est pas une variable aussi sensible dans le canal qui apparaît, par contraste, bien plus figé que la chaîne. Il en ressort que deux comportements sont particulièrement mis en exergue dans la chaîne logistique : la coopération et la résilience. La chaîne logistique, du fait de sa constitution en réseau et de ses contraintes de réactivité, est de nature à promouvoir des collaborations, voire des coopérations, entre entreprises. Quant à la résilience, évoquée par Christopher (2005) au sujet des entreprises dans le cadre du SCM, elle s entend comme «la faculté de la chaîne logistique à s adapter aux perturbations inattendues». Aucun comportement particulier n est véritablement mis en avant dans le canal, même si chaque paradigme a des présupposés en la matière ; le paradigme économique privilégiant des comportements de minimisation des coûts

Session 7-10 (fonctionnel, global, transactionnel) et le paradigme sociopolitique s intéressant, au travers du concept de pouvoir, aux relations de conflit et de coopération. Conclusion La distribution est un phénomène interorganisationnel que différentes disciplines analysent avec leurs propres outils tels que le canal de distribution en marketing, la filière en économie industrielle, la chaîne de valeur en stratégie ou la chaîne logistique en logistique. Le canal et la chaîne auxquels nous nous sommes particulièrement intéressés ici, se sont révélés être des concepts plus opposés que complémentaires, les oppositions ayant été vues sous trois angles : la délimitation du champ, la définition des activités et les options managériales privilégiées (voir tableau n 1). Tableau n 1 : De quelques oppositions entre canal de distribution et chaîne logistique Canal de distribution Chaîne logistique Délimitation du champ d investigation Circonscription Des entreprises chargées Des fournisseurs des d acheminer un bien ou un fournisseurs aux clients des service du producteur au clients. consommateur. Figure dominante Le distributeur Le client / le consommateur final Mode relationnel La verticalité La transversalité Définition des activités Terminologie Fonction Processus Caractéristique de gestion Gestion des flux Gestion par les flux Mode d analyse Séparation entre canal Vision intégrative des processus transactionnel et canal logistique et des acteurs Option managériales privilégiées Dominante stratégique Stratégie d intégration verticale Stratégie de gestion des interfaces Capacité d adaptation Relative inertie. Principe d agilité. Comportements dominants d acteurs Pas de comportements mis en Collaboration / Coopération. exergue. Résilience. Au terme de cette réflexion, nous voudrions souligner d une part que la chaîne logistique, concept plus récent que le canal de distribution, présente l avantage d être en prise directe

Session 7-11 avec les phénomènes actuels de l entreprise tels que ceux concernant des pratiques collaboratives comme le trade-marketing ou l approvisionnement partagé. Le canal peut sembler, du coup, relativement moins intéressant (ou pertinent) à mobiliser. D autre part, le canal nous est finalement (et paradoxalement?) apparu comme un concept plus souple que la chaîne, pour qui veut étudier la distribution. Le choix du concept inscrit la réflexion dans une discipline précise qui a ses propres points de vue sur l entreprise et ses propres méthodes d analyse. Les problématiques ne sont pas non plus (exactement) les mêmes : les concepts ne sont-ils pas en effet, développés pour saisir les préoccupations managériales de leur temps? Or, la logistique repose sur un ensemble de principes dont les plus importants sont, à nos yeux, la primauté des flux d informations sur les autres types de flux et en particulier les flux physiques, la coordination de l offre par la demande, la réactivité (ou agilité) de l entreprise et de la chaîne à son environnement, et la promotion des pratiques collaboratives et coopératives entre entreprises. Si le marketing ne réfute sans doute pas certains de ses principes, du moins les accommode-t-il à sa façon, et surtout le canal nous semble soutenir un cadre d analyse moins marqué que la chaîne bien que des hypothèses sous-jacentes à chaque paradigme du canal existent bel et bien. Enfin, d autres éléments de comparaison entre canal et chaîne peuvent vraisemblablement être discutés. Nous pensons en particulier à l analyse du pouvoir et de la dépendance entre clients et fournisseurs (Poirel et Bonet, 2007). Comment le canal et la chaîne appréhendent-ils cette analyse? Quels sont les points de convergence et de divergence? Y a-t-il des questionnements identiques, sont-ils seulement proches ou bien au contraire dissemblables?

Session 7-12 Bibliographie Bowersox D. J., Cooper M. B., Lambert D. M. et Taylor D. A. (1980), Management in marketing channels, Series in Marketing, McGraw-Hill. Bréchet J.-P. (1996), Gestion stratégique, Le développement du projet d entreprendre, éditions Eska, Coll. Manuel de gestion Eska. Christopher M. (2000), «The agile supply chain. Competing in Volatile Markets», Industrial Marketing Management, Vol. 29, n 1, pp.37-44, Elsevier Sciences Inc. Christopher M. (2005), Supply chain management, créer des réseaux à forte valeur ajoutée, Village Mondial, Pearson Education, 3 ème édition, 1 ère édition : 1992. Colin J. et Paché G. (1988), La logistique de distribution. L avenir du marketing, Chotard et associés éditeurs. Filser M. (2004), «La stratégie de distribution : des interrogations managériales aux contributions académiques», Revue Française de Marketing, n 198, Juillet, pp.7-18. Lapassouse C. (1989), Contribution à l étude des facteurs d évolution des canaux de distribution : l exemple des fournitures industrielles, Thèse pour l obtention du titre de docteur es Sciences de Gestion, Université de Bordeaux I. Lebraty J. (2000), «S intéresser à la logistique : un pari scientifique, managérial et pédagogique», in coord. par Fabbe-Costes Nathalie, Colin Jacques et Paché Gilles, Faire de la recherche en logistique et en distribution?, Coll. Fnege, Vuibert, pp.5-28. Morana J. (2002), «Le coupage supply chain management et tableau de bord stratégique : une approche exploratoire», thèse de doctorat es sciences de gestion, Université de la méditerranée, Aix-Marseille II. Morvan Y. (1991), Fondements d économie industrielle, Economica, Coll. Gestion. Paché G. et Colin J. (2000), «Recherches et applications en logistique : des questions d hier, d aujourd hui et de demain», in coord. par Fabbe-Costes Nathalie, Colin J. et Paché G., Faire de la Recherche en Logistique et en Distribution?, Coll FNEGE, Vuibert, pp31-53. Poirel C. et Bonet D. (2007), «La chaîne logistique, un concept alternatif au canal de distribution pour étudier les relations entre clients et fournisseurs», in coord. par Spalanzani A. et Paché G., La gestion des chaînes logistiques multi-acteurs : perspectives stratégiques, chapitre 9, éditions des Presses Universitaires de Grenoble (à paraître). Porter M. (1982), Choix stratégique et concurrence, Economica, Traduction française. Edition originale : 1980. Porter M. (1997), L avantage concurrentiel, Dunod, Traduction française ; 1 ère française : 1986 (Interéditions). Edition originale : 1985. édition

Session 7-13 Tarondeau J.-C., (1998), «de nouvelles formes d organisation pour l entreprise : la gestion par les processus», Cahiers Français Management et organisation des entreprises, n 287, pp.39-46. Tixier D., Mathe H. et Colin J. (1996), La logistique d entreprise, vers un management plus compétitif, Dunod, 2 ème édition.