Consommation de substances psychoactives, problèmes affectifs et traits de personnalité : test de deux modèles d association



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PSYCHOPATHOLOGIE Consommation de substances psychoactives, problèmes affectifs et traits de personnalité : test de deux modèles d association N. CHAKROUN, J. DORON, J. SWENDSEN (1) Résumé. Si l association entre traits de personnalité, troubles affectifs et abus de substances est bien démontrée, la majorité des études porte sur des populations cliniques, ce qui empêche des conclusions sur la direction de causalité. L objectif de cette étude est d examiner, sur des sujets non cliniques, s il existe des traits de personnalité précis ou des problèmes de l humeur associés à la consommation de substances psychoactives. Deux modèles d association ont été examinés, celui d automédication et celui de déviance sociale. Fondés sur un échantillon de 685 individus, 98 sujets ont été sélectionnés pour former 4 groupes de consommation : les non-consommateurs, les consommateurs d alcool, de cannabis et d autres substances illicites. Seuls les consommateurs d autres substances illicites différaient significativement des non-consommateurs et uniquement pour le trait «recherche de nouveauté». De plus, la comparaison des 4 groupes de consommation a montré que ces scores de recherche de nouveauté augmentaient linéairement du groupe des non-consommateurs au groupe des consommateurs des substances les plus déviantes. Ceci soutient la conclusion selon laquelle le modèle de déviance sociale serait plus pertinent que celui d automédication pour expliquer la co-occurrence de certains traits de personnalité ou problèmes affectifs et de la consommation de substances dans une population non clinique. Mots clés : Automédication ; Comorbidité ; Consommation de substances psychoactives ; Déviance sociale ; Troubles affectifs. Substance use, affective problems and personality traits : test of two association models Summary. The International Consortium of Psychiatric Epidemiology has confirmed the high comorbidity in communitydrawn samples between substance use disorders and anxiety or depression. In the same way, associations between substance use and specific personality traits (such as novelty seeking, harm avoidance or antisocial personality) have also been extensively documented. Self-medication and social deviance are among the most commonly evoked explanatory models for these forms of comorbidity, and are based on findings that affective disorders and specific personality traits often precede the onset of substance use disorders. The selfmedication model postulates that an individual chooses a specific substance according to its psychopharmacologic action on the given psychological state of the person. By contrast, the social deviance model posits that this form of comorbidity is due to the fact that persons consuming certain substances may have affective or personality characteristics that are more severe or more deviant than non-consumers (or than consumers of socially well-accepted substances). In this way, the individual does not use a particular substance to assuage pre-existing disorders but, due to a more deviant personality, is less influenced by social norms and may more easily turn to using illicit substances or to polyconsumption. However, a major limitation of the current scientific literature concerning tests of these models is that previous investigations have been based in overwhelming majority on clinical populations. The examination only of clinical samples renders difficult the identification of causal (or primary) risk factors for the emergence of substance use disorders from the potential consequences of substance use itself. The goal of the current study was therefore to simultaneously compare both models of association using a non clinical population of substance users. In addition to selecting subjects based on use (rather than abuse or dependence), multiple comparisons were corrected with a Bonferroni adjustment. Method A two-phase sampling plan was used with post-stratification on substances use. In the first stage, an initial sample of 685 students was pre-selected based on responses to a battery of self-questionnaires, including information concerning recent consumption of substances (alcohol, cannabis, cocaine, heroin, acid, solvents, and so on), anxiety levels measured by the State and Trait Anxiety Inventory (STAI, Spielberger, (1) Laboratoire de Psychopathologie et d Épidémiologie Psychiatrique, Université Victor Segalen Bordeaux 2, 3 ter, place de la Victoire, 33076 Bordeaux cedex. Travail reçu le 26 octobre 2001 et accepté le 21 novembre 2003. Tirés à part : J. Swendsen (à l adresse ci-dessus). 564 L Encéphale, 2004 ; XXX : 564-9, cahier 1

L Encéphale, 2004 ; XXX : 564-9, cahier 1 Consommation de substances psychoactives, problèmes affectifs et traits de personnalité 1983) and depression levels evaluated by the Center of Epidemiologic Studies Depression Scale (CES-D, Radloff, 1977). Based on responses to these questionnaires, 98 subjects were selected in the second phase to compose four groups of substance users : non consumers (those who did not use any substance during the last month) ; consumers of alcohol only, consumers of cannabis (with or without alcohol) and consumers of other illicit substances (with or without cannabis or alcohol). These subjects were then invited to participate in a brief laboratory-based meeting where they completed the Temperament and Character Inventory (TCI, Cloninger, 1992), which assessed different personality characteristics such as novelty seeking (NS), harm avoidance (HA) or antisocial personality disorder (APD). Analyses The hypotheses concerning self-medication were tested by multiple logistic regression by comparing each group of substance consumption to the non-consumer group relative to levels of anxiety, depression and scores of novelty seeking and harm avoidance. The social deviance model was tested by ANOVAs using contrasts which allowed for a test of a linear tendency across the four groups of consumption relative to each of the personality traits (novelty seeking, harm avoidance and antisocial personality). Results Results of multiple logistic regressions showed no difference between non-consumers and any group of consumers with regard to anxiety, depression and harm avoidance. However, consumers of other illicit substances significantly differed from non-consumers for novelty seeking trait (qor = 8.4 ; p < 0.05). Results of the ANOVA also showed no differences between the four groups with regard to scores of harm avoidance and level of antisocial personality but again a comparison of novelty seeking scores was significant, F(94) = 6.46, p < 0.05. Moreover, the contrast method demonstrated that novelty seeking scores increased linearly and significantly (p < 0.001) from the group of non-consumers to the group of the consumers of the most deviant substances. Conclusion The results obtained in this non-clinical sample are in favor of social deviance model which posits that the personality trait of novelty seeking is associated to the consumption of the most illicit and deviant substances (such as heroin or cocaine). On the other hand, no support was found for the hypothesis of selfmedication which assumes that specific substances should be particularly associated with specific psychological characteristics or vulnerabilities. Key words : Affective disorders ; Co-morbidity ; Self-medication ; Social deviance ; Substance use. INTRODUCTION Des études de cohortes en population générale permettent d estimer la fréquence de la comorbidité entre troubles anxieux ou de l humeur et abus de substances psychoactives. Le International Consortium of Psychiatric Epidemiology (10) a passé en revue les données de 6 cohortes dont 2 sont issues de pays européens (l Allemagne et les Pays-Bas). Cette revue montre que 20 à 26 % des personnes ayant des problèmes d abus ou de dépendance à l alcool ont répondu au moins une fois dans leur vie aux critères diagnostiques de trouble de l humeur et que 25 % à 32 % de ces personnes ont présenté un trouble anxieux. En ce qui concerne les autres substances psychoactives, ces mêmes auteurs trouvent 35 % de comorbidité avec les troubles de l humeur et 45 % avec les troubles anxieux. Outre la comorbidité entre les troubles liés aux substances et les syndromes cliniques, la littérature s intéresse également à son association avec certains traits ou troubles de la personnalité. Les résultats les plus fréquemment rencontrés concernent la recherche de nouveauté, l évitement du danger et la personnalité antisociale (3, 5, 12, 14, 17). Ces données montrent l importance de diverses formes de comorbidité liées à l utilisation des substances et l enjeu pour la santé publique de déterminer la nature de ces relations. Concernant des mécanismes sous-tendant cette association, une hypothèse fondamentale partirait du principe que divers facteurs de risque causeraient le développement de problèmes liés à l utilisation de substances. Cette hypothèse est basée sur les résultats des études qui ont mis en évidence, dans la majorité des cas, l antériorité de certains traits de personnalité mal adaptés ou de troubles anxieux et affectifs par rapport à la prise de substances (3, 10). Pour certains chercheurs, la consommation de substances, et notamment la consommation d alcool (7, 16), semblerait servir d automédication, c est-à-dire qu un individu choisirait une substance particulière en fonction de l action psychopharmacologique de la drogue sur son état psychiatrique et affectif (6, 11). Pour d autres, cependant, cette relation causale reflète un lien qui peut être expliqué par le fait que le sujet consommateur des substances les plus déviantes socialement a des caractéristiques affectives ou de la personnalité plus sévères par rapport à un non-consommateur ou à un utilisateur de substances plus socialement acceptées (11, 17). Ce dernier modèle diffère de celui d automédication car le consommateur n utilise pas une drogue en particulier pour soulager ses troubles ou traits préexistants, mais que plus il consomme une substance déviante et plus certains de ses traits, comme la recherche de nouveauté ou la personnalité antisociale, sont sévères. Cette possibilité est soutenue par le fait que, par exemple, les polyconsommateurs présentent plus de troubles de la personnalité que les autres groupes de consommation (8, 17). Les divergences existant sur le lien entre comorbidité et utilisation de substances et plus particulièrement sur le sens de cette association peuvent s expliquer du fait de la disparité des méthodes utilisées (populations d étude, méthode d estimation de la consommation de substances, évaluations différentes des dimensions de la personnalité ). Cependant, un facteur parmi les plus importants concernant le manque de consensus pourrait être lié au fait que la plupart des études sont menées en population clinique. Or, ces sujets sont déjà atteints de troubles comorbides à la consommation de substances et il est donc difficile de confirmer l ordre de survenue d un trouble par rapport à l autre. En effet, lorsque le sujet est dépendant, il est possible que des troubles du comportement et de la personnalité «antisociale» soient apparus du fait 565

N. Chakroun et al. L Encéphale, 2004 ; XXX : 564-9, cahier 1 même de cette dépendance (1, 15). Néanmoins, si la dépendance aux substances est liée à des traits de personnalité inadaptés, ils devraient être observables avant l apparition de la dépendance. Il faudrait donc savoir si ces facteurs de risque (anxiété, dépression, traits de personnalité inadaptés), évalués chez des sujets normaux, sont plus fréquemment observés chez les consommateurs de substances que chez les non-consommateurs. L intérêt de notre étude est donc de tester sur des sujets non cliniques (et non sélectionnés sur des critères de dépendance) les deux modèles de consommation de substances psychoactives couramment utilisés en psychologie : l automédication et la déviance sociale. Le modèle d automédication se base sur l hypothèse qu un individu choisirait une substance particulière en fonction de l action psychopharmacologique de la drogue sur son état psychiatrique et affectif. Selon le modèle de déviance sociale, la sévérité des traits inadaptés a tendance à augmenter avec la déviance sociale de la substance utilisée. Pour éviter des problèmes fréquemment observés dans des études de ce type qui effectuent de multiples comparaisons (surtout en ce qui concerne les dimensions diverses de la personnalité), une correction Bonferroni sera appliquée à toutes les analyses. MÉTHODE Sujets Ont été inclus dans l étude 685 étudiants de première et deuxième années universitaires sélectionnés sur la base du volontariat. Les participants, dans la phase initiale, représentaient 80,5 % des étudiants inscrits. L échantillon de départ n était pas représentatif de la population française du même âge concernant la répartition des sexes car il comprenait 69 hommes (10,1 %) et 612 femmes (89,9 %). L âge moyen des sujets était de 19,97 ans (ET = 3). Procédure La passation du premier questionnaire (données sociodémographiques, consommation de substances, anxiété et dépression) s est déroulée lors de 4 cours magistraux après un consentement éclairé. Une fois la partie nominative remplie, elle a été détachée du reste du document et collectée avant que les sujets ne répondent à la suite du questionnaire afin de garantir la confidentialité et l anonymat des données. Un plan de sondage en 2 phases a ensuite été effectué, avec post-stratification sur la consommation de substances (non-consommateurs, consommateurs d alcool, de cannabis, d autres drogues illicites). Pour définir les groupes de consommation, seuls les sujets ayant la fréquence d utilisation de substances la plus élevée sur les 30 derniers jours (d une consommation d au moins 2 à 3 fois par semaine à une consommation plusieurs fois par jour) ont été inclus, excepté pour le groupe des consommateurs d autres drogues illicites où tous les sujets consommant ont été inclus quelle que soit la fréquence d utilisation. Les sujets sélectionnés ont ensuite été contactés par téléphone pour venir remplir un questionnaire de personnalité dans le laboratoire de recherche. Outils de mesure Questionnaire portant sur la consommation récente de substances psychoactives Ce questionnaire évaluait à l aide de questions consistantes avec celles de l Addictive Severity Index (McLellan et al., 1980) et du Composite International Diagnostic Interview (Robins et al., 1989), la consommation de diverses substances (tabac, alcool, cannabis, ecstasy, amphétamines, héroïne, cocaïne, LSD, solvants et poppers) sur les 30 derniers jours. Ce questionnaire était codé de 0 (jamais sur les 30 derniers jours) à 7 (plusieurs fois par jour sur les 30 derniers jours). STAI L anxiété-trait était mesurée grâce à l adaptation française de Bruchon-Schweitzer et Paulhan du State and Trait Anxiety Inventory (STAI) (Spielberger, 1983). Ce questionnaire comporte 20 items codés de 1 à 4. Le score minimal est 20, le score maximal est 80. Cette échelle a été standardisée et validée et apparaît comme étant fiable et consistante (les alpha varient de 0,86 à 0,95) et le coefficient de fiabilité test-retest était de 0,85. Dans notre échantillon initial de 685 sujets, l échelle avait une bonne cohérence interne (alpha = 0,89). CES-D Le niveau de dépression était évalué par la CES-D (Center of Epidemiological Studies-depression Scale, Radloff, 1977). Cette échelle comporte 20 items codés de 0 à 3. Dans sa version originale, cette échelle avait une cohérence interne élevée (les alpha variaient de 0,84 à 0,90). L adaptation et la validation françaises ont également montré une bonne cohérence interne (les alpha variaient de 0,85 à 0,90). Dans notre échantillon initial, nous avons obtenu un alpha égal à 0,90. Temperament and Character Inventory (TCI) La mesure de personnalité utilisée était l adaptation française (Pélissolo et Lépine, 1997) du Temperament and Character Inventory (TCI, Cloninger, 1992). Il permettait de mesurer 4 traits de tempérament (recherche de nouveauté, évitement du danger, dépendance à la récompense, persistance) et 3 traits de caractère (détermination, coopération et transcendance) grâce à 226 items. Les scores varient de 0 à 8 jusqu à 40 en fonction du nombre d items que comprend le trait. La structure factorielle et 566

L Encéphale, 2004 ; XXX : 564-9, cahier 1 Consommation de substances psychoactives, problèmes affectifs et traits de personnalité les qualités psychométriques de cette adaptation correspondent à celles du questionnaire de Cloninger (13). Pour l étude actuelle, les traits «recherche de nouveauté» et «évitement du danger» ont été examinés. Nous avons également utilisé la variable «personnalité antisociale» créée en inversant le score «évitement du danger» puis en le sommant avec les scores de «recherche de nouveauté» et de «dépendance à la récompense» selon les recommandations de Pélissolo et Lépine (2000). Analyses statistiques Pour tester les hypothèses du modèle d automédication, chaque groupe de consommation a été comparé au groupe des non consommateurs par régressions logistiques. Pour cela, 3 variables dichotomiques ont été créées : les consommateurs d alcool, les consommateurs de cannabis et les consommateurs d autres substances illicites. Les régressions logistiques multiples effectuées portaient sur 2 traits de tempérament (recherche de nouveauté et évitement du danger) ainsi que sur l anxiété et la dépression. Pour tester l association entre le trait «recherche de nouveauté» ou le trait «évitement du danger» et la consommation, nous avons ajusté sur l anxiété et la dépression, qui apparaissent dans la littérature comme des facteurs de confusion de cette relation ainsi que sur le sexe. Le modèle de déviance sociale a été testé par des ANOVA avec la méthode des contrastes qui a permis de tester l hypothèse d une augmentation linéaire des scores de certains traits du groupe des non-consommateurs à celui des consommateurs d autres substances illicites ; 96 sujets permettaient de détecter un large effet (f = 0,35) avec une puissance supérieure à 80 %. Étant donné le nombre des comparaisons, la correction de Bonferroni a été appliquée à tous les résultats obtenus. RÉSULTATS La fréquence d utilisation des différentes substances étudiées et les caractéristiques des participants sélectionnés pour les variables examinées sont présentées dans le tableau I. Les hommes étaient significativement plus âgés que les femmes (t = 3,398, ddl = 679, p = 0,001), et avaient un niveau plus bas d anxiété (p < 0,0001) ainsi que de dépression (p = 0,024). Pour tester le modèle d automédication, chaque groupe de consommation a été comparé au groupe des non-consommateurs. Étant donné les multiples comparaisons effectuées, la correction de Bonferroni a été appliquée. La comparaison consommateurs d alcool versus non-consommateurs a montré que, ajustés sur le sexe, le niveau d anxiété et le niveau de dépression, les scores de recherche de nouveauté et d évitement du danger n étaient pas associés à la consommation d alcool qor = 2,04, p > 0,05 et qor = 0,36, p > 0,05). En ajustant sur les mêmes variables, la comparaison consommateurs de cannabis versus non-consommateurs n a également montré aucune association significative pour ces scores (qor = 2,16, p > 0,05 et qor = 0,28, p > 0,05). En revanche, pour la comparaison consommateurs d autres substances illicites versus non-consommateurs, il apparaît que les sujets ayant un score élevé de recherche de nouveauté ont un risque significativement plus élevé (qor = 8,4, p < 0,05) de consommer d autres substances illicites que les sujets ayant un score bas de recherche de nouveauté (tableau II). En répétant ces mêmes modèles en prenant le niveau d anxiété et le niveau de dépression comme variables dépendantes, aucune association significative n est apparue lorsque l on ajustait sur le sexe. TABLEAU I. Caractéristiques de la population d étude. Variables Fréquences ou moyennes Pour tester le modèle de déviance sociale, les scores de recherche de nouveauté, d évitement du danger et le niveau de personnalité antisociale ont été examinés. Des ANOVA ont été réalisées pour chacune de ces variables en prenant comme critère le groupe de consommation. En corrigeant pour les multiples comparaisons, aucune différence significative n a été trouvée entre les scores moyens d évitement du danger [F(94) = 1,467, p > 0,05] et les niveaux moyens de personnalité antisociale [F(94) = 2,538, p > 0,05] des non-consommateurs, des consommateurs d alcool, de cannabis et d autres subs- ET Étendue Alcool* 88,9 Cannabis* 30,1 Autres substances illicites* 4,4 Score STAI** 45,21 9,90 26,00-72,00 Score CESD** 15,59 9,69 2,00-45,00 Recherche de nouveauté** 22,12 5,75 7,00-37,00 Évitement du danger** 18,02 6,89 0,00-30,00 Personnalité antisociale** 55,38 10,46 33,00-82,00 * Fréquence (en %) de consommation sur les 30 derniers jours de l échantillon total (n = 685). ** Score moyen des participants sélectionnés (n = 98). TABLEAU II. Résultats du modèle logistique contenant la recherche de nouveauté pour le groupe des consommateurs d autres substances illicites. Variables Autres substances illicites OR IC à 95 % p* Intercept 0,018 Sexe 5,3 [0,47-60,3] 0,178 Score STAI 1,2 [0,23-6,71] 0,796 Score CESD 0,88 [0,15-5,17] 0,889 Recherche de nouveauté 8,4 [2,03-34,5] 0,003** * Avant la correction de Bonferroni. ** Résultat toujours significatif après correction. 567

N. Chakroun et al. L Encéphale, 2004 ; XXX : 564-9, cahier 1 tances illicites. Par contre, les scores moyens de recherche de nouveauté étaient significativement différents [F(94) = 6,46, p < 0,05]. La méthode des contrastes a mis en évidence une augmentation linéaire significative (p < 0,0001) du score moyen de recherche de nouveauté du groupe des témoins au groupe des consommateurs d autres substances illicites. Ces résultats étant consistants avec l hypothèse du modèle de déviance sociale. DISCUSSION L objectif de cette étude était d examiner, sur des sujets non cliniques et non sélectionnés sur des critères de dépendance, s il existait des problèmes affectifs ou des traits de personnalité associés aux troubles liés à l utilisation de substances psychoactives. De nombreuses études en population clinique ont montré que l anxiété, la dépression, la recherche de sensations et la personnalité antisociale étaient associées à la consommation de substances (1, 3, 8, 17). L intérêt de cette étude est de retrouver ces traits comorbides dans une population dont la structure factorielle de la personnalité est similaire à celle de la population générale française (13), dont le niveau moyen d anxiété correspond à la norme française et dont la grande majorité n a pas encore atteint l âge le plus critique pour répondre aux critères de dépendance. En se basant sur les hypothèses du modèle d automédication, nous avons observé que les consommateurs de substances illicites diffèrent significativement des nonconsommateurs pour le trait de recherche de nouveauté, ce qui a été trouvé dans de nombreuses études (3, 17). Cependant, ni l anxiété ni la dépression ne diffèrent chez les consommateurs et les non-consommateurs a contrario des hypothèses du modèle d automédication (6, 11) et, si des remarques peuvent être faites, à juste titre, sur le fait que l âge moyen d apparition des troubles dépressifs se situe au-delà de l âge de notre population, nos sujets ont cependant l âge moyen de présenter des troubles anxieux. En revanche, le fait que les scores de recherche de nouveauté augmentent linéairement du groupe des non-consommateurs au groupe des consommateurs des substances les plus déviantes va dans le sens du modèle de déviance sociale. Ces résultats appuient davantage le modèle de déviance sociale d autant plus qu aucun test ne confirme de lien entre l anxiété ou la dépression et la consommation d alcool alors que ce sont les bases mêmes du modèle d automédication. Ces résultats sont similaires aux autres recherches argumentant que le trait recherche de sensation (9) pourrait être associé à la consommation de substances (4) et notamment à la polyconsommation (19) avant la survenue de la dépendance. L interprétation des résultats de cette étude doit prendre en compte plusieurs limites méthodologiques. Premièrement, l approche conservatrice consistant à corriger nos résultats pour une inflation potentielle des associations significatives due aux multiples comparaisons (erreur de type I) nous permet de les interpréter avec une confiance renforcée. Cependant, cette même approche peut expliquer le manque de réplication de certains résultats observés pas des études antérieures. De plus, le fait de ne pas vérifier par entretien structuré que tous les participants ne répondent pas aux critères de dépendance n exclut pas définitivement d autres mécanismes d association entre caractéristiques individuelles et consommation de substances. Cependant, les étudiants considérés étant parmi les plus jeunes, un grand nombre d entre eux n a pas atteint l âge le plus critique pour risquer la dépendance (18). Une autre limite de cette étude est la méthode transversale qui ne permet pas de mettre en évidence une relation causale entre les variables, il faut donc interpréter avec prudence les résultats obtenus pour le modèle d automédication et notamment par rapport à l ordre supposé de l apparition des troubles. Pour tester au mieux la relation existant entre la consommation de substances psychoactives et différents facteurs de risque ou de protection, il faudrait une étude longitudinale ou transversale répétée dans le temps sur un échantillon représentatif de la population française. Les résultats actuels, fondés sur une méthode transversale, pourraient donc être considérés comme un point de départ, sachant que les recherches ultérieures pourraient suivre des sujets jeunes avant qu ils n aient consommé des substances afin de mettre en évidence des traits de personnalité ou des troubles psychologiques pouvant prédire cette consommation. CONCLUSION La co-occurrence des troubles liés à la consommation de substances psychoactives est un domaine d étude complexe pour diverses raisons. Les aspects méthodologiques à prendre en compte ont été présentés précédemment, mais il faut aussi considérer la complexité conceptuelle importante surtout dans les études portant sur la personnalité. En effet, la personnalité est un concept très complexe puisqu il existe une cinquantaine de définitions qui partagent toutes la caractéristique de décrire un système cohérent d actions psychiques d un sujet qui est maintenu sur une durée (2). Si la méthode statistique met sur le même plan les différents traits de personnalité, il ne faut pas oublier que, d un point de vue psychologique, ceux-ci sont en fait hétérogènes. Certains sont liés à la dimension biologique, d autres au comportement, d autres enfin s organisent en fonction d un contexte social. Tout ceci fait que, si l on étudie, sur des populations non cliniques, certains traits mais aussi les liens, de comorbidité ou non, entre ceux-ci, il ne faut pas oublier que la personnalité a pour fonction première d intégrer comme un tout chez l individu, des représentations, des émotions et des sensations hétérogènes. Parallèlement, les problèmes affectifs peuvent être considérés dans une perspective dimensionnelle ou diagnostique avec des résultats parfois différents. Il faut donc prendre en compte la question de l opérationnalisation de l anxiété et de la dépression avec les contraintes méthodologiques soulevées précédemment pour faciliter les recherches ultérieures sur ce sujet. 568

L Encéphale, 2004 ; XXX : 564-9, cahier 1 Consommation de substances psychoactives, problèmes affectifs et traits de personnalité Remerciements. Les auteurs souhaitent exprimer leur gratitude pour leur contribution au Professeur Hélène Verdoux, au Docteur Antoine Pélissolo et à Mathilde Husky et Olivier Grondin. Références 1. CONWAY K, SWENDSEN J, ROUNSAVILLE B et al. Personality, drug of choice, and comorbid psychopathology among substance abusers. Drug Alcohol Depend 2002 ; 65 : 225-34. 2. DORON R, PAROT F. Dictionnaire de psychologie. Paris : PUF, 1998. 3. FRANQUES P, AURIACOMBE M, TIGNOL J. Personnalité du toxicomane. Encephale 2000 ; XXVI : 68-78. 4. JAFFE LT, ARCHER RP. The prediction of drug use among college students from MMPI, MCMI, and sensation seeking scales. J Pers Assess 1987 ; 51 : 243-53. 5. KESSLER R, McGONAGLE K, ZHAO S. Life-time and 12-month prevalence of DSM III-R psychiatric disorders in the United States. Arch Gen Psychiatry 1994 ; 51 : 8-19. 6. KHANTZIAN EJ, TREECE C. DSM III psychiatric diagnosis of narcotic addicts. Arch Gen Psychiatry 1985 ; 42 : 1067-71. 7. MARKOU A, KOSTEN TR, KOOB GF. Neurobiological similarities in depression and drug dependence : a self-medication hypothesis. Neuropsychopharmacology 1998 ; 18 : 135-74. 8. McCORMICK RA, DOWD ET, QUIRK S et al. The relationship of NEO-PI performance to coping styles, patterns of use, and triggers for use among substance abusers. Addict Behav 1998 ; 23 : 497-507. 9. McCOURT WF, GURRERA RJ, CUTTER HSG. Sensation seeking and novelty seeking : are they the same? J Nerv Ment Dis 1993 ; 181 : 309-12. 10. MERIKANGAS KR, MEHTA RL, MOLNAR BE et al. Comorbidity of substance use disorders with mood and anxiety disorders : results of the international consortium in psychiatric epidemiology. Addict Behav 1998 ; 23 : 893-907. 11. MUESER KT, DRAKE RE, WALLACH MA. Dual diagnosis : a review of etiological theories. Addict Behav 1998 ; 23 : 717-34. 12. MYERS MG, STEWART BA, BROWN SA. Progression from conduct disorder to antisocial personality disorder following treatment for adolescent substance abuse. Am J Psychiatry 1998 ; 155 : 479-85. 13. PÉLISSOLO A, LÉPINE JP. Normative data and factor structure of the temperament and character inventory (TCI) in the French version. Psychiatry Res 2000 ; 94 : 67-76. 14. REGIER D, FARMER M, RAE D et al. Comorbidity of mental disorder with alcohol and other drug abuse. JAMA 1990 ; 264 : 2511-8. 15. SCHUCKIT MA, TIPP JE, BERGMAN M et al. Comparison of induced and independent major depressive disorder in 2,945 alcoholics. Am J Psychiatry 1997 ; 154 : 948-57. 16. SWENDSEN JD, TENNEN H, CARNEY MA et al. Mood and alcohol consumption : an experience sampling test of the self-medication hypothesis. J Abnorm Psychol 2000 ; 109 : 198-204. 17. TEICHMAN M, BARNEA Z, RAHAV G. Sensation seeking, state and trait anxiety, and depressive mood in adolescent substance users. Int J Addict 1989 ; 24 : 87-99. 18. WARNER LA, KESSLER RC, HUGHES M et al. Prevalence and correlates of drug use and dependence in the United States : results from the National Comorbidity Survey. Arch Gen Psychiatry 1995 ; 52 : 219-29. 19. ZUCKERMAN M. Behavioral expression and biosocial bases of sensation seeking. New York : Cambridge University Press, 1994. 569