L anorexie mentale à l adolescence



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Transcription:

L anorexie mentale à l adolescence Une mère amène sa fille de 16 ans en consultation. Depuis quatre mois, celle-ci réduit de façon draconienne ses apports caloriques à environ 500 calories par jour, ce qui a entraîné chez elle une perte pondérale de 20 p. 100. Elle est aménorrhéique de puis trois mois, affirme ses sentir bien ainsi et ne pas avoir besoin d aide. Depuis une vingtaine d années, l anorexie mentale, en tant que problème clinique, a suscité beaucoup d intérêt de par l augmentation de sa fréquence et la problématique étiologique q elle soulève. Se situant à un carrefour psychopathologiques, l étiologie retenue, «à la mode», est «multidimensionnelle», pour reprendre le terme de Garner et Garfinkel, c est-à-dire que des facteurs individuels, familiaux et sociologiques interviennent dans la genèse de cette maladie. Les modèles d intervention thérapeutiques préconisés tiennent compte de cette écologie particulière et obligent plusieurs intervenants à participer activement en définissant leurs rôles respectifs auprès de ces patientes dont le syndrome clinique comprend bien des paradoxes. Nous proposons dans cet article de définir un mode de prise en charge de l adolescente anorexique dans lequel «somaticien» tient un rôle de toute première importance. Modes de présentation Partout et depuis toujours, l anorexie mentale se manifeste cliniquement de la même façon. Le tableau clinique habituel est celui d une adolescente entre 12 et

20 ans qui présente les trois symptômes associés suivants : amaigrissement, anorexie, aménorrhée. Le degré d amaigrissement varie d une patiente à l autre et peut atteindre des proportions spectaculaires allant jusqu'à 60 p. 100 du poids d origine. Certains auteurs exigent une perte d au moins 10 p. 100 (pour Feigher : 25 p. 100) comme critère diagnostique. La véritable épidémie de ces dernières années a sensibilisé les intervenants, les parents et toute la société à cette problématique et le dépistage actuel des cas se fait plus tôt; il n est donc pas rare de recevoir en consultation une patiente ayant une conduite anorexique, et qui pour autant n a pas encore perdu de poids ou que très peu. Toutefois, dès la première consultation, la perte pondérale est habituellement évidente et importante et elle peut augmenter rapidement. La maigreur de la patiente est d autant plus impressionnante que cette dernière l exhibe d un air triomphant ou la dissimule sous des vêtements amples. Le médecin est consterné tandis que l anorexique affiche un déni de sa minceur, «je suis correcte» dira-telle. L anorexie se définit comme une conduite active de restriction alimentaire. Pour des motifs souvent valables, début d embonpoint, intérêt pour une saine alimentation, légers troubles digestifs, l adolescente s impose un régime restrictif exagéré qu elle suivra obstinément en faisant des choix alimentaires souvent de plus en plus restrictifs qui lui procurent une satisfaction. Elle met au point des rites alimentaires particuliers, mange seule, prend en main la préparation de ses repas et veille même su l alimentation des autres membres de la famille, calcule ses ingestas de façon rigoureuse et utilise des moyens pour dépenser les calories ingérées tels que la pratique des autovomissements ou l usage abusif de laxatifs. Sa conduite alimentaire particulière s adapte le plus

souvent pathologiquement à la suite des premières interventions des membres de son entourage et cela peut l entraîner parfois vers une escalade de conduites alimentaires anormales qui sont inimaginables. L aménorrhée est toujours présente au cours de l évolution. Elle peut être primaire, mais la plupart du temps elle est secondaire. Elle peut précéder la perte pondérale, mais s installe le plus souvent pendant la période d amaigrissement. L usage des contraceptifs oraux par certaines, avec le saignement de retrait qu ils provoquent, peut cacher une aménorrhée, symptôme qui persistera le plus longtemps, durant des mois, voire des années, Selon les auteurs, cette «triade» habituelle doit être exempte d un trouble psychiatrique majeur de la série psychotique. L anorexique présente des attitudes psychologiques particulières et des signes physiques anormaux qui peuvent être d une très grande gravité. Les critères diagnostiques de Feighner (tableau 1) sont actuellement les plus retenus, il y aurait cependant intérêt à les adapter à la réalité clinique actuelle. L utilisation des ces critères diagnostiques permet au médecin de poser un diagnostic d anorexie mentale de façon objective; il n y a plus à recourir à une batterie exhaustive des tests coûteux et nuisibles ni à procéder par élimination. Une recherche biologique plus poussée est nécessaire lorsque la patiente présente des symptômes qui ne font pas partie des critères spécifiques énoncé au tableau 1, telle la présence soit d une fièvre accompagnant sa perte de poids, soit d une rectorragie, soit d une grande asthénie (l anorexique est habituellement hyperactive, sauf quand elle atteint l épuisement), etc. Le mode de présentation de cette maladie peut prendre la forme simple de la «triade» symptomatique décrite plus haut chez une adolescente fonctionnelle sur les plans scolaire et social ou bien révéler une intensité pathologique plus grave. Certaines anorexiques peuvent se présenter dans un état de cachexie excessive avec une bradycardie extrême, une anémie, une hypotension et même des troubles trophiques, ou encore elle peut présenter des désordres électrolytiques graves tels qu une alcalose métabolique avec hypokaliémie, une intoxication à l eau avec des crises de convulsions, etc. (Tableau 2)

Tableau 1 Critères diagnostiques de l anorexie mentale Âge d apparition : avant 25 ans Perte de poids de 25% à partir du poids de départ Distorsion de l attitude par rapport à l alimentation se manifestant par : négation de l état de maigreur engouement apparent pour la perte de poids et plaisir excessif pris au refus de la nourriture désir d atteindre une minceur extrême et de s y maintenir manipulation excessive des apports alimentaires (calculs de calories, diminution radicale des quantités ingérées, etc.) Absence de maladie somatique ou psychiatrique pouvant expliquer la perte de poids Au moins deux des manifestations suivantes : Aménorrhée, lanugo, bradycardie, périodes d hyperactivité, épisodes de boulimie, vomissements induits volontairement ou abus de laxatifs Source : D après Feighner et al., Archives of General Psychiatry, 1972, vol. 26, pp. 57-63. Tableau 2 Exemples cliniques de complications associées avec l anorexie mentale Premier cas Âge à l arrivée : 16 ans et 11 mois Perte pondérale : 33 % Signes vitaux : R.C. : 28 T.A. : 80/- T : 35 C Laboratoire : Hb: 8 Ht : 26, 6 V.G.M : 93, 5

Deuxième cas : Âge à l arrivée : 19 ans Inogramme: Na: 138 meq/l K: 2,6 meq/l Cl: 80 meq/l CO²: 46 meq/l Approche thérapeutique L accès au système de santé pour la patiente anorexique se fait par l intermédiaire du médecin qu elle consulte rarement d elle-même; en général, c est un membre de la famille ou une amie qui l amène. Il arrive fréquemment que son entourage s inquiète de son état et qu un membre de la famille appelle le médecin pour s informer d un moyen de l amener en consultation; celui-ci doit alors expliquer la maladie en insistant sur l importance de consulter un médecin; dès lors, ce dernier peut fixer un rendez-vous à la patiente. Au stade de la consultation avec l anorexique, et après avoir terminé l anamnèse et l examen physique, le médecin a la responsabilité de poser un diagnostic. L usage des critères de Feighner lui sera alors d une très grande utilité. Une fois cette étape franchie, le médecin explique la nature et l histoire naturelle de cette maladie à la patiente. Il est alors important, dans cet entretien, d utiliser les découvertes faites à l examen physique (hypotension, bradycardie, hypothermie, aménorrhée) pour lui signifier la gravité de son état et l impact sur son corps de sa conduite alimentaire pathologique. Au cours de cette première consultation, il faut agir avec une certaine prudence et être également conscient que les rythmes de changement, qui sont lents durant l adolescence, le sont davantage en cas d anorexie. En plus de poser un diagnostic, l objectif de cette première consultation sera de trouver le moyen de maintenir la patiente dans le plan de suivi que le médecin lui aura proposé. À cause du grand nombre d anorexiques qui «n accrochent pas» à une pris en charge psychiatrique ou en décrochant très tôt il appartient au «somaticien», privilégié dans ce genre de situation, d essayer d établir avec l anorexique une alliance thérapeutique positive. Par la suite, le médecin adapte le suivi de cette patiente en fonction de

la gravité de son état. La plupart du temps, l hospitalisation ne s impose pas à la première visite; il faut cependant revoir la patiente au bout d une semaine pour une deuxième consultation, afin de dresser un bilan depuis sa première consultation et d évaluer l impact des premières recommandations. Pour ce suivi, le médecin a intérêt à s adjoindre d autres personnes-ressources : une diététicienne et un psychologue ou un psychiatre qui connaissent la problématique de l anorexie auxquels il fera appel en temps opportun; notons que ce moment varie d une patiente à l autre. Il arrive qu un médecin puisse être plus à l aise quand il obtient plus rapidement l avis d un autre intervenant. Il ne faut pas alors hésiter à agir en conséquence et expliquer à la patiente que vous l adressez à un confrère afin d obtenir une opinion qui pourra vous guider pour établir votre plan de traitement et il faut dès lors convenir avec l anorexique du moment où elle vous reviendra. Au cours des consultations, le médecin doit faire un bilan global de la santé de sa patiente, en évaluant l aspect physique : la pesée, la prise des signes vitaux et l examen physique global sont des gestes professionnels indispensables. Par la suite, le médecin évalue la façon d agir de la patiente sur les plans scolaire, familial et social. Soulignons qu il est des situations de stress qui peuvent être accablantes pour certaines anorexiques et provoquer des rechutes ; c est le cas des changements de niveaux scolaires (du premier au deuxième cycle du secondaire, du secondaire au cégep, du cégep à l université), de la période des fêtes qui les confronte à l abondance de la table et aux rapports sociaux obligatoires, deux «tâches» difficiles à accomplir pour une anorexique. Le médecin peut ainsi aviser d avance la patiente de ces situations et essayer de trouver avec elle des moyens d éviter que son état ne se détériore pendant ces périodes. L anorexique ayant tendance à s isoler, le médecin abordera ce sujet avec elle et essaiera de l amener à établir et à entretenir des contacts avec des amis hors du circuit familial. Le rôle du médecin est résumé au tableau 3. Tableau 3 Rôles du médecin dans la prise en charge d une anorexique mentale Accueillir la patiente et sa famille Poser un diagnostic

Convaincre la patiente de la nécessité d une prise en charge thérapeutique Établir pour elle, et avec elle, un plan suivi adapté S adjoindre d autres personnes-ressources et coordonner leurs différentes interventions Hospitalisation de l anorexique Alors qu il y a une dizaine d années presque tous les cas d anorexie mentale étaient hospitalisés pour mieux les évaluer et faciliter leur prise ne charge, aujourd hui les critères d hospitalisation sont précis et toute hospitalisation d une anorexique doit s inscrire dans un plan de traitement spécifique. Raisons de l admission L expérience acquise depuis 12 ans auprès de cette clientèle nous a permis d identifier quelques-une des raisons de l admission en milieu hospitalier dans une unité pédiatrique de médecine de l adolescence (tableau 4). À noter que l admission peut se produire à la suite de la première rencontre, lorsque l état clinique ou psychologique (ou les deux) de la patiente l impose. Traitement Toute approche thérapeutique doit viser deux objectifs majeurs : d abord, le rétablissement d un état nutritionnel normal et, ensuite, la résolution des problèmes psychologiques et interpersonnels de la patiente. Dès le départ, on utilise différentes approches afin de déclencher une reprise de l alimentation et une amélioration de l état nutritionnel. La presque totalité des patientes admises présente un état relationnel déplorables et des signes vitaux largement au dessous de la normale. On prescrit du repos ainsi qu un arrêt des activités et, pendant les 48 premières heures, le médecin, la diététicienne et le psychiatre rencontrent la patiente.

Après cette période d observation initiale, on recommande une rencontre de l équipe des intervenants avec les infirmières de l étage et la mise au point d un plan personnalisé de traitement à suggérer à la patiente. Ce plan, qui comporte plusieurs volets : médical, diététique, psychiatrique ou psychologique, doit faciliter le développement de l autonomie de la patiente. Volet médical La surveillance médicale comprend : la pesée le matin à jeun et en jaquette d hôpital ainsi que la prise des signes vitaux trois fois par jour dont une la nuit. On demande une investigation biologique de base comprenant une analyse des urines, une formule sanguine complète et un ionogramme. Selon l état clinique de la patiente, on peut demander d autres analyses. Volet diététique On doit faire quotidiennement un bilan alimentaire de ce que la patiente ingère. Les 48 premières heures permettent habituellement d avoir une bonne idée de ses choix alimentaires et de la quantité de calories qu elle prend. Après consultation avec la patiente, on fixe un objectif de poids raisonnable pour obtenir sa collaboration. Chaque jour, la diététicienne la rencontre, ce qui permet d adapter régulièrement le régime diététique. Si la quantité de calories ingérées est insuffisante, les menus seront augmentés pour un laps de temps à déterminer avec la patiente. En cas d échec, on ajoute des apports caloriques, sous forme de préparations liquides contenant une diète élémentaire. La quantité de ces apports supplémentaires varie en fonction de ce que la patiente a pris au repas et de l évolution de sa courbe pondérale. Quand cette méthode échoue et que son état l impose, il faut recourir à l hyper alimentation par voie parentérale.

On doit cependant essayer d éviter cette dernière étape, du fait qu elle impose un énorme stress à la patiente et que les risques associés à ce type de traitement ne sont pas négligeables (infections, dépendance, manipulations de toutes sortes). Volet psychiatrique ou psychologique Dans la mesure du possible, le psychiatre ou le psychologue doivent rencontrer la patiente régulièrement. La thérapie peut être de type comportementale, psychanalytique, cognitif, ou être une thérapie de soutien, ou encore une combinaison de ces différentes sortes de traitement. Ainsi, en fonction de l évaluation et de l attitude de la patiente, il est possible de lui proposer toute une variété de thérapies psychiatriques. Quel que soit le mode de traitement choisi, il va sans dire que les parents restent concernés tout au long de l hospitalisation, et que les membres de l équipe soignante doivent les rencontrer à un moment ou à un autre. D une façon générale, il est préférable d établir avec la patiente la liste des activités autorisées ou interdites. Il n est pas nécessaire de recourir de façon rigide à des programmes de type comportemental avec des punitions comme l isolement complet, l absence de visite, etc. Toutefois, les sorties de fin de semaine sont habituellement autorisées, à condition seulement qu un gain de poids acceptable ait été enregistré, ce qui constitue tout de même une approche de type comportemental, nécessaire surtout au début de la prise en charge. Au début de l hospitalisation, on doit fixer des objectifs thérapeutiques et lorsqu ils sont atteints, la patiente quitte l hôpital. À la sortie, on lui présente un schéma de prise en charge obligatoire. Soulignons qu il est souhaitable que cette continuité soit assumée par les intervenants qui l ont suivie pendant son hospitalisation et que la durée de celle-ci varie d une patiente à l autre, mais en général, trois à six semaines suffisent pour amorcer une prise en charge qui se poursuivra en externe.

Il est souvent inutile de vouloir rétablir à tout prix un poids normal au cours de l hospitalisation, l objectif de cette dernière étant surtout d obtenir une stabilisation ou une amélioration de l état de la patiente (ou les deux) et d établir avec elle des contacts qui faciliteront par la suite un suivi en externe. Tableau 4 Raisons de l hospitalisation d une anorexique mentale En présence d une détérioration clinique ou métabolique rapide (ou des deux) En présence d une bradycardie < 50 par minute ou de crise d hypotension orthostatique répétées S il y a abus de laxatifs ou usage d auto vomissements (ou les deux) avec désordres électrolytiques Si la perte de poids est supérieure à 30 % S il survient une détérioration de la situation socio psychologique Pour introduire un traitement psychiatrique ou faire le point sur une psychothérapie en évolution Contribution de la pharmacologie au traitement de l anorexie mentale Depuis quelques années, plusieurs recherches ont porté sur l utilisation des médicaments psychotropes dans le traitement de l anorexie mentale. Garfinkel et Garner on fait une intéressante revue extensive de la littérature médicale sur ce sujet. Il s en dégage que très peu de médicaments sont efficaces dans le traitement de l anorexie mentale. L indication de chiorpromazine (Largactil) ne se justifie que pour une minorité de patientes soit celles qui présentent une grande anxiété face aux aliments et qui demeurent incapables de manger, après avoir essayé les mesures traditionnelles de soutien. Les doses utilisées ne dépassent pas 300 mg par jour. L utilisation avant les repas d un tranquillisant mineur, tel le lorazépam (Ativan), semble aider certaines patientes à recommencer à manger, mais cet usage doit

se faire sur une courte période, afin d éviter la dépendance. On a aussi utilisé les antidépresseurs trycicliques, la L-dopa, la cyproheptadine, le métoclopramide, le T.H.C; leur efficacité toutefois n a pas été clairement démontrée. Il n existe donc pas, pour le moment, de substance de choix dans le traitement de l anorexie mentale; des études avec groupe de contrôle seront donc nécessaires avant de pouvoir suggérer un médicament particulier. Des recherches récentes sur le contrôle de l appétit ouvriront peut-être la voie à d autres approches pharmacologiques. Au fil des années, les cliniciens réalisent que, même si la symptomatologie présentée par les patientes est identique, leur comportement et leur attitude face à une approche thérapeutique varie beaucoup. C est la raison pour laquelle il faut être flexible dans le choix des modalités de traitement. Voici quelques principes qui facilitent cette approche : Les objectifs pondéraux exigés au départ exigés au départ doivent être modestes, puisqu il faut avant tout veiller à instaurer un climat de confiance et de collaboration; Il faut éviter l application de thérapies comportementales rigides dont les effets, a court terme, sont bons, mais sont suivis en général à moyen et à long terme soit de rechute ou d un refus de poursuivre le traitement ; La psychothérapie qu elle soit individuelle ou familiale, n est jamais imposée à tout prix dans un premier temps et elle n intervient qu au moment où les réticences de l adolescente et de sa famille (ou de l une ou de l autre) ont été surmontées ; La stabilité de toute l équipe thérapeutique est essentielle; d une part, elle permet des traitements de longue durée il est de coutume de dire qu on ne parlera pas ni d échec ni de succès du traitement avant quatre, voire cinq ans de prise en charge! et, d autre part, elle autorise un échange continu d informations, si utile lorsqu il s agit d éviter de se faire manipuler par la patiente. Cette souplesse de fonctionnement, essentielle dans l approche des adolescentes qui souffrent d anorexie mentale, sera facilitée si l on peut compter sur la

présence d une équipe pluridisciplinaire dont les membres peuvent se relayer ou collaborer en fonction de l évolution de chaque traitement. REPÈRES Le tableau clinique courant est celui d une adolescente entre 12 et 20 ans qui présente les trois symptômes associés suivants : amaigrissement, anorexie, aménorrhée. L utilisation de critères diagnostiques de Feighner permet au médecin de poser le diagnostic objectif d anorexie mentale. Au moment de la première consultation, l objectif du médecin sera, en plus de poser un diagnostic, d essayer de trouver le moyen de maintenir la patiente dans le plan du suivi qu il lui sera proposé. Le traitement d une patiente atteinte d anorexie mentale doit viser deux objectifs : le rétablissement d un état nutritionnel normal, puis, la résolution de ses problèmes psychologiques et interpersonnels Bibliographie 1-BRUCH, H. Eating disorders : obesity, anorexie nevrose, and the person within. Basic books, New-York, 1973. 2-CRISP, A.H., Anorexie nevrose : let me be, Academic Press, New-York, 1980. 3-GARFINKEL, P.E., GARNER, D.M., Anorexia nervosa : a multidimensional perspective, Brunner- Mazel, New-York, 1982. 4-BRUCH, H., L Énigme de l anorexie, La Cage Dorée, Presses universitaires de France, Deuxième édition, 1983. 5-GARNER, D.M., GARFINKEL, P.E., Hand book of psychotherapy for anorexia nevrosa and bulimia, The Guilford Press, New-York, 1985.

6-JEAMMET, P., L Anorexie mentale, Encyclopédie médico-chirurgicale, Psychiatrie, Paris, 1984. Source : Le médecin du Québec, mars 1987, L anorexie mentale à l adolescence.