"Normes et taxes : réflexions exploratoires" Gérard, Marcel Abstract Appuyé sur notre autre contribution à ce volume, et les faits stylisés qu elle présente, ce texte suggère quelques pistes politiques susceptibles d aider à sortir de la crise financière. Ces pistes vont dans deux directions : la première recourt à des normes, la seconde à l impôt. Plus concrètement, nous invitons à réfléchir sur la subordination de la mise sur le marché d un nouveau produit financier à l agrément de ce produit par un organisme expert qui en testerait les propriétés et les risques et déterminerait le segment de clientèle et d opérateurs qui pourraient l acquérir ou le proposer à la vente. Nous questionnons également le niveau de pouvoir auquel cette forme de régulation devrait opérer. En ce qui concerne les taxes, que ce soit sur les transactions financières ou sur les activités financières, nous nous penchons notamment sur leur justification et, à nouveau, sur l aire optimale de leur implémentation. Document type : Contribution à ouvrage collectif (Book Chapter) Référence bibliographique Gérard, Marcel. Normes et taxes : réflexions exploratoires. In: Réseau Financement Alternatif (éd), Crise financière et modèles bancaires, Réseau Financement Alternatif : Namur 2012, p. 131-136 Available at: http://hdl.handle.net/2078/117487 [Downloaded 2016/07/02 at 22:09:16 ]
Normes et taxes : re flexions exploratoires Marcel Gérard Economiste, Université catholique de Louvain Ancien administrateur du RFA 1. Introduction Appuyé sur notre autre contribution à ce volume, et les faits stylisés qu elle présente, ce texte suggère quelques pistes politiques susceptibles d aider à sortir de la crise financière. Ces pistes vont dans deux directions : la première recourt à des normes, la seconde à l impôt. Plus concrètement, nous invitons à réfléchir sur la subordination de la mise sur le marché d un nouveau produit financier à l agrément de ce produit par un organisme expert qui en testerait les propriétés et les risques et déterminerait le segment de clientèle et d opérateurs qui pourraient l acquérir ou le proposer à la vente. Nous questionnons également le niveau de pouvoir auquel cette forme de régulation devrait opérer. En ce qui concerne les taxes, que ce soit sur les transactions financières ou sur les activités financières, nous nous penchons notamment sur leur justification et, à nouveau, sur l aire optimale de leur implémentation. 2. Pistes politiques Comment empêcher le retour de situations catastrophiques comme celles que nous avons connues, voire que nous connaissons? Comment donc, et à quel niveau de pouvoir (la Belgique, la zone Euro, l Union européenne, l OCDE), réguler le secteur bancaire? Deux instruments méritent notre attention, la régulation par les normes d une part, la régulation par l incitation fiscale d autre part. 1
2.1. Réguler les activités du secteur bancaire par des normes Beaucoup de ces normes sont bien connues. On peut en rappeler certaines, telles que séparer les activités de banque de dépôts de celles de banque d affaires, ou imposer des normes quant à la composition du portefeuille des institutions financières, l actif des banques, ou la composition de leur passif, ou encore la structure des groupes bancaires, ou les bonus des dirigeants et plus généralement le mode de rémunération du personnel. Dans la même ligne se situe aussi la régulation des produits financiers que les banques peuvent proposer à leurs clients. Certes, déjà, via l obligation de déterminer avec chaque client son profil d investisseur, les banques ne peuvent pas vendre tout produit à tout client. Elles se doivent, par exemple, de respecter le profil défensif choisi par certains. Cependant, mettre dans les mains d un client, fut-il flambeur, un produit non encore expérimenté ou, surtout, pour une banque, investir pour elle-même dans un tel produit, peut se révéler dangereux. Non seulement pour la banque qui prend le risque, mais aussi pour ses clients, et par effet de débordement, pour les autres institutions financières. Ne serait-il pas judicieux dans ce cas, de soumettre la mise sur le marché de nouveaux produits financiers à un contrôle strict, tant quant à l usage de ces produits qu à leur distribution à des segments ciblés de la clientèle? Ne pourrait-on pas, en cette matière, s inspirer de ce qui se fait pour les médicaments? La mise sur le marché d un médicament nouveau est sujette à toute une batterie de tests avec groupes traités et groupes de contrôle. Et la mise en vente libre est également sujette à autorisation. Tant qu elle n est pas permise, la prescription est de rigueur et ne peut porter que sur une patientèle ciblée. Pourtant, dans ce secteur fortement encadré, le risque systémique n est pas aussi évident que pour le secteur bancaire : la faillite d une société pharmaceutique n entraîne pas celle de ses concurrentes. Au contraire, dans le monde financier, les institutions sont créditrices et débitrices les unes des autres : la déconfiture de l une peut mettre à mal les autres et entraîner une chaîne de faillites ou à tout le moins, de situations périlleuses. Si l on admet que le recours à des normes renforcées s impose, survient la question du niveau de pouvoir auquel les mettre en place. En effet les investisseurs n hésitent pas à franchir les frontières et les banques opèrent aujourd hui dans le monde entier au sein d un maillage dense d interrelations. Dans ces conditions, des opérations interdites ici peuvent être passées dans un làbas où les autorités ont une vision plus accommodante du risque ou des intérêts des diverses parties en cause. 2
Les normes doivent dès lors être établies au niveau d opération des acteurs financiers. On imagine donc volontiers que ce soit au niveau du FMI, du G20 ou de l OCDE qu elles le soient. Mais si monter la compétence de régulation du secteur à ce niveau se comprend, on comprend aussi qu un accord à ce niveau sur ce qui est désirable est difficile, tant les préférences des pays et de leurs dirigeants peuvent être hétérogènes. Ceci pourrait nourrir un argument pour que, à côté de la régulation globale, soient développées des institutions financières de proximité qui, non seulement, collecteraient l épargne dans une aire déterminée, mais l investiraient principalement dans cette même aire ; les Etats-Unis notamment ont connu pareil système. 2.2. Réguler les activités du secteur bancaire par des taxes Deux raisons au moins sont de nature à introduire une fiscalité spécifique au secteur bancaire, soit qu elle frappe les transactions financières la taxe dite «Tobin» ou taxe sur les transactions financières, FTT en anglais ou les activités financières taxe sur les activités financières ou FAT en anglais 1. La première de ces raisons est la faible contribution des banques aux recettes de l Etat alors qu elles ont largement profité de celui-ci, tant comme client majeur d une part, que comme principal sauveteur actuel ou potentiel d autre part. En effet, les activités des banques ne sont pas soumises à la perception de la TVA ; aussi d aucuns préconisent de soumettre les institutions financières à une taxe compensatoire. Comme la valeur ajoutée est constituée de la rémunération du travail et du capital, et que les rémunérations du secteur bancaire ne sont pas des moindres, l idée vient de mettre un impôt spécifique sur la rémunération du travail ou partie de celle-ci dans le secteur bancaire. C est une forme possible de taxe sur les activités financières. La taxe sur les transactions financières peut aussi trouver une justification de ce côté. Par ailleurs le mécanisme fiscal de la quotité forfaitaire d impôt étranger, la QFIE, permet, dans une large mesure, aux banques résidentes de la Belgique, de déduire de leur charge d impôt à l égard de l Etat belge, les retenues à la source prélevées à l étranger sur les intérêts qu elles reçoivent. Une simple inspection des résultats financiers des banques permet en effet de constater la faible hauteur du taux effectif d imposition dans le secteur. 1 Le lecteur désireux d approfondir le sujet consultera utilement European Commission (2010), Financial Sector Taxation, Commission Staff Working Document accompanying the Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions, Taxation of the Financial Sector, COM(2010) 549 final. 3
La seconde de ces raisons est que les banques font courir un risque systémique à l économie : la faillite d une banque a non seulement des conséquences pour ses dirigeants, son personnel et sa clientèle, mais aussi pour les autres banques et l ensemble de l économie. Les banques génèrent donc un sous-produit qui est un «mal», un risque, une externalité négative. Or ce risque est d autant plus élevé que les banques sont grandes : on connait l expression célèbre «too big to fail» signifiant que si la banque est de grande taille, sa faillite peut faire tellement de dégâts collatéraux que l Etat interviendra pour la renflouer, ce qui, en soi, est un incitant à la prise de risque privativement rémunérateur par ses dirigeants. L imposition des banques, par exemple sur le montant de leur bilan, est alors une forme de taxe pigouvienne ou environnementale : elle vise à réduire la pollution par le risque systémique que les banques font potentiellement endurer à la société dans son ensemble. On peut aussi voir cet impôt comme une prime d assurance que les banques paient pour contribuer à un fonds public destiné à couvrir les calamités qui peuvent résulter de leur comportement. La question de l aire géographique idéale se pose aussi lorsqu il est question de l application d une taxe sur les transactions ou les activités financières. Ainsi l expérience suédoise s est avérée malheureuse : ce pays avait institué unilatéralement une taxe sur les transactions financières. Assez vite, ces transactions se délocalisèrent vers la place de Londres et la Suède dut faire marche arrière. Le Royaume-Uni a une «stamp duty» mieux dessinée et qui ne génère pas ce genre de fuite. L idéal serait l aire géographique de la mobilité des capitaux mais, alors, on se heurte à nouveau à l hétérogénéité au sein du G20. L Union européenne veut prendre le risque de se lancer seule dans l aventure d une taxe sur les transactions financières en donnant à la taxe un caractère bilatéral elle est due par les deux parties à la transaction si toutes deux sont résidentes de L Union européenne et autrement elle est due par la partie située sur le territoire de l Union et en appliquant le principe de la résidence la taxe est due dans l Etat de résidence de chacun de ses débiteurs. 3. Conclusion En nous appuyant sur la lecture ramassée de l évolution récente du secteur bancaire proposée dans notre autre contribution à ce volume, nous avons tenté dans ce texte de suggérer des pistes politiques. Ces dernières vont dans deux directions qui visent l une et l autre à réguler davantage le secteur. La première recourt à des normes, la seconde à l impôt. Pour ce qui est des normes, nous invitons, à côté de ce qui existe déjà ou est en discussion, à réfléchir sur la subordination de la mise sur le marché de nouveaux produits financiers à l agrément 4
de ces produits par un organisme expert qui en testerait les propriétés et les risques et déterminerait le segment de clientèle et les opérateurs qui pourraient les acquérir ou les proposer à la vente. Nous questionnons également le niveau de pouvoir auquel cette forme de régulation du secteur bancaire devrait opérer. En ce qui concerne les taxes, sur les transactions comme sur les activités financières, nous nous penchons notamment sur leur justification et, à nouveau, sur l aire optimale de leur implémentation. Nous regarderions volontiers ces deux instruments comme complémentaires. Le premier est définitivement normatif, le second davantage incitatif. Il suit que se fier seulement à ce dernier n est sans doute pas suffisant. Dans le domaine proche de la lutte contre la pollution ou le risque environnemental on recourt aux deux instruments. Marcel Gérard 13 08-2012 5