LE REPORTING DE RESPONSABILITE SOCIALE D'ENTREPRISE ET SON UTILISATION Trravaux coorrdonnés parr Olivierr Chabrrol l ((Syndex)) ett Marrtti iall Cozetttte ((CFIIE--consei il)) Syntthèse des ttrravaux Févrri ierr 2012 Agence d objectifs IRES Ce rapport a reçu le soutien financier de l IRES (Institut de recherches économiques et sociales)
Résumé Cette étude a pour but d analyser le reporting de responsabilité sociale d entreprise (RSE) publié par quelques grandes entreprises françaises et de poursuivre l examen de certains cas par une enquête de terrain afin de déterminer comment ce reporting est utilisé par les parties prenantes, et plus particulièrement par les sections syndicales implantées dans l entreprise. Le premier volet de cette étude porte sur l analyse documentaire de dix entreprises françaises, cotées ou non, et a été coordonné par l agence CFIE-conseil. La réalisation du second volet, correspondant à l enquête de terrain pour quatre entreprises, a été coordonnée par le cabinet Syndex. Les enseignements principaux de cette étude sont les suivants : la disparité des documents de reporting RSE publiés par les entreprises étudiées rend les comparaisons difficiles. Cette disparité s explique, d une part, par la grande latitude d interprétation laissée par le cadre légal de l article 116 de la loi NRE et, notamment, par l absence d indicateurs précis recommandés par le législateur et, d autre part, par les diverses motivations des entreprises concernant ce type de publication ; la principale motivation exprimée par les dirigeants en ce qui concerne la publication de ces documents n est pas de contribuer à une concertation avec les parties prenantes, mais de répondre aux attentes de la communauté financière et aux agences de notation spécialisées sur les thèmes sociaux, environnementaux et de gouvernance ; les organisations syndicales utilisent encore très peu le reporting RSE. La grande majorité des militants syndicaux n avaient d ailleurs jamais pris connaissance auparavant de ce type d information publiée par leur entreprise ; les enquêtes de terrain effectuées dans quatre entreprises où des sections syndicales utilisent le reporting RSE montrent pourtant que ces documents sont de nature à enrichir le dialogue social, à l ouvrir sur de nouveaux sujets, et à élargir son champ grâce à l implication de nouveaux acteurs (ONG, associations locales, etc.). Pour l heure, la voie préférée des syndicalistes qui utilisent le reporting RSE est son articulation avec les accords-cadres signés entre l entreprise et le mouvement syndical. En conclusion, l étude propose une liste de recommandations à l attention des acteurs pour une meilleure utilisation du reporting RSE. 1
Synthèse Les constats et enseignements de cette étude L analyse documentaire porte sur le reporting RSE concernant l exercice 2009 de dix entreprises : Carrefour, Crédit Agricole SA, EDF, Groupama, Lagardère, Legrand, PPR, PSA Peugeot Citroën, Saint-Gobain, Sodexo. Elle met en évidence que les documents publics produits annuellement par les grandes entreprises françaises en matière de reporting RSE sont très disparates, tant par leur contenu que par leur qualité. Si certaines entreprises ont pris des initiatives intéressantes permettant de rendre compte de leur politique et de ses impacts sur certaines dimensions sociales et environnementales, aucune ne publie un reporting qui soit satisfaisant sur l ensemble des champs couverts par la loi NRE. L enquête de terrain concernant l utilisation du reporting RSE de Carrefour, EDF, Legrand et Saint-Gobain a permis de préciser l intérêt et les limites actuels de cet exercice. Les principaux publics ciblés aujourd hui par les directions d entreprise sont les agences de notation et la communauté financière, et les principaux buts recherchés dans l élaboration des rapports de RSE recouvrent avant tout des motivations d image et de maintien de la confiance qu elles peuvent leur inspirer quant à leur évolution à court ou à moyen terme. L usage du reporting comme outil de dialogue, interne ou externe, n a été jusqu à présent qu une plus faible préoccupation. Les entreprises articulent, en particulier, très rarement l élaboration et la diffusion de leur reporting RSE avec un système de concertation élargi aux diverses cultures de toutes les parties prenantes, même si les dirigeants d entreprise semblent avoir, au moins partiellement, intégré l invitation à une plus grande transparence à travers cet instrument. On constate ainsi que, contrairement à l esprit de la loi, les entreprises informent seulement ponctuellement de leur reporting RSE les acteurs de la société civile que sont les organisations syndicales et les ONG. De plus, ces acteurs sont très peu incités par l entreprise à réagir à son sujet, et encore moins à contribuer à son amélioration. Par ailleurs, les documents du reporting RSE ne sont pas, sauf cas rarissimes, adaptés pour ouvrir un débat contradictoire à l occasion d une concertation organisée. Les dilemmes auxquels fait face l entreprise n y sont pratiquement pas exposés ni, a fortiori, les explications des arbitrages opérés par les dirigeants résultant de ces dilemmes. De leur côté, les acteurs de la société qui se préoccupent de questions de long terme et des impacts des activités des entreprises sur les différents champs du développement durable se saisissent très peu du reporting RSE annuel pour construire leur opinion et leurs revendications éventuelles auprès des entreprises. En ce qui concerne les équipes syndicales interrogées, elles ont confirmé qu elles s intéressaient à la politique RSE de leur entreprise ; pour autant, le reporting public de RSE tel qu il est pratiqué aujourd hui n a pas justifié jusqu à présent un réel investissement de leur part pour l utiliser de façon importante dans le dialogue social. Ainsi, parmi les équipes qui ont témoigné, seule l équipe CFDT de Legrand s appuie vraiment sur le reporting RSE de son entreprise pour la 2
négociation d un accord d entreprise en cours. Les équipes syndicales d EDF utilisent plutôt le reporting interne dédié au suivi de leur accord-cadre international pour négocier les éléments de la RSE de l entreprise. Les équipes syndicales de Carrefour utilisent ponctuellement le reporting RSE public de l entreprise au sein du comité d entreprise européen, tout comme ceux de Saint-Gobain, pour lesquels ce processus d appropriation syndicale progressive du système de management de la RSE a commencé plus récemment. L étude a finalement mis en évidence la déconnexion qui existe actuellement entre les supports du reporting RSE formel tels qu ils sont proposés par les entreprises et les informations réellement utilisées par les acteurs du dialogue social interne ou par ceux du débat sociétal externe. L évolution du contexte légal Au cours des dernières années, plusieurs évaluations portant sur la mise en œuvre de la loi NRE adoptée en 2001 et proposant des options d avenir à envisager pour lui succéder ont souligné que l obligation de reporting RSE pour les entreprises correspond à une forte aspiration de la société. Ainsi, pour la France, la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l environnement (dite loi «Grenelle 2») a entériné l intérêt d étendre cette obligation à d autres entreprises que les seules sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Dans son article 225, cette loi a proposé des voies pour consolider la fiabilité du reporting RSE au travers d un mécanisme de vérification, et les différents projets de décret incitaient à ce que ce reporting soit soumis au moins systématiquement aux institutions représentatives du personnel. Cependant, au moment de la finalisation de cette étude (février 2012), le décret d application modifiant l article 225-102 du code de Commerce n est toujours pas paru au journal officiel. En l état actuel du droit (article L. 2323-8 du code du Travail), le comité d entreprise peut de toute façon déjà formuler toutes observations sur «la situation économique et sociale» de l entreprise, sur la base des documents qu il est prévu de remettre à l assemblée des actionnaires. La commission européenne a, elle aussi, communiqué en octobre 2011 sur son intention de bientôt légiférer en matière de reporting RSE. Quelques recommandations à l attention des acteurs La sous-utilisation du reporting RSE par les parties prenantes non financières, et en particulier par les organisations syndicales, conduit à proposer un certain nombre de bonnes pratiques que l on trouve insuffisamment mises en œuvre aujourd hui. Appliquées de façon complémentaire par une entreprise, on peut raisonnablement penser qu elles conduiront à une meilleure utilisation de son reporting RSE : À l intention des directions d entreprises : concevoir le système d élaboration du reporting RSE avec des phases récurrentes de concertation et de dialogue avec les parties prenantes ; 3
faire apparaître explicitement dans le reporting les attentes formellement exprimées par les parties prenantes concernant la responsabilité sociale et environnementale de l entreprise ; décrire la façon dont l entreprise a traité les dilemmes et les controverses en matière de RSE et qui se rapportent à son activité ; mettre systématiquement en évidence dans le reporting les enjeux qui sont considérés comme «clés» par l entreprise et associer les indicateurs de pilotage qui correspondent au suivi de ces enjeuxclés. Sans toutefois éluder les enjeux de moindre importance dont la mise au second plan devrait, à tout le moins, être justifiée ; faire apparaître clairement les objectifs visés pour chacun de ces indicateurs, avec un commentaire d explication des valeurs retenues par l entreprise pour ses objectifs à court, moyen et à plus long terme. À l intention des organisations syndicales : s assurer que les institutions représentatives du personnel reçoivent une information régulière concernant le reporting RSE de leur entreprise, permettant un échange direct et récurrent avec les dirigeants à ce sujet dans le cadre du dialogue social classique. Cela devrait déjà être le cas pour les entreprises cotées, dans la mesure où, depuis 2001, les conséquences sociales et environnementales de leurs activités doivent être mentionnées dans le rapport de gestion, lui-même transmis au comité d entreprise ; articuler autant que possible les indicateurs de suivi des accords de RSE avec ceux du reporting public, permettant éventuellement d élargir plus facilement le dialogue sur ces indicateurs avec d autres acteurs de la société civile ; former des militants syndicaux à l analyse du reporting RSE, en particulier pour leur permettre de mieux comprendre le management de la RSE par leur entreprise et les enjeux sociaux qu ils soulèvent, et pour leur faciliter la possibilité de devenir des parties prenantes actives de ce système ; revendiquer des moyens humains et budgétaires pour être plus formellement intégrés aux systèmes de management de la RSE en tant que parties prenantes légitimes internes à l entreprise. Notamment au travers de : concertations pour l élaboration et le suivi de certains indicateurs, et à tout le moins certains indicateurs sociaux, droit à l expertise, droit à une expression écrite libre dans le reporting RSE de l entreprise ; demander aux directions les informations locales qui ont servi à la consolidation du reporting RSE et les analyser. Ce reporting local ou régional existe puisqu il est nécessaire à la consolidation. Il n y a pas d obligation légale à ce qu il soit mis en forme pour une publication à un périmètre local, ni à un périmètre de filiale de groupe, mais il peut très bien être utilisé comme support de dialogue social interne à chaque niveau pertinent. 4