Annick Alpérovitch Directeur de recherche émérite, UPMC-Inserm-U708 Neuroépidémiologie

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Recherche épidémiologique sur la maladie d'alzheimer : quelques questions d'éthique Annick Alpérovitch Directeur de recherche émérite, UPMC-Inserm-U708 Neuroépidémiologie P. 1

Les études cas-témoin L un des objectifs majeurs de la recherche épidémiologique sur la maladie d Alzheimer est d identifier des facteurs de risque et ou de protection vis à vis de cette maladie, en particulier des facteurs sur lesquels on pourrait agir pour en diminuer la fréquence. Pour atteindre cet objectif, différentes approches épidémiologiques sont envisageables. La plus facile à mettre en œuvre est l étude cas-témoin consistant à comparer les caractéristiques présentes ou passées de personnes atteintes de la maladie d Alzheimer (les cas) à celles de personnes qui en sont indemnes (les témoins). La maladie d Alzheimer survenant le plus souvent à un âge où il est rare de ne présenter aucune pathologie, les témoins, qui doivent être aussi représentatifs que possible de l ensemble de la population âgée, peuvent donc être atteints de différentes maladies, démences exclues. Pour la validité de la recherche, il est essentiel qu il n existe pas entre cas et témoins des différences qui peuvent rendre difficile, voir impossible, l interprétation des résultats. Par exemple, si l étude a pour objectif d établir un lien entre nutrition et risque de maladie d Alzheimer, les cas (personnes souffrant de cette maladie) et les témoins devront être similaires pour ce qui est du sexe, de l âge, de la catégorie socioéconomique, de la région de résidence, tous facteurs qui peuvent avoir un lien avec les habitudes alimentaires. Différentes techniques permettent d assurer a priori cette comparabilité (au moins pour l âge et le sexe) ou de corriger a posteriori un défaut de comparabilité. Les problèmes éthiques posés par les recherches dans lesquelles sont incluses des personnes atteintes de maladie d Alzheimer, ou plus généralement d affections pouvant réduire les capacités cognitives et décisionnelles, ont donné lieu à de nombreuses recommandations. La recherche épidémiologique pose cependant certains problèmes particuliers. Un premier problème tient aux difficultés d interroger les personnes atteintes de maladie d Alzheimer sur des événements précis de leur passé. Face à cette difficulté, les questions, dont certaines peuvent porter sur des faits lointains, sont habituellement posées à des proches des cas, et, par nécessité de comparabilité, à des proches des témoins. Le recours à un informant n est d ailleurs pas spécifique aux recherches sur la maladie d Alzheimer : il est systématique chaque fois qu il est impossible d interroger la personne elle-même, qu elle qu en soit la raison (troubles du langage, altérations du comportement ou cognitives). Les informations recueillies auprès d un proche sont moins précises que celles fournies par la personne malade elle-même. Il est exceptionnel que le proche interrogé ait accompagné la personne malade tout au long de sa vie et puisse aussi bien décrire l environnement de son enfance que ses conditions de travail et ses problèmes de santé. Certaines recherches incluant des questions sur l environnement affectif, voir les traumatismes affectifs, peuvent être intrusives. P. 2

L inégalité entre cas et témoins est ici manifeste. Les témoins sont informés en détail sur les hypothèses et les objectifs de la recherche (les questionnaires ne leur sont pas communiqués au moment du consentement, mais ils peuvent les demander), ils acceptent ou refusent d y participer en toute autonomie, et s ils acceptent, désignent le proche qui va répondre à leur place. Pour la personne atteinte de maladie d Alzheimer, sauf si elle a encore des capacités cognitives et une autonomie décisionnelle suffisantes, c est souvent le même proche qui donne son consentement pour la participation à la recherche de la personne malade et répond aux questions des chercheurs. Dans la situation que nous venons de décrire, la personne malade est en dehors de tout le processus de recherche au lieu d en être un acteur comme dans les autres pathologies. C est un point qui différencie aussi la recherche épidémiologique d autres recherches sur la maladie d Alzheimer (essais thérapeutiques, études physiopathologiques, recherche de facteurs pronostiques) où, après que le consentement ait éventuellement été donné par le représentant légal de la personne malade, cette dernière participe néanmoins personnellement, à la recherche. Je veux dire que, comme dans toute maladie, les mesures et données nécessaires à la recherche sont obtenues à partir de l observation et l examen de la personne malade, même si des éléments complémentaires peuvent être recueillis auprès des proches ou des aidants. Etudes de cohortes Les études cas-témoins sont sujettes à différents biais qui peuvent compromettre la validité de leurs résultats. Une autre approche épidémiologique permet de supprimer la plupart de ces biais et constitue la méthode de référence pour identifier les facteurs de risque d une maladie : les études de cohortes. Beaucoup plus lourdes que les études cas-témoins, elles ne sont envisageables que pour des maladies relativement fréquentes, comme la maladie d Alzheimer. Les études de cohortes résolvent non seulement des problèmes méthodologiques, mais aussi certains des problèmes éthiques qui viennent d être évoqués. Mais, pour ce qui est des problèmes éthiques, elles en soulèvent d autres, tout aussi délicats comme nous allons le voir. Tout d abord, en quelques lignes, qu est ce qu une étude de cohorte? Schématiquement, dans le protocole le plus classique, on sélectionne par tirage au sort - par exemple sur les listes électorales - un grand échantillon (plusieurs milliers de personnes) de la population générale. Ces personnes sont examinées lors de leur inclusion dans l étude, puis suivies pendant plusieurs années (10-15 ans, parfois plus), avec des examens réguliers permettant de détecter la survenue de la maladie faisant l objet de la recherche, et plus généralement de tout événement de santé. On compare ensuite les caractéristiques initiales des personnes selon qu elles ont développé, ou non, une maladie d Alzheimer pour identifier les caractéristiques (biologiques, médicales, comportementales, P. 3

environnementales) qui augmentent ou diminuent de risque de survenue de la maladie. Les études doivent être de grande taille et durer longtemps car, pour être solides, les résultats doivent s appuyer sur un grand nombre de cas de la maladie. Chaque personne tirée au sort reçoit une information sur les objectifs de la recherche, ses modalités (nature des examens, durée de l étude) et les droits du participant (communication des données le concernant, droit de modification et de retrait, etc.). L information préalable au consentement précise aussi quels résultats individuels seront communiqués au participant en cours d étude et lesquels ne le seront pas. Dans la première catégorie, par exemple, tous les dosages biologiques de routine (cholestérol, glycémie, etc.) et la pression artérielle ; dans la seconde, toutes les mesures (biologiques, radiologiques, génétiques) dont la valeur diagnostique (ou prédictive) n est pas établie et dont la connaissance n a pas d impact en termes de traitement ou de prévention. Tous les résultats communiqués au participant sont, sauf opposition de sa part, transmis aussi à son médecin. Bien évidemment, toutes les procédures et modalités de l étude ont dû préalablement avoir un avis favorable d un Comité de Protection des Personnes (CPP) et de la Commission Nationale de l Informatique et des Libertés (CNIL). Cohortes et éthique Dans ce contexte général, les études de cohorte sur la maladie d Alzheimer soulèvent des difficultés particulières, touchant à l éthique, et la manière d y répondre a évolué au cours des dix dernières années. Je les illustrerai à partir de l étude des 3 Cités (3C), étude de cohorte dont l objectif est d étudier l association entre facteurs de risque vasculaire et maladie d Alzheimer, conduite en France depuis 1999 (http://www.three-city-study.com/). Avant d aller plus loin, il faut rappeler qu un chercheur, même s il est médecin, ne peut se substituer au médecin traitant de la personne qui participe à une recherche. Pour de multiples raisons, déontologiques, scientifiques, éthiques, il ne peut donner au participant sa propre opinion sur la prise en charge instaurée par le médecin traitant, pas plus qu il n est de son ressort de conseiller au médecin d adresser la personne à un spécialiste. Le chercheur est en situation d observation, pas dans une relation de soin. Les interventions limitées, essentiellement d information, qu il peut être amenées à faire auprès de la personne elle-même et de son médecin, en particulier en cas de découverte d une anomalie grave, doivent être définies en détails dans le protocole soumis au CPP. Ainsi, dans les études incluant de l imagerie cérébrale par résonance magnétique (IRM), tous les examens doivent être lus par un neuroradiologue, pour que le participant soit informé sans délai de la découverte fortuite d une P. 4

tumeur cérébrale. Ce qui arrive à plusieurs reprises lorsqu on réalise plusieurs centaines d IRM. Revenons maintenant à l étude 3C. A l entrée dans l étude, les 9.294 personnes ayant accepté d y participer (âge moyen 72 ans, 17% 80 ans) vivaient à leur domicile, 10% seulement déclarant une incapacité pour une activité instrumentale de la vie quotidienne. Environ 20% disaient s être plaintes à leur médecin généraliste de difficultés cognitives ; pour un très petit nombre de ces participants, la plainte avait entrainé la consultation d un spécialiste et 62 cas de démence (légère) avaient été ainsi diagnostiqués. Indépendamment, dans le cadre de l étude 3C, chaque participant avait un bilan cognitif, puis un recueil d informations complémentaires si le bilan indiquait de possibles troubles cognitifs, tous ces examens étant effectués par des professionnels recrutés pour la recherche. L ensemble des données était ensuite examiné par un comité indépendant composé de plusieurs neurologues qui statuait sur le diagnostic : pas de démence, maladie d Alzheimer, maladie apparentée. Cent cinquante trois cas supplémentaires de maladie d Alzheimer ou de maladie apparentée ignorée, dont environ la moitié n avait aucune plainte cognitive, étaient ainsi diagnostiqués en 1999-2000. A cette époque, compte-tenu de l image de la maladie d Alzheimer dans la population et dans le corps médical, de la rareté des structures médicales et sociales permettant de répondre aux besoins de ces malades, de l absence de traitement ou autre prise en charge susceptible de modifier l évolution de la maladie, et avec l avis favorable du CPP, le diagnostic établi dans 3C n était communiqué ni à la personne, ni à son médecin. Entre 1999 et 2007, parmi les 627 diagnostics de maladie d Alzheimer ou maladie apparentée établis dans 3C, près de 40% des personnes concernées n avaient jamais exprimé une plainte cognitive à leur médecin traitant, les deux tiers n avaient pas consulté de spécialiste (neurologue, gériatre ou psychiatre) et parmi celles ayant consulté, près de 50% n étaient pas traitées par un médicament anti-démentiel. Dix ans après le lancement de l étude, avec la succession de plusieurs plans de santé publique consacrés à la maladie d Alzheimer, le contexte a évolué, au moins sur certains aspects. La démarche dans 3C est différente, mais des questions d ordre éthique demeurent. Si l image de la maladie reste terrible, on ose maintenant la nommer. Des centres pouvant répondre aux besoins médicaux des patients (examens, diagnostic, traitement, suivi de la maladie) sont implantés sur tout le territoire français. Tout un éventail d aides médico-sociales, probablement encore insuffisantes, a été développé. Un avenant a donc été déposé auprès du CPP afin de pouvoir conseiller aux personnes pour lesquelles un diagnostic de démence possible est établi dans 3C de consulter dans une Consultation de Mémoire. Cette information leur est donnée de la manière la moins inquiétante possible, et est avec leur accord transmises à leur médecin. Mais tout questionnement de nature éthique n a pas disparu. D abord, les personnes participant à l étude 3C avaient conscience de participer à une P. 5

recherche sur la maladie d Alzheimer, mais pas à ce qui pourrait être assimilé à un dépistage. Elles n en expriment pas la demande. Les informations qui leur ont été données au début de l étude, et sur la foi desquelles elles ont signé un consentement, n en faisaient pas état. Y auraient-elles participé si cette perspective avait été évoquée? Comme au début de l étude, les diagnostics de maladie d Alzheimer ou maladie apparentée dans 3C sont souvent faits chez des personnes n ayant aucune plainte cognitive et vivant de manière autonome, même si leurs incapacités sont plus fréquentes en 2010 qu en 2000, tous les participants ayant maintenant plus de 75 ans. L évolution des troubles cognitifs diagnostiqués à un stade très précoce, comme c est le cas dans 3C, est peu prévisible. La détérioration des fonctions cognitives peut être, selon les personnes, rapide ou lente. S agissant de personnes âgées, si l évolution de la maladie d Alzheimer est lente, la personne peut décéder sans que ses troubles cognitifs aient eu un réel impact sur son autonomie, mais la qualité de ses dernières années de vie a pu être altérée par la révélation du diagnostic de maladie d Alzheimer. Ce questionnement renvoie à celui que peut susciter l éventuelle utilisation de tests prédictifs de la maladie d Alzheimer, qui sont l un des enjeux des recherches actuelles sur cette maladie. Il ne faudrait pas passer sans une réflexion éthique approfondie de la situation de diagnostic à un stade avancé de la maladie déplorée il y a quelques années à un diagnostic préclinique. Et, pour commencer, on ne pourra éthiquement se passer d une évaluation rigoureuse, sur des critères individuels et collectifs pertinents, du bénéfice potentiel d une telle prédiction pour l ensemble des personnes concernées. P. 6