L de télévision zaïroise (( La. Viens, je t emmène de l autre côté des nuages.. Aspects de la vie quotidienne au Zaïre



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Transcription:

ZAÏRE NIGERIA C Al -VERT Viens, je t emmène de l autre côté des nuages.. Aspects de la vie quotidienne au Zaïre E générique de la chaîne L de télévision zaïroise (( La Voix du Zaïre n, chaîne officielle unique que la rumeur publique (( Radio Trottoir )) a rebaptisé ((La Voix de son Maître )), présente l effigie du maréchal Mobutu Sese Seko planant sur une mer de nuages. Cet article se propose de mener le lecteur de l autre côté des nuages en présentant quelques aspects de la vie quotidienne au Zaïre. Avant d aborder le sujet, une remarque concernant les sources et la méthodologie : dans sa partie la plus récente, cet article repose sur les extraits de deux quotidiens zaïrois, Salongo et Elima, repris dans le Zai re Monthly (1). Ce type de source, l imprécision chronologique et statistique pourront étonner et même décevoir des lecteurs habitués 1 plus de rigueur. Je crois utile de préciser que cette (( imprécision )) est le résultat d un choix. Vouloir à toute force s en tenir aux règles établies de l étude scientifique pour rendre compte de la situation sociale d un pays comme le Zaïre, c est se condamner au silence. Les statistiques sociales sont diffusées très irrégulièrement et presqu au compte-gouttes. Elles sont, de plus, rarement fiables car, au niveau des petites entités administratives, les fonctionnaires les gonflent ou les minimisent à l aune de leur pessimisme ou de leur espoir. Tout dépend de leur perception : avant de compléter les formulaires, ils se demandent d abord si 101

les informations fournies seront source d impôts ou de subsides. Signalons enfin que l état actuel de la structure administrative (manque de matériel, personnel mal payé) ne permet pas de remédier à cette situation. L alimentation Selon un rapport de la FAO, la dénutrition - définie comme un apport calorique de moitié infirieur au maintien du métabolisme basal - affecte 44 9% de la population zaïroise (2). Ce même rapport de la FAO révélait, entre autres, que l écart entre le Zaïre et les pays africains à statut économique équivalent tendait à croître et que le Zaïre serait ainsi le pays où l apport protéique par personne serait le plus.faible du monde. En 1987, qu en est-il? Les images de famine totale viennent évidemment relativiser ces propos. Elles ne proviennent pas du Zaïre. Comment, dès lors, rendre compte de la pauvreté et de la misère nutritionnelle qui accablent la population zaïroise, principalement dans les centres urbains et leurs périphéries? Très concrètement cela signifie que, en dehors des bébés au sein, toute la famille commence sa journée le ventre vide. Certains jours, on fait chauffer un peu d eau que l on (( assaisonne )) de pili-pili ou de thé, mais, dans les centres urbains, le coût du bois de chauffage est devenu trop élevé pour se permet- (1) Zuïre Montlzly (BP 25, B 3000 Leuven) est une publication du Comité Zaïre. Cette revuemensuelle prbente une revue de Ia presse zaïroise et une selection d articles de la presse belge et internationale. (2) M. Haubert, Politiques alimentaires et structures sociules en Airique mire, Paris, PUF, 1985. tre <( le luxe )) de faire du feu deux fois par jour. Pour les sans-emplois et les enfants non scolarisés, la journée est consacrée à (( se débrouiller n : recherche de petits travaux, commerce de mini-détail (1 cigarette, 2 allumettes, 3 cuillères d huile...), chapardage, recours à la solidarité clanique - de façon à pouvoir manger en fin de journée. Ceux qui ont une activité professionnelle sont aussi contraints de participer au marché de (( l article 15 )), marché de la débrouillardise où les notions d honnêteté, de conscience professionnelle, d éthique commerciale n ont pas cours. Cette situation n a évidemment fait qu empirer avec la détérioration des termes de l échange dans les marchés du pays. t( Pour la période allant de décembre 1960 à décembre 1973, et celle de décembre 1973 à décembre 1983, les prix de &tail des biens de consomniation couranze aux marchés de Kinshasa ont augmenté en moyenne respectivement de 24 % et 60 % par an. Inversement, pour les ni2mes périodes, l index du salaire réel minimum a diminué en moyenne de 7 % et 30 YO par an, ce qui reprisente une diniinution de 100 à 1 de dicembre 1960 à nos jours )) (3). La situation va s aggravant, car au cours de l année 85, l indice des prix à la consommation familiale a accusé une hausse de 23,7 Yo. Pour clarifier, voici quelques chiffres valables pour Kinshasa : le minimum vital est estimé à 3 O00 zaïres par mois. Or les Kinois qui ont la chance d avoir un emploi gagnent de 270 à 1 200 zaïres mensuels (4). Au mois de février,* la Mineza (société minotière d Etat) connaît (3) E. Potter d Indoye, a La problématique de l habitat urbain 3, Zuïre Afriqzre, no 192, février 1985. 102

... I--............. I I -..,,......... I_. ~_-....-...-.. -....-..., des difficultés de stock et le prix du sac de blé de 50 kg passe de 1 075 â 1750 zaïres. Dans le même temps, le marché noir de la farine est florissant (Elima, 12 février 1987). En janvier, c est le sac de manioc dont le prix passe de 600 â 1200 zaïres. Le Département du plan met alors en cause les transporteurs et leurs marges bénéficiaires prohibitives (Salongo, 19 janvier 1987). De leur côté, ceux-ci se plaignent sans discontinuer des barrages officiels qui rançonnent systématiquement (certains parlent même de racket) tous les camions de marchandises et qui les (( obligent )) à hausser leurs prix. I1 y a périodiquement des tentatives pour remédier à cette situation. Dernière initiative en date : des U magasins témoins )) sont installés. Leur but : (( Lutter contre la hausse des prix des produits alimentaires de base, provoquée et entretenue par des petits ditaillants, le plus SOUvent hors de toute autorisation officielle D. Faute d approvisionnement, ces (( magasins témoins N ont connu une existence plus qu éphémère. La situation en dehors de la capitale n est pas meilleure. Les centres, moyens ou petits, ne sont pas approvisionnés (les routes sont souvent impraticables et les possibilités de transport plus qu aléatoires). Quant aux villageois, ils reviennent à l autarcie. Une situation que les rousseauistes européens leur envient, mais qui se solde le plus souvent par un déficit protéique et vitaminique. (4) Koffi Mabele, a Matabische et Cie u, Afrique-Asie, no 390, 29 février 1986. La santé Conséquence de la situation alimentaire et de l absence d hygiène dans les centres urbains, l état sanitaire général de la population zaïroise est mauvais : 38 9 0 des enfants et des femmes enceintes ou allaitant souffrent d anémie nutritionnelle (Etude, août 1986 ; Elima, 23 septembre 1986). Ce sont principalement les organismes les plus faibles qui pâtissent çle cette situation : le taux de morbidité atteint 50 Yo chez les enfants de moins de 5 ans. Les maladies infectieuses et les épidémies trouvent dès lors un terrain favorable et opèrent sporadiquement des ravages dont la presse fait laconidquement mention : Zone de l Equateur, 800 morts de la rougeole (Salongo, 31 janvier 1987) ; à Bandundu, on signale des cas de trypanosomiase, maladie du sommeil (Salongo, 6 janvier 1987); Matadi : la tuberculose est de plus en plus alarmante (Salongo, 1 février 1987) ; Kasaï occidental : conséquence de l onchocercose, on estime que 10 70 des villageois de Luebo Lulengo sont aveugles (Solidaire, journal belge, 2-14 janvier 1987) ; Bukavu : 683 cas mortels de rougeole et de malaria. En février 1986, la dysenterie bacillaire avait fait beaucoup plus de victimes : 2 227 cas (Elima, 23 décembre 1986); Ituri : la sous-région est devenue un foyer de peste (Elima, 28 janvier 1987). Les centres de soin Pour un Zaïrois non fortuné, le chemin de la guérison est sans aucun doute comparable à un chemin de croix. La métaphore restant valable jusqu à, et y compris, l issue finale, tant les chances de s en sor- 103

tir sont minimes pour les patients des hôpitaux zaïrois. Ces établissements manquent en effet du strict nécessaire. Les constructions sont en très mauvais état. Aucune politique d accroissement du potentiel hospitalier n a été suivie depuis 1960. Aujourd hui, il est question à Kinshasa de terminer un bâtiment laissé à l état de gros œuvre depuis 1960 et d en faire un hôpital de pointe qui sera réservé à ceux qui auront souscrit une assurancehospitalisation (5). Ainsi, même au point où en est le projet, il est clair que le plus gros de la population kinoise devra, comme à présent, se rendre à l h6pital Mama Yemo. Ce dernier a été conçu en 1928 pour desservir 250 000 habitants. Faut-il, dès lors, s étonner s il ne suffit pas pour la population actuelle de 3 000 000 habitants? Outre le surpeuplement que l on imagine, les hôpitaux présentent un manque flagrant de matériel et de médicaments. Le Dépôt central médico-pharmaceutique (DCMP) censé les fournir n a jamais rempli sa mission. Les raisons de cette carence sont innombrables : pillage, détournement de fonds, malversation, manque de moyens de transport, etc. I1 en résulte que les personnes qui doivent subir une opération chirurgicale doivent fournir tout le nécessaire, depuis le savon du chirurgien et de son équipe, jusqu au liquide de perfusion, sans oublier les seringues, les solutions, le sparadrap, le coton hydrophile... De plus, le personnel soignant est tellement peu payé qu il est obligé d appliquer les règles de l article 15. Ce qui a comme conséquence la disparition (5) Nzuzi Matayi, a Un entretien avec le docteur Goffi B, Zuiie Digest, no 4, novembre 1986. des valeurs éthiques et morales. Les médecins, quant à eux, développent une clientèle privée qui seule leur assure des rentrées sufisantes. Leur travail à l hôpital vient en second lieu. Placés devant de telles perspectives, on comprend aisément que certains malades renoncent à se faire soigner. L enseignement Héritière de l administration coloniale belge, dont l objectif en matière scolaire était d empêcher l émergence d une élite intellectuelle (politique différente du système français), l institution scolaire zaïroise a fait l objet de nombreuses réformes. Situation normale dans un pays (( qui se cherche )) diront certains; manque de suivi et absence d une politique cohérente rétorqueront les autres. Au-delà de ce débat, se former dans une institution scolaire zaïroise relève aujourd hui du parcours du combattant et constitue un des problèmes majeurs des parents zaïrois. Premier obstacle : l argent Officiellement (loi-cadre), l enseignement est gratuit. Dans les faits, il coûte très cher. Les directeurs d établissements se livrent en effet à une attaque en règle contre les revenus des parents. I1 faut payer pour l inscription (et chaque année pour la réinscription), pour l uniforme (obligatoirement acheté dans l établissement et nouveau chaque année), pour les fournitures scolaires (qui ne sont, pas necessairement distribuées), pour la carte d élève, pour le comité des parents et enfin, pour les frais de scolarité (somme arbitrairement feée allant jusqu à 6 500 zaïres) (Salongo, 2 septembre 104

i- -- -- - -.. -. -... -........ 1 I-........~....-..... ZAIRd 1986). Une fois l année en cours, les ponctions continuent et malheur à ceux qui ne peuvent suivre le rythme imposé : leurs enfants risquent la mise à la porte. La presse se fait souvent l écho de cette situation intolérable. Un exemple relevé par Elima le 14 janvier 1987 : dans la région de Bandundu, l inspection générale réclame des droits d inscription aux élèves en fin de cursus secondaire qui doivent se soumettre j un examen final, l examen d Etat. Ces frais ont augmenté de 250 Yo (ils sont passés de 700 à 2 O00 zaïres) et doivent être versés avant la fin du ler trimestre. Saisissant la balle au bond, les préfets des établissements ajoutent 100 zaïres par élève pour couvrir les frais d acheminement de ces droits au chef-lieu de la Région. DemZme obstacle : la condition enseignante Les enseignants (et l ensemble des petits fonctionnaires) sont les grands sacrifiés du régime zaïrois. Ils perçoivent des salaires de misère, leurs classes sont surchargées (plus de 50 élèves), le matériel pédagogique est inexistant ou en mauvais état. Les enseignants sont devenus des (( citoyens-misère D. Au niveau primaire et secondaire, leur salaire (lorsqu ils l obtiennent) s élève au maximum à 580 zaïres. Certains, au hasard des (( magouilles )) informatiques et administratives, gagnent 300 zaïres. Au niveau supérieur les sommes sont plus élevées mais les salaires perçus ne permettent pas de faire vivre une famille décemment. I1 faudrait les multiplier par trois pour qu un professeur puisse se consacrer pleinement à son enseignement. Bref, il faut trouver des supplé- ments à tous les niveaux et cette recherche harassante se fait, bien sûr, au détriment de la qualité de l enseignement et, il faut bien le dire, de toute éthique ou morale professionnelle. Les salaires sont insuffisants mais aussi très irréguliers. L administration a en effet (( en réserve )) différentes façons de priver les enseignants de leurs salaires : une fiche de salaire (( zéro-zéro 1) signifie que le salaire du mois a (( sauté B. Décision totalement arbitraire contre laquelle il n y a aucun recours. Les démarches et demandes d explication s égarent, s oublient... En 1983, lors d une opération d ajustement des salaires, on n a plus tenu compte des échelons d ancienneté. En conséquence, au lieu d augmenter, les salaires ont baissé. Enfin, il faut signaler qu à cause de spéculations pratiquées à tous les niveaux, les salaires arrivent parfois avec 6 à 18 mois de retard. (Les fonctionnaires chargés de la distribution u investissent )) l argent à court terme). Face à cette situation, les enseignants se sont mobilisés. Dès 1977, des grèves (interdites au Zaïre, c est important à signaler) ont éclaté partout sur le territoire, organisées dans des réseaux clandestins par des hommes et des femmes qui risquent ainsi la torture, l élimination physique. Un témoignage parmi d autres est repris dans le dossier : (( Ensei- gnants en grève )) publié par le Comité Zaïre. I1 s agit du récit des tortures subies par.un enseignant de Kisangani en décembre 1983 (6). Cet homme a été torturé pour avoir participé à un mouvement de grève dont les revendications principales (6) Anonyme, u Mon calvaire au CNRI, Centre National de Recherche et d Investigation Y, Info-Zaïre, no 41, 1984. 105

étaient : l exigence de conditions de travail et d existence compatibles avec la dignité humaine, le paiement mensuel au plus tard le 26 de chaque mois. Troisième obstacle : les infrasdmctures et les bourses Kinshasa et Lubumbashi sont désservis par un réseau de bus (les fula-fula). Les enfants qui doivent les emprunter sontq quelquefois. éjectés et abandonnés sur le chemin: les fila-ma sont toujours bondés et aux heures d empoignade, les plus petits sont sacrifiés (Salongo, 19 novembre 1986). Pénétrer dans un établissement scolaire présente parfois un risque réel tant les bâtiments sont vétustes et non entretenus. I1 n y a, la plupart du temps, ni chaises, ni tables, ni bancs. La rubrique (( Fait du jour )) d Elima du 9 janvier 1986 relate que le Conseil exécutif (le gouvernement) vient de mettre 4 O00 bancs scolaires à la disposition des établissements scolaires publics de la capitale. Cette livraison, précise-t-on, n est pas la première du genre; ces bancs ont en effet une tendance très nette à disparaître rapidement des locaux scolaires. En conclusion, l éditorialiste en appelle au sens civique des parents, afin qu ils protègent les biens des écoles. Signalons enfin que ce type d appel n est pas nouveau et qu il a déjà porté ses fruits. Certains parents ont construit des écoles et se cotisent pour procurer aux enseignants un supplément de salaire qui leur permet d exercer leur profession dans de moins mauvaises conditions. Ces solutions sont le fait de parents très (( débrouillards D. Les gens fortunés (l oligarchie) ont, quant à eux, adopté la solution des écoles privées ou consulaires pour les enfants en bas âge, et l expatriation pour les aînés. Les étudiants des niveaux supérieurs et universitaires, confrontés à cette situation, se sont souvent élevés contre un régime qui ne leur accorde pas la possibilité de mener des études dans des conditions normales. Leurs révoltes ont toujours été durement matées. Pour mémoire, 1969 : massacre des étudiants du campus de Kinshasa ; 1971 : fermeture des universités, les étudiants sont arrêtés et enrôlés dans l armée; 1979, 1980, 1981 : vagues de répression, fermetures d établissements, sévices ; 1984 : massacre d étudiants à Kisangani, suppression des avantages matériels : plus de cantine, plus de logement, plus de transport. Quant auy bourses, elles sont supprimées ou réduites, tant au pays qu à l extérieur. La liste des doléances que la population zaïroise aurait à présenter comprendrait de nombreux autres paragraphes et chapitres. Les domaines illustrés par cet article ont été choisis pour leur caractère flagrant et surtout pour le fait qu ils touchent le devenir du pays et de sa population. Les perspectives sont, dès lors, alarmantes et force nous est de conclure qu il fait très sombre de l autre côté des nuages. Isabelle Jacquet 106