Le Retour Thérapeutique au Travail comme une intervention de réadaptation centralisée dans le milieu de travail: description et fondements théoriques



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Le Retour Thérapeutique au Travail comme une intervention de réadaptation centralisée dans le milieu de travail: description et fondements théoriques MARIE JOSÉ DURAND PATRICK LOISEL PIERRE DURAND KEY WORDS Back injuries Rehabilitation, vocational Work-related occupational therapy Work environment MOTS CLEFS Environnement de travail Ergothérapie centrée sur le travail Maux de dos Réadaptation au travail Marie José Durand, Ph.D., erg(c) Professeure-adjointe Programme d ergothérapie Université Laval Faculté de médecine Pav. Ferdinand Vandry Université Laval Québec. G1K 7P4 Patrick Loisel, M.D. Professeur titulaire Département de chirurgie Université de Sherbrooke Sherbrooke, Québec Pierre Durand, Ph.D. Professeur agrégé École des relations industrielles, Université de Montréal, Montréal, Québec 72 COPYRIGHT Copyright of articles which appear in the Canadian Journal of Occupational Therapy (CJOT) is held by the Canadian Association of Occupational Therapists. Permission must be obtained in writing from CAOT to photocopy, reproduce or reprint any material published in the Journal. There is a per page, per table or figure charge for commercial use. ABSTRACT Occupational therapists are becoming more and more involved in the treatment of work related musculoskeletal disorders. In this field of practice, an innovative intervention called Therapeutic Return to Work has been developped. This intervention includes, as part of the rehabilitation programme, a rapid return of the injured individual to his regular work station, while under the supervision of a therapist. Occupational therapists make use of the natural work environment as a basic element of the rehabilitation process. This article briefly describes the different steps and the theorical foundations of this intervention. Moreover, the Therapeutic Return to Work fits perfectly into the new guidelines for the integration of occupational therapy practice into the community. RÉSUMÉ L ergothérapeute est impliqué de façon de plus en plus importante dans l intervention auprès des travailleurs présentant des lésions musculo-squelettiques d origine professionnelle. Dans ce domaine, une intervention innovatrice appelée le Retour Thérapeutique au Travail a été développée. Celle-ci intègre rapidement au programme de réadaptation, le retour supervisé de l individu blessé à son poste de travail régulier. L utilisation et l exploitation de l environnement naturel du travailleur par l ergothérapeute devient un élément fondamental de ce processus de réadaptation au travail. Cet article décrit brièvement les différentes étapes de cette intervention et les fondements théoriques qui la supportent. Par ailleurs, le Retour Thérapeutique au Travail s inscrit parfaitement dans les nouvelles orientations de l ergothérapie axées sur une pratique intégrée dans le milieu communautaire.

Àl âge adulte, le travail est une occupation majeure de l i n- dividu. Or, chaque année, de nombreux travailleurs sont victimes d accidents du travail qui provoquent des absences prolongées de leur emploi. Au Québec en 1995, 36 900 travailleurs se sont absentés de leur travail à cause d u n e a ffection vertébrale d origine professionnelle. Ces absences du t r a vail ont entraîné des dépenses de 431 millions de dollars en coûts d indemnisation (Commission de la santé et de la sécurité du travail, 1996). Face à l importance de ce problème de santé et aux coûts sociaux considérables, divers pro g r a m m e s de réadaptation ont émergé depuis une vingtaine d a n n é e s pour les travailleurs présentant des maux de dos (Aro n o f, Mc A l a r y, Wi t k ower & Be rdell, 1988; Bégin & Martel, 1991; Cu t l e r et al., 1994; Mitchell & Carmen, 1994; Re vel, 1995; Tollison & Kriegel, 1989). Cependant, les fondements théoriques, les professionnels impliqués, les modalités de traitement et les c r i t è res d admission à ces programmes sont extrêmement va r- iés. Plusieurs études sur leur efficacité ont été publiées ( A m b rosius, Kre m e r, He rk n e r, Dekraker & Bartz, 1995; Cutler et al., 1994; Fl o r, Fydrich & Tu rk, 1992; Ha z a rd et al., 1989; Lindström et al., 1992; Ma ye r, Gatchel, Kishino, Keeley & Mo o n e y, 1987; Nicholas, Wilson & Goyen, 1991). Ma l h e u reusement ces études ont démontré des résultats dive r- gents, ce qui ne permet pas de conclure sur leur efficacité. Ces p rogrammes ont généralement été réalisés dans un milieu médical, c e s t - à - d i re soit à l hôpital, soit dans une clinique médicale ou encore dans un centre de réadaptation. Le milieu de travail n est jamais impliqué directement dans le pro c e s s u s de réadaptation. Parallèlement à ces programmes, le monde du travail a mis en place une toute autre stratégie pour favo r i s- er le retour au travail des individus blessés. En effet, au Québec, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles permet maintenant l assignation temporaire ( Baribeau, 1985). Elle consiste à concéder à l e m p l oyeur le dro i t de donner un autre travail à un employé blessé, mieux adapté à ses capacités, jusqu à la reprise du travail régulier. A i n s i, les travailleurs accidentés retournent à un travail allégé plus rapidement qu a u p a r a vant. Cepandant, il n existe pas actuellement d étude scientifique sur l e fficacité et l e fficience de l assignation temporaire comme stratégie favorisant la re p r i s e du travail au poste régulier. Dans le domaine de la réadaptation au travail, il y a peu de lien ou de connexion structuré entre les deux approches cidessus mentionnées; réadaptation en milieu médical et re t o u r au travail allégé (assignation temporaire). Or, dans le cadre d une re c h e rche étudiant la prise en charge précoce des personnes avec des maux de dos, une nouvelle interve n t i o n appelée le Retour Thérapeutique au Tr a vail (RTT) a été d é veloppée (Durand, 1996; Loisel, Durand, Gosselin, Si m a rd & Tu rcotte, 1996; Loisel et al., 1994). L apport innovateur du RTT est justement la création d une interface entre le milieu clinique traditionnel et l e n v i ronnement réel du trava i l l e u r. Cette i n t e r vention a été conçue à partir des réflexions de cliniciens c o n f rontés aux difficultés et aux échecs de la réintégration au t r a vail de certains travailleurs blessés qui vivent des incapacités prolongées. Les objectifs du présent article sont d a b o rd de décrire brièvement l i n t e r vention du RTT et de présenter les fondements théoriques qui la sous-tendent. Définition er déroulement du RTT Le RTT se caractérise par un retour pro g ressif et supervisé d u n individu à son poste régulier de travail. Il se déroule en parallèle avec la poursuite d un programme de réadaptation basé sur les travaux de Ma yer et al. (1987) et appelé thérapie de récupération fonctionnelle. Celle-ci se caractérise par les éléments suivants: la reconnaissance du syndrome de déconditionnement chez le travailleur blessé, l influence des facteurs p s ychosociaux et socio-économiques dans la pro b l é m a t i q u e, la responsabilisation du client, l i n t e r vention multidisciplinaire, l a p p roche cognitivo-comportementale et finalement l é va l u a- tion répétée et systématique. Lorsque au cours de ce programme, les capacités du travailleur sont jugées suff i s a n t e s pour répondre partiellement aux exigences de son poste de t r a vail habituel, l équipe multidisciplinaire recommande le RTT. L équipe est formée d un ergothérapeute, d un psyc h o l o g u e, d un éducateur physique et d un médecin spécialiste de l a p- p a reil musculo-squelettique. L e rgothérapeute est coord o n n a- teur du volet réadaptation dans le milieu de travail des clients. Avant d e ffectuer le RTT, l e rgothérapeute effectue une visite au poste de travail du client afin de cerner ces tâches et les diff é rentes contraintes ergonomiques. Pour mettre en route l i n- t e r vention, il doit obtenir l a c c o rd du trava i l l e u r, celui de son médecin traitant, celui du responsable du service de santé et sécurité de l établissement où il travaille et du responsable de l o rganisme de prise en charge du travailleur (conseiller en réadaptation de la CSST). Une fois ces accords obtenus, les contraintes (tâches), les cadences et l h o r a i re de travail sont établis en collaboration (ergothérapeute, travailleur et superviseur immédiat du travailleur) et prennent la forme d un contrat écrit. Le travailleur débute pro g re s s i vement son retour au t r a vail et répond au fil des semaines à des exigences de plus en plus élevées. Il poursuit parallèlement sa thérapie de récupération fonctionnelle le reste du temps. Par conséquent, le travailleur est en réadaptation à raison de 35 heures par semaine soit en milieu clinique ou de travail. En cours de programme, grâce à l immersion au poste de travail, le client peut rapidement formuler aux membres de l équipe les diff i c u l t é s rencontrées tant sur le plan psychologique que physique. A i n s i les objectifs de la thérapie de récupération fonctionnelle s e ront adaptés spécifiquement aux besoins et à l é volution du client. Lors de la réunion hebdomadaire de l équipe, la prog ression de chaque client est réévaluée. Le RTT est alors ralenti ou augmenté selon le cas. À la dernière semaine du RTT, le t r a vailleur est à temps complet à son travail et doit répondre à l ensemble des tâches inhérentes à celui-ci. Si les capacités C A N A D I A N J O U R N A L O F APRIL1998 OCCUPATIONAL THERAPY 73

74 du travailleur répondent à toutes les exigences du poste de t r a vail, l équipe pourra faire des recommandations au médecin traitant quant à la capacité du travailleur à retourner à son poste régulier. Ces recommandations seront ensuite acheminées à l e m p l oyeur afin de permettre au travailleur de re t o u r n- er à son poste de travail régulier sans délai. Un rapport détaillé des capacités sera finalement envoyé au médecin traitant. Dans la plupart des cas, le travailleur est en surnuméraire à son poste de travail lorsqu il effectue son RTT. Ceci permet au travailleur blessé de réintégrer son travail en diminuant le s t ress lié à des exigences de rendement et en évitant d a j o u t e r une surc h a rge à ses collègues. Par conséquent, même si le rendement du travailleur est diminué cela n a ffecte pas dire c t e- ment la production de l e n t reprise. Pendant le RTT, le travailleur demeure sous la responsabilité de l équipe multidiscip l i n a i re et reçoit soit une indemnisation de l o rganisme de compensation (CSST) ou son salaire de l e n t reprise. Le tableau 1 résume les étapes de déroulement du RTT. Fondements théoriques du RTT Les fondements théoriques du RTT exposés dans cette partie établissent des ancrages qui permettront aux cliniciens et aux c h e rcheurs de mieux compre n d re et de légitimer les diff é re n t e s composantes de cette intervention. D abord, étant donné que la réadaptation au travail pour une clientèle présentant des lésions musculo-squelettiques d origine professionnelle est contraint par la loi sur les accidents de travail et les maladies p rofessionnelles, nous établirons les relations entre le RTT e t les limites d o rd re légal. Par la suite, un parallèle sera fait entre le modèle de l occupation humaine et les diff é rentes facettes du RTT. Finalement, des connaissances tirées du domaine éducatif seront exposés afin de supporter certaines actions de l e r- gothérapeute pendant l i n t e r vention. Le tableau 2 résume les d i ff é rents aspects exposés dans les fondements théoriques. Aspect légal Nous établirons ici comment le RTT en plus de répondre aux exigences de la loi, tire partie de celle-ci pour intégrer au coeur même de la réadaptation le milieu de travail du client. Le droit à la réadaptation Au Québec, la Loi sur les accidents du travail et les maladies p rofessionnelles, s applique au travailleur victime d un accident du travail ou d une maladie professionnelle et dont l e m- p l oyeur a un établissement au Québec lorsque l a c c i d e n t survient ou la maladie est contractée (Arguin, Cloutier & Gi a rd, 1992). En vertu de cette loi, la réadaptation est maintenant un d roit clairement reconnu pour le trava i l l e u r. Elle peut comp re n d re trois parties: la réadaptation physique, sociale et professionnelle. L assignation temporaire à un travail allégé est une des mesures visant la réadaptation du travailleur accidenté. Selon la loi, ce travail doit être favorable à la récupération de l i n d i v i d u. Parallèle avec le RTT Le RTT, tel que défini ici, correspond aux objectifs de la réadaptation prévus par la loi en utilisant l assignation temporaire. En e ffet, le RTT, parce qu il est en chevauchement avec la thérapie de récupération fonctionnelle, et parce qu il est réalisé au poste régulier de l individu, favorise le développement des capacités résiduelles spécifiques à l emploi de la personne. De plus, il permet au travailleur d identifier lui-même, avec l a i d e de l e rgothérapeute, et de façon très précise, les contraintes physiques de travail difficiles à re n c o n t rer et de poursuivre son ajustement face à celles-ci (volet réadaptation physique). Le RTT permet également à l individu de réaliser très tôt les conséquences personnelles et sociales de son accident de trava i l ainsi que les situations de handicap qu il devra surmonter lors d un retour au travail complet (volet réadaptation sociale). Finalement, la pre m i è re étape de la réadaptation pro f e s s i o n- nelle vise à re n d re le travailleur capable d e xe rcer son ancien emploi. Étant donné que le RTT se réalise au poste de trava i l régulier des accidentés, il s inscrit exactement dans la d é m a rche de réintégration du travailleur dans son emploi. De plus, il représente une modalité informative précieuse pour déterminer un emploi convenable, si l ancien emploi ne peut ê t re réintégré, ce qui constitue l étape ultérieure de la réadaptation pro f e s s i o n n e l l e. L assignation temporaire Le RTT et l assignation temporaire tel que prescrite par la loi comportent des éléments à la fois communs et dive rg e n t s. Dans les deux cas, l importance de réintégrer rapidement l i n- dividu à une activité pro d u c t i ve est le concept de base. En e ffet, plusieurs études ont démontré que plus le temps d a b- sence du travail depuis l événement est prolongé, plus la pro b- abilité que l individu retourne au travail est petite (Cheadle et al., 1994; Fr y m oye r, 1991; Lancourt & Kettelhut, 1992; Lehman, Spratt & Lehmann, 1993). L importance du temps d absence du t r a vail a été également décrite en termes de risque de perte de l identité de travailleur et de bouleversements des r é f é rences identitaires (Baril, Martin, Lapointe & Ma s s i c o t t e, 1994; Ta y l o r, 1989). Ainsi, le retour au travail précoce tente de ro m p re le cercle vicieux qui aboutit fréquemment à des incapacités prolongées et à la chro n i c i t é. Les contraintes du travail sont allégées dans les deux formules. Par contre, le travail exécuté dans l assignation tempor a i re est dans la plupart des cas, diff é rent de celui du poste original où l accident de travail s est produit (Arguin et al., 1992; Centre patronal de santé et sécurité du travail du Québec, 1993). Par exemple, un facteur qui réalise la livraison du courrier pourrait être affecté au classement de celui-ci. De plus, l assignation temporaire prend souvent la forme du travail à temps partiel qui évolue vers un travail à temps complet.

Tableau 1 Étapes du déroulement du RTT Étape 1 Le travailleur débute la thérapie de récupération fonctionnelle. Étape 2 L équipe multidisciplinaire recommande le RTT lorsque le travailleur a atteint les capacités suffisantes pour répondre partiellement aux exigences de son poste de trava i l. Étape 3 L e rgothérapeute effectue une visite au poste de travail du client. Il détermine les tâches de travail ainsi que les contraintes ergonomiques du poste. Étape 4 L e rgothérapeute demande l autorisation du trava i l l e u r, du médecin traitant, du responsable du service de santé et sécurité de l e n t reprise concernée et du responsable de l o rganisme de prise en charge (CSST) pour débuter le RTT. Étape 5 Établissement d un contrat écrit contenant l h o r a i re, les contraintes, la cadence de travail. Contrat élaboré par le trava i l l e u r, l e rgothérapeute et le superviseur immédiat. Étape 6 Début du RTT dans l e n t re p r i s e. Étape 7 Pro g ression en temps, en cadence, en contraintes du RTT dans l e n t reprise avec réduction proportionnelle du temps en thérapie de récupération fonctionnelle. Étape 8 Discussion entre le travailleur et l équipe multidisciplinaire concernant les difficultés re n c o n t r é e s et la réintégration à son poste de travail. Au besoin, ajustement. Étape 9 Le travailleur est à temps plein en RTT dans son entreprise mais toujours sous la re s p o n s a b i l i t é de l équipe multidisciplinaire. Étape 10 É valuation par l équipe multidisciplinaire de la réintégration et de l adéquation entre les capacités du travailleur et les exigences de son poste. 75 Étape 11 Recommandation de l équipe au médecin traitant pour le retour permanent au poste de trava i l. Étape 12 Après l a p p robation du médecin traitant, recommandation à l e m p l oyeur pour la reprise du poste de travail régulier. Étape 13 Rédaction d un rapport détaillé sur les capacités du travailleur par les intervenants de l é q u i p e. Ce dernier est acheminé au médecin traitant. Par opposition, le RTT vise le retour pro g ressif du travailleur à son poste antérieur. La combinaison du RTT et de la thérapie de récupération fonctionnelle se présente pour le trava i l l e u r comme une occupation à temps complet où s i n verse pro g re s- s i vement l importance de chacune des parties. Cette distinction est importante. En effet, certains indices et l expérience en réadaptation au travail nous portent à cro i re que retourner un individu à un autre poste de travail, ou à temps partiel, pourrait en réalité re n f o rcer la personne à la fois dans son rôle de malade et dans la perception de son incapacité à re p re n d re son travail et à occuper une activité pro d u c t i ve à temps complet. De plus, une interrogation demeure sur le déve l o p p e m e n t C A N A D I A N J O U R N A L O F APRIL1998 OCCUPATIONAL THERAPY

76 Marie José Durand et al. Tableau 2 Résumé des différents aspects traités dans les fondements théoriques Aspect légal Droit à la réadaptation Parallèle avec le RTT L assignation temporaire Modèle de l occupation humaine L e n v i ro n n e m e n t Les sous-systèmes Pe r s p e c t i ve éducative Contrat d a p p re n t i s s a g e Transfert d a p p re n t i s s a g e Similarité des pro b l è m e s Données structurelles des pro b l è m e s L extraction des règles des capacités résiduelles si, en fait, le poste réintégré ne correspond pas aux mêmes exigences que l emploi antérieur. Actuellement, il n existe pas d étude sur l e fficacité de l a s s i g- nation temporaire et les hypothèses exposées reposent principalement sur le vécu clinique. Un autre aspect qui diff é rencie le RTT de l a s s i g n a t i o n t e m p o r a i re est l intensité de la supervision. Dans le RTT, la supervision est extrêmement étroite de la part de l e r- gothérapeute, et les contraintes de travail sont réévaluées à toutes les semaines. Cette supervision permet de passer prog re s s i vement des tâches allégées à celles régulières du poste. Dans le cas de l assignation temporaire, la supervision est plus distante et elle est rarement réalisée par des intervenants compétents dans le domaine de la réadaptation au travail. Par conséquent, la pro g ression des contraintes de travail et le passage du poste allégé au poste régulier pose fréquemment des diff i- cultés. Le travailleur peut parfois demeurer pour une période très longue à un poste allégé ralentissant ainsi la reprise de son travail régulier. En résumé, la thérapie de récupération fonctionnelle associée avec un RTT remplit d une part les objectifs de la réadaptation prévus par la loi et, d a u t re part, assure par le biais de l assignation temporaire une réintégration du travailleur à son poste dans un contexte supervisé. Modèle de l occupation humaine Dans cette partie, les composantes et le déroulement du RTT sont observés à partir du modèle de l occupation humaine ( K i e l h o f n e, r 1995). D abord l e n v i ronnement est abord é, p u i s q u il représente un élément majeur du RTT, suivi de l é t u d e des sous-systèmes du modèle. L environnement La conception du comportement humain comme un système o u vert dans son environnement est une perpective maintenant l a rgement répandue en ergothérapie (Kielhofner, 1995). Un système ouvert est défini comme un ensemble de structures et de fonctions reliées entre elles et organisées dans un ensemble c o h é rent qui interagit dans son environnement et qui est capable de se maintenir et de se changer lui-même. Dans cette pers p e c t i ve, la dysfonction chez un individu se manifeste lorsqu i l y a un arrêt ou un déséquilibre des extrants c e s t - à - d i re du comportement occupationnel. Cette perturbation révèle un p roblème de l interface personne-environnement (Kielhofner, 1985). Or, la réadaptation des personnes avec maux de dos se d é roule habituellement en centre spécialisé, c e s t - à - d i re dans un environnement protégé et loin du milieu naturel du trava i l l e u r. L e n v i ronnement de l individu devient les interve n a n t s en santé, les autres travailleurs blessés et le lieu physique de la thérapie. Ainsi les intrants, qui sont toutes les formes d i n- formations qui entrent dans le système pour être transformées, sont en bonne partie artificiels. Le RTT, en immergeant le client à son pro p re poste de travail et dans son milieu naturel, permet l intégration d intrants authentiques provenant du milieu réel. Cet aspect est un apport original de cette interve n t i o n. Dans le modèle de l occupation humaine revu en 1995 par K i e l h o f n e, r l e n v i ronnement est divisé en deux dimensions: l e n v i ronnement physique et l e n v i ronnement social. Les deux dimensions sont fortement imprégnées par la culture. En mettant le travailleur dans son milieu naturel, celui-ci est confro n- té à son environnement construit de travail, c e s t - à - d i re à des espaces organisés et qui commandent des comportements spécifiques. Dans cet environnement construit de travail, le travailleur doit s harmoniser avec les objets du milieu. Ces derniers influencent directement l interface personne-enviro n- nement. Par exemple, l occupation d un poste de manutent i o n n a i re ou d i n f i r m i è re - a u x i l l i e a i impose r des enviro n n e m e n t s physiques fort diff é rents. L e n t repôt, avec les boîtes, les re m o n t e - c h a rges, les diables, représentent l e n v i ronnement qui est planifié, organisé, structuré d une certaine façon. Dans ce milieu, le manutentionnaire doit avoir des comportements prop res à la demande, déplacer et transférer des boîtes, re m p l i r et vérifier des bons de commande. Pour avoir ces comportements, il doit utiliser les objets qui finalement s imposent entre lui et l e n v i ronnement. L i n f i r m i è re - a u x i l l i e, a i relle, vit dans un c e n t re hospitalier où tout est structuré pour faciliter les soins aux bénéficiaires; les objets deviennent les fauteuils ro u l a n t s, les lits, les tables. Les comportements spécifiques commandés par l e n v i ronnement sont très diff é rents de ceux du manutent i o n n a i re. Par conséquent, étant donné que l e n v i ro n n e m e n t physique impose des comportements spécifiques et que ces derniers sont re c h e rchés pour la réintégration au travail, le RTT par sa structure va utiliser exactement ces comportements et les intro d u i re au coeur même de la réadaptation.

L e n v i ronnement social, qui dans le contexte de cette i n t e r vention est représenté par les individus dans le milieu de t r a vail, a également un impact important. En effet, l a p p a r t e- nance à un groupe social impose d une part, un rôle occupationnel à l individu et d a u t re part, des formes occupationnelles. Ainsi l individu qui se réinsère dans son milieu de travail doit se réapproprier son rôle, qui est celui d ê t re une partie active et intégrée d une organisation qui comporte des fonctions, des valeurs, des obligations. Tel que nous l a vo n s mentionné précédemment, deux facteurs sont intimement associés à la chronicité pour cette clientèle: le temps d a b- sence au travail et les répercussions de celui-ci sur les pertes i d e n t i t a i res. Il est fréquent, qu après l accident, le trava i l l e u r v i ve des peurs de rechute, des sentiments de manque de contrôle sur sa douleur et sur sa vie (Baril et al., 1994; Klenerman et al., 1995; Waddell, Newton, Henderson, So m e r veille & Ma i n, 1993). La résultante de ce processus se manifeste souvent par une perte d estime de soi et par des sentiments de dépre s s i o n atteignant finalement l identité de l individu en tant que travailleur (Baril et al., 1994; Waddell et al., 1993). Tout ce pro c e s- sus s amplifie avec l absence prolongée de l individu de son t r a vail. Par conséquent, la réinsertion rapide du travailleur à son poste favorise le maintien ou du moins la réappro p r i a t i o n rapide de son rôle dans son environnement social. Par ailleurs, la participation à des groupes sociaux détermine des formes occupationnelles. Kielhofner (1995) définit celles-ci comme des séquences d actions régularisées qui sont cohérentes, orientées vers un but, basées sur un savoir collectif, culture l l e m e n t reconnaissables et identifiées. Ainsi, les collègues de trava i l, les patrons imposent un espace limité où se re t ro u vent des façons de faire, des normes de performances et des règles. Pa r conséquent, les comportements d un individu qui retourne travailler dans un certain environnement seront modulés par les formes occupationnelles émergentes de son pro p re milieu. Or la réadaptation des travailleurs vise exactement la reprise des formes occupationnelles qui ne sont nullement re p ro d u c t i b l e s en milieu clinique. Ceci souligne toute la richesse d e x p o s e r p ro g re s s i vement l individu à son milieu de travail nature l. Les sous-systèmes L influence du milieu de travail réel dans le processus de réadaptation peut être étudiée en re g a rd des diff é rents soussystèmes représentant l homme tels que définis par Kielhofner (1995). Seuls les éléments-clefs des trois sous-systèmes sont relevés ici. Chez le travailleur blessé au dos les déterminants personnels du sous-système de volition sont fréquemment perturbés. En effet, le travailleur qui vit un arrêt de travail prolongé a dans la plupart des cas, une perception appauvrie de ses capacités réelles et vit souvent une perte de son sens de l e fficacité (Baril et al., 1994; Durand, 1996; Ta y l o r, 1989). Il se sent inapte au travail et plusieurs informations dans ce sens lui on été fournies par les diff é rents intervenants. En exposant le travailleur à ses pro p res tâches de travail, on tente de re n- verser cette perception perturbée que l individu a de ses prop res capacités en diminuant ses craintes et en favorisant l e x- ploration de son potentiel. On intervient donc directement au n i veau des déterminants personnels. Par l i n t roduction du travail réel dans le processus de réadaptation, on vise également la réintégration de patrons stables de travail qui ont été perturbés par la survenue de l accident. On se situe alors dans le sous-système d habituation. Tel que mentionné, le RTT e s t associé a la thérapie de récupération fonctionnelle ce qui demande au travailleur une participation 5 jours par semaine. Cette organisation temporelle, où l individu est occupé à temps plein et ne vit pas de période d arrêt entre la réadaptation et le retour au travail, est un facteur fondamental. En effet, elle f a vorise d une part, la réappropriation par l individu de ses habitudes de travail et d a u t re part, permet d éviter des pertes i d e n t i t a i res importantes (rôles). Finalement, le milieu de trava i l de l individu exige du travailleur un ensemble d habiletés spécifiques et parfaitement orchestrées pour pro d u i re un comportement adéquat en interaction avec l e n v i ronnement. Ces habiletés réfèrent au sous-système de production. Pendant la thérapie de récupération fonctionnelle, les interventions sont centrées sur les composantes de la performance de la personne reliées spécifiquement à son travail, et ce, en préparation au RTT. Ainsi, des éléments tels que la force musculaire, la post u re, la résolution de problèmes sont abordés. De plus, l i n f l u- ence des éléments entre eux est également touchée, telle l i n- fluence d une mauvaise posture sur l apparition de la douleur. Bien que des simulations de tâche de travail soient pro p o s é e s dans la thérapie de récupération fonctionnelle, l h a r m o n i s a t i o n ou l o rchestration des habiletés devient optimale et beaucoup plus précise en utilisant les situations réelles telles qu o ff e r t e s dans le RTT. En somme, l apport complexe et considérable de l e n v i- ronnement naturel du travailleur sur la reprise de comportements spécifiques reliés au travail et l impact de celui-ci sur les sous-systèmes supportent l application du RTT comme intervention de réadaptation. Ainsi, le RTT se traduit par une a p p roche écologique de la réadaptation en agissant à la fois sur le trava i l l e u r, sur son milieu et finalement sur les interactions entre les deux. Perspective éducative Dans une perspective éducative, le RTT représente un contexte d a p p rentissage innova t e u r. En effet, il a deux principales caractéristiques: il fournit au client un contexte d a p- p rentissage au poste de travail de l individu et met en place plusieurs conditions proposées dans les études comme des éléments favorisant le transfert des appre n t i s s a g e s. Contrat d apprentissage Le contexte d a p p rentissage se définit comme les conditions dans lesquelles se tro u ve le sujet au moment de l activité et qui peuvent influencer sa compréhension et sa pro d u c t i o n C A N A D I A N J O U R N A L O F APRIL1998 OCCUPATIONAL THERAPY 77

78 ( L e g e n d re, 1993). Le contexte d a p p rentissage du RTT p r é s e n t e deux particularités: il prend la forme d un contrat d a p p re n t i s- sage adapté et il se déroule dans le milieu naturel de trava i l de l individu. En effet, avant que le RTT ne débute, l e r- gothérapeute, en consensus avec le client et le re s p o n s a b l e dans le milieu de travail, établiront sous la forme d u n engagement écrit les objectifs, les tâches à accomplir, la gradation des activités et l é c h é a n c i e. rcette pro c é d u re s a p p a r- ente à ce qui est décrit dans la littérature comme un contrat d a p p rentissage. Ce dernier se définit comme les conditions selon lesquelles s e ffectuent la formation et notamment les d roits et responsabilités des parties (Legendre, 1993). L utilisation du milieu naturel comme contexte d a p p re n- tissage est porteuse de sens. En effet, certains auteurs font une distinction entre les activités authentiques provenant du milieu réel et les activités apocryphes réalisées dans le milieu s c o l a i re (Brown, Collins & Duguid, 1989). Les pre m i è res sont c o h é rentes avec les pratiques courantes d une culture (croyances, valeurs, habitudes, comportements) tandis que les secondes sont dénuées de signification pour les individus (Brow n et al., 1989; Kielhofner, 1995; Mo s e y, 1985). Il est pensable d établir ici un parallèle entre les activités réalisées dans le milieu scolaire et celles effectuées dans un milieu clinique. Pa r e xemple, une couturière dont la tâche consiste à confectionner des gants dans une manufacture représente en soi une culture. Cette même personne blessée au dos et intégrée dans un programme de réadaptation se verra proposer en milieu clinique des activités de couture similaires. En termes de tâches et de contraintes, les deux milieux peuvent se re s s e m b l e, r ou du moins se rappro c h e r. Mais ces activités en milieu clinique d e m e u rent apocryphes (non authentiques) car dépourvues à la fois de sens, des buts et des contraintes enviro n n e m e n t a l e s rattachés à la culture du travail. Ces activités sont en réalité hybrides; elles tentent de re p ro d u i re des activités authentiques mais dans une autre culture. Par conséquent, si la réadaptation se cantonne à un milieu protégé, toute la richesse de la contribution du milieu réel et de son contexte d a p p re n t i s s a g e n est pas sollicitée. Le RTT, par l immersion rapide dans le milieu de travail habituel, permet la réalisation d a c t i v i t é s authentiques qui au cours des semaines vont augmenter. Selon Brown et al. (1989), l utilisation d activités authentiques dans le milieu réel favorisent l a p p re n t i s s a g e. Transfert d apprentissage Le transfert d a p p rentissage est le but ultime de tout programme d éducation ou de rééducation. Dans les écrits, le transfert d a p p rentissage est défini selon plusieurs perspect i ves. Pour le propos actuel, les définitions de Gagné, Ye k ov i c h et Ye k ovich (1993) et de Pe rkins et Salomon (1988) sont retenues; elles s i n s c r i vent dans une approche cognitiviste de l a p p rentissage. Selon ces auteurs, le transfert d a p p re n t i s s a g e est l a c t i vation et l application de connaissances antérieure s dans de nouvelles situations, et ces dernières font référence à la résolution de problèmes ou à la réalisation de tâches comp l e xes. Le trait distinctif du transfert est le passage d une situation à une autre, d un contexte à un autre. La formule de RTT met en place certaines des conditions identifiées comme favorisant le transfert d a p p re n t i s s a g e ( Pe rkins & Salomon,1989). Ce sont: 1) la similarité des pro b- lèmes 2) les données structurelles des problèmes présentés 3) l extraction des règles à partir des problèmes présentés. Similarité des problèmes Cette condition implique que l i n t e r venant explique à l a p- p renant en quoi les problèmes sont diff é rents ou similaire s. Les problèmes sont les apprentissages ou les tâches à réalise r. Par exemple, un client apprend les gestes à poser pour protéger son dos dans une situation de manutention avec un diable. De vant une nouvelle situation, telle que sortir les sacs d épicerie du coff re de la vo i t u re, l i n t e r venant doit expliciter en quoi ces deux situations sont semblables et distinctes. Donc, il y a une intervention sur la représentation mentale du p roblème. Dans le RTT, cette condition se présente en deux temps. D abord, en préparation du RTT, l e rg o t h é r a p e u t e établira avec le client comment ce qui a été appris pendant la thérapie de récupération fonctionnelle s applique aux tâches de travail incluses dans le contrat d a p p rentissage. En second lieu, après l immersion du client dans le milieu, celui-ci rapporte toutes les contradictions ou les incohérences qu i l perçoit entre ce qu il a appris et la réalité. Ce matériel permettra à l e rgothérapeute de travailler à nouveau les liens de similarité et de dissemblance. Données structurelles des problèmes Cette condition s applique à des problèmes ou situations faisant appel aux mêmes connaissances mais qui apparaissent d i ff é rentes. Dans cette situation, l i n t e r venant doit re n d re explicite à l a p p renant le fait que, bien que les surfaces des situations semblent diff é rentes, les données structure l l e s r é f è rent aux mêmes notions. Ainsi, par rapport à l e xemple cihaut mentionné, l e rgothérapeute amène le travailleur à constater que dans les deux situations qui semblent à priori diff é rentes les mêmes connaissances s appliquent. Il s agit ici des principes de protection du dos. Le RTT p rovoque des situations dans lesquelles le client se questionnera sur la réutilisation des connaissances. En ce cas, l e rgothérapeute identifie les données structurelles des situations. Par conséquent, le t r a vailleur est amené à identifier la trame commune des situations et ceci lui permettra de mieux les compre n d re une fois q u il sera seul devant de nouveaux problèmes. La re c o n n a i s- sance de ces données structurelles est un élément-clef dans le transfert d a p p rentissage et elle représente un niveau plus c o m p l e xe que la pre m i è re condition.

Extraction des règles Dans la littérature sur le transfert d a p p rentissage, un bon n o m b re de re c h e rches a porté sur l importance de présenter à l a p p renant des exemples nombreux et variés (Butterfeild & Nelson, 1989; Gick & Ho l yoak, 1987; Prawat, 1989). La va r i é t é des exemples est importante parce qu elle favorise la décontextualisation des apprentissages. Celle-ci est identifiée par plusieurs chercheurs comme un facteur responsable du transfert. La décontextualisation des apprentissages ou des connaissances signifie que l a p p renant, à partir d une exposition à un ensemble de situations, formule des règles qui sont détachées des contextes (Ta rd i f, 1992). Donc, l extraction des règles est fondamentale et l i n t e r venant doit accompagner l a p p renant afin de faciliter et de valider le processus. De plus, l importance de l o rd re et de la structure des problèmes choisis par l i n t e r venant influence l acquisition des connaissances. Gick et Ho l yoak (1987) suggèrent que dans la pre m i è re phase d acquisition, la présentation de quelques exemples similaire s devrait être faite, suivie d e xemples de plus en plus variés et issus de contextes diff é rents. Le RTT a r r i ve pour le client après l expérimentation de plusieurs situations en thérapie de récupération fonctionnelle et prend la valeur d un exe m p l e plus complexe provenant d un autre contexte. Le milieu de travail représente de nouvelles informations pour poursuivre la décontextualisation de ces apprentissages. Par conséquent, le RTT, par son chevauchement avec la thérapie de récupération fonctionnelle, met en place les conditions pour la décontextualisation et donc pour le transfert d a p p re n t i s s a g e. Le RTT, parce qu il se déroule dans le milieu naturel du t r a vail, crée donc une exposition à des activités a u t h e n t i q u e s de travail pour l individu qui favorisent ces apprentissages et maintiennent son identité de trava i l l e u r. De plus, parce qu il se situe comme une interface entre la réadaptation et la re p r i s e du travail, il fournit un ensemble de situations qui s i n t è g re n t d i rectement dans le processus de représentations mentales. Par conséquent, cette intégration met en oeuvre des facteurs prédisposant aux transferts des apprentissages dans le trava i l de l individu mais également dans les autres activités de la vie. Conclusion Le RTT est une intervention innovatrice qui réalise une interface entre le domaine clinique de la réadaptation et celui du milieu réel du travail, en favorisant la réintégration rapide des t r a vailleurs qui présentent des situations de handicap au travail. Les fondements théoriques exposés justifient les diff é rentes facettes du RTT en fournissant aux cliniciens des balises pour son application et son développement. Fi n a l e m e n t, cette intervention s inscrit parfaitement dans les nouvelles orientations de l e rgothérapie axées sur une pratique intégrée dans le milieu communautaire. Marie José Durand et al. References A m b rosius, F.M., Kre m e r, A.M., He rk n e r, P.B., De k r a k e r, M., & Bartz, S. (1995). Outcome comparison of work e r s compensation and noncompensation low back pain in a highly structured functional restoration program. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy, 21, 7-1 2. A rguin, P., Cloutier, M., & Gi a rd, L. (1992). Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Législation, jurisprudence et doctrine. Montréal,Qc: Wilson & Lafleur. A ro n o f, G.M., Mc A l a r y, P. W., Wi t k owe r, A., & Be rdell, M.S. (1988). 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