Apprentissage de la lecture et processus cognitifs de base



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Transcription:

Apprentissage de la lecture et processus cognitifs de base Il y a accord général sur le fait que l objectif de l apprentissage de la lecture est de permettre de comprendre des textes. La question que se pose la psychologie cognitive est la suivante : quelles sont les capacités qui rendent cette compréhension possible et comment interviennent-elles dans la lecture? La compréhension en lecture résulte de l intervention de deux types de capacités : d une part, la capacité à identifier les mots écrits, et, d autre part, un ensemble très large de capacités et connaissances linguistiques et cognitives qui interviennent aussi dans la compréhension du langage oral. Ces deux types de capacités sont très différentes du point de vue cognitif, elles sont toutes deux nécessaires pour assurer la compréhension en lecture et aucune n est suffisante. Identifier un mot écrit, c est extraire de sa représentation graphique la prononciation et la ou les significations qui lui correspondent. Chez les lecteurs experts, l activité mentale qui mène à l identification des mots écrits est réalisée très rapidement, de manière automatique, irrépressible et sans conscience des processus qu elle comporte. Cette activité-là est très différente des processus de compréhension, qui sont en grande partie conscients, intentionnels et contrôlés. L enfant est capable de compréhension avant même d apprendre à lire, et, en général, il a déjà saisi à quoi servent les textes et la lecture. Donc, le problème auquel se trouve confronté l enfant qui entre à l école élémentaire est d apprendre à identifier les mots écrits et de mettre en œuvre l activité de compréhension à partir de cette identification. Apprendre à lire, c est d abord apprendre à identifier les mots écrits, au point de pouvoir faire à partir d un message écrit ce qu on sait faire à partir de l oral. Dans cette communication, il m incombe de parler des processus cognitifs qui sont à la base de l identification des mots écrits. Nous, lecteurs experts, avons l impression de lire un texte de manière continue, mais en réalité nous procédons par fixations successives, séparées par des saccades extrêmement rapides. Nous fixons presque tous les mots, ce qui est imposé en partie par le fait que notre acuité visuelle diminue fortement du point de fixation vers la périphérie, et en partie par des limitations de notre capacité de traitement.

Une fois que nous fixons un mot, nous ne pouvons pas nous empêcher de le traiter. En effet, devant un mot de couleur écrit dans une autre couleur, notre identification de la couleur physique est retardée par l identification irrépressible du nom de couleur. La capacité d identification des mots écrits est servie par une structure cérébrale spécifique, remarquablement constante à travers les lecteurs, localisée dans le gyrus fusiforme de l hémisphère gauche. La fonction de cette aire est de coder les structures orthographiques des mots. Elle est évidemment acquise par apprentissage, de manière progressive, et ses propriétés et ses origines ont été mises en évidence par des études d activation cérébrale. Ainsi, l aire en question est activée par des mots écrits et par des pseudo-mots écrits, mais non par une suite illisible de lettres. Elle est activée indépendamment des variations de police des lettres ou de leur forme majuscule/minuscule, ce qui montre que la connaissance stockée est abstraite. Elle n est pas activée par des mots présentés oralement, ce qui montre que sa fonction est bien spécifique au traitement de l écrit. Enfin, chez des enfants en cours d apprentissage de la lecture, l amplitude de son activation est corrélée à l habileté de décodage graphophonologique, et, chez des dyslexiques, l amplitude de son activation tend à augmenter suite à une rééducation de type phonologique. Cette influence des capacités phonologiques dans la constitution de la connaissance orthographique stockée dans le gyrus fusiforme gauche est cohérente avec tout ce que l on sait sur la lecture et son apprentissage. Nous savons par exemple que les individus privés de vision depuis la naissance n ont pas plus de difficulté à apprendre à lire, par voie tactile, que les voyants par voie visuelle. La lecture n est donc pas un phénomène intrinsèquement visuel. En revanche, les individus privés d audition depuis la naissance ont d énormes difficultés pour apprendre à lire et rarement deviennent de bons lecteurs. Cependant, certains peuvent devenir des lecteurs normaux, en particulier ceux qui, depuis les premières années de vie, ont acquis un système de communication qui combine ce qu on appelle

la lecture labiale avec un système de signes fondé sur la phonologie et qui enlève toute ambiguïté à l expression visuelle de la parole. A la base de ces faits il y a la nature même du système d écriture. Notre système d écriture est un système phonographique, c est-à-dire il représente des unités phonologiques. Plus spécifiquement, l alphabet représente le niveau de structure phonologique appelé phonémique, c est-à-dire celui des phonèmes. Les phonèmes ne sont pas des sons, puisqu il est impossible de faire correspondre ces unités à des segments acoustiques invariables de parole. Les phonèmes sont donc des unités abstraites. En inventant le système alphabétique d écriture, la civilisation grecque a eu une intuition géniale de cette structure phonémique sous-jacente au langage oral. Mais intuition et connaissance exacte ne sont pas la même chose. L idée que les lettres représentent des sons n est qu une approximation. Elle est à l origine de la plus vieille méthode d enseignement de la lecture, la méthode alphabétique, déjà utilisée par les Grecs. La méthode alphabétique est donc très différente des méthodes appelées «phoniques», ou à fondement phonologique, qui cherchent à ce que l enfant prenne conscience des phonèmes et établisse des correspondances entre phonèmes et graphèmes. Par définition, un graphème est une lettre (par exemple, «b») ou un groupe de lettres (par exemple «eau») qui représente un phonème (/b/, /o/). Ces nouvelles méthodes sont fondées sur l idée que la clé de l apprentissage est la découverte par l enfant du principe alphabétique, c est-à-dire du principe de correspondance entre phonèmes et graphèmes. Cette découverte permet à l enfant de comprendre la structure élémentaire de l écrit et sa correspondance avec l oral. Avec la progression de l apprentissage, il disposera d un outil productif, génératif, c est-à-dire, il pourra écrire des mots qu il n a jamais lus et il pourra lire des mots qu il n a jamais vus. Le problème qui se pose dès le début est que la prise de conscience des phonèmes et la découverte du principe alphabétique ne se font pas spontanément. Des résultats obtenus auprès d adultes illettrés l ont montré. Pour l enfant pré-lecteur, une syllabe, par exemple «ba», est un son, elle n est pas constituée de deux unités, même si on lui dit qu on l écrit en réunissant deux lettres.

L enseignant, le parent, doivent donc proposer à l enfant des pistes qui lui permettent de comprendre que les caractères de l écrit représentent des phonèmes. Il faut de la formation, de l intelligence et de la sensibilité pour créer et appliquer les activités phonologiques qui sont appropriées de manière générale et celles qui pourraient l être en particulier, à tel ou tel enfant. Quant à l enfant, il n est pas le récipiendaire passif de cette instruction. Comprendre le principe alphabétique implique une capacité d abstraction et une capacité de généralisation, de transfert de connaissance. Il faut naturellement vérifier quand cette compréhension est atteinte, par exemple, en faisant lire à l enfant, à voix haute, une syllabe écrite nouvelle, supposons «fi», dont à la fois chacune des lettres et le phonème correspondant auront été analysés dans d autres contextes («fa», «si»). Si une telle lecture est réussie, cela suppose que l enfant est capable d associer à chaque lettre de la syllabe sa représentation mentale du phonème correspondant et ensuite d intégrer les représentations des deux phonèmes. La découverte du principe alphabétique n est que le début du processus d apprentissage. Mais il y a un fait symptomatique de son importance. Le niveau de conscience phonémique observé au cours de la première année primaire est la variable la plus hautement corrélée avec la performance ultérieure en lecture et écriture de mots, ainsi qu en compréhension de textes. Une fois que l enfant a saisi le principe alphabétique, sa capacité d identification des mots écrits se développe en fonction essentiellement de l instruction et supervision assurées par l enseignant, et de l importance de la pratique de lecture. La méthode d enseignement a une grande influence sur les performances d identification des mots écrits, surtout en première année primaire, comme l attestent, parmi beaucoup de travaux, l étude américaine de Barbara Foorman et l étude belge francophone d Alegria et collaborateurs. Les résultats de la dernière étude reflètent aussi l influence des facteurs extrascolaires, notamment de l intervention des parents, et le fait que le degré et la qualité de l intervention des parents dépendent de facteurs socio-culturels. Quant à la pratique de la lecture, elle est essentielle pour l apprentissage. Plusieurs études ont montré que les occasions

répétées de décodage graphophonologique réussies conduisent à la constitution de représentations mentales précises de l orthographe des mots. Ces processus d apprentissage sont en grande partie implicites, c est-à-dire l enfant apprend des régularités sans devenir conscient de la règle sous-jacente. De toute manière, la rapidité de l apprentissage est aussi fonction du code orthographique de la langue, qui peut être plus ou moins complexe. Le code orthographique d une langue est l ensemble des règles de correspondance graphème-phonème (pertinentes pour la lecture) et phonème-graphème (pertinentes pour l écriture) de cette langue. Les codes orthographiques des langues diffèrent entre eux par le degré de complexité des règles (contextuelles, positionnelles) et par le nombre et l importance des exceptions. Le code orthographique du français est moins transparent que ceux du finnois, de l allemand, de l espagnol ou de l italien, mais plus transparent que celui de l anglais. En outre, il présente une asymétrie, en ce sens que la complexité est beaucoup plus grande pour l écriture que pour la lecture. L influence du degré de transparence sur la vitesse d apprentissage est très grande. Une étude européenne sur 13 langues, dans 16 pays, a montré clairement cette influence. A un niveau relativement égal de connaissance des lettres, les codes orthographiques les plus transparents sont associés à des performances de lecture et de pseudo-mots beaucoup plus élevées que ce n est le cas pour le français et, surtout, que pour l anglais. Une autre étude, sur des étudiants universitaires anglais et italiens, a montré que l avantage du code plus transparent en termes de rapidité dans la lecture se maintient chez le lecteur expert. Le degré de transparence du code orthographique n affecte pas seulement le niveau global de performance. Il influence aussi les processus de lecture. Ainsi, les langues écrites via des codes plus transparents sont mieux lues sur la base d unités plus petites, comme le graphème-phonème, tandis que celles qui utilisent des codes moins transparents sont mieux lues sur la base d unités plus larges (en effet, pour les codes peu transparents la systématicité ne se retrouve qu au niveau d unités plus larges). En effet, l unité lettre joue un rôle plus important en allemand qu en anglais, tandis que l inverse se produit pour l unité rime.

En conclusion, il n y a pas que la méthode d enseignement qui influence l efficacité et la rapidité de l apprentissage de l identification des mots écrits. Il faut tenir compte aussi de la complexité du code orthographique, et la complexité de ce code conditionne d ailleurs l influence de la méthode. Ceci a été montré par une étude de simulation de l apprentissage sur ordinateur. Cette étude a révélé que, en allemand, la méthode phonique, représentée par un entraînement initial explicite des 60 correspondances graphème-phonème les plus fréquentes, a conduit à un avantage de 40% par rapport à un apprentissage par simple exposition. En anglais, cet avantage n a été que de 10%. Autrement dit, plus le code orthographique de la langue est transparent, plus la méthode phonique est intéressante. Jusqu à présent, je n ai parlé que de la composante de la compréhension de textes que j ai appelée «identification des mots écrits». Si je lui ai consacré presque tout mon temps, c est parce que c est la composante spécifique de la lecture. En effet, l autre composante, les «connaissances linguistiques et cognitives», intervient aussi dans la compréhension de l oral. L enfant comprend l oral bien avant d apprendre à lire. Et, en général, les textes que l on fait lire à l enfant au début de l apprentissage de la lecture, disons en première année primaire, sont des textes qu il pourrait comprendre s ils étaient présentés oralement. L expression «connaissances linguistiques et cognitives» comprend beaucoup d éléments hétérogènes : vocabulaire, sémantique, syntaxe, pragmatique, dont les bases sont acquises vers 4-5 ans, ainsi que des connaissances du monde. Les connaissances de l enfant à son arrivée à l école sont en général suffisantes pour lui permettre l apprentissage de la lecture. Mais il y a des différences interindividuelles importantes, en partie dues à des facteurs socioculturels, et ces différences sont particulièrement fortes en ce qui concerne le lexique. Or, l ampleur du lexique phonologique joue un rôle important dans l apprentissage de la lecture. Donc, il appartient à l école, dès le début de la maternelle, de chercher à réduire ces différences. Les facteurs socioculturels influencent non seulement la composante «connaissances linguistiques et cognitives» mais aussi la composante «identification des mots écrits» et son précurseur, la conscience des phonèmes. Ceci est montré, entre autres, par une étude britannique qui révèle que les différences entre enfants de milieu socioéconomique haut et bas en ce qui concerne les habiletés métaphonologiques sont présentes avant même l apprentissage de la lecture à l école. Ensuite, avec l apprentissage de la lecture et en tout

cas jusqu à la troisième année primaire (dernière année examinée), les différences entre les enfants provenant de ces deux milieux sont très importantes tant en ce qui concerne les habiletés phonémiques que l habileté d identification des mots écrits. J ai dit précédemment que chacune de ces composantes est nécessaire mais insuffisante. Cette affirmation est démontrée par l observation d une double dissociation parmi les enfants qui ont des difficultés de compréhension en lecture. Les enfants dits hyperlexiques (plutôt rares) ont acquis une capacité assez efficace d identification des mots écrits mais souffrent de troubles cognitives très sévères. A l opposé, les enfants dyslexiques (environ 3% de la population) ont de bonnes connaissances mais présentent un déficit important en identification des mots écrits. Un troisième groupe d enfants qui ont des difficultés de compréhension en lecture est constitué par ceux qui présentent des retards ou des anomalies dans les deux composantes. C est en fait le plus nombreux, et beaucoup d enfants désavantagés au niveau socioculturel s y retrouvent. On peut logiquement se poser la question de savoir s il y a des troubles spécifiques de la compréhension en lecture, autrement dit estce qu il y a des enfants avec des difficultés de compréhension en lecture qui disposeraient à la fois d une bonne identification des mots écrits et d une bonne compréhension de l oral. La réponse est non. Plusieurs études ont montré que ceux qui ont des difficultés de compréhension en lecture tout en identifiant efficacement les mots écrits présentent des difficultés de compréhension de l oral. Je conclus en abordant une question qui concerne la méthodologie de l enseignement. Certains pensent qu il faut nécessairement faire le travail d apprentissage des correspondances graphophonologiques dans le cadre d une lecture de phrases pour le sens, car autrement l enfant n y trouverait aucun intérêt. Je pense, pour ma part, que les enfants aiment jouer avec la sonorité du langage parlé, fondement sans doute d une capacité poétique et esthétique qui ne verrait jamais le jour si l on portait toute leur attention sur le sens. Je pense par conséquent que le décodage graphophonologique peut être enseigné dans le contexte de l identification de mots isolés. Mais le problème essentiel qui se pose à une activité combinant décodage et extraction de sens est que, pour que la compréhension se déroule efficacement, il faut pouvoir identifier les mots rapidement. L adulte lui-même ne peut pas faire attention aux deux, et la capacité de traitement cognitif des

enfants est encore plus limitée. Il est possible de mener en parallèle deux activités automatisées, une activité automatisée et une autre qui ne l'est pas, mais pas, ou très difficilement, deux activités coûteuses. Ceci s applique à tous les domaines, y compris celui de la lecture. En conséquence, il faut travailler la compréhension en lecture, mais dans la mesure où l enfant soit déjà capable d identifier sans trop d effort la plupart des mots écrits présents dans le texte. Et quand ce n est pas encore le cas, il ne faut pas cesser de travailler la compréhension, mais alors au travers du langage oral ou de la lecture orale de textes par l adulte.