Vu sur le terrain Un dossier réalisé par Jérémie Guicheney et Yaël Haddad Logiciels de cao Des outils numériques au service du client et de l entrepreneur Aujourd hui, chaque corps de métier a, à sa disposition, un ou plusieurs outils de conception assistée par ordinateur (CAO) et les entrepreneurs du paysage n échappent pas à cette règle. Après des logiciels difficilement abordables, conçus à l origine pour les architectes et les ingénieurs en mécanique, les professionnels des espaces verts se voient proposer, depuis quelques années, des solutions numériques plus faciles d accès, spécifiquement développées pour répondre à leurs besoins. Bien sûr, les détracteurs du digital reprocheront toujours aux esquisses et plans obtenus par ordinateur leur côté froid et standardisé. Un aspect en contradiction, il est vrai, avec l essence même de l activité du paysagiste qui assemble, met en scène et conjugue des éléments vivants. Pourtant, les entrepreneurs rencontrés pour ce dossier s accordent tous sur les avantages des logiciels de dessin. Rapidité d exécution et facilité de modification sont des atouts indéniables, surtout lorsqu on ne facture pas systématiquement ses études préalables et ses plans de rendu. Preuve de la place croissante qu occupent les logiciels de CAO dans la profession, les centres de formation sont de plus en plus nombreux à proposer, aux BTS, aux élèves ingénieurs et architectes, une initiation à Autocad, Photoshop, Sketch Up, etc. Depuis 2001, il existe même un certificat de spécialisation axé sur la maîtrise spécifique de ces outils. Au sommaire Entrepreneurs, concepteurs Le choix du crayon et/ou de la souris... Page 15 Thomas Tremblay Un logiciel compagnon de croissance... Page 17 Formation Le point sur l offre faite aux futurs professionnels du paysage... Page 18 14 Matériel & Paysage n 46 Mars 2008
Entrepreneurs-concepteurs Le choix du crayon et/ou de la souris Depuis une dizaine d années, Régine Hervieu ne réalise plus aucun plan de rendu à la main. Après avoir testé plusieurs logiciels, elle travaille aujourd hui à l aide de Designcad. Lorsque les professionnels du paysage travaillent sur des projets de création de jardins, la majorité d entre eux proposent aux clients des documents graphiques (plan, esquisse, coupe ) associés au devis. Certains sont des adeptes de l outil informatique, d autres de la planche à dessin ou d un «mariage» des deux Regards croisés sur les atouts de chacune de ces techniques. Par Yaël Haddad Au sein de l entreprise Hervieu Paysages, basée dans le département de la Manche, c est Régine Hervieu qui gère la partie graphique des projets de création. Elle ne réalise plus du tout de plans à la main depuis une dizaine d années, date à laquelle elle a fait l acquisition d un premier logiciel informatique : Landesigner. Depuis elle a changé deux fois d outil car les sociétés informatiques développant ce type de logiciels évoluent rapidement. Depuis 5 ans, Régine Hervieu travaille à l aide du logiciel Designcad, en utilisant uniquement les fonctionnalités 2D (plans et coupes). Elle estime que l outil informatique lui fait gagner beaucoup de temps pour les métrés ou les quantitatifs de végétaux et donc pour l élaboration du devis. Il facilite aussi la tâche de l entrepreneur lorsque le client souhaite apporter des modifications au projet. Enfin, pour l exécution des travaux, il est possible de ne garder qu une trame du plan ou de réaliser des coupes techniques détaillées. Afin de donner du mouvement à ses présentations, Régine Hervieu a suivi un stage de dessin dispensé par la société Idisign. La technique consiste, comme ici, à mettre en couleur, à la main, un tracé créé sur ordinateur. Régine Hervieu apprécie la bibliothèque de matériaux du logiciel, mais elle trouve les symboles de la palette végétale moins adaptés à ses besoins, car trop «figés». C est une des raisons qui l ont conduite à suivre un stage court de dessin et de design, en deux sessions de deux jours, organisé par la société parisienne Idisign. La technique propose d améliorer les capacités d expression Architecte-paysagiste, Nicolas Prieur estime que seul le dessin manuel apporte une touche de vie au futur jardin. Dans ses présentations, il utilise cependant l outil informatique, pour le montage comme pour les plans de rendu. Matériel & Paysage n 46 Mars 2008 15
Vu sur le terrain logiciels de cao Boris Lesné estime que les esquisses réalisées à la main favorisent le dialogue et les échanges d informations avec les clients. À partir d une esquisse faite à la main, Boris Lesné crée un plan sur Designcad, qui facilite l apport de modifications et la mise au point des plans de récolement. graphique des stagiaires, afin qu ils puissent personnaliser rapidement leurs projets. Le principe est de travailler à la main avec une technique, venue du Québec, de colorisation dynamique et de mise en perspective de plans (informatisés ou non). La palette de feutres utilisés (plus de 50 coloris) permet un très bon niveau de personnalisation des projets. Christophe Goffin, de l entreprise varoise Arbora, a choisi de suivre un cours Idisign intensif de deux semaines. Après son BTS en aménagements paysagers, il s était formé sur Autocad et Photoshop par le biais de stages complémentaires, car il souhaitait consacrer une part importante de son activité à la création de jardins. La technique Idisign lui a permis de développer rapidement le volet bureau d études de son entreprise. Elle permet en effet de travailler vite avec un rendu «artisanal» apprécié par la clientèle. Un bon moyen de concilier les atouts de l informatique et du travail manuel. «Le dialogue est plus facile avec une esquisse faite à la main» Boris Lesné, responsable du bureau d études de l entreprise Bellocq Paysages, basée dans le Finistère Sud, est un fervent partisan de la planche à dessin. Il ne nie pas pour autant l intérêt de l outil informatique. «Mes esquisses de projet sont systématiquement réalisées à la main, expliquet-il, car les clients apprécient de voir un document qui ne paraît pas figé. Le dialogue est alors plus facile pour finaliser les choses et proposer des modifications.» Dans un deuxième temps, pour l élaboration du devis, Boris Lesné transpose, à l aide Designcad, son plan manuel sur informatique. Outre la facilité d opérer des modifications, lorsqu elles s avèrent nécessaires et de finaliser les calculs, l outil numérique lui permet de réaliser plus facilement les plans de récolement. Preuve qu il reconnaît les avantages de ces méthodes, Boris Lesné projette d ailleurs de se former sur Photoshop afin de réaliser des photomontages ou des habillages de plan. Responsable du bureau d études de l entreprise finistérienne Bellocq Paysages, Boris Lesné défend la planche à dessins tout en reconnaissant les avantages indéniables du numérique. Mais, même s il réussit à systématiquement facturer ses études de projets, il est difficile pour une petite structure comme la sienne d investir dans ce type de matériels et de formations. Architecte-paysagiste de formation, Nicolas Prieur partage le point de vue de Boris Lesné quant à la meilleure perception qu ont les clients d une esquisse manuelle et à la plus grande facilité d expression qui en découle. «Ce qui est logique, souligne-t-il, car en tant que paysagistes nous travaillons sur le domaine du vivant.» Bien qu il propose toujours une esquisse faite à la main, Nicolas Prieur utilise également l outil informatique pour le montage des planches qui rassemblent ses esquisses, ses propositions de matériaux et de végétaux. Grâce au logiciel Designcad, Régine Hervieu gagne du temps pour les métrés et les quantitatifs. Elle regrette cependant que les symboles de végétaux (en médaillon) soient si figés. 16 Matériel & Paysage n 46 Mars 2008
Thomas Tremblay (Alhambra l Univers du Jardin) Un logiciel compagnon de croissance Après avoir dessiné à la main pendant deux ans, Thomas Tremblay, entrepreneur dans le Maine-et-Loire, a fait le choix du logiciel Design Flore pour réaliser ses plans de rendu et de plantation. À la tête d une structure en pleine croissance, il gagne ainsi un temps précieux, qu il peut consacrer à son administratif et à ses équipes. Par Jérémie Guicheney Entrepreneur de travaux paysagers, installé à La Pommeraye (Maine-et-Loire) depuis un peu plus de trois ans et demi, Thomas Tremblay réalise près de 90 % de son chiffre d affaires grâce à des chantiers de création de jardins privés. Pendant les deux premières années qui ont suivi son installation, le jeune chef d entreprise de 31 ans a finalisé tous ses plans et esquisses à la main, avec parfois même une mise en couleur à l aquarelle. Une technique au rendu incomparable, qui plaisait particulièrement à ses clients, mais qui lui prenait malheureusement trop de temps. Face à la croissance de son activité, il a aujourd hui deux salariés et un apprenti, et à la multiplication des projets, il a donc choisi de s équiper d un logiciel de dessin. Afin d alléger le temps qu il consacrait à coucher sur le papier ses projets, Thomas Tremblay a investi dans un logiciel de dessin conçu pour les entrepreneurs du paysage. Il y a tout juste un an, à l occasion du Salon du végétal d Angers, Thomas Tremblay a profité d une promotion sur le logiciel Design Flore, une extension de DesignCad Pro éditée par la société nantaise Alseve. Pour 1 400 euros hors taxes, il a fait l acquisition de cet outil graphique destiné à la création de plans en deux dimensions et conçu spécifiquement pour les entrepreneurs du paysage. Un choix dicté «par le prix intéressant et par le rendu pas trop vilain, explique l entrepreneur, même si ce n est de toute façon pas comparable à un travail fait à la main». Il était par ailleurs convaincu de ne pas vouloir travailler avec une extension d Autocad, logiciel qu il juge, pour l avoir testé, «peu clair et trop compliqué». L investissement de base a rapidement été suivi de l achat d un nouvel ordinateur plus puissant. La première unité centrale manquait en effet de mémoire vive pour faire tourner convenablement Design Flore. Apprentissage en solo N ayant pu, faute de temps toujours, suivre les deux jours de formation proposés par le revendeur, Thomas Tremblay a dû apprendre seul les notions de base nécessaires à l utilisation de Design Flore. Un an après ses premiers pas, il s estime entièrement satisfait de ce qu il en retire. «En un mois et demi j ai appris à maîtriser les fonctions dont j avais réellement besoin», assure notre homme qui, il faut tout de même le préciser, est marié à une infographiste et possède de bonnes connaissances en informatique. «Bien sûr, continue-t-il, je n utilise pas le logiciel à 100 % de ses capacités mais, aujourd hui, ce que je sais en faire me suffit.» Grâce à la large bibliothèque de textures, de matériaux et de près de 3 000 symboles de végétaux, Thomas Tremblay crée ainsi ses esquisses et ses rendus à partir de plans de masse numérisés. Même s il ne l a pas quantifié précisément, il sait que cette nouvelle méthode de travail lui fait gagner un temps précieux. «N importe quelle modification souhaitée par le client est apportée rapidement, sans avoir à tout reprendre», explique le paysagiste. Une fois l échelle définie et les implantations faites, une fonction de Design Flore lui donne même les métrés de chaque surface et de chaque linéaire, facilitant ainsi la réalisation des plans de plantation et le calcul des devis. «Bien sûr, reconnaît Thomas Tremblay, les plans faits à la main ont plus de cachet, plus de chaleur, mais franchement je n ai pas vu de changement notable dans le regard ou d appréhension de la part des clients». «De toute façon, conclut-il, aujourd hui je gère seul l administratif et la conception. Je n ai plus le temps de faire des plans sur papier et je vois mal comment je pourrais me passer de ce logiciel.» Le temps économisé grâce au logiciel est consacré à l administration et à la gestion des effectifs d une structure aujourd hui en pleine croissance. Le jeune chef d entreprise reconnaît que les plans faits à la main ont plus de cachet et de chaleur. Cependant, il estime que le passage au numérique n a pas modifié la vision que ses clients ont de son travail. Matériel & Paysage n 46 Mars 2008 17
Vu sur le terrain logiciels de cao Formation CAO Le point sur l offre faite aux futurs professionnels du paysage Totalement absent des programmes il y a un peu plus de dix ans, l apprentissage de l utilisation des logiciels de création assistée par ordinateur se généralise aujourd hui dans les classes de BTS et dans les formations supérieures. Par Yaël Haddad L outil informatique fait désormais partie du quotidien des professionnels du paysage. Mais on oublie qu il y a seulement une quinzaine d années, aucun enseignement n était prévu en la matière, aussi bien pour les BTS que dans les cursus d ingénieur. À l Institut national d horticulture (INH) d Angers, la formation comprend actuellement une vingtaine d heures en infographie pour toutes les options d ingénieur en paysage ou en horticulture. Il s agit d une sensibilisation à l utilisation des outils de mise en page et de photomontage (InDesign, Photoshop, Illustrator ). Pour les étudiants qui choisissent la spécialisation paysage, se rajoutent ensuite 18 heures sur les systèmes d information géographique et une trentaine d heures pour la conception et le Créé en 2001, le certificat de spécialisation «collaborateur du concepteur-paysagiste» est ouvert aux titulaires d un BTS. Son programme est exclusivement consacré aux outils informatiques. dessin assisté par ordinateur, essentiellement sur Autocad. Patrick Pasquier, maître de conférence au sein du département paysage de l INH et initiateur de ces différents modules d enseignement sur Angers, reconnaît les limites de la formation, qui ne permet pas d approfondir les connaissances. Pour les jeunes diplômés qui se destinent à la conception de projets, dans un bureau d études spécialisées ou en tant que chef d entreprise, l acquisition Tecomah Autocad révélé aux BTS Depuis sept ans les élèves en BTS aménagements paysagers de l école Tecomah de Jouy-en-Josas (Yvelines) reçoivent trente heures de cours annuelles d initiation au logiciel Autocad. Un enseignement qui rentre dans le cadre d un module d initiative locale (MIL), cours dont le contenu est choisi par l établissement scolaire et approuvé par le ministère de l Agriculture. «Autocad nous semblait être un standard incontournable en matière de création de plans, explique Catherine Martinségur qui se charge, avec son collègue Ahmed Terra, de l apprentissage des arcanes de ce logiciel, conçu à l origine pour les ingénieurs en mécanique. En initiant nos élèves à son maniement, nous souhaitions faciliter leur intégration en bureau d études, que ce soit pour un stage ou pour un emploi. En effet, par ce cours ils acquièrent des compétences, la création de plans de récolement en particulier, que beaucoup d architectespaysagistes et d ingénieurs n ont pas.» Bien sûr, soixante heures sur deux années n apportent qu une initiation. Pourtant, leur BTS en poche, les À l école Tecomah, Catherine Martinségur et Ahmed Terra initient les élèves de BTS à l utilisation d Autocad. élèves sont capables de modifier des plans et de dessiner en deux et en trois dimensions. Dans le cadre d un autre cours du BTS, ils apprennent par ailleurs à habiller et à mettre en couleurs avec Photoshop les plans obtenus sur Autocad. Techniques qui, pour une présentation de projet de jardin privé par exemple, aident à atténuer le côté froid, industriel, du logiciel de dessin. Cependant, les premiers pas sont souvent difficiles. «L environnement d Autocad n est pas très convivial, reconnaît Catherine Martinségur. Et la logique de base du logiciel est ardue. Cela rebute et agace certains Au bout des deux années (60 heures de cours), les élèves sont capables de modifier un plan et de dessiner en deux et en trois dimensions. élèves, en particulier ceux qui savent déjà qu ils veulent travailler sur le terrain. Mais en général, lorsqu on attaque le dessin en trois dimensions en deuxième année, cela finit par plaire, par convaincre.» Les élèves réalisent d ailleurs assez vite que ces connaissances les valoriseront auprès de leur futur employeur, qu il dirige un bureau d études ou qu il soit entrepreneur de travaux paysagers. Jérémie Guicheney 18 Matériel & Paysage n 46 Mars 2008
De nombreuses écoles proposent des cours de CAO. Souvent, il ne s agit que d une initiation, le véritable apprentissage a lieu en entreprise. des compétences devra se faire par le biais de la formation continue ou de stages pratiques. Adapter le contenu de son stage À l école d ingénieur des techniques en aménagement paysager de l espace (Itiape) de Lille, Sébastien Gavory, formateur, explique que les étudiants reçoivent environ quinze heures de cours spécifiques sur Autocad. Pendant le déroulement des autres unités de formation dispensées à l école, ils sont susceptibles de mettre en pratique la théorie, par exemple pour réaliser le plan d un projet ou des coupes techniques. Ils peuvent aussi utiliser d autres logiciels de mise en page ou de CAO (Sketch up, Publisher, InDesign, Photoshop), mais l apprentissage se réalise surtout par autoformation. Durant les périodes qu ils effectuent en milieu professionnel (entreprise ou collectivité territoriale) dans le cadre de l alternance, l approfondissement des connaissances va dépendre du type de structure et des missions qui sont confiées à l apprenti. C est à chacun d adapter le contenu de son stage en fonction de ses attirances professionnelles. Au sein de la formation BTS aménagement paysager, l enseignement obligatoire sur les outils de conception assistée par ordinateur reste très limité. Les jeunes diplômés se destinent plus à des carrières dans le domaine du suivi de chantiers que dans le secteur de la conception. Dans certains lycées pourtant, la formation est plus poussée, à l initiative des équipes pédagogiques. C est le cas au Lycée d enseignement général et technique agricole de Châteaulin (Finistère). Étudiant en deuxième année de BTS ménagements paysagers, Simon Jacquet a ainsi choisi, comme un quart de ses camarades, l option communication de projets. Outre trois heures d enseignement hebdomadaire sur des outils tels que Photoshop, Illustrator et Autocad, il doit effectuer neuf semaines de stage dans le même bureau d études. «Un bon moyen d acquérir des compétences sur ces outils, car rien ne remplace la mise en situation concrète», souligne le jeune stagiaire. Une dizaine d établissements propose le certificat de spécialisation Depuis 2001, il existe également un certificat de spécialisation «collaborateur du concepteur-paysagiste». Dispensée dans une petite dizaine d établissements d enseignement horticole, cette formation en alternance semble un bon complément pour ceux qui souhaitent travailler en conception paysagère au sein de petites structures. Ouverte principalement à des titulaires d un BTS aménagements paysagers, elle attire aussi certaines années de jeunes diplômés de l INH. Le contenu pédagogique est entièrement tourné vers l utilisation des outils informatiques pour la réalisation d études et de projets, la production de documents de présentation et de pièces techniques et la gestion de fonds documentaires. À condition d être un tant soit peu mobile, les titulaires de ce certificat de spécialisation ne rencontrent pas de difficulté pour trouver ensuite un emploi. Bien souvent, ils restent d ailleurs au sein de l entreprise dans laquelle ils ont réalisé leur stage pratique. Matériel & Paysage n 46 Mars 2008 19