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Transcription:

Sommaire Berger/Phanie et Airelle-Joubert/Phanie Maladies rhumatismales : des coûts conséquents Douleur : un symptôme toujours présent Lombalgies : la plainte la plus fréquente Arthrose : un problème de santé publique croissant Ostéoporose : gare aux conséquences d un mauvais dépistage Maladie de Paget : empêcher les complications Polyarthrite rhumatoïde : des traitements qui changent tout Rhumatologie Une discipline en pleine évolution Ces dernières années, on peut observer une attention particulière portée aux maladies rhumatismales. Devenues une priorité de santé publique en raison de leur retentissement fonctionnel et du handicap qu elles peuvent engendrer, ces affections ont un impact majeur, tant humain que financier. La mobilisation est générale et la recherche particulièrement vive. Aujourd hui, si la prise en charge se donne des objectifs plus exigeants, c est que, au travers des nouveaux traitements, les résultats sont au rendez-vous. Interview du Pr Bernard Combe, du CHU de Montpellier. Dans la maladie rhumatismale, la douleur est un signe d appel constant. Elle génère l automédication, au mieux le recours à un médecin. On dit que c est normal avec l âge. Quand faut-il consulter un spécialiste? Pr Bernard Combe : Quel que soit l âge, quand la douleur perdure, il est important d en repérer la cause. Car aujourd hui, la précocité et la finesse du diagnostic permettent de ralentir, voire de stopper l évolution de la maladie. Les douleurs rhumatismales ne sont pas uniquement réservées aux personnes âgées. Ainsi, la pathologie inflammatoire ne peut attendre d être soulagée sans prendre le risque d abîmer précocement l articulation chez un sujet jeune et de précipiter un handicap fonctionnel. Le gonflement d une articulation est une urgence médicale. En ce qui concerne les douleurs osseuses, elles sont du champ de la discipline. En effet, des douleurs inhabituelles dans la colonne vertébrale, par exemple, doivent être prises en charge très tôt. Car la douleur osseuse peut être un symptôme qui révèle un cancer des os. Il est d autant plus dommage d attendre que le temps joue contre la maladie. Les rhumatologues ont une bonne connaissance des affections et des nouveaux traitements qui sont à leur disposition. Une mauvaise orientation clinique au départ entraîne des errements thérapeutiques regrettables. Quelles sont les affections le plus souvent rencontrées par le rhumatologue? Pr B.C. Il y a deux familles de pathologies : les affections inflammatoires des articulations et celles des os. La polyarthrite rhumatoïde (PR), qui atteint plutôt les femmes, et les spondylarthrites, qui touchent plutôt les hommes, concernent chacune 0,5 à 1 % de la population. Elles bénéficient de nouveaux traitements. L arthrose est importante de par sa fréquence. Neuf à 10 millions de personnes sont atteintes en France, plus particulièrement après 40 ans et au niveau des genoux, des hanches et des mains. Bien sûr, l arthrose est un phénomène normal inhérent au vieillissement. Mais, comme il y a de plus en plus de personnes âgées, le phénomène est amplifié. Le mal de dos est très courant. C est une conséquence de l arthrose, du vieillissement mais, il atteint également des personnes en activité, dont certaines sont soumises à des travaux pénibles. Quant à l ostéoporose, elle concerne 40 % des personnes de plus de 50 ans. Ses conséquences sont graves, car les nombreuses fractures, notamment celles du col du fémur et des vertèbres, sont sources d alitement, avec toutes les consé- Dossier réalisé avec la collaboration de 19

Rhumatologie quences délétères qui en découlent. Malheureusement, le dépistage n est pas encore suffisamment pratiqué, alors que l examen existe et que des médicaments peuvent enrayer le processus. Les maladies rhumatismales deviennent une priorité de santé publique et sont la première cause de perte de qualité de vie. Est-ce une fatalité ayant pour origine la génétique? Y a-t-il une place pour la prévention? Pr B.C. Ce ne sont pas des maladies héréditaires, mais le facteur génétique joue son rôle. La maladie rhumatismale, notamment inflammatoire, est polygénique. Les douleurs et la réduction de motricité contribuent à amoindrir la qualité de vie. La maladie rhumatismale détient d ailleurs le triste record de première place en matière d atteinte à la qualité de vie. Il ne peut exister de prévention au sens où on l entend. En revanche, ce qui est évitable désormais, ce sont les complications. Par exemple, certains médicaments préviennent les fractures dues à l ostéoporose. La prévention peut s exercer au niveau alimentaire, grâce à un régime équilibré riche en calcium et en vitamine D. Dans la PR, un diagnostic précoce et un traitement approprié permettent de limiter la destruction de l os et de prévenir les facteurs d atteinte mécanique. Le patient souffrant de mal de dos peut être éduqué en lui faisant réviser la façon d exécuter certains gestes, surtout quand ceux-ci sont répétitifs. L exercice physique est reconnu comme bénéfique. Le sport, s il n est pas violent, est vivement recommandé. Il entretient les ligaments et renforce les contraintes mécaniques. Quelle est la place de la morphine pour soulager la douleur? Quels sont, en bref, les nouveaux traitements? Pr B.C. Je suis réservé, personnellement, quant à cette trop grande médiatisation de la morphine. Dire que celle-ci peut tout soulager n est pas vrai. Il ne faut pas l utiliser en amont sans que les soignants se posent les vraies questions. Après un diagnostic précis, il faut toujours chercher la cause de la douleur et adapter le traitement très précisément à la personne. La morphine n est pas toujours bien tolérée, et il existe des cas de iatrogénie, notamment chez les personnes âgées, auxquelles on a tendance à en donner de façon ni raisonnable ni raisonnée. Il ne faut pas non plus occulter certains phénomènes psychosomatiques, qui peuvent induire des prescriptions mal adaptées. Aujourd hui, en ce qui concerne les maladies articulaires, il existe des traitements dont les études les concernant reconnaissent unanimement l efficacité. Ils soulagent la douleur mais agissent également sur l évolution de la maladie. Pour l instant, on ne peut parler de guérison, sinon à longue échéance. Pour les maladies osseuses, l objectif du soin est, d une part, de limiter la destruction de l os (c est le rôle des biphosphonates), d autre part de reconstruire l os par des agents anabolisants. L os étant en perpétuel renouvellement, le but d un tel traitement est d améliorer ce couple destruction/reconstruction. De plus, ces médicaments sont en général bien tolérés. Bientôt, on aura à disposition ce type de traitement dans lequel on peut moduler l effet en fonction de l évolution. Les SERMS (agonistes-antagonistes des estrogènes de type raloxifène) qui préviennent la perte osseuse postménopausique entraînent quelquefois des risques de nausées. Mais le bénéfice est pratiquement toujours supérieur aux inconvénients. Pour les maladies inflammatoires, l arrivée des coxibs a inauguré une nouvelle classe d AINS. Ces médicaments font preuve d un excellent rapport bénéfice/risque, notamment grâce à leur bonne tolérance digestive. Il ne faut pas oublier que les douleurs digestives sont également une source d angoisse pour le patient, ce qui s ajoute à la douleur initiale. Et, bien sûr, on ne peut parler de PR sans citer le développement des biothérapies, avec les agents anti-tnfa qui ont été la révélation de ces dernières années. Ils ralentissent de façon significative les lésions structurales ostéoarticulaires. La qualité de vie des patients se trouve transformée, car ces médicaments améliorent les manifestations cliniques inflammatoires et les capacités fonctionnelles. Quel est le rôle de l infirmière? Pr B.C. Comme dans toutes les pathologies chroniques générant douleur et handicap, le rôle infirmier se trouve d abord dans l écoute et aussi dans le suivi de l observance. On l a vu dans la transcription de la douleur, qui n est pas toujours facile. Ensuite, il faut distinguer les médicaments administrés à l hôpital de ceux prescrits en ville. Dans le traitement de la PR à l hôpital, on emploie des médicaments par voie injectable, qui nécessitent une surveillance de deux heures à cause des répercussions allergiques. A domicile, les injections sous-cutanées doivent être administrées selon un certain mode. Elles peuvent entraîner des intolérances locales et, surtout, un risque infectieux. Pour cela, il faut bien éduquer le patient qui souhaite effectuer seul son injection sur le bon geste et sur les précautions à prendre. Propos recueillis par Andrée-Lucie Pissondes 20

Maladies rhumatismales Des coûts conséquents L exercice de la rhumatologie s est profondément modifié depuis ces dix dernières années. Un nombre croissant des motifs de consultation ou d hospitalisation apparaît comme étant d ordre rhumatologique. Pourtant, l incidence des maladies rhumatismales est encore sous-évaluée en France. Une faible létalité, loin derrière les maladies cardiovasculaires, les infections, le sida, en est peut-être l une des causes. L a rhumatologie est une discipline prenant en charge les maladies, les douleurs et les dysfonctionnements de l appareil locomoteur et des tissus conjonctifs qui lui sont associés, de même que les affections touchant les régions périarticulaires. Ainsi, cette spécialité implique un savoir multidisciplinaire. Des notions de pronostic et de prophylaxie, une expérience des indications chirurgicales font partie de ce savoir. Mais la dimension médicosociale de ces affections particulièrement douloureuses et invalidantes, mettant en jeu la qualité de vie, ne peut pas être occultée. C est souvent à la fin d une consultation pour hypertension artérielle, pour hyperlipémie ou autre que le patient signale des douleurs articulaires. Cela participe à la méconnaissance de l incidence des maladies rhumatismales, qui sont souvent associées à plusieurs pathologies. Elles ne sont pas toujours en première ligne et ne présentent donc pas une importance évolutive dans la durée, pas plus qu une urgence de l instant. Douleur et handicap La rhumatologie est au deuxième rang des pathologies les plus coûteuses. Cependant, calculer, en termes d économie de santé, son coût réel n est pas simple. Or, les rhumatismes sont cause d un handicap majeur du fait de l importance des douleurs et de l invalidité motrice pour certaines affections, d autant plus croissantes que la population vieillit. En tête de liste des diagnostics lésionnels, existent deux maladies chroniques que sont l arthrose du genou (12,9 % des motifs de consultation) et la polyarthrite rhumatoïde (11,8 %) suivies par les deux maladies aiguës que sont la tendinobursite du membre supérieur (1,8 %) et la sciatique commune (9,8 %). Viennent ensuite l ostéoporose (7 %) et la spondylarthropathie (6,1 %). Ces six diagnostics, relatifs à des pathologies fortement invalidantes, représentent près de 60 % des diagnostics principaux en rhumatologie*. Demri-Sellem-Voisin/Phanie A cela s ajoutent les prises en charge d autres pathologies liées à l appareil locomoteur : arthrose de la hanche, arthrite infectieuse, fibromyalgie, maladie de Paget, etc. Pour tenter d évaluer l importance des coûts liés à la pathologie, il faut tenir compte de plusieurs facteurs. Ceux liés aux coûts directs concernent l argent dépensé en consultations médicales, en examens de laboratoires, en explorations radiologiques, en achats de médicaments. A côté de ces coûts directs, les coûts indirects consistent en indemnités journalières pour incapacité de travail liée à l affection, ceux résultant de la perte de productivité (plus difficilement chiffrables dans une population active en partie seulement). Enfin, les coûts intangibles sont liés à l évaluation de la douleur, de la souffrance physique et morale, du vécu au quotidien du handicap. Leur calcul est encore plus complexe, leur interprétation bien délicate. La pathologie rhumatismale, deuxième source de dépenses de santé du pays par ses coûts directs (après les maladies cardiovasculaires), se place en tête quand les coûts indirects sont indifférenciés. Jacques Bidart * Source : Société française de rhumatologie. 21

Rhumatologie Douleur Un symptôme toujours présent Dans les maladies rhumatismales, on distingue classiquement les traitements symptomatiques et les traitements de fond. Les premiers n ont aucun effet sur la maladie. Ils visent surtout à soulager les douleurs toujours présentes, à un moment ou l autre de l évolution de la maladie, et qui peuvent être intenses, voire invalidantes. L a maladie rhumatoïde est très souvent douloureuse, douleur qui peut aller jusqu à être la cause d un syndrome dépressif. C est pourquoi l écoute prend de l importance, d autant que les patients veulent en savoir plus sur leur maladie, sur les traitements et les effets indésirables de ces derniers. Entre autres exemples, il faut savoir que le méthotrexate peut être responsable de troubles digestifs (nausées, vomissements), sanguins (baisse du nombre des globules blancs et des plaquettes), hépatiques ou respiratoires, avec une traduction clinique. Ces troubles doivent être dépistés le plus tôt possible. De même, la prescription de plus en plus fréquente des traitements biologiques comme les médicaments anti-tnfa, administrés par voie injectable, demande un dépistage précoce des signes infectieux qui justifieront l arrêt momentané de ces médicaments et une consultation médicale rapide. Les infirmiers sont bien placés pour relayer l information au médecin généraliste et au rhumatologue, mais en s informant aussi auprès des kinésithérapeutes et des ergothérapeutes. Les traitements Dans les maladies rhumatismales chroniques, on distingue les médicaments qui traitent des symptômes et ceux qui agissent sur la progression de l affection. Dans tous les cas, il s agit de soulager la douleur, pratiquement toujours présente et plus ou moins intense à un moment de l évolution de la maladie. Les traitements contre la douleur s administrent en tenant compte des paliers douloureux qui peuvent se mesurer à l aide d échelles visuelles analogiques (EVA). Les antalgiques utilisés en premier lieu sont le paracétamol, antalgique pur utilisé soit seul, soit associé à la codéine ou aux opiacés. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), malgré leurs effets secondaires possibles, sont préférables à l aspirine, qui nécessiterait des doses trop importantes. La nouvelle classe des anti-inflammatoires que constituent les cox-2 semble mieux tolérée sur le plan digestif. Les anti-inflammatoires stéroïdiens ou les corticoïdes peuvent s imposer devant des formes sévères de polyarthrite rhumatoïde (PR), soit face à des formes résistantes aux autres antalgiques, soit en cas de contre-indication absolue aux AINS. L Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini trois paliers de douleur, eux-mêmes divisés en phases, auxquels elle associe certaines familles de médicaments. Les médicaments de palier I Les médicaments de palier I sont à utiliser pour traiter les douleurs faibles à modérées, d origines nociceptives, et en l absence de contre-indication. Le paracétamol est un analgésique d une durée d action de 4 à 6 heures. Par voie orale ou rectale, il fait preuve d une bonne tolérance (rares cas d allergie). L insuffisance hépatique sévère est une contre-indication. Le proparacétamol est utilisé par voie parentérale. Son utilisation ne se conçoit que si la voie orale est impossible, car son efficacité est identique à celle du paracétamol par voie orale. Le port de gants est nécessaire (risque d eczéma de contact). L acide acétylsalicylique (aspirine) est antalgique, antipyrétique, anti-inflammatoire, mais aussi antiagrégant plaquettaire à partir de 50 mg par heure. Les présentations existantes sont disponibles à divers dosages par voie orale ou injectable. Les effets secondaires sont : une toxicité digestive, des saignements aggravés par l effet antiagrégant plaquettaire, des réactions d hypersensibilité, des bourdonnements d oreille. L ulcère gastroduodénal en évolution, les maladies hémorragiques constitutionnelles ou acquises, l allergie avérée aux salicylés, une grossesse à partir du sixième mois sont des contre-indications. La floctafénine, à la dose de 400 à 800 mg par jour, présente l avantage d une absence d effet ulcérogène et d interférence avec les anticoagulants mais de possibles réactions allergiques interdisent les prises uniques itératives. Les médicaments de palier II Les opioïdes faibles de palier II sont à utiliser pour les douleurs modérées à intenses. 24

Le dextropropoxyphène est un dérivé morphinique qui peut être administré en association avec le paracétamol, par voie orale ou rectale. Il existe des risques de : nausées, vomissements, douleurs abdominales, constipation, céphalées, vertiges, somnolence, désorientation, euphorie, hypoglycémie chez le sujet âgé et/ou diabétique, hépatite cholestatique. Les contre-indications sont l insuffisance rénale ou hépatique sévère, l allergie au produit ou au paracétamol associé, la prescription à l enfant de moins de 15 ans et en cas d allaitement, de même que la prise concomitante de dérivés agonistes/antagonistes de carbamazépine et d inhibiteurs de la mono-amineoxydase (IMAO). La codéine est un analgésique central de type morphinique pris en association avec le paracétamol et/ou l aspirine, par voies orale et rectale. On peut craindre la constipation et un risque de dépendance si la prise est prolongée. La prudence est de mise en cas d hypothyroïdie, d insuffisance rénale ou de traitement associé par dépresseurs du système nerveux central, en cas de grossesse ou d allaitement, et chez les moins de 15 ans (sauf le sirop pédiatrique). Parmi les contre-indications : l insuffisance respiratoire, l asthme, l insuffisance hépatique ou rénale sévère, l enfant âgé de moins d un an, l hypersensibilité à la codéine (croisée avec la dihydrocodéine) ou aux produits associés. La dihydrocodéine est un antalgique central dont les précautions d emploi sont proches de celles de la codéine et de la morphine. Le tramadol est un analgésique central de type morphinique qui se présente par voie orale, à libération immédiate ou prolongée, et par voie injectable. Sa tolérance est de type morphinique. Il faut prendre garde aux précautions d emploi chez des malades dépendants des opioïdes et chez ceux présentant un traumatisme crânien, un état de choc, une altération de la conscience, une hypertension intracrânienne, une insuffisance respiratoire, des risques de convulsions. Le tramadol est à éviter en cas d hypersensibilité, de sevrage aux opiacés, d épilepsie non contrôlée, d allaitement, et chez l enfant de moins de 15 ans. La buprénorphine est un agoniste-antagoniste morphinique qui se présente en solution injectable ou en comprimé à placer sous la langue sans le croquer ni l avaler. Le néfopam est un analgésique central non morphinique ne provoquant ni accoutumance, ni dépendance, sans action antipyrétique ou anti-inflammatoire. Il ne faut pas l associer aux atropiniques. Il ne faut pas arrêter les morphiniques brutalement chez un malade dépendant à cause d un risque de sevrage. L épilepsie, l adénome prostatique, le glaucome sont des contre-indications. Les médicaments de palier III Les opioïdes forts de palier III sont à utiliser pour les douleurs intenses. La morphine sulfate est un agoniste morphinique actif sur les récepteurs mu, delta et kappa. La morphine bloque les synapses dans le cheminement central de la douleur. Elle inhibe notamment les relais thalamiques et les projections corticales. La dose initiale doit être faible puis augmentée progressivement, jusqu à l obtention du meilleur compromis efficacité/tolérance. Elle génère de nombreux effets secondaires qu il faut savoir anticiper (surtout la constipation). Le myosis serré aréactif est un signe de surdosage. La dose maximale est atteinte lorsque les effets indésirables ne sont plus contrôlés et que la douleur n est pas soulagée. Les contre-indications absolues sont l hypersensibilisation à la morphine et l association aux agonistes-antagonistes, aux agonistes partiels, et aux IMAO. Toute douleur intense, quel que soit le stade de la maladie, soit après échec des traitements antalgiques antérieurs, soit, d emblée, en cas de douleur intense, doit la faire prescrire. La voie orale est à privilégier, car elle est efficace chez 80 % des malades. La morphine chlorhydrate est à réserver aux difficultés de la déglutition, aux vomissements et nausées non contrôlés, à la malabsorption digestive, aux troubles de la conscience. L hydromorphone chlorhydrate est un agoniste morphinique spécifique des récepteurs mu. Le fentanyl chlorhydrate est un analgésique morphinomimétique et agoniste pur prescrit chez les patients naïfs et les patients déjà traités par les morphiniques, en faisant la conversion des doses morphiniques en équivalent fentanyl. Il s administre en cas de douleur chronique stable intense ou rebelle aux autres antalgiques, la douleur aiguë étant une des contreindications. La péthidine est un analgésique morphinomimétique dont la prescription est actuellement limitée aux douleurs intenses et/ou rebelles. D autres médicaments sont des coanalgésiques. Ce sont : les antidépresseurs tricycliques ; les antidépresseurs antisérotoninergiques dominants qui agissent par inhibition du recaptage de la noradrénaline et/ou de la sérotonine ; les 25

Rhumatologie antiépileptiques dont l action s exerce sur le blocage des canaux sodiques. Les AINS Tous les AINS présentent des propriétés antalgiques, antipyrétiques et anti-inflammatoires par inhibition de la cyclo-oxygénase (cox), qui est une prostaglantine-synthétase. La découverte de la cox de type 2 a permis de distinguer les AINS classiques, inhibiteurs de la cox-1 et de la cox-2, et les coxibs, qui n inhibent que la cox 2. Les propriétés de ces produits sont fonction des propriétés des deux types de cox, et donc du type de la cox qui est inhibée. Les AINS sont nombreux, se présentent sous diverses formes galéniques, ont une durée d action variable et, de ce fait, permettent le changement de médicaments en fonction de leur tolérance et de leur efficacité. Ils appartiennent à diverses familles : salicylés, pyrazolés, indoliques, propioniques, arylcarboxyliques, fénamates, oxicams, et coxibs, plus récemment. Le risque majeur des AINS est leur toxicité digestive, avec le risque d ulcère gastroduodénal, d hémorragies et/ou de perforations, d anémie. Ces risques sont moindres avec les coxibs. Actuellement, seuls deux coxibs sont commercialisés en France (célécoxib et rofécoxib), avec, pour chacun, deux indications : la PR et l arthrose. Toutes les études confirment leur supériorité d action par rapport à celle du placebo et leur action comparable à celle des AINS classiques de référence. De plus, l efficacité est globalement superposable aux AINS de référence : le diclofénac et le naproxène. Les nouveaux coxibs, l étoricoxib et le valdécoxib se sont également montrés efficaces dans le traitement de l arthrose et de la PR. Les coxibs ont pour avantage la réduction du risque digestif et du risque pseudo-allergique. En revanche, les troubles fonctionnels (dyspepsies, nausées, gastralgie) restent courants et presque aussi fréquents qu avec les AINS dans les essais cliniques. La toxicité rénale des coxibs est comparable à celle des AINS classiques et se développe surtout chez les sujets à risque. La rétention sodée peut être à l origine d un œdème périphérique et d une hypertension artérielle. Récemment, une étude américaine, l étude VIGOR, est venue semer le trouble sur l intérêt des coxibs en mettant en évidence une augmentation des infarctus du myocarde dans un groupe de malades traités par le rofécoxib comparativement au naproxène. Comme il est impossible, aujourd hui, de conclure quant à l origine de l augmentation de ces accidents coronariens, il existe un consensus sur la nécessité d une prescription concomitante d aspirine à faibles doses s il y a une indication cardiovasculaire lors d une prescription de coxibs. Cependant, compte tenu de leur coût, les coxibs se limitent aux malades présentant un risque au niveau digestif. Les glucocorticoïdes Les glucocorticoïdes ont une action antiinflammatoire qui s exerce par induction de la synthèse de lipocortines. Ceux-ci bloquent l action de la phospholipase A2, enzyme clé de la production des eicosanoïdes et, en particulier, des prostaglandines E2 et des leucotriènes B4 pro-inflammatoires. L effet immunomodulateur est dû à une inhibition de la sécrétion des cytokines impliqués dans la réponse immunitaire, à la modulation des récepteurs membranaires des cellules immunocompétentes et à un effet toxique direct sur les lymphocytes activés. Les produits sont divers mais le corticoïde de référence reste la prednisone, dont le métabolite actif est la prednisolone. La posologie varie selon les indications, et les effets secondaires sont nombreux : métaboliques, cutanés, ostéoarticulaires, infectieux, oculaires, digestifs. L insuffisance surrénale constitue un risque en cas de corticothérapie prolongée à fortes doses et le syndrome de sevrage est parfois difficile à distinguer d une poussée de la maladie traitée. Certaines précautions sont à prendre : régimes hyposodés, pauvres en graisses et en glucides, riches en protides et en potassium. Une mobilisation est recommandée ainsi qu une prescription de calcium et de vitamine D. Il en est de même pour une protection gastrique en cas de gastralgie ou d antécédent ulcéreux ou hémorragique digestif. La corticothérapie locale connaît des complications (arthrite septique, atrophie locale avec dépigmentation, ostéonécrose, hypercorticisme). Ses indications sont nombreuses en pathologie articulaire (rhumatismes inflammatoires). Les contre-indications absolues sont l infection locale ou générale, la présence de prothèse, l allergie vraie et un état d hypocoagulabilité sévère ; plus relativement : le diabète de type 1, l ulcère gastroduodénal évolutif, l immunosupression et autres contre-indications de la corticothérapie générale. A.-L.P. D après les communications lors du Congrès de la SFR. 26

Lombalgies La plainte la plus fréquente Les lombalgies représentent en France le deuxième motif de consultation médicale. Elles sont à l origine de 25 à 35 pour 1 000 des consultations en médecine générale, 8 % des actes radiologiques, 30 % des actes de kinésithérapie. Si l on interroge la population française, 70 % des personnes ont souffert ou souffrent du dos. affection est aiguë, mais elle devient vite récurrente puisque le taux de rechute se situe L en moyenne entre 60 et 85 %. Cette prise en charge dans son ensemble représente un coût conséquent, car elle est responsable de 12 millions de jours d arrêt de travail (13 % de l ensemble) avec, pour 20 % de personnes atteintes, l obtention d une rente au titre de l invalidité. Conduite à tenir Le diagnostic d une lombalgie est facile dès l interrogatoire, sinon à l examen clinique montrant la limitation douloureuse des mouvements rachidiens. La conduite à tenir est codifiée par une recommandation de juin 1990 de l ANAES : en dehors d une urgence, il n y a pas lieu de demander d examen d imagerie dans les 7 premières semaines d évolution, sauf quand les modalités du traitement choisi (manipulation et infiltration) exigent d éliminer formellement toute lombalgie spécifique. Dans la lombalgie aiguë, comme dans la lombosciatique, les traitements médicaux visant à contrôler la douleur sont indiqués. Ce sont les antalgiques, les antiinflammatoires non stéroïdiens, et les décontracturants musculaires. Le traitement est donc essentiellement médical au début. Les antalgiques de niveau 1 sont utilisés à ce stade, avec une escalade thérapeutique qui est fonction de l évolution des symptômes. Le repos au lit n est plus de mise, il peut même être facteur de risque de passage à la chronicité. A ce stade, l efficacité des massages est nulle, l intérêt des manipulations non négligeable. Ce n est qu au bout de 7 semaines, si la douleur persiste, que l imagerie médicale est appelée à la rescousse, soit 7 % des lombalgies. La radiographie standard n est pas utilisée à titre diagnostique mais essentiellement pour éliminer une pathologie telle qu une spondylodiscite infectieuse, un tassement vertébral bénin ou métastatique. Les clichés doivent comprendre une incidence de profil et un grand cliché lombaire en position debout. Selon les références médicales opposables de 1993 : il n y a pas lieu de pratiquer un scanner et/ou une IRM lombaire devant une lombalgie aiguë ou un lumbago d effort en dehors des cas où les données cliniques et/ou paracliniques font craindre une lombalgie symptomatique (infectieuse, tumorale, inflammatoire). Lorsque le traitement médical s avère insuffisant, la crainte est d avoir affaire à une protrusion discale ou hernie (cf. encadré). Un geste technique peut alors être engagé : une infiltration sous contrôle scopique par le spécialiste, voire une intervention chirurgicale curative. Les signes de hernie discale Chez un patient aux antécédents de lumbago, la survenue est brutale, souvent déclenchée par un effort violent. On retrouve l existence d une attitude antalgique et la coexistence d anomalies des réflexes et de troubles sensitivomoteurs à l examen. Infiltrations rachidiennes Effectuées dans le cadre de lombalgies communes chroniques, les infiltrations sont de pratique courante en rhumatologie. Elles nécessitent un certain nombre de précautions pour atteindre, sans risque, leur efficacité thérapeutique. Devant une lombalgie chronique résistant aux traitements anti-inflammatoires et antalgiques classiques, l indication d infiltrer peut être portée par le praticien. Il peut s agir également d une lombalgie commune, d une sciatique, liée ou non à un conflit discoradiculaire, à une arthrose postérieure, à un canal médullaire étroit. Avant de pratiquer une infiltration, il faut d abord s assurer de l absence de contre-indications, à savoir l existence d une métastase osseuse ou d une infection locale ou générale. Il faut aussi s assurer de l absence de troubles de la coagulation, qui peuvent être liés à la prise d anticoagulants per os. Le cas échéant, un relais doit être pratiqué au moyen des HBPM (héparines de bas poids molé- 27