GÉRARD BÉRUBÉ Au cours de la dernière décennie, les transformations qui ont façonné le réseau de distribution en assurance n ont donné d autre choix que d examiner ce volet du marché et de se questionner sur ses impacts directs et indirects. Analyse de la situation. Comporte Les courtiers auront de plus en plus de difficultés à défendre leur indépendance. Après la montée en puissance du «direct», au tournant de 2000, les grands assureurs sont omniprésents dans ce jeu de repositionnement d une industrie en mutation qui favorise une plus grande intimité entre les manufacturiers et les distributeurs. Mais si le modèle d affaires change, le rôle du courtier ne serait en rien menacé. Les parts de marché résistent. En 2007, les courtiers retenaient 4,2 milliards des 7,4 milliards $ en volume-primes en assurance de dommages récoltés au Québec, contre 3,2 milliards $ pour les assureurs directs. En 2006, cette répartition était respectivement de 4 et de 3 milliards $ sur un volume de 7 milliards $, selon les données fournies par le Regroupement des cabinets de courtage d assurance du Québec (RCCAQ). 16 Assurance avril 2009 www.assurancededommages.ca
ments mutants DES CHIFFRES QUI PARLENT Vu autrement, les statistiques recueillies par l Autorité des marchés financiers (AMF) indiquent que dans le segment assurance des particuliers, les cabinets de courtage retiennent, bon an mal an, 57 % des volumes de primes, contre 43 % pour les assureurs directs. Les courtiers vont cependant dominer dans le segment assurance des entreprises, avec une part de 89 % du volume-primes de ce créneau contre 11 % pour le direct. «Les parts de marché des courtiers ont augmenté dans le commercial», a commenté le président du conseil du RCCAQ, Mario Lanouette. Ce regroupement compte sur un membership de 5 438 courtiers cumulant 3 milliards $ en volume-primes. Le président du conseil du RCCAQ insiste sur le rôle conseil du courtier. «Dans l automobile, avec l uniformisation des contrats, la variable-clé est le prix. Mais dans le résidentiel et le commercial, avec la diversification des polices et les différentes options, la fonction conseil, basée sur une identification adéquate des besoins du client, vient faire toute la différence.» Cette valeur ajoutée ne peut qu exercer un pouvoir d attraction certain auprès des manufacturiers. Mario Lanouette pense «aux gros joueurs à courtiers» que sont AXA, ING (maintenant devenu Intact Assurance), Aviva, par opposition aux www.assurancededommages.ca Assurance avril 2009 17
géants du direct que sont Desjardins, TD Meloche Monnex, Wawanesa ou encore Allstate. Il pointe également en direction du Groupe Promutuel, qui effectue une percée auprès du réseau de courtage. «Au tournant de 2000, le direct a pris beaucoup de place. Mais depuis deux ou «Nous sommes un assureur de proximité. Le courtier, fortement engagé et impliqué en région ou dans son milieu, répond à ce profil.» Ces rapprochements entre assureurs et courtiers «visent à favoriser l écoute, à établir un lien avec le consommateur et à assurer une certaine fidélité INTIMITÉ Ces liens d affaires ou de propriété n ont pas été sans créer un certain malaise dans l industrie. En octobre 2004, l enquête du procureur général de l État de New York, Elliot Spitzer, faisait ressortir des pratiques commerciales douteuses, mettant sur la sellette Marsh and McLennan, alors premier courtier en assurance aux États-Unis. L enquête menée de ce côté-ci par l AMF n a permis d identifier aucun comportement ou geste dolosif. Mais elle a eu pour effet de détecter des lacunes en matière de divulgation des liens d affaires entre les assureurs et les cabinets. Dans la foulée, l AMF n a pas été sans rappeler qu un courtier doit d abord et avant tout servir les intérêts de son client. Que le client attend généralement du courtier indépendant qu il lui procure la meilleure offre d assurance disponible sur le marché en fonction de ses besoins. En 2007, les courtiers retenaient 4,2 milliards des 7,4 milliards $ en volume-primes en assurance de dommages récoltés au Québec, contre 3,2 milliards $ pour les assureurs directs. trois ans, je dirais qu on assiste à un certain retour aux courtiers», a souligné Serge Roy, premier vice-président, Commercialisation et développement des affaires, au Groupe Promutuel. Ce repositionnement s est vérifié au sein du réseau de la mutuelle. «Nous étions hybride. Mais je préciserais que le courtage a pris de nouvelles proportions au sein de notre force de distribution», a nuancé M. Roy, qui établit à 25 % la portion du chiffre d affaires de l institution venant désormais du courtage. «Les deux relations d affaires, avec les agents et avec les courtiers, cohabitent très bien.» Serge Roy aborde également le caractère régional de Promutuel, qui fait de son association avec les courtiers un naturel. du courtier. En direct, tu n as pas ou peu de contact avec le client», a-t-il résumé. Et qu en cas de contestation, il revient au conseiller s affichant indépendant de prouver qu il a agi dans le meilleur intérêt de son client. Des normes de divulgation ont été introduites et imposées aux 1 052 cabinets de courtage en assurance de dommages inscrits auprès de l AMF. La Chambre de l assurance de dommages rappelle que «les représentants doivent divulguer les liens d affaires entre les assureurs et le cabinet auquel ils sont rattachés». Et ces liens comprennent tant les liens de propriété, les prêts et autres formes de financement que la concentration en volume d affaires. Mais une fois cela fait... Paul Plamondon, courtier d assurance retraité, 18 Assurance avril 2009 www.assurancededommages.ca
se souvient de l avènement des directs dans l assurance de dommages. D Allstate, de Bélair et, surtout, de Desjardins qui, avec son réseau de caisses et sa plateforme marketing, a livré une solide concurrence aux courtiers. Le jeu des manufacturiers consistait alors à acheter des clientèles et à innover en matière de développement de relations commerciales. Paul Plamondon pense à cette entente entre AXA et Banque Nationale Assurances, ou à cette autre unissant Aviva aux magasins d alimentation Loblaw. Mais ce que celui qui a été 27 ans en affaires craint le plus, c est l effet de cette intimité sur l indépendance du courtier. «On assiste à des achats de bureaux et de réseaux de courtiers financés par des manufacturiers. L ancien ING, AXA et Aviva veulent grossir. Il devient courant de les voir dans l actionnariat ou de participer financièrement, directement ou La Chambre de l assurance de dommages rappelle que «les représentants doivent divulguer les liens d affaires entre les assureurs et le cabinet auquel ils sont rattachés». Et ces liens comprennent tant les liens de propriété, les prêts et autres formes de financement que la concentration en volume d affaires. indirectement, dans des opérations d achat. Ils peuvent ainsi poser leurs conditions.» Il peut en résulter des transferts en bloc d un volume d affaires, ou encore des jeux de commissions conditionnelles et de surcommissions. «Certes, un courtier ayant besoin de financement peut éprouver des difficultés à convaincre une institution financière. Après tout, c est un business d achalandage qu il exploite. En contrepartie, cela veut dire qu il y a toujours moins de courtiers indépendants», déplore-t-il. PETITS JOUEURS VERSUS LES GRANDS Serge Roy, de son côté, s en inquiète moins. «Les regroupements de cabinets traduisent www.assurancededommages.ca Assurance avril 2009 19
aussi le fait que les courtiers ou les propriétaires, plus âgés, font face à un problème de relève», souligne-t-il. À ces yeux, le marché québécois est suffisamment morcelé et segmenté qu il est difficile à un gros joueur de dicter ou d imposer les règles. Toujours selon les données de l AMF, dans l assurance des particuliers, dix des quelque 180 assureurs présents au Québec contrôlent 83 % du marché. Dans le segment entreprise, les dix plus importants exercent une mainmise sur 63 % du marché. Mario Lanouette acquiesce : «L assureur ne peut pas obliger ou forcer le courtier», qui sera toujours soumis à ses engagements légaux de bien servir l intérêt du client. S ajoute une autre problématique, plus menaçante pour les petits cabinets : avec ces connivences se manifestant essentiellement entre les manufacturiers et les grands cabinets, qui composent grosso modo 20 % de la force de distribution, «l on dit que les plus petits bureaux sont vulnérables. Or, je ne crains pas le futur. Il y aura toujours de la place pour les petits», a commenté Serge Gosselin, d Assurances S. Gosselin inc. Surtout hors des grands centres. Il admet cependant que la diversification de l offre se restreint. «Avant, je pouvais offrir les produits d une vingtaine de manufacturiers. Aujourd hui, j en ai cinq. Les manufacturiers demandent du volume.» Sabine Labadie, courtier et associée au cabinet AG3L Assurances, peut comprendre l intérêt d un cabinet de vouloir être captif, compte tenu de l apport d argent en jeu et des bonis lors du transfert de volume. Si la tendance au recul du nombre de «Dans l automobile, avec l uniformisation des contrats, la variable-clé est le prix. Mais dans le résidentiel et le commercial, avec la diversification des polices et les différentes options, la fonction conseil, basée sur une identification adéquate des besoins du client, vient faire toute la différence.» Mario Lanouette Président du conseil du RCCAQ courtiers indépendants se vérifie, elle observe toutefois que les plus jeunes de la profession ont tendance à devenir ou à revenir au rôle de courtier. Ils sont attirés par l objectivité, par la qualité de la relation avec la clientèle, par l indépendance et par la liberté, a-t-elle énuméré. «Les directs sont cependant très actifs sur le plan de l accès à la profession. Ils se présentent sur les campus et font miroiter un salaire plus élevé, un fonds de pension, la formation, etc. Il ne fait pas de doute que la profession doit aussi vendre le concept de bureau de courtage auprès d eux», a soutenu Paul Plamondon, qui applaudit au passage une initiative en ce sens du RCCAQ. À ces réalités d une industrie en changement viennent se greffer une vaste offensive du direct dans le segment des entreprises et cette probabilité, toujours bien réelle, de voir les banques obtenir un jour gain de cause dans leur revendication de longue date visant la permission d offrir de l assurance en succursale. «Ils ne sont pas nombreux, parmi mes clients, à vouloir détenir à la fois leurs produits financiers et d assurance au sein d une même institution financière», a illustré Serge Gosselin. L influence d Internet est également une nouvelle donnée. «C est populaire, auprès de la clientèle plus jeune, lorsque les produits sont standardisés», a soutenu Serge Roy. Mais malgré les avantages offerts par ce canal, il reste difficile de conclure la vente sur Internet, ne serait-ce que compte tenu des informations additionnelles dont l assureur a besoin. Et il y a l émotivité. «En assurance habitation, par exemple, la propriété représente une valeur importante pour le client. Il veut être informé, il veut être certain qu il est bien protégé.» Paul Plamondon revient aussi à ces doléances à l endroit de la vente d assurance par les agences de voyage et de garantie de remplacement par les concessionnaires automobiles. «Ces intermédiaires vendent des produits d assurance sans être soumis aux mêmes obligations légales et aux mêmes exigences en matière d encadrement et de formation continue que nous», déplore-t-il. Ce qui lui rappelle que l industrie du courtage tend à se spécialiser, à se développer autour de créneaux ou de risques spécifiques. Et qui dit créneau dit également offre encore plus restreinte regroupée entre moins de manufacturiers, une concentration qui vient encore une fois menacer l indépendance du courtier. 20 Assurance avril 2009 www.assurancededommages.ca