Partage du patrimoine lors d une Le, encore trop peu consulté André Giroux Le divorce assène toujours un coup dur, au cœur comme au portefeuille. Garde des enfants, pension alimentaire et partage du patrimoine font partie des enjeux. La meilleure stratégie du réside dans la prévention : les règles du partage du patrimoine familial constituent l un des éléments à considérer dans la planification financière, même quand la relation va pour le mieux. C est la meilleure façon d éviter les mauvaises surprises à l investisseur advenant la rupture de son union. Union à la carte Les personnes mariées, sous quelque régime que ce soit, sont régies par la Loi sur le partage du patrimoine familial. Seule exception : avoir renoncé au bénéfice de cette loi avant le 1 er janvier 1991. Ce n est plus possible depuis. «Cette loi d ordre public a été adoptée en 1989 afin d éviter que le divorce conduise la femme mariée à une situation de pauvreté en cas de rupture», rappelle Suzanne Guillet, avocate. La Loi sur le partage du patrimoine familial concerne des biens spécifiques : résidence familiale ou secondaire, meubles et véhicules utilisés pendant le mariage, 6 fonds et régimes de retraite, régime enregistré d épargneretraite et régime de rentes du Québec ou du Canada. Le contrat de mariage complète les dispositions de la loi. À défaut d indications contraires à ce contrat, les règles du Code civil du Québec sur la société d acquêts s appliquent. L autre option, c est le régime de la séparation de biens.
séparation Advenant le divorce de son client, le qui avait constitué un patrimoine familial peut voir tout son travail être défait ou s envoler en frais d avocat. Encore peu sollicité dans les négociations, le est pourtant le mieux placé pour orchestrer une division équitable (et intelligente) des avoirs. Radiographie d un processus de partage du patrimoine, pour mieux comprendre comment et quand intervenir. La société d acquêts Le principe de base de la société d acquêts rejoint celui de la Loi sur le partage du patrimoine familial : «Les biens acquis avant le mariage constituent un bien propre appartenant exclusivement à la personne qui les a obtenus. Ceux acquis pendant le mariage appartiennent au couple, peu importe qui les a reçus, résume M e Guillet. La société d acquêts couvre toutefois beaucoup plus d actifs. Ainsi, les actions non intégrées à un REER sont exclues du partage du patrimoine familial, mais incluses dans la société d acquêts. Il en va de même de l entreprise sous la propriété totale ou partielle de l un des conjoints.» Quant aux héritages et aux dons reçus avant ou pendant le mariage, ils appartiennent en propre à la personne qui les a reçus, et ce, sous le régime de la loi ou de la société d acquêts. «Encore faut-il en avoir gardé la trace au cours des ans», précise M e Pascale Nolin. Le en services financiers est appelé à jouer un rôle important à cet égard, en informant son client des répercussions pécuniaires des dispositions qui s appliquent. Par exemple, un héritage qui a servi à payer des voyages ne peut être récupéré lors d un divorce. Lors du partage, la partie qui affirme avoir reçu un don ou un héritage doit le démontrer. Le doit souvent être en mesure de fournir la réponse en déposant les documents en preuve. La séparation des biens Le régime de la séparation de biens constitue l option de rechange à la société d acquêts. Il est, à certains égards, beaucoup plus souple et fonctionne selon le principe juin 2009 7
Partage du patrimoine lors d une séparation suivant : à chacun ses biens et ses affaires. Par contre, on peut y ajouter des clauses s inspirant largement de la société d acquêts tout en excluant certains actifs, tels que l entreprise de l un des conjoints. Brisons tout de suite une légende urbaine : en matière de partage du patrimoine familial, le temps de cohabitation n a aucun effet juridique. «Pour être couvert par la loi, il faut être officiellement marié ou en union civile», résume M e Guillet. Intégrée au Code civil du Québec en 2002, l union civile ressemble au mariage en séparation de biens. L ABC du partage du Gérard Bérubé Éric Brassard, du cabinet Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés, propose cette liste de quelques aspects à surveiller relativement au partage du patrimoine familial. Les économies d une entente à l amiable En cas de divorce, la meilleure façon de s épargner les coûts exorbitants d un procès consiste à l éviter. Heureusement, il existe plusieurs moyens de parvenir à une entente à l amiable. Les parties peuvent demander à un avocat conjoint de rédiger leur consensus sous forme d entente juridique. La chose est suggérée lorsque les ex-conjoints ne possèdent pas un patrimoine complexe et qu ils conservent une relation harmonieuse. Une partie peut aussi demander à son avocat de négocier une entente avec celui de l ex-conjoint. Le client pourra inclure dans le mandat à son avocat certaines exigences sur ses attentes. La médiation D autres outils permettent aux ex-conjoints de s impliquer plus directement dans l action. La médiation et le droit collaboratif ont en commun de fixer, dès le début des discussions, l objectif de parvenir à une entente. Cela présuppose la capacité des parties de se parler de bonne foi et en toute connaissance de cause. Peuvent être médiateurs en matière familiale les avocats, les notaires, les psychologues, les comptables, les travailleurs sociaux et les orienteurs professionnels. «Le premier rôle d un médiateur, c est d informer les parties, souligne M e Guillet. Je commence mes médiations par un cours de droit familial adapté à la situation particulière du couple. Ces informations fixent les balises des discussions à venir.» Le médiateur n a pas pour mandat de les parties ou de donner des avis juridiques. Il lui est même interdit de le faire. Le principe de la médiation familiale repose sur la volonté des parties de parvenir elles-mêmes à une entente, le médiateur les guidant afin de faciliter les discussions. «Les ex-conjoints comptent généralement sur les services d un juridique, précise M e Guillet, mais celui-ci ne peut participer aux séances de médiation.» Les services d un peuvent aussi s avérer utiles dans le calcul du partage. «Un jour, illustre M e Guillet, j agissais en médiation auprès 8 REER REER ou maison? REER ou compte de banque? Les médiateurs et avocats font souvent une confusion entre avant et après impôts. Ainsi, ils peuvent suggérer de privilégier le REER parce que c est un abri fiscal. Or, «recevoir 100 000 $ hors REER n a pas la même valeur que recevoir 100 000 $ dans un REER. Dans le deuxième cas, une dette fiscale est latente. C est important à retenir, surtout si le conjoint n a pas eu la déduction, s il n est pas dans et hors REER», résume M. Brassard. Régime à prestations déterminées L exercice venant délimiter le partage implique également que l on pousse l évaluation qualitative au-delà des sommes en jeu. Ainsi, 200 000 $ dans un régime de pension à prestations déterminées, garantissant une rente indexée, n équivalent pas la même somme dans un REER. Le second cas implique des efforts de gestion et plus d incertitude. Il faudra alors comparer la qualité des rentes. d ex-conjoints dont la dame ne bénéficiait d aucun fonds de retraite à son travail. Elle était prête à renoncer au partage du fonds de retraite de son mari, d une valeur de 950 000 $, en échange de la résidence familiale valant 150 000 $. La dame, dans la cinquantaine, était mariée depuis 25 ans. Je ne l ai pas conseillée, mais je lui ai posé une question : Que ferez-vous dans 15 ans? Elle a compris que le partage qu elle s apprêtait à accepter ne lui était pas équitable.» «Dans un autre cas, ajoute l avocate, l ex-conjointe a renoncé au partage du fonds de pension de son mari, qui s élevait à 400 000 $. Elle invoquait qu elle recevrait éventuellement un héritage important et que cela constituait son fonds de retraite. Ce partage me semblait équitable.» Ce partage aurait été impossible en procès : le juge décide en fonction de la loi et de la jurisprudence. Or, légalement,
patrimoine réussi Profil du client Si la question du partage du patrimoine s applique à un couple ou si le régime matrimonial est celui de la société d acquêts, il faudrait finalement établir le profil du couple, et non de chaque conjoint pris séparément, suggère Éric Brassard. «Ils se retrouvent dans la même galère. Chacun doit vivre avec les décisions de l autre. Cela nous conduit à raisonner globalement.» Incorporation Lorsqu une incorporation est en jeu, le dividende est souvent privilégié à la rémunération sous forme d un salaire. Ce faisant, un espace REER n étant pas dégagé, le patrimoine familial cesse d augmenter. Par contre, en situation de société d acquêts, la présence d actions d une compagnie privée peut venir enrichir le patrimoine. Quant au RRI? «Ce n est pas payant. Pour que ce le soit, il faut avoir un taux d imposition élevé, pouvoir bénéficier de coûts de services passés, avoir des liquiditéset plus de 45 ans», énumère le spécialiste. Fiducie Le recours aux fiducies est largement répandu, notamment pour les avantages que ces instruments peuvent offrir face aux créanciers et en matière de fiscalité. Or, le capital constituant le patrimoine fiduciaire est normalement exclu du partage. Celui qui n est pas bénéficiaire peut se retrouver démuni ou carrément devant rien. ne s entendent pas sur le partage d un actif spécifique. La consultation des avocats aura tout de même permis de jeter les bases d une discussion visant à parvenir à une décision éclairée.» L entente est enfin complète et satisfait les parties? Reste à la faire homologuer par un juge. À moins de circonstances exceptionnelles, il y donnera son aval. Le droit collaboratif La médiation a l avantage de permettre aux parties de discuter en présence d un spécialiste en la matière, mais en l absence des avocats (et des avocasseries). Le droit collaboratif mise au contraire sur l expertise des avocats. Ici, il n y a plus de médiateur, mais deux avocats qui aideront les parties à parvenir à une entente. «Le droit collaboratif constitue un changement de culture, y compris pour les avocats, opine M e Jean-Bernard Benoît. Les procès mettent en scène des adversaires qui interviennent par la confrontation. En droit collaboratif, les parties et les avocats coopèrent pour parvenir à une entente.» «L avocat de monsieur pourra rappeler que l ex-conjointe pourrait avoir droit à une provision pour frais», illustre M e Marie-Josée Brodeur. À première vue, la possibilité que l avocat de monsieur incite l autre partie à demander que monsieur paie une partie des frais juridiques de madame peut sembler paradoxal, mais cela illustre bien ce qu est le droit collaboratif : tout le processus est orienté vers l atteinte d un règlement. «Les conjoints et les avocats signent un contrat dans lequel ils s engagent à ne pas prendre de recours juridique ou à s en désister si une action est déjà engagée, mentionne M e Brodeur. En cas d échec, les avocats se retirent du dossier; les ex-conjoints le fonds de retraite fait partie du patrimoine familial et doit donc être partagé également, tandis qu un héritage (et encore plus un héritage à venir) n en fait pas partie. Sauf exceptions inscrites à la loi, le juge partagera moitié-moitié. En médiation, ce pourcentage peut varier puisqu il est possible de renoncer à certains partages tant que le résultat n est pas disproportionnellement désavantageux pour une partie. La médiation aboutit à un rapport du médiateur qui rend compte du résultat des discussions entre les parties. «Je suggère toujours aux ex-conjoints de présenter ce rapport à leur avocat afin qu il vérifie si tous les aspects ont été couverts à leur convenance, précise M e Guillet. Il est possible que l une des parties, ou les deux, propose des changements. Il est même possible que les deux avocats juin 2009 9 «Il arrive souvent que le ait géré le portefeuille des deux conjoints. Il est alors bien placé pour dresser un tableau complet des biens acquis avant et pendant le mariage, et de leur valeur actuelle.» M e Suzanne Guillet, avocate
Partage du patrimoine lors d une séparation doivent alors reprendre tout le processus avec de nouveaux avocats, et avec les frais que cela entraîne.» «C est là une pression qui m inquiétait au début, craignant que les parties signent à rabais, mais à l usage, je me rends compte qu il s agit d une saine pression, opine l avocate. Le climat des discussions est serein. De plus, ce Un à la recherche d un avocat en droit familial pour ses clients pourra contacter Hélène Nakache, de l Association des avocats et avocates en droit familial du Québec, 445 boulevard Saint-Laurent, 5 e étage, Montréal, H2Y 3T8. Téléphone : 514-954-3471 ou 1-800-361-8495 poste 3471. Pour obtenir les coordonnées d un avocat spécifique ou d un médiateur, consulter le : www.barreau.qc.ca processus coûte beaucoup moins cher que les ententes hors-cour classiques puisque tout le monde est assis autour de la même table, en même temps, et partage les mêmes informations.» La conférence de règlement à l amiable Dernière option de rechange avant le procès : la conférence de règlement à l amiable, possible uniquement après le dépôt d une procédure devant le tribunal. La séance de discussion réunit les parties et les procureurs, le tout présidé par un juge. Son mandat ne consiste pas à trancher le débat, mais à agir comme médiateur. À la différence de la médiation classique, les avocats assistent aux discussions; contrairement au droit collaboratif, en cas d échec, les parties peuvent continuer les procédures avec 10 le même avocat, mais devant un autre juge. «La conférence de règlement à l amiable constitue un outil très efficace, estime M e Pascale Nolin. Il m arrive d entreprendre des procédures uniquement pour y recourir.» Le rôle du Dans tout ce processus, le en services financiers pourra avoir joué un rôle d informateur, d analyste ou d expert. Il aura par exemple évalué la valeur d un fonds de retraite ou calculé les besoins à long terme d un conjoint. «Il arrive souvent que le ait géré le portefeuille des deux conjoints, constate M e Guillet. Il est alors bien placé pour dresser un tableau complet des biens acquis avant et pendant le mariage, et de leur valeur actuelle.» Les s sont aussi utiles dans la confirmation des projets d entente, qui doivent être entérinés par le tribunal. Le seul moment où il est possible de renoncer en tout ou en partie au partage prévu dans la Loi sur le partage du patrimoine financier, c est lors de la rupture. «Or, souligne M e Brodeur, le projet d entente présenté devant le juge doit démontrer que la partie qui renonce à ses droits les connaît, précise les motifs de la renonciation et est consciente des conséquences de la renonciation. Dans certaines situations, le en services financiers est le mieux en mesure de décrire et de faire comprendre les conséquences de cette renonciation.» Le est moins souvent appelé à contribuer à la stratégie de négociation avec le client et son avocat. D une part, parce qu il lui est difficile de prendre position pour l un des conjoints s il a conseillé les deux membres du couple. D autre part, parce que «la majorité des avocats n ont pas le réflexe de le consulter pour structurer leur position de négociation», reconnaît M e Jean-Bernard Benoît. «Or, ce professionnel pourrait être utile à plusieurs égards, estime M e François Bourdon. Le donnera souvent plus d informations sur le patrimoine familial que le client lui-même. De plus, il s y connaît souvent davantage que l avocat en matière de fiscalité et de préparation à la retraite. Les avocats gagneraient à associer davantage les s à l élaboration de la stratégie de négociation et à la mise en œuvre d une entente.» À lire sur le sujet Prolégomènes à toute relation amoureuse future, p. 25 Je me marie ou pas!, dans notre numéro d avril 2009, p. 26