ETAT DE MAL EPILEPTIQUE DE L ADULTE

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Urgences neurologiques 527 ETAT DE MAL EPILEPTIQUE DE L ADULTE B. Clair, Service de Réanimation médicale, Hôpital Raymond Poincaré, 92380 Garches, France. INTRODUCTION La fréquence des états de mal épileptiques (EDME) est loin d être négligeable : l incidence annuelle a été estimée à environ 40 pour 100 000 aux Etats Unis [1] ; par extrapolation on peut avancer un chiffre de l ordre de 20 000 cas par an en France. Leur mortalité, liée pour une grande part à leurs causes, reste lourde : 14 % chez l adulte jeune, 38 % chez le sujet âgé dans la même statistique américaine [1]. Cependant, comme l ont montré plusieurs enquêtes récentes [2, 3, enquête de la SRLF avant la conférence de consensus de 1995 non publiée], les EDME demeurent imparfaitement connus des médecins pratiquant l urgence et la réanimation. La prise en charge de l EDME généralisé convulsif (EDME-GC), situation la plus grave, constituera l essentiel de cet exposé consacré exclusivement à l adulte. Les particularités des autres variétés d EDME, partielles ou non convulsives, ne seront que brièvement mentionnées. 1. DEFINITION Les manifestations épileptiques évoluent communément sous forme de crises de résolution rapide et spontanée avec retour à l état neurologique antérieur ; leur pronostic ne dépend que de leur cause et du terrain sous jacent. L état de mal s individualise au contraire comme une condition épileptique fixe et durable [4] : les crises se prolongent de façon inhabituelle, continues ou subintrantes, créant des perturbations cérébrales et éventuellement systémiques croissantes, avec des risques vitaux et/ou fonctionnels indépendamment des circonstances étiologiques. Cette durée et cette gravité particulières imposent une prise en charge spécifique. Quelle que soit la présentation clinique, l EDME est souvent défini par la persistance d une activité épileptique pendant au moins 30 minutes. Cette durée apparaît suffisante expérimentalement pour entraîner des lésions neuronales définitives [5, 6]. Cependant en pratique, dans le cas de l épilepsie convulsive généralisée, il n est pas question d attendre 30 minutes pour porter le diagnostic d EDME alors que la durée d une crise simple n excède pas 1 à 2 minutes [7, 8]. C est pourquoi une définition plus opérationnelle a été proposée pour l EDME-GC : 5 à 10 minutes de manifestations motrices

528 MAPAR 1998 continues ou une succession de trois crises sans reprise de conscience, conditions suffisantes pour entreprendre immédiatement le traitement anti-épileptique [9]. Certains individualisent même, en amont de l EDME-GC proprement dit, un «syndrome de menace» à traiter de façon identique lorsque chez un comitial connu les crises convulsives se rapprochent et s intensifient [10]. Le même critère de durée d au moins 30 minutes n est peut-être pas adapté non plus pour définir les EDME non convulsifs généralisés (états d absence) ou partiels (états de mal partiels complexes d origine temporale ou frontale). Ces situations présentent des risques évolutifs moindres qu un EDME-GC ; il est souvent difficile d en dater le début et ils sont vus en règle plus tard. 2. DIAGNOSTIC 2.1. ETAT DE MAL EPILEPTIQUE GENERALISE CONVULSIF La reconnaissance des EDME-GC est de difficulté variable selon le moment de leur prise en charge et le terrain sur lequel ils surviennent. 2.1.1. EDME TONICO-CLONIQUE GENERALISE TYPIQUE Le tableau classique observé en début d EDME chez un patient jusque là conscient prête peu à confusion : les crises tonico-cloniques se succèdent à intervalles variables (3 à 20 en une heure), généralisées d emblée ou après un début focal, et une altération marquée de la conscience persiste entre elles. Ici la présomption clinique est suffisante et la mise en œuvre des thérapeutiques anti-épileptiques n attendra pas de confirmation formelle électroencéphalographique. Cependant, tandis que sont prises les premières mesures symptomatiques, le recueil rapide des principaux éléments d anamnèse et un bref examen du patient doivent permettre d éviter certains pièges : - syncopes convulsivantes en série, liées à un trouble cardiaque conductif ou rythmique paroxystique ; l ECG est donc systématique ; - accès de décérébration parfois accompagnés de trémulations d aspect clonique, en particulier lors d un engagement cérébral (crises toniques postérieures) ; - surtout manifestations extrêmes d une conversion hystérique composant un pseudoétat de mal. L intrication à une véritable épilepsie peut être particulièrement trompeuse mais la notion de troubles psychiques, l existence d épisodes antérieurs identiques doivent attirer l attention. De même l atypie des mouvements, opisthotonos par exemple, la résistance à l examen, l évitement permanent du regard, la conservation des réactions d éveil et l absence de désaturation artérielle en cours de crise. En cas de doute persistant, il faut d urgence pratiquer un EEG car la méconnaissance d un pseudo état de mal pourrait conduire à une dangereuse escalade thérapeutique [11]. 2.1.2. EDME LARVE («SUBTLE STATUS EPILEPTICUS») [12] Lorsqu un état de mal généralisé convulsif est vu tardivement ou qu il survient en réanimation chez un patient déjà comateux, sédaté ou curarisé, il prend souvent un aspect dégradé, larvé, d identification difficile : les manifestations motrices se réduisent alors à de brefs accès toniques axiaux ou à quelques clonies discrètes, espacées, localisées à la face ou aux extrémités ; parfois même un coma avec troubles végétatifs résume la symptomatologie. Les risques majeurs d un retard de diagnostic justifient la réalisation immédiate d un EEG au moindre doute. Cet examen est également indispensable au suivi

Urgences neurologiques 529 de l efficacité thérapeutique et devrait donc être disponible vingt quatre heures sur vingt quatre dans de telles situations. 2.1.3. EDME MYOCLONIQUE L association de myoclonies répétées et d une altération plus ou moins marquée de la conscience s observe au cours d encéphalopathies diverses, anoxiques +++, métaboliques ou toxiques. Elle traduit une souffrance cérébrale qui n est pas toujours de nature épileptique. Seul l EEG peut faire la preuve d un EDME myoclonique ou l écarter, et ainsi guider la thérapeutique. 2.2. EDME NON CONVULSIFS [13] Leur présentation est moins dramatique que celle des EDME-GC. Ils s expriment essentiellement sous la forme d un état confusionnel fluctuant ou permanent, sans spécificité apparente si l on ne remarque pas certains signes, d ailleurs insconstants: automatismes moteurs ou verbaux, discrètes myoclonies périorbitaires, faciales ou des membres. Un délai diagnostique de plusieurs jours n est pas rare. L existence de ces EDME non convulsifs justifie la pratique systématique d un EEG face à toute confusion mentale aiguë. La différenciation formelle des différentes formes, généralisées (états d absence) ou partielles (EDME d origine temporale ou frontale) est également électroencéphalographique et permet d orienter le choix des anti-épileptiques. 3. TRAITEMENT Il associe des mesures symptomatiques générales, l administration d anti-épileptiques et si nécessaire des thérapeutiques propres à la cause de l EDME-GC. Pour l essentiel ses modalités sont les mêmes que la prise en charge se fasse à domicile ou directement en milieu hospitalier. 3.1. TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE 3.1.1. PREMIERES MESURES A PRENDRE IMMEDIATEMENT ET DANS TOUS LES CAS - Prévention des lésions traumatiques : contention du patient pour éviter la chute du lit ou du brancard. - Maintien de la liberté des voies aériennes : insertion non traumatique d une canule du Guedel en phase intercritique. - Oxygénation par masque facial ou sonde nasale sous contrôle de la SpO 2. - Mise en place d un abord veineux périphérique alimenté par du sérum glucosé isotonique. Une seconde voie veineuse entretenue par du sérum salé physiologique sera nécessaire si l on recourt à la phénytoïne. - Mesure de la glycémie capillaire. Une hypoglycémie, rare à ce stade, sera immédiatement corrigée par sérum glucosé hypertonique. - Injection intraveineuse de 100 mg de vitamine B1, au moins chez l éthylique. - Prélèvements sanguins usuels : ionogramme sanguin, calcémie, bilan hépatique, CPK, gaz du sang, (et éventuellement autres examens guidés par la clinique). L acidose métabolique, constante, est sauf exception à respecter. - Mise en route d une surveillance cardiovasculaire étroite. Il existe en effet un risque notable d arythmie cardiaque au cours de l EDME [14].

530 MAPAR 1998 3.1.2. INTUBATION L intubation n est pas systématique car le contrôle de l EDME permet souvent un réveil rapide. Ses indications doivent donc se limiter a : - Une détresse respiratoire (pauses, encombrement majeur, hypoxémie persistante sous O 2 ). - Un coma profond et persistant. - La nécessité d une anesthésie barbiturique (thiopental). Elle doit être considérée comme effectuée à «estomac plein». 3.1.3. TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE D autres perturbations systémiques liées à la prolongation de l EDME peuvent nécessiter une correction : - Collapsus cardiovasculaire succédant à une phase hypertensive initiale. - Hypoglycémie. - Hyperthermie dont l effet délétère, surajouté à celui de l EDME, a été bien démontré sur des modèles expérimentaux [14]. 3.2. TRAITEMENT ANTI-EPILEPTIQUE 3.2.1. BASE DU TRAITEMENT Bien des incertitudes demeurent encore aujourd hui sur la nature du traitement des EDME-GC. Les qualités de l anti-épileptique idéal sont certes bien répertoriées : large spectre d activité, administration par voie intraveineuse, action à la fois rapide et prolongée, facilité d utilisation assurée par une cinétique linéaire et un large intervalle thérapeutique, effets sédatifs et dépresseurs cardiaques et respiratoires limités. Mais aucun produit ne possède toutes ces propriétés. De nombreuses molécules ont été utilisées en pratique clinique : benzodiazépines (diazépam, clonazépam, lorazépam, midazolam), barbituriques (phénobarbital, thiopental), phénytoïne, clométhiazole, valproate de sodium, xylocaïne, paraldéhyde, anesthésiques divers... L expérience accumulée, depuis plusieurs dizaines d années, est importante. Mais les études qui les ont comparées restent rares et ne permettent pas de conclure [15,16]. Malgré cela les recommandations établies dans différents pays convergent largement [5,9,17]. Tous s accordent en particulier sur la nécessité d un protocole précis, «minuté», qui doit éviter de «brûler les étapes», par exemple passer très vite à l anesthésie barbiturique et donc à une réanimation lourde, ou au contraire trop temporiser avec comme conséquence une aggravation des effets systémiques et cérébraux de l état de mal qui perdure et une augmentation de sa résistance au traitement. Les benzodiazépines restent un traitement de première ligne pour leur rapidité d action mais doivent être associées à un anti-épileptique d effet plus prolongé si l on veut éviter la rechute de l EDME. Pour se faire on dispose de la phénytoïne et du phénobarbital. Le choix repose surtout sur les contre-indications de l un ou de l autre et les habitudes personnelles. Il n y a par contre aucune indication à la répétition des doses ou à la mise en route d une perfusion continue de benzodiazépines. En effet, leur accumulation peut être source d effets secondaires importants - troubles de la conscience, dépression respiratoire, collapsus - et leur efficacité apparaît limitée par des phénomènes de tachyphylaxie [17].

Urgences neurologiques 531 Il faut éviter aussi l utilisation comme traitement de première intention, de produits dont l intérêt n a pas été prouvée dans l EDME. C est le cas du valproate de sodium qui n a d ailleurs pas actuellement d AMM dans cette indication et dont l activité antiépileptique ne s exerce que lentement [18]. L échec des médicaments précédents, benzodiazépines + phénytoïne et/ou phénobarbital, après 50 ou 60 minutes d un traitement bien conduit définit l EDME réfractaire. Beaucoup recourent alors à l anesthésie barbiturique, cependant difficile à manier [19]. D autres molécules peuvent trouver leur place à ce stade : clométhiazole, midazolam, anesthésiques volatiles (isoflurane, halothane) ou intraveineux (étomidate, propofol). Par ailleurs, chez un épileptique ancien il est conseillé de ne pas interrompre les traitements en cours mais éventuellement de les adapter en fonction des taux sanguins de médicaments. 3.2.2. SCHEMA THERAPEUTIQUE PRECONISE 3.2.2.1. Premier temps (0 à 30 minutes) Dès que le diagnostic d EDME est posé, débuter l injection par voie intraveineuse à la seringue électrique d une benzodiazépine et d un anti-épileptique d action prolongée. 1) Benzodiazépine - Diazépam (Valium ) : 2 mg minute jusqu à arrêt des convulsions sans dépasser une dose totale de 20 mg. OU - Clonazépam ( Rivotril ) 1 mg à passer en 3 minutes même dose 10 minutes plus tard si persistance ou récidive des convulsions. 2) Anti-épileptique d action prolongée - Phénytoïne (Dilantin ) 18 mg.kg -1 à raison de 50 mg/min sur voie veineuse particulière entretenue par du sérum salé physiologique. Indications : épilepsie connue, insuffisance respiratoire, contexte imposant une surveillance de l état de conscience +++ (ex : traumatisme crânien). OU - phénobarbital (Gardénal ) 10 mg.kg -1 à raison de 100 mg/minute Indications : âge > 60 ans, pathologie cardiovasculaire contre-indiquant la phénytoïne : insuffisance coronarienne sévère, bradycardie, bloc auriculo ventriculaire de haut degré. 3.2.2.2. Deuxième temps (30 à 50 minutes, si les convulsions persistent) Poursuivre l administration de l anti-épileptique d action prolongée déjà débuté : phénytoïne 50 mg.min -1 sans dépasser une dose totale de 30 mg.kg -1, phénobarbital 50 mg.min -1 sans dépasser une dose totale de 20 mg.kg -1 3.2.2.3. Troisième temps (au delà de 50 minutes) c est l EDME réfractaire si les convulsions persistent Administrer l anti-épileptique d action prolongé qui n a pas été utilisé auparavant phénobarbital ou phénytoïne selon les modalités décrites au premier temps.

532 MAPAR 1998 En cas d échec ou d emblée s il existe une contre-indication à la phénytoïne : administration intraveineuse de thiopental (Nesdonal ) 5 mg.kg -1 en bolus puis 50 mg toutes les 5 minutes jusqu à l obtention d un tracé EEG dit de «burst suppression» c est à dire sur lequel ne persiste que des bouffées d ondes espacées sur un fond aplati(ou au moins en l absence d EEG arrêt des convulsions) puis 1 à 5 mg.kg -1.h -1 en fonction du tracé EEG répété au moins toutes les 12 heures. Il existe un risque d hypothension lié à l effet cardiocirculatoire dépresseur du thiopental. 3.2.3. SUIVI DE L EFFICACITE THERAPEUTIQUE Le contrôle de l EDME est apprécié sur des critères cliniques (arrêt des convulsions, amélioration de l état de conscience) et électroencéphalographiques (disparition de l activité paroxystique). Lorsque le réveil rapide du patient témoigne d une évolution favorable, l EEG peut être différé sans inconvénient de 12 ou 24 heures. Mais l analyse des autres situations commande sa réalisation en urgence : - coma persistant qui peut relever aussi bien du non contrôle de l EDME que de son étiologie ou des effets sédatifs des anti-épileptiques ; - sédation ou curarisation préalable à la survenue de l EDME ; - recours à l anesthésie barbiturique. Dans l idéal la disponibilité de l EEG devrait être permanente ; il serait souhaitable que les réanimateurs maîtrisent cette technique simple et sachent faire une première interprétation du tracé en attendant un avis spécialisé. 3.2.4. TRAITEMENT DE RELAIS Un relais par voie entérale est pris dès que l EDME est jugulé, soit avec la phénytoïne ou le phénobarbital déjà en cours, soit avec d autres anti-épileptiques d action prolongée (valproate de sodium,...). Une monothérapie est privilégiée chaque fois que possible. L adaptation des posologies nécessite des dosages sanguins, en particulier pour la phénytoïne dont l intervalle thérapeutique est faible et la cinétique non linéaire. Le cas de l EDME réfractaire est particulier. Ici la fréquence des rechutes à l arrêt du traitement d attaque par thiopental est importante. Il semblerait qu une décroissance progressive des doses sur plusieurs jours associée à un relais par phénobarbital puisse en diminuer le risque [19]. 3.2.5. PARTICULARITES DU TRAITEMENT DES AUTRES FORMES D EDME Les EDME convulsifs localisés (somatomoteurs) possédent le double risque de généralisation secondaire et de séquelles déficitaires en cas de prolongation. Il sont donc à traiter de la même façon que les EDME-GC : benzodiazépine + phénytoïne ou phénobarbital, administrés en intraveineux. Pour les EDME non convulsifs, les benzodiazépines intraveineuses constituent le traitement de première intention. Leur efficacité est un véritable test diagnostique dans l état d absence classique mais elle est plus aléatoire dans les EDME partiels complexes qui relèvent alors de la phénytoïne. 4. ENQUETE ETIOLOGIQUE Débuté parallèlement aux premiers soins, l interrogatoire de l entourage recueille un renseignement primordial pour orienter les recherches étiologiques : la notion ou non d une comitialité antérieure.

Urgences neurologiques 533 4.1. EPILEPSIE CONNUE (Epilepsie connue : 54 % des cas chez l adulte jeune 30 % chez le sujet âgé (chiffres tirés de la référence 1, tout comme les pourcentages suivants) Quelle qu en soit l origine toute épilepsie peut se compliquer d EDME. L enquête doit d abord dans ce cas se centrer sur la recherche d un ou plusieurs facteurs déclenchants : sevrage ou sous dosage en anti-épileptiques (dosage des médicaments en cours) (34 %), intoxication éthylique aiguë (détermination d alcoolémie) ou sevrage alcoolique (13 %), privation de sommeil, prise de médicaments à risque convulsivant, infection intercurrente (7 %). En l absence d élément déclenchant évident, la démarche devient la même que pour l EDME inaugural : recherche d un trouble métabolique, scanner... 4.2. ETAT DE MAL INAUGURAL Les pathologies aiguës sont ici à envisager en premier lieu : - systémiques (troubles métaboliques : hyponatrémie, hypoglycémie (15 %), anoxie (5 %), prise de toxiques convulsivants, sevrage en benzodiazépines, éclampsie...) ; - ou cérébrales (accidents vasculaires (22 %), tumeurs (7 %), traumatismes crâniocérébraux (3 %), infections neuroméningées (3%)). La vérification de la glycémie, de la natrémie et de la calcémie est systématique. Un scanner cérébral est indiqué, dès cessation des convulsions, en contexte post-traumatique ou post chirurgical, face à des symptômes d hypertension intracrânienne ou des signes cliniques et/ou électriques focaux, et plus généralement devant tout EDME inaugural d origine indéterminée. L existence d un contexte infectieux impose la ponction lombaire, après scanner si l on craint un abcès ou un empyème ; mais la présence de quelques dizaines d éléments par mm 3 dans le LCR est possible en dehors de toute infection. Plus rarement l EDME vient témoigner de lésions cérébrales anciennes (accidents vasculaire cérébral, atteinte post-traumatique). Parfois aucune cause n est retrouvée. 5. PRONOSTIC 5.1. ROLE DU CONTEXTE ETIOLOGIQUE L influence prépondérante de la cause de l EDME sur son évolution permet de comprendre les taux de mortalité encore observés actuellement : 11 à 23 % selon les séries [1, 2, 20]. Certains ont d ailleurs défini deux groupes de pronostic très différents, l un composé de patients atteints d une pathologie aiguë évolutive, l autre de ceux qui en étaient indemnes : 32,7 % de décès ont été ainsi observés pour les premiers, 8,6 % pour les seconds [20]. Il est difficile de reconnaître les rôles propres de l EDME et de son étiologie sur la survenue de séquelles - déficits neurologiques, détérioration mentale, épilepsies rebelles. Leur fréquence est d ailleurs mal connue. 5.2. AUTRES FACTEURS DE MAUVAIS PRONOSTIC Outre l étiologie apparaissent péjoratifs un âge avancé [20] et surtout une durée de l EDME supérieure à 1 heure [20], ou à 4 heures [2], ainsi qu une thérapeutique insuffisante [2]. Ces dernières constatations permettent d insister en conclusion sur l intérêt d un protocole thérapeutique précis, au mieux écrit, pour une prise en charge optimale de l EDME.

534 MAPAR 1998 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] De Lorenzo RJ, Pellock JM, Towne AR, Boggs JG. Epidemiologie of Status epilepticus. J Clin Neurophysiol 1995;12(4):316-325 [2] Scholtes F, Renier WO, Meinardi H. Genralized convulsive status epilepticus: causes, therapy and outcome in 346 patient. Epilepsia 1994;35(5):1104-1112 [3] Walker MC, Smith SJM, Shorvon SD.The intensive care treatment of convulsive status epilepticus in the UK. Anaesthesia 1995;50:130-135 [4] Gastaut H. Dictionnaire de l épilepsie, partie 1 : définitions. Genève, Organisation Mondiale de la Santé, 1973 [5] Treatment of convulsive status epilepticus recommendations of the Epilepsy Foundation of America s Working Group on Status Epilepticus. JAMA 1993;270:854-859 [6] Shorvon S.Status Epilepticus: its clinical features and treatment in children and adults. Cambridge, England: Cambridge University Press,1994 [7] Ramsay RE. Treatment of status epilepticus. Epilepsia 1993; 34(suppl 1):71-81 [8] Lowenstein DH, Alldredge BK. Status epilepticus. N Eng J Med 1998, 338(14):970-976 [9] Gajdos Ph. Prise en charge de l état de mal épileptique (Enfants-Adutes). XIV conférence de Consensus en Réanimation et Médecine d Urgence. Le Kremlin Bicêtre, 23 juin 1995 [10] Rémy C, Favel P. Essai d identification d un syndrome de menace des états de mal épileptiques chroniques en institution. Rev EEG Neurophysiol Clin 1984;14:181-185 [11] Howell SJ, Owen L, Chadwick DW. Pseudostatus epilepticus. QJ Med 1989;266:507-519 [12] Treiman DM, De Gorgio CM, Salisbury SM, Wickboldt CL. Subtle generalized convulsive status epilepticus. Epilepsia 1984;25:653 [13] Kaplan PW. Non convulsive status epilepticus in the emergency room. Epilepsia 1996;37(7):643-650 [14] Fountain NB, Lothman EW. Pathophysiology of status epilepticus. J Clin Neurophysiol 1995;12(4):326-342 [15] Leppik IE, Derivan AT, Homan RWWalker J, Ramsay RE, Patrick B. Double-blind study of lorazepam and diazepam in status epilepticus. JAMA 1983;249:1452-1454 [16] Shaner MD, Mc Curdy SA, Herring MO, Gabor AJ. Treatment of status epilepticus: a prospective comparison of diazepam and phenytoin versus phenobarbital and optional phenytoin. Neurology 1988;38:202-207 [17] Shorvon S.Tonic clonic status epilepticus. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1993;56:125-134 [18] Holle LM, Gidal BE, Collins DM. Valproate in satus epilepticus. Ann Pharmacotherapy 1995;29:1042-1044 [19] Krishnamurthy KB, Drislane FW. Relapse and survival after barbiturate anesthetic treatment of refractory status epilepticus. Epilepsia 1996;39(9):863-867 [20] Towne AR, Pellock JM, Ko D, De Lorenzo RJ. Determinants of mortality in status epilepticus. Epilepsia 1994;35:27-34