Or, les solutions de transport durable ne résoudront pas à elles seules les contradictions dans lesquelles nous sommes placés.



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Transcription:

Introduction Approfondir la question du transport durable, c est aussi aborder celle de la mobilité. La mobilité est une fin, les transports sont un moyen de la satisfaire. Notre boulimie de mobilité participe de l essence vitale humaine et sociale, au même titre que se nourrir, se vêtir, échanger des idées ou des biens, consommer et évacuer, etc. Pour l ensemble de ces activités, l humanité est confrontée à l enjeu essentiel d un développement harmonieux permettant de disposer d un niveau de bien-être compatible avec les ressources limitées et fragiles de notre environnement. Or, les solutions de transport durable ne résoudront pas à elles seules les contradictions dans lesquelles nous sommes placés. D une part, la croissance démographique de la planète se poursuit de manière effrénée, et cette évolution place les acteurs divers (monde politique, économique, médias), ainsi que l inconscient collectif, dans une sorte de schizophrénie qui nous interpelle : aucun moyen de transport n est durable à l échéance d une explosion exponentielle de la quantité de transport consommée, lorsqu on multiplie les niveaux de consommation actuels par les taux de croissance de population observés ; ce constat alarmant et bien identifié est pourtant assorti de tendances individuelles à davantage consommer du transport, pour satisfaire ses propres besoins ou désirs de mobilité, ainsi que de l objectif politique de rendre cette consommation accessible à tous, en l alignant de préférence sur celle des mieux lotis. D autre part, la technologie peut apporter le meilleur comme le pire en matière de «soutenabilité» du transport (transport sustainability 1 ) : le meilleur, par le développement de solutions efficaces et économes pour faciliter, simplifier et 1. Notons que cette caractéristique de la technologie n est évidemment pas la panacée du transport.

10 Les transports durables accompagner l acte de transporter ; le pire, par le déploiement et la dilapidation des ressources nécessaires pour accompagner le gigantisme de certaines des solutions nouvelles qu autorise la technologie : plus rapide, plus loin, plus accessible ; donc plus énergivore et «espacivore», plus polluant, plus bruyant, omniprésent dans l espace et dans le temps, et impactant tous les aspects de la vie quotidienne, de la vie sociale et de l intimité. La période actuelle est cependant aussi caractérisée par la capacité de connecter les objets et les données qui constituent notre espace quotidien. Cette tendance récente mais profonde n est évidemment pas sans bouleverser notre relation au transport. Là où nous produisions et utilisions des véhicules circulant sur des infrastructures, nous sommes confrontés désormais à des systèmes connectés, intégrant des couches superposées d «intelligence» ; les solutions «traditionnelles» reposant sur des {produits-objets physiques} (ici, les véhicules de transport) ont donc vécu. Cette intégration d intelligence connectée aboutit progressivement à des interactions multi-acteurs, multi-secteurs, qui produisent de nouveaux objets combinant le virtuel au réel, et tournés vers les usages : les solutions de transport, les systèmes de mobilité. Dans le même mouvement, notre relation à la mobilité se trouve impactée, avec ses incidences sur la demande de transport et sur l évolution de la typologie de cette demande. Par exemple, davantage que d acheter, pour le posséder, un moyen de transport individuel, nous pouvons rechercher à satisfaire un besoin de mobilité. Les conséquences sur le marché de l automobile, qui perd (au moins partiellement) son statut d objet propriétaire, sont majeures. Les conséquences sur les modèles économiques structurant le marché du transport, également. Cet ouvrage propose des pistes de réflexion pour mieux appréhender différents aspects intervenant pour promouvoir des transports plus durables. Chapitre 1 Tout d abord, quels sont les fondamentaux du transport durable? Le transport, qui fournit les moyens de déplacer des personnes ou des marchandises entre l ensemble des points d origine et l ensemble des points de destination, se positionne au cœur d autres canaux qui lui sont complémentaires : du côté de l énergie, le canal «du puits à la roue» ; pour les matériaux, le canal «du berceau à la tombe» ; en ce qui concerne l intelligence, le canal «du capteur au service». Pour être durable, le transport doit donc intégrer les moyens d assurer la compatibilité entre la consommation de transport qui satisfait la mobilité, et la conservation des ressources qu il mobilise, tout en tirant le meilleur parti de l accès à l intelligence. Ces ressources sont l espace, l énergie, la matière (l air, l eau, les minéraux, etc.).

Introduction 11 Si les solutions doivent puiser dans l innovation technologique, divers ingrédients conditionnent cependant la réussite d une inflexion vers des choix plus «raisonnables». Le remplacement de l énergie fossile carbonée (pétrole et gaz naturel) par une énergie renouvelable en constitue la pierre d achoppement principale. Cette question est loin de ne concerner que le transport, mais celui-ci est massivement impliqué ; car le transport utilise presque exclusivement des carburants liquides (essence, gazole, kérosène, fioul lourd), du fait de leur densité énergétique excellente et de leur flexibilité pour des applications embarquées mobiles. Le remplacer (progressivement) par des sources énergétiques alternatives est particulièrement urgent, mais également problématique car il faut intervenir de manière coordonnée à tous les niveaux du système, et certains modes de transport s y prêtent plus que d autres. Cependant, il nous faudra nuancer la pertinence des différentes pistes envisageables (électricité, biocarburant liquide ou gazeux, hydrogène, etc.), tant il apparaît que l arbre dans ce domaine peut cacher la forêt : il s agit de bien comprendre l articulation entre l énergie primaire (produite à la source) et l énergie secondaire (utilisée par le transport sous une forme embarquée). Nous verrons également que les volets humain et social comportent d autres incidences à l impact plus direct que celui du changement climatique : les questions liées à la sécurité (notamment routière), l impact sur la santé et sur la gêne, la sûreté et la qualité de service, le confort, ont naturellement une place considérable dans la problématique du transport durable, qui doit permettre d en minimiser les effets négatifs. Chapitre 2 Nous aborderons ensuite l analyse de l évolution profonde et d une grande actualité en ce qui concerne les véhicules de transport, en prenant l exemple du véhicule routier, qui nous semble bien représentatif des tendances d ensemble. Les technologies de l information et de la communication bousculent et même révolutionnent la manière de concevoir un véhicule, qu il circule sur route, sur rail, sur l eau ou dans l air. Mais les technologies relatives à l énergie, aux structures et aux matériaux ne sont pas en reste. Leur assemblage, leur packaging nécessitent des méthodologies de conception impliquant le travail collaboratif de multiples métiers d ingénierie et de design. On peut ainsi imaginer des véhicules aux performances largement décalées par rapport à celles des décennies précédentes, en améliorant fortement leur empreinte environnementale (grâce à l allégement, à l efficacité énergétique, à la recyclabilité, à la qualité acoustique, etc.), leur sécurité, leur intelligence. Nos capacités d anticipation sont cependant limitées aux perspectives

12 Les transports durables temporelles inscrites dans les feuilles de route des laboratoires et des industriels qui développent ces technologies (rarement au-delà de 20 ans). Les nouveaux véhicules utilisent des systèmes énergétiques diversifiés dont les émissions gazeuses et sonores sont fortement réglementées, et qui se sont considérablement améliorés sur le plan des émissions «locales» (oxydes d azote, particules, bruit, etc.). L électricité y assure des fonctions omniprésentes. D une part, elle devient l énergie de référence pour la régulation et le pilotage des commandes et des systèmes embarqués sur les véhicules. Surtout, elle s affiche comme l alternative aux motorisations thermiques, et a déjà acquis en tant que telle des positions remarquables. Mais il faut se garder de la positionner comme le seul «moteur» possible des véhicules de demain (sinon d après-demain), car il faut la stocker pour pouvoir l utiliser à bord. Du fait de leur grande variété, les véhicules exigent des motorisations spécifiques, et les moteurs thermiques y ont toujours de l avenir, pris isolément ou bien en combinaison dans une hybridation associant (par exemple) énergie thermique et électricité. Nous exposerons la tendance affirmée vers l utilisation de l énergie décarbonée (ou plus faiblement carbonée), grâce à une panoplie de solutions énergétiques pour satisfaire la diversité des usages. Certains usages sont particulièrement propices, mais ce n est pas le cas de tous. A l ère des «transports intelligents», un autre volet essentiel de l évolution des véhicules concerne l homme-maître à bord : celui-ci partage désormais sa fonction de pilote (ou de conducteur) avec des systèmes électroniques. Ici aussi, le chemin est partiellement jalonné, mais la progression est incertaine. On peut penser et réaliser le véhicule tout-automatique, qui se déplace et qui décide «tout seul». Mais sa mise en œuvre réelle et banalisée n est pas pour demain, en dehors d infrastructures dédiées ou de sites contingentés. En attendant, les interfaces homme-machine pour la conduite ou le pilotage du véhicule sont des fonctions particulièrement sensibles, qui interviennent de manière profonde dans le développement d aides à la conduite pour réduire les risques d accidents et la consommation énergétique, et qu il convient de bien concevoir pour les rendre conformes aux besoins et aux contextes d usages. Chapitre 3 Cependant, le véhicule n est qu un des éléments du système de transport. Qu estil sans son infrastructure? Qu est-il aussi sans des règles qui en assurent la bonne gestion? Il faut en effet considérer la question centrale des infrastructures, ainsi que leur mode d organisation, de hiérarchisation, et d exploitation. Les infrastructures (routières, ferroviaires, portuaires, aéroportuaires, etc.) consomment de l espace en abondance, et elles induisent en outre une empreinte environnementale sur les territoires qui les bordent. Il faut les dimensionner non seulement pour les flux

Introduction 13 qu elles doivent débiter en section courante, mais aussi pour les stationnements des véhicules, pour les échanges intermodaux et internodaux à leurs extrémités, et pour leurs interfaces. Quant aux circulations de véhicules sur ces infrastructures, leur densité variable influe sur leur capacité d écoulement : trop de véhicules induisent des phénomènes de saturation qui entraînent l écroulement de la performance des sections d infrastructure (la congestion). Les procédures d exploitation (surveillance, signalisation, intervention, etc.) veillent à assurer la sécurité, la performance en flux, mais aussi œuvrent désormais pour minimiser l impact environnemental. Il convient donc d appréhender le système de transport dans sa structuration d ensemble : le contexte est multimodal, route, rail, voies navigables et aériennes coopèrent. Il y a une hiérarchie entre les divers éléments, on peut en quantifier les effets sur le plan de l empreinte environnementale. On vise à favoriser un écoulement fluidifié, vertueux, calmé et efficace à travers les réseaux : les schémas de transport mettent en évidence les performances respectives comparées de divers scénarios, sur courte distance ou sur longue distance, ainsi que de diverses organisations de transport : individuel, collectif, massifié, etc. L analyse systémique fait apparaître des invariants qui se reproduisent à différentes échelles de territoire, de celle du quartier à celle de l espace intercontinental. Elle montre une similitude formelle entre le transport des personnes et celui des marchandises. Elle démontre que les segments de transport (les corridors), et les nœuds de transport (les plateformes qui assurent les échanges et les connexions), ont une importance équivalente. Elle permet de proposer une démarche pour esquisser des schémas de transport durable, combinant infrastructures, modes de transport, véhicules, organisation : il convient de minimiser l impact environnemental à la fois de chacun des éléments, mais aussi de l ensemble du système à ses différentes échelles, ce qui peut amener à des compromis intermédiaires : il faut assurer un drainage local par des voies capillaires, l accompagner d une massification globale sur des corridors pertinents à chaque échelle de territoire, en dimensionnant les «tuyaux» en fonction des mobiles qu ils écoulent et des territoires qu ils traversent. Il faut parallèlement contribuer à faire évoluer la définition et la configuration de ces mobiles (les véhicules), et l organisation de leur exploitation. Chapitre 4 Mais peut-on organiser la mobilité soutenable? Ceci suppose d établir l état des lieux de la mobilité, et l arbre des causes. Diverses méthodes d analyse permettent de déterminer les caractéristiques de la mobilité, celle des villes comme celle des territoires interurbains, celle des personnes comme celle des marchandises (la supply chain), et d en comprendre les motivations. Par exemple, les déplacements domicile-

14 Les transports durables travail sont un moteur essentiel de la mobilité urbaine des personnes. Or, ils sont conditionnés par une variété de facteurs, parmi lesquels l implantation territoriale des activités et des logements, ou encore les usages associés à des organisations du travail, ou à des comportements culturels individuels ou collectifs. Certains sont des facteurs à évolution lente (tel l aménagement urbain), mais d autres ont des dynamiques beaucoup plus rapides (telle l explosion récente de l e-commerce, ou le télétravail). Nous disposons d ores et déjà d une panoplie d outils : le principe de massification, s il est appliqué de manière efficace, nous semble fondateur d une mobilité apaisée, car il permet d augmenter de manière considérable la performance d un moyen de transport. La mobilité soutenable va également bénéficier de l explosion des services de mobilité. On peut les construire à partir de données d une grande diversité (cloud, big data), dont l élaboration et l exploitation vont produire des services potentiellement très performants. Il faut tenir compte du rôle des autorités publiques, dont les réglementations (trop) nombreuses engendrent des dispositifs techniques et financiers de contrôle, de restriction et d optimisation des accès aux infrastructures et aux territoires urbains. La diversité des modes de transport produit une offre de mobilité dont l articulation est perfectible, entre modes doux «actifs», modes motorisés individuels, modes organisés collectifs, modes massifiés. Leur complémentarité potentielle est avérée, mais également leur impact très différencié sous l angle de la performance écologique et sociétale. Il convient aussi de veiller à l affectation des ressources d infrastructures nécessaires au niveau des interfaces entre modes de transport (les plateformes d échange), qui peuvent conduire à juxtaposer harmonieusement services de mobilité et services de proximité. La mobilité des personnes et la logistique du fret engagent des organisations très différenciées, que l on peut faire progressivement évoluer, qu il s agisse de la ville ou de la grande distance. Leur mise en convergence pourrait nous inspirer car chacune recèle des best practices au potentiel peut-être insuffisamment exploité. Elles concernent les technologies des différents modes (route-rail-eau-air) mais aussi leur organisation, leur articulation (mixité, juxtaposition, etc.), et leur structuration (corridors, plateformes, gouvernance). On peut ainsi proposer de réelles innovations dans le domaine des systèmes de transport. Chapitre 5 Les projets de développement technologique pour les systèmes de transport durable font légion. Ils introduisent un mot-clé pour leur mise en œuvre opérationnelle : concertation. Celle-ci est en effet indispensable pour déployer des solutions de transport durable, qui doivent associer de manière cohérente l ensemble des briques

Introduction 15 systémiques indispensables : véhicules, infrastructures, services, processus d exploitation, énergie, intelligence. Du côté de l énergie, le déploiement de l électricité nécessite des stations de rechargement électrique ayant des performances compatibles avec les véhicules et leurs usages : lents ou rapides, avec ou sans contact, en statique ou en dynamique Irons-nous vers les autoroutes électriques, qui permettraient de débiter en continu l électricité nécessaire aux mobiles routiers? Mais d autres solutions énergétiques s affichent, à commencer par les carburants «traditionnels» issus de filières énergétiques revisitées. Le gaz naturel comprimé ou liquéfié a des ambitions nouvelles, l hydrogène continue de piétiner mais son décollage est possible, même probable. Du côté de l architecture des véhicules, les contraintes de portance, de maintien en trajectoire, de chargement, aboutissent à des propositions nouvelles concernant les modules de transport, les véhicules individuels, les systèmes collectifs organisés, les infrastructures. Du côté de l intelligence, un bouquet de projets européens sur les transports intelligents (les ITS) produit progressivement les ingrédients nécessaires à leur mise en œuvre et à leur déploiement. Mais, à l ère du véhicule connecté, l homme restera-t-il maître à bord? L infrastructure de transport poursuit sa mutation, ainsi que ses interfaces intermodales. En l associant au développement des services, on voit apparaître de nouveaux objets systémiques préfigurant le transport durable, incluant des innovations en exploitation. Le chaînage des systèmes en une solution de mobilité implique de passer du concept au déploiement. Il suppose une volonté politique pertinente et pérenne, compatible avec des fondamentaux économiques : prix et sécurité de l énergie, compétitivité, sensibilité écologique, internalisation des coûts externes, capacité d investissement, territorialité, réseaux sociaux et politiques locales. Les projets en cours démontrent un potentiel d infléchissement très rapide vers des solutions alternatives, sans nécessité de mobiliser des investissements massifs en équipements ou en infrastructures : tout peut aller très vite à l ère du traitement de l information, de l accès aux «connaissances», de la proximité entre solutions et usages. Mais de nouveaux business models sont escomptés, si l on veut parvenir à l intégration systémique basée sur les nouvelles technologies de l information et de la communication, à l innovation organisationnelle. Chapitre 6 Dans ces conditions, comment conduire la convergence politique entre des exigences sociétales multiples générant des contraintes souvent contradictoires sur l évolution du transport? Il s agit de réussir l articulation et le consensus entre les différents niveaux d échelle des territoires et de leurs organisations, du niveau local (celui d une rue, d une commune) au niveau global (celui de la planète). Et

16 Les transports durables réciproquement, il faut se mettre d accord sur les objectifs de contingentement des émissions de gaz à effet de serre, et les répartir du niveau global au niveau local, «des objectifs de Kyoto au Plan climat d une métropole urbaine». Les outils développés dans les grandes «régions» du monde se déploient différemment, même si la globalisation dans ce domaine fait l objet de travaux toujours besogneux, mais néanmoins actifs. La «région» Europe a développé un ensemble d instruments top-down : les soutiens à la recherche (PCRD, Horizon 2020) à coups de partenariats {public-privé}, le soutien à l investissement, l élaboration de feuilles de route, l élaboration de directives réglementaires, et leur mise en œuvre. Le Livre blanc sur la politique des transports (White Paper on Transport Policy) propose des principes structurants en matière de politique des transports, il s accompagne de plans d action sur la mobilité, sur la mise en œuvre de systèmes de transport intelligents, sur la sécurité routière, sur le transport de fret et la logistique, etc. A l échelle des régions européennes et des villes européennes, des principes bottom-up s établissent également. Quant à l échelle (finalement intermédiaire) des états, l exemple de la France illustre comment ils cherchent à fournir de la cohérence, et quels compromis résultent des spécificités d une politique associant objectifs écologiques et économiques. L investissement en équipements, infrastructures, véhicules, systèmes de transport vertueux, s accompagne du développement et du déploiement de services d aide à la mobilité dont l effet est plus immédiat et l impact environnemental, social, et politique plus rapidement perceptible. Conclusion et orientations Au total, la difficulté réelle d établir des solutions de transport durable nous met au cœur de nos contradictions : contradictions entre objectifs au niveau individuel et au niveau collectif, pour le court terme et pour le long terme. En effet, nous ne sommes pas en accord : au sein de nous-mêmes individuellement, en tant que consommateurs, contribuables, usagers du transport, etc. ; entre nos communautés, qu elles soient territoriales, politiques, économiques, pour demain ou pour aprèsdemain. Comment dans ces conditions s ériger devin pour paver l avenir des transports? Quelle est notre capacité de prévoir? La recherche de l efficacité est un prérequis, mais la définition de l efficacité varie selon les contextes et les perspectives. La bonne conduite du jeu d acteurs, entre puissances publiques et initiatives privées, est un vecteur de réussite. Le transport requiert de l espace, de l énergie et de la matière, dont il nous faut contingenter la dépense. La modernité a ajouté l intelligence, avec laquelle seule peut s imaginer le transport durable : pas

Introduction 17 seulement l intelligence technologique, mais d abord l intelligence de notre pensée d humanité. Cet ouvrage présente donc des éléments de contexte, il propose des outils. Mais aussi il met en garde contre une lecture linéaire de la question du transport durable. L interaction des causes et de leurs effets, l imbrication des disciplines et des domaines concernés, la prise en compte de l échelle des distances et de l échelle des temps, la diversité des territoires géographiques et culturels, tout démontre la complexité de la réponse ou des réponses possible(s).