FASCICULE 2 Classification des immeubles



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FASCICULE 2 Classification des immeubles Pierre-Claude LAFOND Professeur titulaire, Faculté de droit, Université de Montréal À jour au 1 er mai 2011 POINTS-CLÉS 1. La distinction entre les biens meubles et les biens immeubles constitue non seulement une division fondamentale qu établit le Code civil, mais elle connaît de nombreux intérêts pratiques dans l application du Code ou d autres lois (V. n os 1 à 12). 2. Le Code civil reconnaît cinq catégories distinctes d immeubles : les immeubles en raison de leur nature, les immeubles par adhérence au sol, les immeubles par intégration, les immeubles par attache ou réunion matérielle, et les immeubles par qualification de la loi (V. n o 14). 3. Les immeubles en raison de leur nature sont les fonds de terre, les végétaux et les minéraux (V. n os 15 à 19). 4. Le procédé d immobilisation d un bien par adhérence au sol (art. 900 C.c.Q.) obéit à trois conditions de réalisation : la présence d une construction ou d un ouvrage, l adhérence au sol et le caractère permanent du bien (V. n os 20 à 24). 5. Le procédé d immobilisation d un bien par intégration (art. 901 C.c.Q.) connaît trois conditions de réalisation : l incorporation à une construction ou à un ouvrage, la perte de son individualité et l assurance de l utilité de l immeuble auquel il est incorporé (V. n os 25 à 34). 6. Dans l appréciation du caractère d utilité de l immeuble, il est permis de considérer la vocation ou la destination architecturale de l immeuble (V. n o 31). 7. Le procédé d immobilisation d un bien par attache ou réunion se réalise au terme de cinq conditions : la présence d un immeuble, une attache ou une réunion matérielle liant le bien meuble à l immeuble, la conservation de l individualité du bien meuble (5985) 2 / 1 Août 2011

I. Biens et l absence d incorporation, un lien à demeure, et une fonction assurant l utilité de l immeuble (V. n os 35 à 44). 8. Les biens servant à l exploitation d une entreprise ou au développement de ses activités ne peuvent être immobilisés, ni par intégration ni par attache ou réunion, à moins qu ils ne servent de manière effective l utilité de l immeuble (V. n os 32 et 42). 9. D autres lois particulières peuvent déroger aux règles du droit commun et prévoir leurs propres définitions et conditions de qualification des immeubles (V. n o 44). 10. Le Code civil et d autres lois qualifient d immeubles certains biens incorporels, notamment les droits réels qui portent sur des immeubles, les actions qui cherchent à les faire valoir et celles qui visent à obtenir la possession d un immeuble (V. n os 45 à 48). TABLE DES MATIÈRES Introduction : 1 I. Intérêts pratiques de la distinction entre les biens meubles et les biens immeubles : 2-12 A. Intérêt d ordre général : 2 B. Intérêts sectoriels : 3-12 II. Classification des immeubles : 13-48 A. Présentation générale : 13-14 B. Immeubles en raison de leur nature : 15-19 1. Définition : 15 2. Illustrations : 16-19 C. Immeubles par adhérence au sol d une construction ou d un ouvrage à caractère permanent : 20-24 1. Procédé d immobilisation : 20 2. Conditions d immobilisation : 21-24 D. Immeubles par intégration d un bien meuble à une construction ou à un ouvrage : 25-34 1. Procédé d immobilisation : 25-26 2. Conditions d immobilisation : 27-32 3. Illustrations : 33 4. Fin de l immobilisation : 34 E. Immeubles par attache ou réunion matérielle d un bien meuble à un immeuble : 35-43 1. Procédé d immobilisation : 35-36 2. Conditions d immobilisation : 37-42 3. Fin de l immobilisation : 43 (5985) 2 / 2 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles F. Immeubles par qualification de la loi : 44-48 1. Définition : 44 2. Illustrations : 45-48 INDEX ANALYTIQUE Accession, 36, 41 Acte notarié, 5, 8 Action (en justice), 44, 46, 47, voir aussi Prise en paiement Bornage (en), 46 Confessoire, 46 Délaissement forcé (en), 46, 47 Hypothécaire, 46 Mixte, 3 Négatoire, 46 Personnelle, 3, 46 Pétitoire, 46 Possessoire, 47 Réelle, 3, 46 Revendication (en), 46, Activités d une entreprise, voir Entreprise Adhérence au sol, 21, 23, 24 Appareils électroménagers, 31, 42 Assurance, 9, 45 Bail, 6, voir aussi Crédit-bail Locataire, 26, 41 Bâtiment, 22, 42 Bien Corporel, 1, 10, 15 Incorporel, 2, 44 Concomitance de propriété, 35, 41 Construction, 20-26, 34, 35, 38, 42, voir aussi Ouvrage Crédit-bail, 6 Demeure (à), 21, 28, 37, 41, 43 Destination architecturale de l immeuble, voir Vocation architecturale de l immeuble Détachement, 34, 43 Détention, 47 Donation, 8 Droit International privé, 10 Personnel, 13 Réel, 4, 6, 13, 44-46 Romain, 1 Transitoire, 42 Emphytéose, 45 Enlèvement sans bris, 28, 39 Entrepôt, 22, 31 Entreprise (exploitation d une), 2, 6, 42 Utilité (de l ), 32, 42 Fiscalité, 2, 12 Loi sur la fiscalité municipale, 2, 12, 42 Fonds de terre, 5, 16-20, 23, 25, 26, 38, 42 Hypothèque, 36, 45 Immobilière, 5, 7, 25, 35, 42, 46 Indemnités d assurance (d ), 45 Légale de construction, 5, 25, 26 Loyers (de), 45 Mobilière, 5, 6, 7, 25, 32, 35, 42 Immeuble En raison de leur nature, 14-19 Intégrité (de l ), 27, 42 Par adhérence au sol, 14, 20-24, 36 Par attache ou réunion matérielle, 5, 13, 14, 24, 35-43 Par destination, 13, 35, 42 Par intégration, 5, 14, 23, 25-36, 38, 39, 42, 43 Par qualification de la loi, 14, 44-48 Utilité (de l ), 24, 27, 30-32, 42 Immobilisation Au second degré, 25 Conditions, 2, 21, 22, 24, 27, 37, 41, 42 Fin, 34, 43 Phénomène, 5, 20 Portée, 26 Procédé, 20, 23-26, 28, 32, 35, 36, 38-42, 44 Locataire, locateur, voir Bail Lois particulières Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, 2, 12 Loi sur la fiscalité municipale, 2, 12, 42 Loi sur la protection du consommateur, 11 Loi sur la taxe de vente du Québec, 2 Loi sur les mines, 45 (5985) 2 / 3 Août 2011

I. Biens Maison Flottante, 2 Mobile, 2, 24, 41, 42 Matériaux de construction, 5, 28 Meuble par anticipation, 18 Minéraux, 16, 19, 20 Loi sur les mines, 45 Mutations immobilières, voir Loi concernant les droits sur les mutations immobilières Ouvrage, 20-26, 34, 35, 38, 42, voir aussi Construction Perpétuelle demeure (à), voir Demeure Piscine, 24, 42 Pont, 22, 24 Possession Immeuble (d un), 7, 47 Meuble (d un), 7, 8 Présomption de propriété, 4 Priorité de titre, 4 Prescription, 7, 46 Acquisitive, 7 Extinctive, 7 Preuve, 4 Prise en paiement, 5, 46 Procédure civile, 3 Protection du consommateur, voir Loi sur la protection du consommateur Publicité des droits, 6 Registre des droits personnels et réels mobiliers, 6, 42, 45 Registre foncier, 4, 6, 25, 26, 42, 45 Rachat (faculté de), 6 Registre des droits personnels et réels mobiliers, voir Publicité des droits Registre foncier, voir Publicité des droits Règlements municipaux, 2 Res mobilis, res vilis, 2 Roulotte, voir Maison mobile Saisie, 3, 26, 35 Saisie avant jugement, 3 Saisie-revendication, 26 Service d une entreprise, voir Entreprise Servitude, 45, 46 Succession, 10 Sûreté, 5, 10, 26, 32, 35, voir aussi Hypothèque Usage, voir Usufruit Usufruit, 45 Végétaux, 16, 18-20 Vente à tempérament, 6, 26 Vocation architecturale de l immeuble, 31, 42 INTRODUCTION 1. Classification fondamentale L article 899 C.c.Q. établit les deux distinctions fondamentales entre les biens : d une part, les biens corporels et incorporels; d autre part, les biens immeubles et meubles. Le présent fascicule traite de la seconde classification, en se limitant à la présentation et à l analyse des biens immeubles. Celle-ci s applique autant aux biens corporels qu aux biens incorporels. Cette summa divisio entre les biens meubles et les biens immeubles, issue du droit romain, s inscrit au cœur du droit des biens et, en plus de soulever de nombreux intérêts pratiques, est portée par des concepts intellectuels captivants qui présentent des défis stimulants pour les juristes œuvrant dans tous les secteurs du droit. Aspect incontournable du droit des biens classique, elle demeure ancrée dans la réalité juridique et économique contemporaine. (5985) 2 / 4 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles I. Intérêts pratiques de la distinction entre les biens meubles et les biens immeubles A. Intérêt d ordre général 2. Prédominance des immeubles Dans l ancien droit, la maxime res mobilis, res vilis témoignait du peu de valeur accordée aux biens mobiliers. Malgré une prise en compte plus importante des biens meubles par le nouveau Code civil, celui-ci s articule encore aujourd hui de manière prédominante autour de la notion de propriété immobilière. Sur les quelques 313 articles des quatre premiers titres du Livre sur les biens, près des deux tiers (183) portent spécifiquement sur les immeubles. La valeur économique et symbolique du sol et des immeubles bâtis continue de constituer un élément crucial des fortunes et demeure un placement sûr. La distinction «immeubles meubles» présente plusieurs intérêts pratiques qui trouvent leur utilité dans bon nombre de secteurs du droit, bien au-delà du droit de biens. Le praticien a donc avantage à bien maîtriser les paramètres de cette distinction. Conseil pratique Les critères de distinction analysés ci-dessous sont applicables à la classification du droit commun. D autres définitions et conditions d immobilisation existent dans les lois particulières et certains règlements municipaux, généralement à des fins fiscales. Ainsi en est-il de la Loi sur la fiscalité municipale 1 qui, à son article 1, prévoit une définition de l immeuble qui, désormais, s aligne sur celle du Code, mais qui prévoit des exceptions particulières à cette loi 2. En parfaite opposition avec l article 48 de la Loi sur l application de la réforme du Code civil 3, la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières inclut dans la notion d immeuble les meubles qui servent à l exploitation d une entreprise ou à la poursuite d activités 4. Pour sa part, la Loi sur la taxe de vente du Québec considère comme immeubles les maisons mobiles et les maisons flottantes, sans autre condition d immobilisation 5. Les définitions et conditions de ces lois et de ces règlements servent en priorité à leur interprétation et à leur application; la définition du Code civil ne reçoit application qu à titre supplétif ou en cas de renvoi explicite ou implicite. Le juriste avisé s emploiera à consulter cette législation particulière dans les cas où elle peut recevoir application. 1. L.R.Q., c. F-2.1. 2. Voir, à titre d exemples : Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., c. F-2.1, art. 66, 67. 3. L.Q. 1992, c. 57 (ci-après «L.A.R.C.C.»). 4. L.R.Q., c. D-15.1, art. 1.0.1. 5. L.R.Q., c. T-0.1, art. 1; Chemin de fer Roberval-Saguenay c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [2000] R.D.F.Q. 134, REJB 2000-18086, [2000] J.Q. no 1459 (C.Q.). (5985) 2 / 5 Août 2011

I. Biens B. Intérêts sectoriels 3. En matière de procédure civile La règle de la compétence rationae loci prescrit que l action réelle ou mixte qui porte sur un immeuble peut être exercée, au choix du demandeur, soit devant le tribunal du district dans lequel est situé le bien, soit devant le tribunal du domicile de la partie défenderesse 1. Par opposition, l action personnelle portant sur un bien meuble est généralement intentée devant le tribunal du district dans lequel le défendeur est domicilié 2. En matière de saisie, la distinction comporte des conséquences importantes. D abord, comme considération générale, il peut être utile de rappeler que la procédure de saisie immobilière présente un caractère beaucoup plus formaliste que la saisie mobilière. Il importe de s assurer que la saisie du bien soit effectuée avec le bref approprié afin qu elle soit déclarée bonne et valable. Combien d oppositions à la saisie sont accueillies au motif que le saisissant a procédé au moyen d un bref mobilier à l endroit d un bien devenu immeuble 3. De façon plus particulière, le créancier peut faire saisir, en vertu du même bref, les deux types de biens, mais il doit procéder à la vente des biens meubles du débiteur avant de pouvoir procéder à la vente en justice des immeubles 4. Les immeubles peuvent évidemment être saisis isolément au moyen d un bref de terris. En outre, la saisie avant jugement ne peut être pratiquée que sur des biens meubles 5, sauf l exception de l immeuble sur lequel le conjoint aurait droit à une part lors de la dissolution du régime matrimonial 6. 1. Art. 73 C.p.c. 2. Art. 68, al. 1(1) C.p.c., sauf les cas prévus aux par. (2) et (3). 3. Voir l exemple : Commission de la construction du Québec c. Coffrages St-Hubert inc., J.E. 96-1222 (C.Q.). 4. Art. 572, al. 2 C.p.c. 5. Art. 734 C.p.c.; 3088-7459 Québec inc. c. Pereira, J.E. 99-1458 (C.S.). 6. Art. 734.0.1 C.p.c. 4. En matière de preuve En raison de l existence du registre foncier, la preuve de la propriété immobilière est beaucoup plus facile à faire. Il en est de même des autres droits réels immobiliers, lesquels sont soumis à l obligation de publication pour les rendre opposables aux tiers 1. La preuve en matière mobilière demeure moins fiable dans la mesure où, sauf exception, elle repose sur une présomption selon laquelle la possession fait présumer le juste titre de propriété ou le droit réel mobilier 2, à laquelle s ajoute une priorité de titre à l acquéreur de bonne foi qui prend possession du bien meuble le premier 3. 1. Art. 2938, al. 1 et 2941 C.c.Q. 2. Art. 928 C.c.Q. 3. Art. 1454 C.c.Q. 5. En matière de sûretés L opposition «meuble immeuble» connaît une grande importance dans le domaine des sûretés. Il importe de qualifier adéquatement le bien avant de choisir le type et la forme de sûreté qui lui est applicable : hypothèque mobilière pour les biens meubles, hypothèque immobilière pour les immeubles 1. Le non-respect du formalisme emporte des conséquences graves en cette matière puisque l hypothèque immobilière doit (5985) 2 / 6 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles être constituée par acte notarié, sous peine de nullité absolue 2, ce qui n est pas le cas de l hypothèque mobilière sans dépossession, laquelle doit tout de même être constatée par écrit sous peine de la même sanction 3. Les applications pratiques de la distinction sont diverses. L hypothèque légale de construction, par exemple, ne peut grever qu un immeuble, et plus spécifiquement l immeuble construit 4. Conséquemment, l entrepreneur ou le fournisseur de matériaux ne peut inscrire une pareille hypothèque sur un matériau ou une machinerie non encore incorporé ou attaché matériellement à l immeuble 5. Par ailleurs, la garantie conférée sur un immeuble porte non seulement sur le fonds de terre et le bâtiment, mais également, par accessoire, sur les biens mobiliers attachés à l immeuble devenus immeubles par intégration, par attache ou par réunion. Le même phénomène s applique à la prise en paiement d un immeuble 6. Cette règle reçoit un tempérament dans l hypothèse où des biens meubles ont fait l objet d une hypothèque mobilière avant d être matériellement attachés ou réunis à l immeuble; ceux-ci conservent alors leur nature mobilière aux fins de l exécution de l hypothèque, malgré le phénomène d immobilisation 7. 1. Art. 2665 C.c.Q. 2. Art. 2693 C.c.Q. 3. Art. 2696 C.c.Q. 4. Art. 2726 C.c.Q. 5. Centre d isolants Calomat inc. c. Plomberie Fury inc., EYB 2010-177456, [2010] J.Q. no 7494 (C.S.); Incimal inc. c. RHI Canada inc., [2005] R.D.I. 407, REJB 2005-89523, [2005] J.Q. no 4672 (C.S.). 6. Art. 2778 à 2783 C.c.Q.; Daumer c. Mensing, J.E. 2007-2190, [2007] J.Q. no 12617 (C.A.). 7. Art. 2672 C.c.Q. 6. En matière de publicité des droits La réforme du régime de la publicité des droits a entraîné dans son sillon l instauration d un second registre, le registre des droits personnels et réels mobiliers, en plus du registre foncier pour les droits réels immobiliers. Le praticien doit redoubler de prudence lorsqu il procède à l inscription d un droit. Une qualification erronée du bien en cause et une inscription au registre inapproprié équivalent au défaut d inscription avec les conséquences ennuyeuses qui s ensuivent. Rappelons que tout acte relatif à l acquisition, la constitution, la reconnaissance, la modification, la transmission et l extinction d un droit réel immobilier doit être inscrit au registre foncier pour être opposable aux tiers 1. En revanche, en matière mobilière, les droits personnels et les droits réels ne sont soumis à l obligation de publicité que dans les cas où la loi le prévoit expressément (ex. : hypothèque mobilière sans dépossession 2, réserve de propriété dans une vente à tempérament ou faculté de rachat d un véhicule routier 3 ou de biens meubles acquis pour le service d une entreprise 4, droits résultant d un bail de plus d un an portant sur un bien semblable 5 ou d un crédit-bail 6 ). 1. Art. 2938, al. 1 C.c.Q. 2. Art. 2663 C.c.Q. 3. Art. 1745, al. 2, 1750, al. 2 C.c.Q.; Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers, (1993) 125 G.O. II, 8058, art. 15, 15.01 et 15.02, modifié par (1998) 130 G.O. II, (5985) 2 / 7 Août 2011

I. Biens 2015, (1999) 131 G.O. II, 3846 et (2009) 141 G.O. II, 23A. 4. Art. 2961.1 C.c.Q. 5. Art. 1852, al. 2 C.c.Q. 6. Art. 1847 C.c.Q. 7. En matière de prescription La distinction entre les biens immeubles et les biens meubles connaît aussi une application particulière en matière de prescription acquisitive. Le délai est de dix ans dans le cas de la possession d un immeuble 1. Elle s opère par ailleurs par trois ou dix ans dans le cas d un meuble, selon que le possesseur se veut de bonne ou de mauvaise foi 2. La distinction est également utile au chapitre de la prescription extinctive puisque, sauf renouvellement, l hypothèque mobilière s éteint au plus tard dix ans après son inscription 3, alors que le délai est de 30 ans pour l hypothèque immobilière, sauf exceptions 4. 1. Art. 2918 C.c.Q. 2. Art. 2917, 2919 C.c.Q. 3. Art. 2798 C.c.Q. 4. Art. 2799 C.c.Q. 8. En matière de donation La donation entre vifs d un immeuble doit s effectuer par acte notarié, sous peine de nullité absolue 1. Dans le cas d un bien meuble, le don manuel peut s opérer par simple délivrance et possession immédiate 2. 1. Art. 1824, al. 1 C.c.Q. 2. Art. 1824, al. 2 C.c.Q. 9. En matière d assurance Dans la détermination de la couverture applicable, les contrats d assurance distinguent souvent les biens meubles des biens immeubles, certaines catégories de biens étant assurées, à l exclusion des biens d autres natures 1. Ces contrats définissent rarement les termes «meubles» et «immeubles», et le Code civil intervient alors utilement à titre supplétif pour interpréter les termes de la convention. 1. 2752-9585 Québec inc. c. Promutuel Haut St-Laurent, société mutuelle d assurances générales, J.E. 2006-838, REJB 2006-101753, [2006] J.Q. no 1510 (C.S.); Bédard c. Compagnie d assurances ING du Canada, [2008] R.D.I. 647, EYB 2008-143355, [2008] J.Q. no 7369 (C.Q.); Services de construction Maxi-Méga inc. c. Lombard du Canada ltée, J.E. 2006-88, [2005] J.Q. no 16013 (C.Q.). 10. En matière de droit international privé En ce qui concerne la vente d un bien meuble corporel dans laquelle entre un élément d extranéité, la loi applicable est celle de l État où le vendeur a sa résidence ou son établissement 1, sous réserve de l accomplissement de certaines conditions particulières. À l opposé, la vente d un bien immeuble est régie par la loi de l État où il est situé 2. Ce principe de l application de la loi du situs reçoit également application en matière de sûretés 3 et de succession portant sur des immeubles 4. 1. Art. 3114, al. 1 C.c.Q. 2. Art. 3114, al. 2 C.c.Q. 3. Art. 3097, 3102 C.c.Q. 4. Art. 3098 C.c.Q. (5985) 2 / 8 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles 11. En matière de protection du consommateur La distinction «meuble immeuble» est capitale dans le domaine du droit de la consommation. La Loi sur la protection du consommateur régit principalement les relations contractuelles entre les consommateurs et les commerçants dans le secteur des biens mobiliers 1. Ce n est qu à titre exceptionnel que celle-ci reçoit application en matière d immeubles, notamment en ce qui concerne les contrats de réparation, d entretien et d amélioration d un immeuble, et le contrôle des pratiques publicitaires relatives à la vente, la construction ou la location d un immeuble 2. De plus, il convient de souligner que la responsabilité du fabricant qu établit l article 1468 C.c.Q. pour le défaut de sécurité d un bien n est applicable qu aux biens meubles. La disposition du Code civil prévoit toutefois le maintien de l obligation de sécurité dans le cas où le bien est par la suite immobilisé. 1. Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1, art. 1d), 2. 2. Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1, art. 6d) (exclusion non en vigueur considérée comme une inclusion), 6.1. 12. En matière de fiscalité Parmi tous les domaines d application, celui de la fiscalité demeure celui de prédilection pour la distinction à l étude. De très nombreux jugements traitant de cette division prennent leur source dans le contentieux fiscal. Plusieurs taxes ou impôts sont applicables uniquement aux propriétés immobilières taxe municipale foncière 1, taxe scolaire, droits sur les mutations 2, ce qui implique de bien distinguer celles-ci des biens meubles. 1. Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., c. F-2.1, art. 31 et 203. 2. Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, L.R.Q., c. D-15.1, art. 2. II. Classification des immeubles A. Présentation générale 13. Disparition des anciennes catégories Les anciennes catégories d immeubles issues de l ancien Code disparaissent au profit d une nouvelle classification et de nouveaux critères de qualification. Il convient de rappeler que la distinction «meuble immeuble» demeure une construction législative, au contraire de celle entre le droit personnel et le droit réel qui provient de la jurisprudence et de la doctrine. À lire les articles 899 à 907 du Code, on peut avoir l impression qu en apparence deux seules catégories subsistent : les meubles et les immeubles. Il n en est rien. À défaut d étiquettes précises énoncées par le législateur, les tribunaux et les commentateurs ont senti le besoin de continuer de classifier et de qualifier les immeubles en fonction d espèces distinctes, avec de nouvelles appellations. D ailleurs, de nouvelles catégories d immeubles existent bel et bien et connaissent des aspects pratiques. Certains effets sont ainsi réservés à des catégories immobilières précises; par exemple, l article 571 C.p.c. est clairement limité aux immeubles par attache ou réunion matérielle de l article 903 C.c.Q. (5985) 2 / 9 Août 2011

I. Biens Conseil pratique Les dispositions finales du nouveau Code civil du Québec prévoyant que ce dernier remplace le Code civil du Bas Canada, il est conseillé d abandonner l usage des anciennes catégories d immeubles (par nature, par destination, par l objet auquel ils s attachent), à la fois pour tenir compte de la réalité du nouveau droit et pour ouvrir la voie à une meilleure compréhension des nouveaux concepts. 14. Cinq catégories d immeubles On trouve désormais dans le Code civil cinq catégories d immeubles : les immeubles en raison de leur nature (B), les immeubles par adhérence au sol (d une construction ou d un ouvrage à caractère permanent) (C), les immeubles par intégration (d un bien meuble à une construction ou à un ouvrage) (D), les immeubles par attache ou réunion matérielle (E), et les immeubles par qualification de la loi (F). Contrairement à ce qu on a pu dire ou écrire, les nouvelles règles de qualification ne se veulent pas moins complexes que les anciennes. Le juriste appelé à qualifier un bien éprouvera parfois le sentiment contraire. B. Immeubles en raison de leur nature 1. Définition 15. Concept L immeuble en raison de sa nature (et non par nature, qui réfère à l ancienne classification du Code civil du Bas Canada) est un bien corporel qui, d après ses caractéristiques physiques, ne peut ni se déplacer ni être normalement déplacé. Il s agit d un bien qui, à l état naturel ou normal, est immobile 1. 1. Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, n o 58, p. 32. 2. Illustrations 16. Trois types d immeubles Le Code identifie de façon expresse trois types d immeubles en raison de leur nature : les fonds de terre, les végétaux et les minéraux 1. Cette liste se veut exhaustive. 1. Art. 900 C.c.Q. 17. Fonds de terre Le sol constitue l immeuble naturel par excellence. Si certains éléments d un terrain peuvent être déplacés au moyen de travaux d excavation ou d aménagement, il n en demeure pas moins que le sol, en tant qu entité, demeure immobile. 18. Végétaux Les végétaux attachés au fonds de terre constituent en quelque sorte le prolongement du sol et sont, pour cette raison, immeubles en raison de leur nature 1. Il en est ainsi des récoltes pendantes par les racines, des fruits et des légumes non cueillis, des arbres et des arbustes plantés dans le sol. Leur qualification dépend de leur rattachement (5985) 2 / 10 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles au sol. Dès qu ils sont séparés de la terre, les végétaux prennent la qualification mobilière car ils peuvent dès lors être déplacés 2. Font exception à cette règle les meubles par anticipation, c est-à-dire les végétaux qui sont destinés conventionnellement à être vendus avant même d être séparés du sol 3. 1. Art. 900, al. 2 C.c.Q. 2. Art. 905 C.c.Q. 3. Art. 900, al. 2 C.c.Q. Voir : Christine LEBRUN, «Classification des meubles», dans JurisClasseur Québec, coll. «Droit civil», Biens et publicité des droits, fasc. 3, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, n os 38-42. 19. Minéraux L article 900, al. 2 C.c.Q. cite un troisième exemple d immeubles en raison de leur nature propre : les minéraux, tant qu ils ne sont pas extraits du sol. Tout comme les végétaux, leur rattachement au fonds de terre justifie leur qualification immobilière. C. Immeubles par adhérence au sol d une construction ou d un ouvrage à caractère permanent 1. Procédé d immobilisation 20. Lien durable avec le sol Les constructions et les ouvrages à caractère permanent qui se trouvent sur un fonds de terre sont immeubles, énonce l article 900 C.c.Q. Conceptuellement, et contrairement au droit antérieur, les constructions et les ouvrages n épousent pas la qualification d immeubles en raison de leur nature. Par opposition aux végétaux et aux minéraux, ils ne font pas partie du fonds de terre et n en constituent pas le prolongement naturel. Une intervention humaine est nécessaire à leur immobilisation. Ils deviennent immeubles lorsqu ils adhèrent au sol, lorsqu ils font corps avec lui et acquièrent de la sorte un caractère de stabilité. Ce phénomène s appelle l immobilisation. 2. Conditions d immobilisation 21. Trois conditions d immobilisation La présence d une construction ou d un ouvrage (1), l adhérence au sol (2) et le caractère permanent du bien (3) constituent les trois conditions à évaluer pour juger du caractère immobilier ou non du bien. Il y a immobilisation dès que les trois conditions sont satisfaites, soit lorsqu on est en présence d une structure unie au sol à perpétuelle demeure. 22. Notions de construction et d ouvrage L article 900 C.c.Q. énonce que les constructions et les ouvrages à caractère permanent sont immeubles, sans pour autant définir le sens de ces termes. Le sens commun du terme construction révèle l œuvre d une intervention humaine, l action de bâtir, suivant un plan déterminé, avec des matériaux divers. Le résultat, ce qui est construit ou bâti, prend la forme d un bâtiment, d une bâtisse, d un édifice, d un immeuble, d une installation, d une maison, d un monument ou d un ouvrage 1. Une construction ne se (5985) 2 / 11 Août 2011

I. Biens limite donc pas à un bâtiment qui est habitable, mais s étend à tout édifice qui est construit. Un entrepôt ou une usine constitue une construction, au même titre qu une maison. Un ouvrage désigne généralement une structure autre qu une habitation, une œuvre du génie civil, militaire, électrique ou électronique. Produit du travail humain, l ouvrage est assimilé à une construction de grande importance. La notion réfère au gros œuvre, tels des ponts, des tranchées, des tunnels, des fortifications, etc. 2 En reconnaissant que le premier alinéa de l article 900 C.c.Q. vient codifier la définition de «bâtiment» et les critères jurisprudentiels d immobilisation, les commentaires du ministre de la Justice invitent à continuer de s inspirer de la jurisprudence et de la doctrine existantes au moment de l entrée en vigueur du nouveau Code 3. La jurisprudence rendue sous l empire de l ancien Code définissait le «bâtiment» comme toute structure intimement rattachée au sol au point d en faire partie 4. Un bâtiment se présentait comme un ensemble cohérent de matériaux incorporé au sol ou y adhérant d une manière non purement passagère ou accidentelle. 1. Paul ROBERT, Le nouveau Petit Robert 2008 Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2007, p. 519. 2. Paul ROBERT, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2007, p. 1774; Le Petit Larousse illustré 2008, Paris, Larousse, 2007, p. 725. 3. QUÉBEC (Ministère de la Justice), Commentaires du ministre de la Justice Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Publications du Québec, 1993, art. 900, p. 528; Laval (Ville) c. Coimac inc., [2001] R.J.Q. 342, 349, REJB 2001-22147, [2001] J.Q. no 28 (C.A.). 4. Bell Telephone Co. of Canada c. Ville St-Laurent, [1936] A.C. 73, (1936) 60 B.R. 101; Câblevision (Montréal) inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1978] 2 R.C.S. 64; Concrete Column Clamps Ltd. c. City of Quebec, [1940] R.C.S. 522; Lower St.Lawrence Power Co. c. Immeuble Landry ltée, [1926] R.C.S. 655; Montreal Light, Heat & Power Co. c. City of Westmount, [1926] R.C.S. 515; Bélair c. Ville de Ste-Rose, (1922) 63 R.C.S. 526. 23. Adhérence au sol L adhérence au sol implique un rattachement physique très fort de la construction ou de l ouvrage au fonds de terre 1. Il ne suffit pas que la construction repose sur le sol. Celle-ci (ou l ouvrage) peut être plantée dans le sol, y tenir par des fondations ou des pilotis, ou encore y être enfouie; le rattachement par des fondations ou des bases de béton n est toutefois pas nécessaire. Il existe plus d un mode d adhérence au sol. Le degré de mobilité du bien peut servir utilement à évaluer le degré d adhérence. Ainsi, le bien qui, en raison de sa masse, de son poids, de sa forme, de sa structure ou encore de son attache matérielle au sol, a perdu toute sa mobilité peut être qualifié d immeuble par adhérence au sol, pourvu que cette adhérence soit permanente. En revanche, celui qui, en vertu des mêmes critères, demeure mobile, conserve son caractère mobilier. La condition d adhérence au sol est capitale et opère un changement par rapport au droit positif antérieur. Elle écarte toute possibilité d immobilisation d un ouvrage par adhérence à une construction ou à un ouvrage. Par exemple, contrairement au jugement de la Cour suprême rendu dans Câblevision 2 sous l empire de l ancien Code, un réseau de fils de câblodistribution attaché dans les airs à d autres réseaux (électriques, téléphoniques) comprenant des fils et des poteaux, eux-mêmes qualifiés d immeubles par adhérence au sol, ne recevrait plus aujourd hui la même qualification 3. Le concept de rattachement vertical ou d adhérence (5985) 2 / 12 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles au sol par intermédiaire, développé par la Cour, n existe plus compte tenu du nouveau libellé de l article 900 C.c.Q., lequel précise que l immobilisation par adhérence ne procède qu avec le sol. De nos jours, dans pareille hypothèse, le réseau serait tout de même qualifié d immeuble, mais il conviendrait mieux de parler d immobilisation par intégration à une construction ou à un ouvrage, au sens de l article 901 C.c.Q. (V. n os 25-32). 1. Pierre Basile MIGNAULT, Le droit civil canadien, t. 2, Montréal, Théoret, 1896, p. 400. 2. Câblevision (Montréal) inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1978] 2 R.C.S. 64, 73. Voir aussi : Ciment Québec inc. c. Saint-Basile, Village Sud (Corporation municipale de), [1993] 2 R.C.S. 823; Gaz Métropolitain inc. c. Saint-Jean-sur-Richelieu (Ville), [1997] R.J.Q. 2344, [1997] J.Q. no 5277 (C.Q.). 3. Contra : Sylvio NORMAND, Introduction au droit des biens, coll. «Manuel de l étudiant», Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 55. 24. Caractère permanent du bien La troisième condition, celle du caractère permanent, se présente comme la composante temporelle du second, qui réfère plutôt à la dimension physique du procédé d immobilisation. À l article 900 C.c.Q., le législateur emploie l expression «à caractère permanent qui s y trouvent» pour désigner le degré de lien requis. L utilisation de ces termes rend manifeste l exigence d un rattachement durable entre la structure et le sol, en même temps qu elle sous-entend un caractère de stabilité, d immobilité de la construction ou de l ouvrage. La notion de permanence implique une durée indéfinie, un rattachement qui ne soit pas purement passager ou accidentel 1. Cela explique qu une tente de cirque demeure un bien meuble, car son rattachement au sol est essentiellement faible et passager. Exemples Un pont 2 constitue un exemple éloquent d immeuble par adhérence au sol. Il en est de même d un aqueduc 3, d une structure de quai 4, des réseaux électriques 5, téléphoniques 6 ou de distribution de gaz 7 (comprenant les poteaux, les fils, les transformateurs et les tuyaux), d une piscine creusée 8, d un puits artésien 9 et des clôtures 10. Dans le secteur récréatif, un dispositif de remonte-pente pour le ski et un équipement de téléski nautique 11, constitués notamment de tours reliées à des blocs de béton enfouis dans le sol, pourraient s ajouter à cette liste non exhaustive. Le cas de la maison mobile ou de la roulotte immobilisée mérite une attention particulière. Tout dépend de son degré d adhérence au sol et du caractère permanent ou temporaire du rattachement. Ainsi, si elle est solidement fixée au sol à l aide de 15 piliers de béton, elle pourra être qualifiée d immeuble 12. Au contraire, si elle est simplement déposée sur des poutres amovibles, des blocs de béton, qu elle possède des roues faciles à replacer et qu elle est reliée aux services publics par de simples raccords faciles à détacher, la qualification d immeuble par adhérence ne peut lui être attribuée 13. Elle pourrait peut-être être qualifiée d immeuble par attache ou réunion, si elle satisfait les conditions de ce procédé d immobilisation (V. n os 35-42). Enfin, la qualification de meuble demeure une option possible, si le rattachement reste insuffisant. (5985) 2 / 13 Août 2011

I. Biens Attention L exemplification favorise indéniablement la compréhension des règles. Elle comporte toutefois le risque d une consécration de l exemple au détriment du principe. Le lecteur est invité à considérer les exemples qui précèdent avec prudence et circonspection et à se rappeler que les qualifications tirées de la jurisprudence restent toujours tributaires d un contexte factuel particulier. Conseils pratiques Dans l exercice de qualification d un immeuble par rattachement au sol, il faut éviter de retenir des critères comme la propriété du bien immobilisé, la complémentarité ou la cohérence de l ensemble, l utilité de l immeuble, ou encore le critère d intégration. Dans la majorité des cas, le problème n est pas de conclure si telle construction ou tel ouvrage constitue un immeuble par adhérence au sol, mais de déterminer ce qui en fait partie. À notre avis, il importe de respecter l intégrité de l ensemble et de concevoir un système comme un tout indivisible 14. En conséquence, il faut éviter de disséquer les parties du tout, même si certaines conservent un caractère de mobilité. L accessoire indispensable d un bien immobilier doit recevoir la même qualification que la partie principale. 1. À ce sujet, la jurisprudence accepte qu un édifice puisse être transporté d un terrain à un autre sans perdre son caractère immobilier, pourvu que le déplacement soit uniquement temporaire et que l édifice soit destiné à être rattaché de nouveau au sol : Société du crédit agricole c. Lambert, J.E. 84-760 (C.S.); Damato c. Collerette, [1950] C.S. 414. 2. Bélair c. Ville de Ste-Rose, (1922) 63 R.C.S. 526; Goulet c. Coco Island Inc., [1961] C.S. 402; Richard c. Morris, [1956] C.S. 314. 3. Concrete Column Clamps Ltd. c. City of Quebec, [1940] R.C.S. 522; Stanton Pipes (Canada) Ltd. c. Sylvain, [1966] B.R. 860. 4. Petro-Canada inc. c. Montréal-Est (Ville), [2000] R.J.Q. 1606, [2000] J.Q. no 1068 (C.Q.). 5. Lower St.Lawrence Power Co. c. Immeuble Landry ltée, [1926] R.C.S. 655; Montreal Light, Heat & Power Co. c. City of Westmount, [1926] R.C.S. 515; Mathieu c. Hydro-Québec, [1976] C.P. 488. 6. Bell Telephone Co. of Canada c. Ville St-Laurent, [1936] A.C. 73, (1936) 60 B.R. 101; Compagnie de téléphone Saguenay-Québec c. Ville de Port-Alfred, [1955] B.R. 855; Compagnie de téléphone Saguenay-Québec c. Cité de Chicoutimi, (1938) 65 B.R. 22; Hydro-Québec c. Quintin, [1984] C.S. 550. 7. Montreal Light, Heat & Power Co. c. City of Outremont, [1932] A.C. 423, (1932) 53 B.R. 133; Montreal Light, Heat & Power Co. c. City of Westmount, [1926] R.C.S. 515. 8. Lessard (Syndic de), J.E. 89-151 (C.S.). 9. McNicoll c. Parthenais, EYB 2009-157104, [2009] J.Q. no 3067 (C.S.); Gérard Charbonneau & Sons Drilling c. Raymond, J.E. 87-241 (C.P.). 10. Gaz Métropolitain inc. c. St-Jean-sur-Richelieu (Ville), [1997] R.J.Q. 2344, [1997] J.Q. no 5277 (C.Q.). 11. Daumer c. Mensing, J.E. 2007-2190, [2007] J.Q. no 12617 (C.A.) (ce jugement, rendu sous l empire de l ancien Code, n en garde pas moins sa pertinence, en ce que la conclusion serait la même aujourd hui, bien que par une voie différente). 12. Le Moine c. Corporation municipale de Notre-Dame du Portage, [1974] C.S. 46; Ville de Laval c. Mirko Construction inc., [1974] C.S. 540, [1975] R.P. 116 (C.S.). 13. Communauté régionale de l Outaouais c. Groulx, J.E. 82-349 (C.A.); In re Roy, (1979) 31 (5985) 2 / 14 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles C.B.R. 294, J.E. 79-772 (C.A.); Bisaillon c. Bisaillon, J.E. 80-210 (C.S.); Caisse populaire de Bergeronnes c. O Connor, J.E. 82-200 (C.P.). 14. Services de construction Maxi-Méga inc. c. Lombard du Canada ltée, J.E. 2006-88, [2005] J.Q. no 16013 (C.Q.) (réseau d alarme-incendie); Lafrance c. Lanouette, [1998] R.D.I. 163 (C.Q., p.c.) (système d irrigation automatique d un terrain, y compris l ordinateur le faisant fonctionner). D. Immeubles par intégration d un bien meuble à une construction ou à un ouvrage 1. Procédé d immobilisation 25. Immobilisation au second degré Le procédé d immobilisation peut aussi se produire relativement à des biens meubles qui sont intégrés, d une manière ferme, à une construction ou à un ouvrage. Dans cette hypothèse, le fondement de l immobilisation prend sa source dans le rapport de continuité entre le bien meuble et la construction, d un prolongement ou d une complémentarité entre les deux. Le lien entre le fonds de terre, la construction ou l ouvrage et le bien meuble est ainsi établi et justifie l immobilisation du dernier maillon de la chaîne. Il s agit, en quelque sorte, d une immobilisation au second degré. Le procédé d immobilisation a lieu au fur et à mesure que les biens meubles sont intégrés à l immeuble, et non pas uniquement à la fin de la construction 1. Conseil pratique La notion de «fin des travaux», si chère aux titulaires d une hypothèque légale de cons truction (art. 2727 C.c.Q.), demeure étrangère à celle de l immobilisation et ne doit pas être prise en compte lors d un exercice de qualifications des biens 2. En principe, l hypothèque mobilière sur des biens devenus ainsi immobilisés s éteint au moment de l intégration, en raison du changement de nature du bien grevé 3. Elle peut cependant subsister, à titre d hypothèque immobilière, à la condition qu elle fasse l objet d une inscription au registre foncier 4. Le Code civil, à son article 900, qualifie donc d immeubles tous les éléments qui font partie intégrante des constructions et des ouvrages à caractère permanent. Cette disposition doit se lire avec l article 901 C.c.Q. qui énonce les conditions de l intégration. 1. Ruco Enterprises inc. c. Shink, [1967] B.R. 638. 2. 9055-6622 Québec inc. c. St-Pierre, J.E. 2003-1587, REJB 2003-46856, [2003] J.Q. no 11502 (C.A.). Mais voir : Incimal inc. c. RHI Canada inc., [2005] R.D.I. 407, REJB 2005-89523, [2005] J.Q. no 4672 (C.S.), qui distingue la fin de la construction de l ouvrage de celle de l ensemble des travaux. 3. Art. 2795 C.c.Q. 4. Art. 2796 C.c.Q. 26. Portée de l immobilisation : intégration à une construction ou à un ouvrage Ce procédé d immobilisation s applique uniquement aux biens meubles qui sont intégrés à (5985) 2 / 15 Août 2011

I. Biens une construction ou à un ouvrage déjà attaché au sol. L intégration d un bien meuble à un fonds de terre n est pas visée par les articles 900 et 901 C.c.Q. Les termes «et tout ce qui en fait partie intégrante» employés à l article 900 réfèrent à ce qui précède immédiatement, soit aux constructions et aux ouvrages à caractère permanent. Cette position s accorde avec le droit antérieur qui a inspiré la rédaction du premier alinéa de l article, selon les commentaires du ministre 1. Conseils pratiques Une fois devenu immeuble par intégration, le bien meuble ne peut être saisi séparément de la construction ou de l ouvrage de rattachement 2. Il devient alors nécessaire de pratiquer une saisie immobilière et de saisir l immeuble dans sa totalité. Dans le même sens, la saisie-revendication par le propriétaire du bien immobilisé par intégration devient impossible. Le vendeur à tempérament ou le locateur perd son droit de revendication sur le bien au moment de l intégration de celui-ci 3. Pour assurer sa protection, le vendeur bénéficie d une hypothèque légale sur l immeuble faisant l objet de la construction ou de la rénovation 4. Cette sûreté est automatique et n a pas besoin d être publiée pour être opposable 5. Néanmoins, pour sa conservation, un avis doit être inscrit au registre foncier dans les 30 jours suivant la fin des travaux 6. À la même enseigne, il est possible pour un locataire d intégrer un bien meuble à un immeuble qu il occupe, le procédé d immobilisation par intégration ne dépendant pas de la qualité de celui qui incorpore le bien. Pareille opération a pour effet de transférer la propriété du bien immobilisé au locateur et de priver le locataire de son droit de le reprendre à la fin du bail, sous réserve d une possible indemnité à verser par le propriétaire des lieux loués 7, sauf convention contraire relativement à l indemnisation ou au droit de retrait 8. 1. QUÉBEC (Ministère de la Justice), Commentaires du ministre de la Justice Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Publications du Québec, 1993, art. 901, p. 529. 2. Frigidaire Corp. c. Duclos, (1932) 52 B.R. 91. 3. Banque fédérale de développement c. Champlain air climatisé et chauffage ltée, [1980] C.A. 12, [1979] J.Q. no 4; Frigidaire Corp. c. Duclos, (1932) 52 B.R. 91; Valco Métal (1979) ltée c. Poissant, Richard et associés, [1990] R.J.Q. 2881 (C.S.). 4. Michel MORIN, «La protection accordée au fournisseur de matériaux sous l ancien et le nouveau Code», dans Ernest CAPARROS (dir.), Mélanges Germain Brière, coll. «Bleue», Montréal, Wilson & Lafleur, 1993, p. 479, aux pages 518-525. 5. Art. 2726 C.c.Q. 6. Art. 2727 C.c.Q. 7. Art. 948, 964 et 1891 C.c.Q.; Laferrière c. Lapointe, J.E. 2009-728, [2009] J.Q. no 2280 (C.S.); 9015-6282 Québec inc. c. Société de développement communautaire Milton Parc inc., J.E. 98-574, [1998] J.Q. no 210 (C.S.); Ellen c. Daines, J.E. 2005-1994, REJB 2005-94604, [2005] J.Q. no 12566 (C.Q.); Boudreau c. Immeubles Jos Pelletier inc., J.E. 95-541 (C.Q.). 8. 9047-6193 Québec inc. c. Investissements Ridos ltée, EYB 2007-125954, [2007] J.Q. no 12660 (C.S.); 3821080 Canada inc. c. Centre de méditation Siddha de Montréal, eyb 2007-124762, [2007] J.Q. no 11337 (C.Q.). (5985) 2 / 16 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles 2. Conditions d immobilisation 27. Trois conditions d immobilisation Un bien est partie intégrante d un autre lorsqu il contribue à l intégrité du tout, le complète, sans nécessairement en constituer l essence. Perçu sous l angle d une partie de l ensemble, le bien accessoire perd alors son individualité 1. Un bien meuble fait partie intégrante d un immeuble lorsqu il fait corps avec celui-ci. Un meuble devient immobilisé par intégration à un immeuble lorsqu il satisfait les trois conditions suivantes : (1) il est incorporé à une construction ou à un ouvrage, (2) il a perdu son individualité et (3) il assure l utilité de l immeuble auquel il est incorporé. L emploi de la conjonction «et» ainsi que l esprit de la disposition leur confèrent un caractère cumulatif. Le notaire Lamontagne y voit pour sa part une hiérarchisation des trois conditions, la première étant la plus importante, la fonction d utilité de l immeuble ayant une valeur plus secondaire 2. Force est de reconnaître que, lorsque le bien est incorporé, l utilité des deux autres conditions s en trouve affaiblie. L incorporation suggère une perte implicite de l individualité; par ailleurs, la contribution à l utilité de l immeuble participe du concept d incorporation du bien. Reste la difficulté de qualifier un bien meuble parfaitement incorporé à un immeuble, sans lui être d aucune utilité. Les trois conditions d immobilisation par intégration peuvent, à notre avis, se résumer en une exigence générale d intégrité de l immeuble. Ainsi, fait partie intégrante de l immeuble ce qui participe à son intégrité, ce qui le complète en formant un tout que le droit ne cherchera pas à séparer. Conseil pratique La qualification des biens est une question de droit qui relève de la compétence des tribunaux. D aucune manière, la volonté des parties à une convention peut conférer ou refuser de conférer le caractère d immeuble par intégration à un bien, indépendamment des conditions d immobilisation de l article 901 C.c.Q. 3. 1. QUÉBEC (Ministère de la Justice), Commentaires du ministre de la Justice Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Publications du Québec, 1993, art. 900, p. 528. 2. Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, n o 65, p. 36. 3. Nadeau c. Rousseau, (1928) 44 B.R. 545; Ellen c. Daines, J.E. 2005-1994, REJB 2005-94604, [2005] J.Q. no 12566 (C.Q.). 28. Incorporation La première condition, celle de l incorporation, implique un rattachement physique extrêmement important pour qu un bien devienne immeuble selon ce procédé d immobilisation. Tel est le cas des matériaux de construction qui entrent dans la composition d un immeuble d habitation. Plus le rattachement matériel est fort, plus le bien meuble se «fond» avec l immeuble d attache, et plus l intégration se veut réussie. L ancien critère d enlèvement sans bris ni dommage, développé par la jurisprudence rendue sous l ancien Code 1, peut présenter une certaine utilité encore aujourd hui. Le fait que le bien ne puisse être détaché de l immeuble sans le détériorer peut amener à conclure à son (5985) 2 / 17 Août 2011

I. Biens incorporation 2. Il s agirait donc d une mesure d appréciation de l incorporation, et non d une condition principale. D aucune manière, l enlèvement sans bris ne constitue une condition législative qu il importe de satisfaire pour conclure à une immobilisation par intégration. L incorporation d un bien meuble peut très bien se réaliser sans cette modalité (ex. : l enlèvement de la porte d un immeuble). Bref, l enlèvement sans bris laisse présumer une incorporation, mais l incorporation ne présume pas un enlèvement sans bris. Attention Il n est pas nécessaire de vérifier si le rattachement se trouve à demeure. La condition d incorporation recèle implicitement une notion d union à demeure 3, laquelle n a donc pas besoin d être recherchée. Exiger l incorporation à demeure équivaudrait à une forme de redondance. 1. Frigidaire Corp. c. Duclos, (1932) 52 B.R. 91. 2. 9015-6282 Québec inc. c. Société de développement communautaire Milton Parc inc., J.E. 98-574, [1998] J.Q. no 210 (C.S.); Construtek G.B. inc. c. Laforge, [1998] R.D.I. 137, [1997] J.Q. no 4895 (C.Q.); Lafrance c. Lanouette, [1998] R.D.I. 163 (C.Q., p.c.). 3. 2752-9585 Québec inc. c. Promutuel Haut St-Laurent, société mutuelle d assurances générales, J.E. 2006-838, REJB 2006-101753, [2006] J.Q. no 1510 (C.S.). 29. Perte de l individualité La seconde condition, celle relative à la perte de l individualité du bien meuble, constitue en quelque sorte le prolongement du critère d incorporation. Il paraît en effet difficile de concevoir un bien incorporé à un immeuble sans perdre son individualité. Si tel était le cas, on ne pourrait prétendre à une véritable incorporation. Afin de perdre son individualité, le bien doit se confondre matériellement avec l ensemble de l immeuble, se fondre en lui. Devenu une partie de l ensemble, il doit former un tout avec celui-ci 1. S il devait être enlevé, il perdrait sa raison d être. Malgré la fusion matérielle avec l ensemble de l immeuble, il faut éviter de conclure en une persistance de l individualité en présence d une survivance de l apparence individuelle du bien. Par exemple, la porte d un immeuble, une fois installée, perd son individualité et se fond avec l ensemble. Elle conserve néanmoins son apparence individuelle distincte, au contraire d une brique ou du ciment incorporé à la construction. Elle n en est pas moins immobilisée pour autant puisqu elle a perdu son existence individuelle et sa vocation de meuble, pour emprunter celle d un accessoire permanent de l immeuble. 1. 2752-9585 Québec inc. c. Promutuel Haut St-Laurent, société mutuelle d assurances générales, J.E. 2006-838, REJB 2006-101753, [2006] J.Q. no 1510 (C.S.). 30. Au service de l utilité de l immeuble Comme troisième et dernière condition, le bien meuble doit assurer l utilité de l immeuble. Il ne suffit pas que le bien soit incorporé et qu il ait perdu son individualité. Encore faut-il qu il facilite l usage de l immeuble 1. L intégration du bien à l immeuble doit rendre ce dernier fonctionnel, l aider à servir sa finalité propre 2. Alors qu autrefois le juriste se demandait si le bien accessoire complétait l immeuble, il cherche dorénavant à savoir si ce bien sert l utilité de l immeuble. Force est de constater que le législateur n a pas réussi à simplifier ce critère de qualification et qu un bien meuble (5985) 2 / 18 Août 2011

Fasc. 2 Classification des immeubles sert l utilité d un immeuble dans la mesure où il le complète, de façon à en permettre la pleine utilisation. Cette complémentarité n a cependant pas besoin de se traduire en un caractère indispensable de l immeuble 3. Exemples Le bien meuble n a pas besoin d être le complément indispensable de l immeuble, comme une fournaise; il lui suffit de participer à la fonction de l immeuble, comme le fait un paratonnerre 4. À la même enseigne, la porte d entrée d un immeuble complète ce dernier et en facilite l usage. En érigeant un obstacle à l entrée libre des visiteurs et en préservant l intimité des occupants, elle assure indiscutablement l utilité de l immeuble. 1. QUÉBEC (Ministère de la Justice), Commentaires du ministre de la Justice Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Publications du Québec, 1993, art. 901, p. 529. 2. Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, n o 65, p. 37. 3. Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, n o 65, p. 37. 4. Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, n o 65, p. 37. 31. Mesure subjective de l appréciation de l utilité À notre avis, lequel a été confirmé par la Cour d appel, il y a lieu d appliquer une mesure subjective dans l appréciation de l utilité de l immeuble. Les commentaires du ministre nous invitent à considérer la facilitation de l usage de l immeuble. L utilité d un immeuble ne peut s apprécier en dehors de toute considération liée à ses usagers, à sa vocation effective. Ainsi, la fonction d un immeuble d habitation est de prodiguer gîte et confort à ses occupants. En suivant ce raisonnement, des appareils électroménagers encastrés dans la cuisine d une maison pourraient être qualifiés d immeubles, parce qu ils servent le confort des occupants et, par le fait même, l utilité de l immeuble, lequel se trouve plus fonctionnel s il est agrémenté de leur présence 1. Pour les immeubles autres que d habitation, cette mesure subjective invite à tenir compte de la vocation ou de la destination architecturale de l immeuble. La fonction d une église ou d un aréna diffère de celle d un immeuble d habitation; conséquemment, la condition de l utilité de l immeuble doit s apprécier différemment à l égard du bien meuble qui y est intégré. En matière de qualification, le regard du juriste doit s adapter en fonction de la vocation unique de l immeuble ou de sa réalité architecturale. Par exemple, le système de réfrigération de la glace, inutile dans une maison ou dans une église, devient indispensable dans un aréna, de même qu un congélateur incorporé dans un entrepôt alimentaire 2. 1. Contra : Construtek G.B. inc. c. Laforge, [1998] R.D.I. 137, [1997] J.Q. no 4895 (C.Q.). 2. Laval (Ville) c. Coimac inc., [2001] R.J.Q. 342, 351-352, REJB 2001-22147, [2001] J.Q. no 28 (C.A.); 2752-9585 Québec inc. c. Promutuel Haut St-Laurent, société mutuelle d assurances générales, J.E. 2006-838, REJB 2006-101753, [2006] J.Q. no 1510 (C.S.). 32. Distinction avec l utilité de l entreprise Sous l ancien droit, la jurisprudence nous a enseigné à ne pas confondre l immeuble et l entreprise qu il abrite. Seuls les biens qui sont au service de l immeuble sont susceptibles d immobilisation par intégration. (5985) 2 / 19 Août 2011

I. Biens L équipement physiquement rattaché à l immeuble mais destiné prioritairement à servir les fins de l entreprise s est généralement vu refuser la qualification d immeuble 1. Il en est de même quant au procédé d immobilisation de l article 901 C.c.Q. Seuls les biens servant à rendre l immeuble fonctionnel peuvent être immobilisés. L actuel régime de protection des créanciers en matière de sûretés mobilières ne rend plus nécessaire, comme autrefois, l immobilisation des biens servant à l exploitation de l entreprise afin de profiter d une couverture hypothécaire. À notre avis, un bien meuble servant de manière effective l utilité de l immeuble et, simultanément, les fins de l entreprise pourrait faire l objet d une immobilisation, car il satisfait la condition du service de l immeuble. 1. Appartements Bonséjours c. Soulabaille, [2010] R.D.I. 646, par. 86 (C.Q.); Mensing c. Daumer, J.E. 2006-802, REJB 2006-103148, [2006] J.Q. no 2852 (C.S.); Miller Printing Equipment Ltd. c. Imprimerie Jacques-Cartier inc., BDI-89-119 (C.S.); Bell, Rinfret & Cie c. Brasserie La Jonction inc., [1983] C.S. 347; Bernier Lecompte inc. c. Fonderies de Sorel ltée, J.E. 80-174 (C.S.), infirmé pour d autres motifs par [1984] J.Q. no 521 (C.A.); Express Plumbing & Heating Contractors Ltd. c. K.M. Restaurant Ltd., [1977] C.S. 11. 3. Illustrations 33. Exemples jurisprudentiels Sont immeubles par intégration les escaliers, les ascenseurs 1, les portes 2, les fenêtres, les balcons, les briques, les marquises et les gouttières d une construction ou d un ouvrage. Il en va de même pour la tuyauterie, la robinetterie 3, le système électrique 4, le système de chauffage 5, l aspirateur central 6 et les composantes sanitaires d une maison. Les revêtements de planchers 7, de murs et de plafonds 8 reçoivent une qualification identique. Le réseau d alarme-incendie d un grand immeuble, parce qu il lui est indissociable, se qualifie également d immeuble par intégration 9. 1. Horn Elevator Ltd. c. Domaine d Iberville ltée, [1972] C.A. 403; Canadian Elevator Co. c. Foresta, [1975] C.S. 574, [1975] Q.J. No. 36, confirmé par C.A. Montréal, n o 500-09- 000374-751, 22 juin 1976, j. Deslauriers, Bernier et Kaufman. 2. Valco Métal (1979) ltée c. Poissant, Richard et associés, [1990] R.J.Q. 2881 (C.S.); Ellen c. Daines, J.E. 2005-1994, REJB 2005-94604, [2005] J.Q. no 12566 (C.Q.). 3. Ellen c. Daines, J.E. 2005-1994, REJB 2005-94604, [2005] J.Q. no 12566 (C.Q.). 4. Terreau et Racine ltée c. Hôtel Loretteville inc., [1965] C.S. 313. 5. Banque fédérale de développement c. Champlain air climatisé et chauffage ltée, [1980] C.A. 12, [1979] J.Q. no 4; Nadeau c. Rousseau, (1928) 44 B.R. 545; 9015-6282 Québec inc. c. Société de développement communautaire Milton Parc inc., J.E. 98-574, [1998] J.Q. no 210 (C.S.). 6. English-Parent c. Rousseau, 2009 QCCQ 1096, B.E. 2009BE-401 (C.Q., p.c.). 7. 9015-6282 Québec inc. c. Société de développement communautaire Milton Parc inc., J.E. 98-574, [1998] J.Q. no 210 (C.S.); Entreprises I. Lipman ltée c. 3090-8784 Québec inc., [1996] R.J.Q. 1301, [1996] J.Q. no 5481 (C.S.); Boudreau c. Immeubles Jos Pelletier inc., J.E. 95-541 (C.Q.). 8. 9015-6282 Québec inc. c. Société de développement communautaire Milton Parc inc., J.E. 98-574 (C.S.). Il n en va pas de même d un plafond suspendu amovible, constitué de tuiles insonorisantes : 3821080 Canada inc. c. Centre de méditation Siddha de Montréal, eyb 2007-124762, [2007] J.Q. no 11337 (C.Q.). (5985) 2 / 20 Août 2011