INTUBATION DIFFICILE (CONFÉRENCE D EXPERTS)

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INTUBATION DIFFICILE (CONFÉRENCE D EXPERTS) Jean-Louis Bourgain Service d anesthésie, Institut Gustave Roussy, 94800 Villejuif bourgain@igr.fr INTRODUCION Dix ans après la publication des premières recommandations de la conférence d experts sur l intubation difficile [1], il est apparu souhaitable de réactualiser le message. La diffusion du masque laryngé pour intubation (MLI) Fastrach, la mise en évidence des difficultés de ventilation au masque et d oxygénation et les nouvelles techniques d anesthésie en ventilation spontanée ont justifié cette actualisation. Les discussions ont, par ailleurs, souligné l importance de la formation initiale et du maintien des compétences qui permettent d utiliser ces techniques avec un maximum d efficacité et un minimum de complications. Nous aborderons successivement les différentes questions de la conférence en soulignant les points nouveaux et les idées fortes, en les justifiant par la littérature récente. 1. QUESTION 1 : QUELS SONT LES FACTEURS PRÉDICTIFS DE L INTUBATION DIFFICILE (ID) ET DE LA VENTILATION AU MAS- QUE DIFFICILE (VMD)? 1.1. DÉFINITION Une intubation est difficile si elle nécessite plus de deux laryngoscopies et/ou la mise en œuvre d une technique alternative après optimisation de la position de la tête, avec ou sans manipulation laryngée externe. Une ventilation au masque est difficile [2, 3] : S il est impossible d obtenir une ampliation thoracique suffisante ou un volume courant supérieur à l espace mort (3 ml.kg -1 ), un tracé capnographique identifiable, de maintenir une SpO 2 > 92 %. S il est nécessaire d utiliser l oxygène rapide à plusieurs reprises, d appeler un autre opérateur. Si la pression d insufflation est supérieure à 25 cmh 2 O.

30 MAPAR 2007 Le dépistage de l ID et de la VMD doivent être systématiques et documentés chaque fois qu une intubation est prévue ou probable (consultation d anesthésie, admission en réanimation). Dans les conditions d urgence, le dépistage est plus difficile, mais il doit être réalisé chaque fois que cela est possible. 1.2. CRITÈRES PRÉDICTIFS 1.2.1. CRITÈRES PRÉDICTIFS DE LA VMD L âge supérieur à 55 ans, un index de masse corporelle (IMC) > 26 kg.m -2, l absence de dents, la limitation de la protusion mandibulaire, la présence d un ronflement et d une barbe ont été retrouvés comme facteurs prédictifs d une VMD [3] (grade C). La présence de deux de ces facteurs est prédictive d une VMD. Le risque d ID est multiplié par 4 chez les patients ayant eu une VMD (grade D). 1.2.2. CRITÈRES PRÉDICTIFS D UNE VENTILATION IMPOSSIBLE Une distance thyro-mentonnière < 6 cm et la présence d un ronflement sont des critères prédictifs d une ventilation impossible (grade C). 1.2.3. CRITÈRES PRÉDICTIFS D UNE ID Les critères suivants sont prédictifs d une ID et il est recommandé de les rechercher : antécédents d ID, classe de Mallampati > 2, distance thyro-mentonnière (DTM) < 6 cm et ouverture de bouche < 35 mm (grade C). Il est conseillé également d apprécier la mobilité mandibulaire (test de morsure de lèvre) [4], la mobilité du rachis cervical (angle fait par la tête en extension maximum sur le cou et en flexion maximum supérieur à 90 ) (grade E). Certaines situations cliniques augmentent le risque d ID : un IMC > 35 kg.m -2, un syndrome d apnée du sommeil (SAOS) avec tour de cou > 45,6 cm, une pathologie cervico-faciale (grade D) et un état pré-éclamptique (grade E). Chez l enfant, la classification de Mallampati n est pas validée (grade E). Les critères prédictifs d une ID sont une dysmorphie faciale, une DTM < 15 mm chez le nouveau-né, 25 mm chez le nourrisson et < 35 mm chez l enfant de moins de 10 ans, une ouverture de bouche inférieure à trois travers de doigt de l enfant et un ronflement nocturne avec ou sans SAOS (grade E). 1.2.4. CRITÈRES PRÉDICTIFS D UNE ID DANS LE CONTEXTE DE L URGENCE Les critères doivent être recherchés dans la mesure du possible mais ils sont mal adaptés au contexte de l urgence. Certaines situations doivent alerter l opérateur : un traumatisme cervico-facial (traumatisme du rachis, traumatisme facial), une pathologie ORL (cervico-faciale ou oropharyngolaryngée) et la présence de brûlures faciales (grade E). 2. QUESTION 2 : DÉSATURATION ARTÉRIELLE EN O 2 ET MAINTIEN DE L OXYGÉNATION PENDANT L INTUBATION Tous les patients doivent être pré oxygénés, plus particulièrement quand une ID et/ou une VMD sont prévues [5] (grade C) et quand les patients sont à risque de désaturation pendant l intubation. Les facteurs de risque de désaturation pendant l intubation sont : une intubation en urgence avec induction en séquence rapide (ISR) [6], une VMD prévisible [2], une ID prévisible, l obésité [7]

31 et la grossesse [8], le nourrisson et le nouveau-né [9], l enfant classe ASA 3 ou 4, l enfant ronfleur et l enfant avec infection des voies aériennes supérieures (VAS). Enfin le sujet âgé [10] et le bronchopathe chronique [11] sont également à risque de désaturation (grade D). L obèse [7], la femme enceinte [8], le nourrisson [12], l enfant porteur d une infection des VAS et l insuffisant respiratoire peuvent désaturer malgré une pré oxygénation bien conduite (grade A). Chez l obèse, l enfant et la femme enceinte, en raison de la diminution de la CRF, la dénitrogénation est plus rapide mais le temps d apnée est plus court (grade B). La fréquence des échecs de la pré-oxygénation a été évaluée à 25 % [13] ; ces échecs sont liés à des problèmes techniques. Les manœuvres de pré-oxygénation doivent donc être réalisées avec un masque étanche, un débit de gaz suffisant et un ballon de taille adaptée (grade D). La surveillance de la FeO 2 est recommandée, en anesthésie, de même que le monitorage de la SpO 2 (grade E). Il est recommandé de réaliser la pré-oxygénation à FiO 2 = 1 pendant 3 minutes chez l adulte (grade B) et 2 minutes chez l enfant [14] (grade C) ou en demandant au patient de réaliser huit respirations profondes avec un débit de 10 l.min -1 d oxygène pendant une minute [15] (grade C). Chez la femme enceinte [16], la technique de quatre capacités vitales pendant 30 secondes est une alternative à la pré-oxygénation standard (grade D). Chez l obèse, la position demi assise est recommandée pendant l oxygénation [17] (grade D). Chez l insuffisant respiratoire [11], il est recommandé de prolonger la préoxygénation sous contrôle de la FeO 2 (grade D). Après induction, la pose d une canule oro-pharyngée est recommandée, car elle facilite la ventilation au masque (grade C). L utilisation du circuit principal est recommandée [18], car il permet la surveillance des gaz expirés, de la spirométrie et des pressions d insufflation (grade D). La ventilation au masque en pression ou en volume contrôlés [19], en utilisant le circuit principal du respirateur, est une pratique à encourager (grade D). Il est recommandé de ventiler un patient dont la SpO 2 chute en dessous de 95 %, même s il est à estomac plein (grade D). 3. QUESTION 3 : QUELLES TECHNIQUES D ANESTHÉSIE LOCALE, LOCORÉGIONALE ET D ANESTHÉSIE GÉNÉRALE? PLACE EN FONCTION DU CONTEXTE 3.1. SÉDATION ET ANESTHÉSIE LOCALE POUR INTUBATION AVEC FIBROS- COPE Une sédation ou une analgésie associées à une ALR ou une AL améliorent le confort du patient et les paramètres hémodynamiques (grade E). Le maintien de la ventilation spontanée est un impératif, principalement si la ventilation au masque est prévue difficile (grade E). La sédation ou l analgésie mal conduites peuvent rendre la prise en charge des VAS plus difficile (grade E). Le propofol [20] et le rémifentanil administrés de façon continue sont les agents de choix (grade C). Ils doivent être titrés et l administration à objectif de concentration est recommandée [21] (grade C). La concentration initiale est

32 MAPAR 2007 basse puis augmentée progressivement par palier jusqu à obtention de l effet recherché (grade C). Les concentrations cibles sont fonction des modèles pharmacocinétiques utilisés. Pour le propofol, une concentration cible au site d action de 2 µg.ml -1 peut être recommandée avec le modèle de Schnider ; elle est de 1,5 ng.ml -1 pour le rémifentanil avec le modèle de Minto-Schnider (grade D). L administration conjointe de ces deux agents est déconseillée en raison de la majoration du risque d apnée (grade C). L anesthésie par inhalation avec le sévoflurane est la méthode de référence chez l enfant. Elle représente également une alternative chez l adulte [22] (grade D) ; la Fe sevo doit être titrée en fonction de l effet recherché (grade E). Le risque de cette technique est la perte de la liberté des VAS qui compromet l administration du sévoflurane (grade E). L anesthésie locale peut être réalisée soit avec des techniques étagées, soit avec un aérosol de lidocaïne à 5 % avec un débit d oxygène de 5 l.min -1 (grade D). La dose maximale est de 4 à 6 mg.kg -1 chez l adulte et 3 mg.kg -1 chez l enfant. L anesthésie topique du nez doit être associée à un vasoconstricteur. Les seuls blocs recommandés sont le bloc bilatéral des nerfs laryngés et le bloc trachéal par injection de lidocaïne au travers de la membrane intercricothyroïdienne (grade E). 3.2. ANESTHÉSIE POUR ID PRÉVISIBLE (HORS FIBROSCOPIE) L anesthésie générale peut être envisagée selon le contexte (grade D). Le choix ou non du maintien de la ventilation spontanée doit tenir compte de la possibilité de ventiler au masque et d utiliser les techniques d oxygénation recommandées (grade E). La profondeur de l anesthésie et le relâchement musculaire doivent être suffisants pour optimiser les conditions d intubation[23] (grade D). L anesthésie doit être rapidement réversible (grade E). Le propofol et le sévoflurane sont les agents de choix, en l absence de risque d obstruction des VAS (grade C). L adjonction d un morphinique optimise les conditions d intubation, mais expose à un risque de dépression respiratoire et d apnée (grade C). L administration des agents à objectif de concentration est recommandée (grade C). Si la curarisation s avère nécessaire, seule la succinylcholine peut être recommandée en l absence de contre-indication (grade C). 3.3. DANS LE CAS D UNE ID NON PRÉVUE Une profondeur d anesthésie et un relâchement musculaire suffisants doivent être maintenus pendant toute la durée des manœuvres d'intubation (grade E). 3.4. CHEZ L ENFANT L anesthésie par inhalation avec le sévoflurane est la technique de référence face à une ID prévisible (grade D). La mise en place d une voie veineuse avant l induction est conseillée (grade E). La profondeur de l anesthésie et le relâchement musculaire doivent être suffisants pour prévenir le risque de laryngospasme (grade E).

3.5. EN MÉDECINE D URGENCE ET EN RÉANIMATION 33 En dehors de l arrêt cardio-respiratoire, l intubation doit être réalisée après anesthésie générale (grade E). La persistance d une réactivité laryngée entraîne une dégradation des conditions d intubation et augmente le risque de complications graves (grade E). L anesthésie doit être réalisée selon une induction en séquence rapide (grade B). L étomidate et la kétamine sont recommandés (grade D). Le curare de choix est la succinylcholine en l absence de contre-indication (grade E). L anesthésie doit être maintenue et approfondie si le patient présente des signes de réveil. Une nouvelle injection de succinylcholine peut être réalisée si le patient présente des signes de décurarisation qui compromettent l intubation (grade E). 4. QUESTION 4 : QUEL MATÉRIEL D INTUBATION ET DE VENTILA- TION, COMPOSITION DU CHARIOT D ID Le choix des dispositifs constituant un chariot d ID doit tenir compte des algorithmes de l équipe d anesthésie et doit permettre de faire face à toutes les situations. La formation de tous les opérateurs susceptibles de les utiliser est impérative (grade E). Une lame métallique doit être préférée à une lame plastique à usage unique en cas de laryngoscopie prévue difficile ou d intubation en urgence (grade C). Pour réaliser une oxygénation transtrachéale, il est recommandé de n utiliser que du matériel conçu et validé pour cet usage (grade E). L emploi de matériel à usage unique doit être privilégié à niveau de performance technique et de sécurité d utilisation équivalent à celui des dispositifs réutilisables. Le matériel de prise en charge d une ID doit être regroupé dans un chariot ou dans une valise facilement identifiable et utilisable à tout moment du jour et de la nuit (grade E). La composition du chariot d ID recommandée par le groupe d experts figure en annexe. En pédiatrie, le matériel doit être adapté à la taille de l enfant, chez le nourrisson, la lame droite de Miller peut être utile. Le masque laryngé pour intubation (MLI type Fastrach ) ne peut être utilisé qu à partir de 30 kg. L oxygénation transtrachéale et la cricothyroïdotomie ne sont pas conseillées chez le très jeune enfant (grade E). Un set de cricothyroïdotomie est conseillé dans la mallette d ID en médecine d urgence (grade E). 5. QUESTION 5 : STRATÉGIES ET ALGORITHMES L élaboration d algorithmes s inscrit dans une démarche de maîtrise du risque. L élaboration d une stratégie de prise en charge permet d anticiper une situation critique. Cette stratégie de prise en charge est centrée sur le maintien de l oxygénation du patient. Face à une ID prévue, il faut anticiper les éventuelles difficultés d oxygénation et s assurer de la disponibilité des moyens pour la maintenir pendant les manœuvres d intubation : ventilation au masque et/ou techniques de secours. Des algorithmes décisionnels d intubation et d oxygénation ont été élaborés ; ils permettent la prise en charge de ces différentes situations cliniques : ID prévue ou non et VMD et ont été déjà validés par des études portant sur un grand nombre de patients. Ils sont présentés en fin de

34 MAPAR 2007 chapitre. L algorithme en cas de difficultés d oxygénation repose en premier lieu sur l utilisation du fastrach qui a montré une réelle efficacité en dehors de la pathologie ORL [24]. La ventilation transtrachéale en anesthésie et la cricothyroïdotomie en urgence sont utiles en cas de contre indication ou d échec du fastrach. Ces techniques requièrent une bonne expérience pour limiter les complications en particulier baro-traumatiques [25]. L algorithme publié en 1996 lors de la première conférence d experts sur l intubation difficile a été validé dans une étude prospective portant sur une centaine de patients. L utilisation du long mandrin souple (ou bougie de Eschmann ou mandrin de Macintosh) et du fastrach a permis de régler l ensemble des cas rapportés sans complication [26]. Plusieurs points importants doivent être soulignés. Le réveil du patient ou le report de l intervention doivent être envisagés à chaque étape (grade E). Dans l étude de X. Combes, seuls deux patients ont été réveillés pour être reprogrammés [26]. L appel à l aide dès les premières étapes de l algorithme est recommandé (grade E). Il est recommandé de ne pas s obstiner à intuber et de passer à l étape suivante après deux échecs et de maintenir l oxygénation entre les tentatives (grade E). Il n est pas recommandé d envisager la pratique d une laryngoscopie pour évaluer la difficulté réelle d une ID prévue sans avoir planifié une stratégie de prise en charge (grade E). De même, il n est pas recommandé d envisager la réalisation d une ALR sans avoir prévu : Une alternative en cas d échec. Le contrôle des voies aériennes en cas de difficulté d oxygénation. Le report de l intervention si les conditions requises à la réalisation d une sédation ne sont pas réunies. Il est recommandé d informer le patient de la survenue d une difficulté d intubation ou de ventilation au masque et de le mentionner dans le dossier médical Dans le cadre de l urgence, l induction à séquence rapide avec manœuvre de Sellick est la technique de référence (grade C). La cricothyroïdotomie est préférée à l oxygénation transtrachéale (grade D). L intubation en obstétrique pose le double problème du risque d inhalation et du risque de souffrance fœtale. L oxygénation doit être privilégiée (grade D). En réanimation, l oxygénation doit être favorisée même au détriment du risque d inhalation (grade E). Le fibroscope est recommandé en présence d une difficulté prévisible d intubation (grade E). Dans ce contexte, la VNI peut être intéressante [27] (grade D). 6. QUESTION 6 : EXTUBATION : CRITÈRES D EXTUBATION - GESTION D UNE SITUATION À RISQUE Les complications respiratoires représentent la cause la plus fréquente des réintubations en postopératoire (grade C). Les complications de l extubation sont liées le plus souvent à une obstruction mécanique des VAS ou à une dysfonction respiratoire [28] (grade D). Après une ID, l extubation doit être réalisée en présence d un médecin senior (grade E). Les critères conventionnels d extubation doivent être respectés,

35 particulièrement un réveil complet et une décurarisation confirmée par un rapport T4/T1 supérieur à 90 % (grade D). Le test de fuite n est pas prédictif d une extubation à risque en anesthésie (grade D). La mise en place préventive d un guide échangeur n est pas justifiée sauf si l accès aux voies aériennes est rendu difficile par l acte opératoire (grade E). 7. QUESTION 7 : QUEL ENSEIGNEMENT ET QUELLE FORMA- TION? Tous les praticiens susceptibles de réaliser une intubation doivent se former aux techniques recommandées dans les algorithmes de prise en charge (grade E). La formation par simple compagnonnage ne doit pas débuter sur le patient. La formation doit comporter un apprentissage sur mannequin et puis sur patient (grade E). L entretien des connaissances peut faire appel à la formation sur mannequin. L enseignement de certaines techniques comme l utilisation d un ML ou l intubation avec un MLI peut se faire au bloc opératoire après apprentissage sur mannequin (grade E). D autres techniques comme l oxygénation transtrachéale et la fibroscopie ont des indications cliniques plus limitées. Il peut être fait appel à d autres spécialistes comme les pneumologues ou les ORL (grade E). CONCLUSION La conférence d experts répond à la majorité des problèmes et des situations qui peuvent se présenter en pratique quotidienne. Néanmoins, il demeure certaines situations où le jugement clinique doit prévaloir et où le choix d une stratégie de prise en charge se fait en termes de bénéfices/risques. L évolution des techniques a permis de simplifier la gestion d une ID. L élaboration d algorithmes par une équipe est la pierre angulaire de la prise en charge à condition que les techniques soient connues de tous et réalisables à tout moment. La prise en charge d une ID passe par l élaboration d une stratégie au préalable.

36 MAPAR 2007 ANNEXES 1. ALGORITHME D INTUBATION DIFFICILE PRÉVUE Aide prévue INTUBATION Ventilation au masque efficace Apnée Ventilation spontanée Laryngoscopie 2 essaisoptimisation exposition long mandrin béquillé MLI (fastrach ) Masque laryngé enfant < 30 kg FIBROSCOPE ± fibroscope Abord trachéal si réveil impossible 2. ALGORITHME APPLIQUÉ EN CAS DE DIFFICULTÉS D OXYGÉNATION OXYGENATION Succès Ventilation au masque inefficace intubation MLI (Fastrach ) / DSG * masque laryngé enfant < 30 kg O 2 transtrachéal déconseillé chez le nourrisson Appel à l'aide dans tous les cas Contre indication Autres techniques d'intubation Cricothyroïdotomie Trachéotomie * DSG = dispositif supra-glottique

37 3. ALGORITHME EN CAS D INTUBATION DIFFICILE NON PRÉVUE INTUBATION DIFFICILE IMPREVUE Ventilation Masque Facial Appel à l'aide dans tous les cas efficace Laryngoscopie 2 essaisoptimisation exposition long mandrin béquillé inefficace MLI fastrach Masque laryngé enfant < 30 kg Ventilation MLI efficace inefficace Algorithme de l'intubation Algorithme de l'oxygénation RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Boisson-Bertrand D, Bourgain JL, Camboulives J, Crinquette V, Cros AM, Dubreuil M et al. [Difficult intubation. French Society of Anesthesia and Intensive Care. A collective expertise]. Ann Fr Anesth Reanim 1996;15:207-14 [2] Langeron O, Masso E, Huraux C, Guggiari M, Bianchi A, Coriat P et al. Prediction of difficult mask ventilation. Anesthesiology 2000;92:1229-36 [3] Kheterpal S, Han R, Tremper KK, Shanks A, Tait AR, O Reilly M et al. Incidence and predictors of difficult and impossible mask ventilation. Anesthesiology 2006;105:885-91 [4] Eberhart LH, Arndt C, Cierpka T, Schwanekamp J, Wulf H, Putzke C. The reliability and validity of the upper lip bite test compared with the Mallampati classification to predict difficult laryngoscopy: an external prospective evaluation. Anesth Analg 2005;101:284-9, table [5] Bourgain JL. [Preoxygenation and upper airway patency control]. Ann Fr Anesth Reanim 2003 ; 22 Suppl 1 : 41s-52s [6] Hayes AH, Breslin DS, Mirakhur RK, Reid JE, O Hare RA. Frequency of haemoglobin desaturation with the use of succinylcholine during rapid sequence induction of anaesthesia. Acta Anaesthesiol Scand 2001;45:746-9 [7] Berthoud MC, Peacock JE, Reilly CS. Effectiveness of preoxygenation in morbidly obese patients. Br J Anaesth 1991;67:464-6 [8] Bernard F, Louvard V, Cressy ML, Tanguy M, Malledant Y. Préoxygénation avant induction pour césarienne. Ann Fr Anesth Reanim 1994;13:2-5 [9] Dupeyrat A, Dubreuil M, Ecoffey C. Preoxygenation in children. Anesth Analg 1994;79:1027 [10] McCarthy G, Elliott P, Mirakhur RK, McLoughlin C. A comparison of different pre-oxygenation techniques in the elderly. Anaesthesia 1991;46:824-7 [11] Samain E, Biard M, Farah E, Holtzer S, Delefosse D, Marty J. Monitorage de la fraction expirée d oxygène lors de la préoxygénation dans la bronchopathie chronique obstructive. Ann Fr Anesth Reanim 2002;21:14-9

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