Item 163 : Leucémie Lymphoïde Chronique (LLC)

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Item 163 : Leucémie Lymphoïde Chronique (LLC) Date de création du document 2009-2010

ENC : OBJECTIFS Diagnostiquer une leucémie lymphoïde chronique.

INTRODUCTION La Leucémie Lymphoïde Chronique (LLC) est une prolifération lymphoïde monoclonale, responsable d'une infiltration médullaire, sanguine, parfois ganglionnaire, constituée de lymphocytes matures de morphologie normale et de phénotype B. C'est la plus fréquente des leucémies de l'adulte. Elle ne se rencontre pas chez l'enfant. D'évolution chronique, la LLC reste une maladie incurable, mais de progression lente pour une large majorité des patients.

1. DIAGNOSTIC POSITIF Survenant généralement après 50 ans, le début est souvent insidieux. 1.1. LES CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE La numération formule sanguine systématique est la circonstance de découverte la plus fréquente : elle objective une hyperlymphocytose. Le syndrome tumoral (inconstant) : polyadénopathies, splénomégalie (rarement isolée). Une complication infectieuse révélatrice : zona, pneumopathie récidivante Plus rarement les conséquences d'une cytopénie : anémie, thrombopénie. 1.2. LES ÉLÉMENTS DU DIAGNOSTIC 1.2.1. La numération formule sanguine met en évidence une hyperlymphocytose Elle est suffisante pour évoquer fortement le diagnostic dans la majorité des cas. Elle montre une hyperlymphocytose le plus souvent isolée, d'importance variable (parfois très élevée), toujours supérieure à 4 G/L, persistant sur plusieurs examens au-delà de 6-8 semaines. Les lymphocytes sont le plus souvent de morphologie normale et monomorphes sur le frottis de sang. Les autres lignées sont normales, en dehors d'une complication (hémoglobine < 120 g/l dans 25 % des cas et < 100 g/l dans 10 % des cas, thrombopénie < 100 G/L dans 5-10 % des cas).

Figure 1 : Étalement sanguin : sujet sain Étalement sanguin chez un sujet normal dont la leucocytose est à 5,4 G/L. On distingue à droite un polynucléaire neutrophile et au-dessus un petit lymphocyte, au milieu un polynucléaire éosinophile et à gauche un monocyte avec au-dessus un lymphocyte. Figures 2 et 3 : Étalement sanguin : LLC Étalement sanguin chez un homme de 67 ans présentant une leucémie lymphoïde chronique. Nombreux petits lymphocytes avec noyau arrondi et cytoplasme très réduit. Les lymphocytes de la LLC sont très fragiles : les cellules éclatées (marquées d'une croix sur la photo) s'appellent «ombres de Gumprecht». 1.2.2. L'immunophénotypage des lymphocytes sanguins est l'examen essentiel pour confirmer le diagnostic Réalisé par cytométrie de flux, il affirme la nature B (présence des antigènes CD19 et CD20) et la monotypie des lymphocytes (expression d'une seule chaîne légère d'immunoglobuline de faible intensité) et l'antigène CD5 est présent (habituellement marqueur de lymphocytes T). L'immunophénotypage permet de calculer un score (score de Matutes, de 0 à 5 selon l'expression ou non de divers antigènes). Un score supérieur ou égal à 4 affirme le diagnostic de LLC et élimine les autres causes d'hyperlymphocytose. 1.2.3. Le myélogramme Le myélogramme n'a pas d'intérêt et ne doit pas être réalisé pour affirmer la maladie. Il sera réalisé dans les cas de cytopénies mal expliquées (anémie, thrombopénie) pour en affirmer le caractère central ou périphérique.

1.2.4. En cas de syndrome tumoral La ponction et la biopsie ganglionnaire ne sont pas utiles au diagnostic. Souvent absent au début de la maladie, le syndrome tumoral est la conséquence d'une infiltration lymphocytaire diffuse pouvant toucher tous les organes. Il se manifeste principalement par des polyadénopathies superficielles, symétriques, non compressives, fermes et indolores. Touchant toutes les aires ganglionnaires, avec ou sans splénomégalie, et plus rarement une hépatomégalie. 1.2.5. Les autres examens (bilan complémentaire) Une électrophorèse des protéines sérique sera faite. Elle peut : Être normale (situation la plus fréquente au moment du diagnostic), Montrer une hypogammaglobulinémie (situation la plus fréquente quelques années après le diagnostic, qui favorise les infections à répétition). Objectiver un composant monoclonal (10 % des cas), le plus souvent de nature IgM et < 5 g/l. La recherche d'un auto-anticorps anti-érythrocytaire sera systématique par un test de Coombs direct. Sa présence est associée ou non à une hémolyse.

2. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL Chez un adulte, toute hyperlymphocytose sanguine doit être contrôlée. Persistante au delà de 6-8 semaines, elle évoque en premier lieu une leucémie lymphoïde chronique. L'examen morphologique des lymphocytes sur le frottis sanguin et l'immunophénotypage permettront d'éliminer les autres syndromes lymphoprolifératifs, correspondant souvent à la dissémination sanguine de lymphomes non hodgkiniens 2.1. LE LYMPHOME DU MANTEAU, LYMPHOPROLIFÉRATION B CD5+ Figure 4 : Le lymphome du manteau, lymphoprolifération B CD5+ L'examen du frottis sanguin montre que la majorité des cellules ressemble un peu à des lymphocytes avec un noyau encoché, mais la taille cellulaire est plus importante. L'immunophénotype montre la nature lymphoïde B comme dans la LLC mais un profil d'expression d'antigènes particulier orientant vers un lymphome de la zone manteau en phase de dissémination sanguine (Homme de 66 ans présentant une polyadénopathie, une splénomégalie et une hyperleucocytose à 61 G/L). 2.2. LE LYMPHOME DE LA ZONE MARGINALE OU À LYMPHOCYTES VILLEUX, LYMPHOPROLIFÉRATION B CD5 - Figure 5 : Le lymphome de la zone marginale ou à lymphocytes villeux, lymphoprolifération B CD5 - Frottis sanguin réalisé chez un homme de 74 ans qui présente un lymphome splénique à lymphocytes villeux. L'hyperleucocytose est constituée de lymphocytes dont la membrane externe présente des villosités, souvent à 1 pôle ou 2 de la cellule.

2.3. LE LYMPHOME FOLLICULAIRE, LYMPHOPROLIFÉRATION B CD5 - figure 6 : Le lymphome folliculaire, lymphoprolifération B CD5 - Étalement sanguin chez une femme de 41 ans présentant un lymphome centrofolliculaire disséminé. Les cellules ont une taille réduite, un cytoplasme presque absent, et une encoche semble couper le noyau en deux. L'aspect cytologique se rapproche suffisamment de ce que l'on observe dans la LLC atypique et le lymphome du manteau pour justifier la prescription d'un immunophénotype pour une identification définitive. 2.4. LES TRÈS RARES LYMPHOPROLIFÉRATIONS DE TYPE T (LEUCÉMIE PROLYMPHOCYTAIRE T, LYMPHOCYTOSE À GRANDS LYMPHOCYTES GRANULEUX) Figure 7 : Les très rares lymphoproliférations de type T (leucémie prolymphocytaire T, lymphocytose à grands lymphocytes granuleux) Patiente de 74 ans présentant une splénomégalie et une hyperlymphocytose (77 G/L). La morphologie des cellules est celle de lymphocytes avec noyau de contour parfois irrégulier. Le phénotype montre qu'il s'agit ici d'une leucémie prolymphocytaire T.

3. PRONOSTIC ET ÉVOLUTION 3.1. CLASSIFICATION CLINICO-BIOLOGIQUE DE J.-L. BINET La classification clinico-biologique de Binet est utilisée en France (et en Europe) pour apprécier le pronostic et participer aux indications thérapeutiques : Stade A : moins de trois aires ganglionnaires atteintes. Stade B : au moins trois aires ganglionnaires atteintes. Stade C : anémie (avec hémoglobine < 100 g/l) et/ou thrombopénie (avec plaquettes < 100 G/L). Figure 8 Dans cette classification, la notion d'aire ganglionnaire est bilatérale : par exemple des adénopathies axillaires droite et gauche constituent une aire ganglionnaire atteinte. Au moment du diagnostic : Plus de 70 % des patients sont au stade A, 20 % environ des patients sont au stade B, Moins de 10 % des patients sont au stade C. Les stades A : resteront pour la moitié d'entre eux en stade A et auront une survie comparable à celle de la population du même âge qui n'a pas la maladie. évolueront pour l'autre moitié d'entre eux vers des stades B ou C.

À partir du moment où les malades nécessitent un traitement (stades B et C), la survie moyenne devient inférieure à 10 ans. 3.2. AUTRES MARQUEURS PRONOSTIQUES Il existe de nombreux autres marqueurs pronostiques, utiles pour essayer d'anticiper ces possibilités évolutives : Temps de doublement de la lymphocytose sanguine, Délétion ou non du gène P53, Détermination du profil muté ou non des gènes des immunoglobulines.

4. COMPLICATIONS Les infections L'insuffisance médullaire La survenue d'une anémie hémolytique auto-immune Une évolution rare (moins de 5 % des patients) de la maladie sous la forme d'un lymphome de haut grade (syndrome de Richter), s'accompagne de l'apparition ou de l'augmentation rapide et asymétrique du syndrome tumoral avec aggravation des signes généraux et augmentation des LDH. Une augmentation de l'incidence des tumeurs solides est classique.

5. NOTIONS DE TRAITEMENT La prise en charge des LLC a pour buts de : contrôler la maladie et de respecter la qualité de vie chez le sujet âgé, d'augmenter la survie chez le sujet jeune. Elle repose, lorsqu'un traitement est nécessaire, sur les alkylants, les analogues des purines et les anticorps monoclonaux. Des intensifications thérapeutiques (greffes de cellules souches hématopoïétiques) viennent d'être proposées chez les patients jeunes à pronostics péjoratifs.