Investissement direct étranger et performances des entreprises



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Investissement direct étranger et performances des entreprises Rapport Lionel Fontagné et Farid Toubal Commentaires Michèle Debonneuil Anne Épaulard Compléments Jean-Charles Bricongne, Guillaume Gaulier, Alexandre Gazaniol, Colette Héricher, Nicole Madariaga, Sylvie Montout, Dominique Nivat, Frédéric Peltrault et Bruno Terrien

Conception et réalisation graphique en PAO au Conseil d Analyse Économique par Christine Carl Direction de l information légale et administrative. Paris, 2010 - ISBN : 978-2-11-008154-4 «En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans l autorisation expresse de l éditeur. Il est rappelé à cet égard que l usage abusif de la photocopie met en danger l équilibre économique des circuits du livre.»

Sommaire Introduction... 5 Christian de Boissieu RAPPORT Investisssement direct étranger et performances des entreprises... 7 Lionel Fontagné et Farid Toubal 1. Introduction... 7 2. Mesurer l activité des entreprises multinationales... 11 2.1. L entreprise et sa réalité statistique... 11 2.2. L investissement direct, trace statistique de l activité des entreprises multinationales...12 2.3. L investissement direct, reflet de l activité financière intra-groupe...14 2.4. Des données de stocks difficiles à évaluer...21 2.5. Des données d activité à l étranger des entreprises multinationales encore parcellaires...25 3. L impact de l investissement direct sur l activité, l emploi et les échanges : revue de littérature... 29 3.1. Les entreprises se multinationalisent pour exploiter leurs avantages spécifiques...29 3.2. L effet «revenu» de la multinationalisation des entreprises l emporte généralement sur l effet de substitution... 36 3.3. Propos d étape...42 4. L impact de l investissement français à l étranger... 44 4.1. Les entreprises françaises s implantant à l étranger sont les plus efficaces... 44 4.2. La première implantation à l étranger a un impact positif sur l emploi en France de l entreprise qui investit sauf pour les filiales françaises de groupes étrangers...45 4.3. L intensité de l activité à l étranger n a pas d impact négatif sur l activité en France...49 INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 3

5. L impact de l investissement étranger en France... 56 5.1. La présence étrangère dans l industrie française... 57 5.2. Les filiales de groupes étrangers sont plus efficaces... 63 5.3. Les groupes étrangers acquièrent des entreprises françaises plus efficaces que la moyenne... 72 5.4. Les entreprises acquises par les groupes étrangers renforcent leurs performances sauf à l exportation... 75 6. Conclusion... 79 COMMENTAIRES Michèle Debonneuil... 85 Anne Épaulard... 89 COMPLÉMENTS A. Application de la règle du principe directionnel étendu aux statistiques d investissements directs... 93 Dominique Nivat et Bruno Terrien B. Implantation à l étranger des entreprises françaises : un impact différencié selon l appartenance à un groupe... 117 Alexandre Gazaniol et Frédéric Peltrault C. Une analyse descriptive des données individuelles d IDE de la Banque de France... 143 Jean-Charles Bricongne et Guillaume Gaulier D. Impact des investissements directs sur le commerce extérieur de la France : une analyse sur données macroéconomiques... 169 Nicole Madariaga E. Les projets d implantation d origine étrangère en France... 197 Sylvie Montout F. Les sources statistiques pour le suivi des groupes... 209 Colette Héricher RÉSUMÉ... 213 SUMMARY... 221 4 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

Introduction La question des délocalisations occupe une place importante dans le débat économique et social, en France comme à l étranger. Le rapport qui suit place cette question dans le contexte plus large de la mondialisation, des investissements directs étrangers (IDE) et de la stratégie des entreprises multinationales. L analyse concerne en particulier les IDE sortants réalisés par des groupes français, mais elle ne néglige pas pour autant les IDE entrants effectués par des groupes étrangers en France. Elle est doublée de résultats empiriques originaux, appuyés sur un échantillon de plus de 800 entreprises multinationales, qui permettent de tester la pertinence ou non d un certain nombre d hypothèses théoriques. La première étape consiste justement à décortiquer les données disponibles, en corrigeant celles fournies par la balance des paiements et en reprenant les séries calculées par la Banque de France. Plusieurs clivages structurent les démonstrations : celui entre l IDE horizontal (l activité de la filiale à l étranger réplique l activité domestique) et l IDE vertical (l activité à l étranger est un complément de l activité domestique, car l une et l autre ne se situent pas au même niveau de la chaîne de production) ; celui entre l effet-revenu et l effet-substitution de l implantation à l étranger. Alors que l effet-substitution souligne l impact net négatif de l IDE sortant pour le pays d origine, l effet-revenu met en lumière, via l élargissement des marchés et des ventes, les implications positives de l implantation à l étranger pour le pays d origine. Le rapport étudie de près sous quelles conditions l un des deux effets l emporte sur l autre. Il apparaît en particulier que leur combinaison diffère selon que l implantation est réalisée dans un autre pays développé ou bien dans un pays à bas salaires. Ce rapport éclaire aussi, chiffres à l appui, les liens entre les performances des entreprises et leur caractère multinational, qu il s agisse d IDE sortants ou entrants. Comme chacun sait, corrélation ne vaut pas causalité. Les implications de politique économique sont de ce fait suggérées avec beaucoup INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 5

de prudence et de nuances plutôt qu assenées. Tant mieux pour l intérêt du lecteur et d un débat très rapidement passionnel lorsqu il devient public, et qui est loin de se stabiliser. Ce rapport a été présenté à Madame Anne-Marie Idrac, secrétaire d État au Commerce extérieur, le 26 janvier 2010. Il a bénéficié du concours efficace de Jézabel Couppey-Soubeyran, conseillère scientifique au CAE. Christian de Boissieu Président délégué du Conseil d analyse économique 6 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

Investissement direct étranger et performances des entreprises Lionel Fontagné Professeur à l Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, École d économie de Paris, Conseiller scientifique au CEPII Farid Toubal Professeur à l Université d Angers, École d économie de Paris, Chercheur associé au CEPII 1. Introduction Le rapport du CAE sur la comparaison des performances commerciales de la France et de l Allemagne (Fontagné et Gaulier, 2008) a mis en évidence des différences de stratégie des entreprises en matière d internationalisation entre les deux pays. Les grandes entreprises françaises semblent avoir privilégié l investissement à l étranger et la production (éventuellement l exportation) depuis leurs filiales étrangères, tandis que les entreprises allemandes segmentent plus la chaîne de valeur et utilisent leurs localisations ou fournisseurs étrangers comme source de compétitivité pour les activités industrielles maintenues outre-rhin. Ces conclusions posent la question de l impact de l investissement et de l activité à l étranger sur les performances des entreprises. Si une entreprise étrangère investit en France, c est que la rentabilité apportée par cet investissement est élevée. Si une entreprise française investit à l étranger, le même raisonnement s applique. L entreprise investissant à l étranger valorise alors des actifs spécifiques (marque, technologie ) lui apportant un avantage par rapport aux entreprises du pays de destination, et compensant les coûts divers liés à cette opération. Et si ces coûts ont été supportés, c est que l entreprise réalisant cet investissement était plutôt plus productive et plus rentable que ses concurrentes dans son pays d origine. Ce raisonnement économique simple constituera la trame de l analyse conduite dans ce rapport. INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 7

Le présent rapport comporte quatre contributions. Il pose tout d abord des questions de nature méthodologique. Si un tel questionnement peut sembler inopportun dans un rapport de politique économique, la définition de l objet d étude, tout comme sa mesure, a une grande importance en termes d étude d impact. Nous tentons également de présenter de façon synthétique les questions méthodologiques soulevées par les études d impact elles-mêmes, afin de mieux en apprécier la pertinence pour guider la politique économique. La deuxième contribution est plus traditionnelle, puisqu il s agit de passer en revue l état de l art. La troisième contribution est factuelle. Nous utilisons des données individuelles d entreprises localisées en France concernant leur commerce extérieur, la détention de leur capital et leurs performances et répondons à deux questions : quelles sont les entreprises qui s implantent à l étranger ou qui sont acquises en France par des groupes étrangers? Dans les deux cas, cette «multinationalisation» entraîne-t-elle une amélioration des performances en France des entreprises françaises concernées? Nous accordons ici une importance particulière aux entreprises indépendantes par rapport à celles appartenant à des groupes. La dernière contribution est une analyse préliminaire des données de l enquête FATS-O (1) sur l activité des entreprises multinationales françaises à l étranger. La contribution est tout d abord descriptive. Elle présente la distribution spatiale et sectorielle de ces activités. Puis, on s intéresse à l impact de ces activités sur l emploi des groupes français. Notre groupe de travail a largement bénéficié de la participation active de toutes les administrations concernées, sans lesquelles il n aurait pu être mené à bien. Les membres du groupe de travail ont aussi fortement contribué, par leurs compléments et par leur participation active aux débats. Une mention particulière pour les administrations ayant fourni les données individuelles nécessaires et, plus spécifiquement, à nos interlocuteurs ayant toujours répondu à nos demandes de la façon la plus efficace. Que tous soient remerciés. Les erreurs subsistant sont de notre fait. Le reflet des travaux du groupe se retrouve dans les compléments au rapport. Nous remercions Jézabel Couppey-Soubeyran pour la part active prise, au titre du CAE, au travail de notre groupe. Ce travail a bénéficié enfin des commentaires de Michèle Debonneuil et Anne Épaulard. Dominique Nivat et Bruno Terrien expliquent l application du principe directionnel étendu aux données françaises d investissements directs étrangers. Jean-Charles Bricongne et Guillaume Gaulier proposent une analyse descriptive des données individuelles d investissement en s intéressant aux marges extensives et intensives. Le complément d Alexandre Gazaniol et Frédéric Peltrault s intéresse à l impact des IDE français sur la productivité et l emploi en France. Nicole Madariaga analyse la relation de complémentarité entre les IDE et le commerce en utilisant des données d investissement direct en balance des paiements. Colette Héricher présente les premiers résultats de l enquête pilote FATS-Out de l INSEE. Enfin Sylvie Montout présente les statistiques (1) Pour FATS Outward ou statistiques d activité des filiales à l étranger. 8 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

collectées à l occasion des projets d investissement en France des groupes étrangers. Nous reprenons dans le corps du rapport les principales conclusions de ces compléments. Les implications de ce travail en termes de politique économique sont importantes et chaque mécanisme ou fait stylisé rapporté devra être commenté, répétons-le, en pleine connaissance des questions méthodologiques sous-jacentes. Un sujet important de politique économique concerne l impact sur les performances en France (activité, emploi ) de l implantation des entreprises françaises à l étranger. On s attend à ce que les entreprises françaises ayant une implantation étrangère soient plus productives que la moyenne (et plus performantes que les entreprises exportatrices, elles-mêmes plus productives que les entreprises purement domestiques). Mais a-t-on ici une relation de cause à effet, allant de l internationalisation vers la performance, ou une simple sélection des plus performantes par la concurrence internationale? Nous allons découvrir que la relation est double : les plus performantes s implantent à l étranger ; elles peuvent devenir plus performantes encore à cette occasion, tout dépendant de leur statut. Cinq principaux résultats se dégagent de notre rapport : les données d investissement direct à l étranger sont une mauvaise approximation de l activité des entreprises multinationales. Cela est dû à ce que les données de balance des paiements ne retracent au mieux que le montant du capital investi, sans information sur l activité réelle. Mais surtout, les données d investissement direct en balance des paiements sont ellesmêmes de moins en moins le reflet d une réalité économique, en raison de l importance prise par les prêts intra-groupes et les entités spécifiques centralisant à l étranger les opérations financières des groupes français. Des données d activité sont désormais collectées à titre expérimental, mais les premiers résultats montrent que des informations importantes vont faire défaut, comme le commerce extérieur des groupes enquêtés ; si l internationalisation de l économie française est probablement surestimée par les données d investissements directs, il reste que des pans entiers de l activité économique, de l emploi, dépendent des groupes étrangers. Cela constitue une forte contrainte pesant sur l autonomie de la politique économique : les groupes étrangers ont une grande liberté de localisation Parallèlement, les groupes français ont tiré les conséquences de la dynamique de l économie mondiale. Ils réalisent une grande partie de leur activité, et peut-être encore plus de leur rentabilité, à l extérieur du territoire ; l impact de l investissement étranger sur l activité et l emploi dépend du type d investissement réalisé, du pays de destination de l investissement et de l importance respective des effets de substitution et de revenu. Les implantations de type horizontal (la réplication des unités de production pour accéder aux marchés étrangers) ont en termes nets un impact positif sur l activité et l emploi en France. La littérature nous montre par ailleurs INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 9

que les emplois créés sont plutôt plus qualifiés. Les implantations à l étranger sur le mode vertical (les délocalisations) n ont pas impact significatif sur l emploi globalement, même si d autres travaux soulignent un impact négatif sur les non-qualifiés. Mais cet impact reste limité et surtout la distinction vertical/horizontal reste assez théorique et rend imparfaitement compte des motivations de l implantation dans les pays émergents (marchés prometteurs, bas coûts de main d œuvre). Au final, la combinaison des effets de substitution et de revenu n est pas défavorable à l emploi en moyenne, mais pourrait l être pour les non-qualifiés. La mondialisation de l appareil productif est ainsi assimilable à un progrès technique biaisé ; les entreprises localisées en France et appartenant à des groupes étrangers sont plus efficaces que celles appartenant à des groupes français, et ces dernières dépassent les entreprises indépendantes : elles créent plus d emplois, exportent plus, importent plus et sont plus rentables. Sans aucun doute, avons-nous là l image des groupes français exploitant leurs avantages spécifiques sur les marchés étrangers, mais nous ne disposons pas de l information pour l affirmer. Ceci est dû à deux effets : un effet de sélection, les cibles acquises étant plus efficaces ; un effet de complémentarité, ces cibles bénéficiant de l apport des actifs spécifiques de la tête de groupe étrangère ; les entreprises multinationales françaises investissent majoritairement dans les pays développés. C est dans ces pays que se concentrent majoritairement les filiales des groupes français mais aussi les effectifs et les ventes étrangers. Les activités étrangères sont principalement concentrées dans le secteur du commerce puis dans des secteurs manufacturiers tels que l industrie chimique ou le matériel de transport. Nous montrons que l emploi des groupes en France est positivement corrélé à leur activité à l étranger, sauf si la filiale est localisée dans un pays à bas salaires. Dans ce cas, aucune relation statistiquement significative n apparaît. Nous observons également que les importations «comptent». Elles sont associées à de meilleures performances et surtout une bien meilleure rentabilité. Une mauvaise lecture de ce résultat serait de conclure qu il est plus rentable d importer que de produire en France. En réalité, dans une économie globalisée, les entreprises globalisées peuvent tirer parti de la variété de consommations intermédiaires, de technologies, de produits à distribuer, présente sur le marché mondial. Celles qui importent sont donc plus efficaces. Ce rapport étant réalisé à la demande de la secrétaire d État chargée du Commerce extérieur, n hésitons pas à souligner que la compétitivité de l industrie française et sa capacité à créer des richesses, dépendent aussi de ses importations. Il est donc important de préserver l ouverture du marché. Enfin, quelle est l importance de la nationalité de l entreprise, à supposer qu on sache la définir? Cette question est cruciale par rapport au sujet du patriotisme économique que certaines de nos conclusions ne manqueront pas de réveiller. Nous accorderons une importance particulière dans ce travail au statut de l entreprise indépendante ou non et, pour les entreprises contrôlées, à la nationalité, française ou non, de la tête de groupe. Les filiales 10 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

françaises de groupes étrangers sont plus efficaces parce que ces groupes ont acquis des fleurons de l industrie ; mais cette acquisition a révélé le potentiel de performance des cibles françaises. Seul le commerce extérieur français n en bénéficie pas. Les entreprises françaises qui s implantent à l étranger sont les plus efficaces, mais cette implantation leur permet de mieux exploiter leurs avantages spécifiques et les rend aussi plus efficaces en France. Cependant, ceci n est pas vrai si l entreprise française qui investit à l étranger est contrôlée par une tête de groupe étrangère. Ces différents résultats suggèrent que des positions tranchées en matière de politique économique, se traduisant par une intervention systématique dans ce domaine, auraient des effets complexes et probablement peu favorables. Le reste de ce rapport est organisé comme suit. La deuxième section s intéresse à la mesure de l activité des entreprises multinationales. La troisième section propose une revue de littérature. La quatrième section décrit l impact de la présence à l étranger, de la décision de s implanter à l étranger et du niveau d activité à l étranger, sur les performances en France en termes d activité, de productivité, et d emploi. La cinquième section s intéresse à l impact de la nationalité de la tête de groupe sur les performances des filiales localisées en France, et à l impact d une acquisition par un groupe étranger sur les performances de la filiale française. La dernière section conclut. 2. Mesurer l activité des entreprises multinationales Commençons par un point de définition : une entreprise multinationale est une entreprise disposant de filiale(s) à l étranger. La question est dès lors comment mesurer l activité à l étranger des entreprises résidentes et l activité en France des entreprises non résidentes. Nous procédons en trois temps : nous interrogeons la notion d entreprise comprise comme centre de décision autonome par rapport à sa réalité statistique ; nous examinons si la trace laissée par les entreprises en balance des paiements à l occasion de leurs opérations de capital social et de prêts entre affiliées constitue une information pertinente ; enfin, nous adoptons une stratégie plus directe consistant à essayer de recueillir de l information sur l activité des entreprises résidentes contrôlées par des têtes de groupe non résidentes, et réciproquement sur l activité des entreprises non résidentes contrôlées par des têtes de groupe résident en France. Ces détours méthodologiques sont nécessaires avant de tenter de répondre à la question de l impact de l activité des entreprises multinationales sur l économie française. 2.1. L entreprise et sa réalité statistique À partir de quel seuil de contrôle une entreprise peut-elle être considérée comme détenue par des capitaux étrangers? Toutes les filiales étrangères ne sont pas détenues à 100 %. Par convention, le seuil de 10 % du capital INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 11

social d une entreprise étrangère est utilisé pour construire les statistiques d investissement à l étranger. En deçà, il s agit d investissement de portefeuille. Il conviendrait en principe de prendre en compte les filiales de premier rang, comme celles de second rang (les filiales des filiales), ce qui pose des problèmes statistiques difficiles. Plus généralement, dès lors que nous parlons d une entreprise et de ses filiales, nous parlons d un groupe et il peut être intéressant de consolider les données d activité, d échange ou de résultat de ce groupe. A contrario, on peut aussi avoir intérêt à décomposer le groupe en unités opérationnelles pour l analyse (par type d activité, par exemple). Si nous utilisons les données d activité disponibles en France (enquête annuelle d entreprise) deux types de situation sont envisageables. Les filiales françaises des groupes français sont renseignées, mais pas les filiales étrangères, tandis que l on dispose de l information sur la tête de groupe (l existence d une holding à l étranger peut toutefois poser un problème statistique). S agissant des filiales françaises de groupes étrangers, on ne dispose pas de l information sur la tête de groupe (on connaît sa nationalité) et, a fortiori, on ne connaît pas les autres filiales de ce même groupe (hors de France). Au final, nous aurions besoin d un répertoire européen à défaut d être mondial des groupes, découpés en unités opérationnelles. Mauvaise nouvelle, un tel répertoire n existe pas. Bonne nouvelle, Eurostat commence à collaborer avec l INSEE sur ce projet. Dans tous les cas, on s éloigne de la logique d entreprises repérées par leur numéro d identification (SIREN) et constituant le niveau d analyse pertinent. On s intéresse au contraire à des groupes profilés et ces groupes sont internationaux. Faute d information précise sur l activité des entreprises multinationales, on en est le plus souvent contraint de s appuyer sur les ordres de grandeur disponibles pour les États-Unis, où ce type d information est collecté de longue date ou, à défaut, d utiliser des données d investissement direct à l étranger. En balance des paiements, la «trace» de l activité internationale des entreprises que constituent leurs opérations en capital social et les prêts entre filiales d un même groupe est bien l investissement direct à l étranger, entrant ou sortant. 2.2. L investissement direct, trace statistique de l activité des entreprises multinationales Les statistiques d investissement direct en balance des paiements sont collectées de façon éparse au niveau international. Cette situation contraste avec les efforts déployés depuis des décennies pour collecter les statistiques d échanges internationaux de biens à un niveau fin. Rien de tel ici. L OCDE, ou encore Eurostat, parmi d autres organisations internationales, 12 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

proposent des données compilant les informations produites par les balances des paiements nationales. Mais il n existe pas de base de données à trois dimensions (investisseur, hôte, secteur) au niveau international. L OCDE ne publie plus de tels chiffres en raison de leur qualité problématique, d une part, et, d autre part, de l importance des cellules de la base couvertes par le secret statistique (par exemple, un investissement de la France dans l automobile à l année t dans le pays x). Pour les besoins de la modélisation une telle base a été récemment recréée par le Centre d études prospectives et d informations internationales (CEPII) et une tentative équivalente est en cours à l US International Trade Commission (USITC) ; mais ces bases ne se prêtent pas au travail économétrique dans la mesure où seule une partie des données est estimée. Des données moins désagrégées publiées par la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) sont largement reprises dans les médias et diverses analyses. Nous rassemblons dans le tableau 1 les informations relatives aux flux d investissement direct entrant et sortant dans les principaux pays d accueil au niveau mondial. Il apparaît dans ces données que la France serait le deuxième pays d accueil des investissements étrangers dans le monde, derrière les États-Unis et devant la Chine et le Royaume-Uni. Les entreprises étrangères investiraient près de cinq fois plus en France qu en Allemagne, pays disposant d un marché intérieur plus vaste et d une localisation similaire au sein du marché unique. Cette simple comparaison incite à la prudence dans la mesure où aucune théorie de la localisation des investissements ne saurait expliquer une telle différence entre les deux grands voisins. Il est également étonnant que les investissements étrangers au Nigeria soient équivalents aux investissements étrangers en Allemagne (2). Il est donc nécessaire d examiner de plus près comment les statistiques d investissement direct sont construites. Le rapport des flux d investissement direct à l objet étudié ici, à savoir l activité des entreprises multinationales, est ténu pour deux raisons : premièrement, sont comptabilisés en balance des paiements les flux de capitaux («capital social»), les bénéfices réinvestis, les prêts entre affiliées («autres opérations»). Le chiffre global obtenu peut être artificiellement gonflé par des flux financiers n ayant pas de contrepartie réelle ; deuxièmement, les stocks d investissements directs sont a priori une meilleure mesure de l activité à l étranger, mais posent à leur tour de difficiles problèmes de mesure. Nous examinons maintenant ces deux questions. (2) La CNUCED fait état d une donnée estimée dans le cas du Nigeria. INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 13

1. Flux d investissement direct étranger entrants et sortants, principaux pays hôtes, 2008 IDE entrants IDE sortants États-Unis 215,9 212,9 France 80,3 150,3 Chine 74,0 35,6 Royaume-Uni 66,2 75,9 Russie 48,0 35,8 Espagne 44,8 52,8 Hong Kong 43,0 40,9 Belgique 40,8 46,6 Australie 31,9 24,5 Brésil 30,8 14,0 Canada 30,5 53,0 Suède 29,8 25,5 Inde 28,4 12,1 Arabie saoudite 26,1 0,7 Nigeria 20,0 0,2 Allemagne 17,0 106,9 Japon 16,7 87,4 Singapour 15,5 6,1 Mexique 15,0 0,5 Turquie 12,4 1,8 Suisse 11,9 58,9 Lecture : Pour le calcul, 1 dollar = 0,683 euro. Source : CNUCED, World Investment Report 2009. En milliards d euros 2.3. L investissement direct, reflet de l activité financière intra-groupe La logique comptable de l inscription des flux d investissement direct en balance des paiements est la suivante : les bénéfices réinvestis (sur place, donc) inscrits en investissement direct sont simplement la contrepartie de l inscription en revenus d investissements (en opérations courantes). Les opérations en capital social comprennent les investissements immobiliers (achat de résidences mais aussi investissements à l étranger d entreprises du secteur immobilier), les fusions-acquisitions (reprises d actifs), les autres transactions (créations de capacités productives : «greenfield», ou extensions de capacités : «brownfield»). La balance des paiements ne distingue pas entre fusions-acquisitions et autres transactions en capital social (mais seulement entre constitutions et liquidations), mais il est possible de reconstruire cette distinction. La Banque de France s est livrée à cette reconstitution en examinant chaque opération supérieure à 150 millions d euros depuis 2002. Le tableau 2 donne pour la période 2002-2008 la décomposition évoquée. On 14 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

relève qu en 2002 les flux entrants et sortants totaux s équilibraient. En 2003, la différence était de 10 milliards d euros, et de 20 milliards en 2004. Cet excédent des sorties sur les entrées culmine à 70 milliards en 2008. Mais les «autres opérations», c est-à-dire les prêts entre filiales, créent beaucoup de «bruit» dans ces données. Nous y reviendrons. Dans l immédiat, concentrons-nous sur les fusions-acquisitions. Elles peuvent représenter certaines années la moitié des flux sortants totaux, comme en 2006. Mais surtout, elles peuvent constituer l essentiel des opérations en capital social sortant : 24,9 milliards d euros sur un total de 27,6 en 2005, 45,4 sur 58,3 milliards en 2006, 51,7 sur 57,3 en 2007. Cette importance est moindre dans les flux entrants mais, au final, les flux de capital social entrant hors fusions-acquisitions ne représentent que 3,1 milliards d euros en 2008, à comparer aux 22,4 milliards d investissements entrants hors «autres opérations». Au-delà de la question des fusions-acquisitions se pose le problème des «autres opérations». La France a joué ici un rôle pionnier en matière statistique, en publiant à titre expérimental des données d investissement direct entrant et sortant corrigées des doubles comptabilisations entraînées par ces «autres opérations». Les travaux de la Banque de France rapportés dans le complément A à ce rapport de Nivat et Terrien montrent que les 70,3 milliards d euros de sorties nettes d investissements étrangers depuis la France correspondent en réalité à la différence entre 80,3 milliards d investissements sortants (et non 136,8 comme dans le tableau 2) et 9,7 milliards d investissements entrants (et non 43,9), une fois corrigé des «autres opérations». Cette différence entre la série brute et la série retraitée a tendance à s accroître au cours du temps, l utilisation de la première série pouvant conduire à des conclusions erronées. Cette correction étant effectuée, l investissement étranger en France en 2007 n a pas dépassé celui de 2000 (30 milliards d euros), tandis que le recul de l investissement entrant en 2008 (à moins de 10 milliards d euros, soit au niveau de 2003) était masqué par la présentation traditionnelle (66,3 milliards en 2008 contre 37,7 en 2003). En bref, en 2008, une fois retraitées les «autres opérations», on compte 9,7 milliards d euros d investissements entrants en France. Un tiers de ce montant correspond à des apports de capital social hors fusions-acquisitions. Enfin, quelles sont ces entreprises étrangères investissant en France? En réalité, ce sont souvent des entreprises étrangères appartenant à des groupes français : sur les 9,7 milliards d investissements entrants, 4,1 milliards sont en réalité des investissements français en France. Restent 5,6 milliards d investissements étrangers en France en 2008 (à comparer au chiffre brut de 66,3 milliards). La même correction doit être faite sur les investissements sortants de France, lesquels peuvent correspondre à des flux émanant de filiales en France de groupes étrangers. Mais dans ce second cas la correction est minime : 800 millions d euros sur un total de 80 milliards. La plus grande prudence est donc nécessaire dans l interprétation des chiffres d investissement direct à l étranger. Cette prudence est d autant plus nécessaire que seule la France a jusqu ici publié des statistiques corri- INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 15

2. Flux d investissements directs de la France 2002 En milliards d euros 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Investissements directs français à l étranger 53,6 47,1 45,7 92,5 88,2 123,5 136,8 capital social 41,4 11,8 25,7 27,6 58,3 57,3 52,7 immoblier 1,3 1,0 1,3 2,2 2,9 3,3 1,4 fusions-acquisitions 14,8 5,3 6,4 24,9 45,4 51,7 35,8 autres transactions 25,3 5,5 18,1 0,5 10,0 1,6 15,5 bénéfices réinvestis 9,6 1,7 10,5 21,7 25,1 22,3 12,6 autres opérations 21,7 33,6 9,5 43,2 4,8 43,9 71,5 Investissements directs étrangers en France 52,1 37,7 26,2 68,3 57,3 75,9 66,3 capital social 36,0 15,1 4,2 18,4 21,8 22,7 15,4 immobilier 6,9 9,1 5,9 6,6 8,9 11,0 4,2 fusions-aquisitions 19,1 5,1 5,7 5,7 3,1 5,0 8,1 autres transactions 10,0 0,9 4,0 6,1 9,8 5,8 3,1 bénéfices réinvestis 4,8 1,9 4,8 14,2 9,5 11,8 7,0 autres opérations 20,9 24,5 17,2 35,7 30,9 76,2 43,9 Source : Banque de France, Balance des paiements. 16 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

gées des doubles comptabilisations. On ne peut donc comparer les chiffres corrigés pour la France aux chiffres bruts publiés par les autres pays. La comparaison ne sera possible que dans quelques années, lorsque les principaux pays émetteurs ou récepteurs d investissement direct auront suivi les recommandations de l OCDE et publié des statistiques corrigées (3). La comparaison des deux séries dans le graphique 1 souligne que, depuis 2000, l évolution des investissements étrangers en France a correspondu au mieux à un maintien des flux jusqu en 2007, contrairement à l évolution plus positive suggérée par la présentation traditionnelle. Comment expliquer cette différence croissante entre les deux séries d investissements directs? En réalité, c est bien le reflet de l intégration financière internationale que nous renvoient les chiffres d investissements étrangers en balance des paiements. Les prêts intra-groupes représentent une part croissante des flux enregistrés en raison de la mise en place de structures spécialisées dans le financement des activités des groupes internationaux. La France est très concernée par cette correction statistique parce que ses groupes sont très internationalisés. Mais si l on retient cette explication, d autres pays de niveau de développement équivalent devraient également être touchés par cette correction statistique. 100 80 1. Investissements étrangers en France En milliards d euros Présentation traditionnelle (5ème (*) manuel de bdp) Fusions-acquisitions Bénéfices réinvestis Nouvelle présentation (4ème (**) déf. de référence de l'ocde) 60 40 20 0-20 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Notes : (*) V e Manuel de la balance des paiements du FMI ; (**) IV e Définition de référence de l OCDE. Source : Nivat et Terrien (2010). (3) L OCDE (mais aussi le FMI dans la sixième édition du Manuel de la balance des paiements) consciente du problème, suggère de recalculer les flux d investissements en balance des paiements en effectuant la correction que nous venons de commenter, c est-à-dire en appliquant le «principe directionnel étendu» en lieu et place des principes du V e Manuel de la balance des paiements du FMI. INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 17

Au cœur de ces flux financiers intra-groupes opèrent les «entités à vocation spécifique (EVS)» spécialisées dans le financement ou la centralisation de trésorerie des groupes. La croissance de l activité de ces EVS s explique par la centralisation des opérations financières des groupes (création de nouvelles entreprises, reprise de sociétés existantes, centralisation à l échelle européenne de la trésorerie et du financement du groupe), mais aussi par des motifs d optimisation fiscale. Cette centralisation crée des flux multiples pour une même opération, dupliquant la valeur réelle de l opération et conduisant à la progression très rapide des investissements internationaux en balance des paiements parfois considérée à tort comme une manifestation de la mondialisation de la production La correction proposée par l OCDE consiste à retenir le «principe directionnel étendu», c est-à-dire à reclasser les prêts intra-groupes en fonction de la résidence de la tête de groupe : ainsi les flux croisés entrants et sortants de France entre filiales d un même groupe résident (dont la tête de groupe est résidente) situées en France et à l étranger se neutralisent en grande partie. L application du principe directionnel étendu a non seulement un impact important sur les flux totaux entrants et sortants, mais aussi sur la structure géographique de ceux-ci. Les pays accueillant le plus d EVS sont ceux pour lesquels les flux d investissement sortant de France sont les plus affectés : le Luxembourg ( 91 %), la Suisse ( 76 %), l Allemagne ( 75 %), le Royaume-Uni ( 68 %) les Pays-Bas ( 58 %). La présence de l Allemagne dans cette liste suggère que le motif d optimisation fiscale ou réglementaire n est qu un des déterminants de cette nouvelle organisation des flux financiers au sein des groupes français. Enfin, certaines opérations réalisées depuis l étranger sont le fait d entreprises françaises (plus précisément de filiales étrangères de groupes résidents), et doivent donc être reclassées en «françaises» en vertu du principe du bénéficiaire ultime : c est ainsi que 4,1 milliards d investissements entrants en France sur 9,7 sont en réalité des investissements «français» (c est-à-dire des investissements en France réalisés par des entreprises non résidentes dont la tête de groupe est résidente). La croissance des EVS se retrouve aussi à un niveau plus microéconomique lorsque l on s intéresse aux données d investissement direct à l étranger individuelles des entreprises françaises, et non plus aux données agrégées comme nous l avons fait jusqu ici. Le complément de Jean- Charles Bricongne et Guillaume Gaulier utilise les données individuelles de entreprises utilisées in fine pour construire les données agrégées. Ces données permettent de dénombrer les opérateurs et de repérer si une opération porte sur du capital social ou sur un prêt intra-groupe. Le graphique 2 reprend les évolutions de 1999 à 2008 du nombre d opérateurs en capital social et en «autres opérations» (les prêts intra-groupes). À partir de 2003, on relève à une forte divergence des deux séries, pour l investissement sortant comme pour l investissement entrant. Alors que le nombre d opérateurs d investissement direct en capital social est resté stable (environ 4 000 opé- 18 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE

rateurs chaque année, chiffre à comparer à environ 100 000 exportateurs de biens et 13 000 exportateurs de services) jusqu à 2007, le nombre d opérateurs en «autres opérations» a doublé depuis le début des années 2000 pour s établir à environ 10 000. 2. Nombre d entreprises opérateurs (identifiées par leur SIREN) de l investissement direct, France, 1999 et 2008 12 000 10 000 8 000 IDE entrants (capital social) IDE sortants (capital social) IDE entrants (autres opérations) IDE sortants (autres opérations) 6 000 4 000 2 000 0 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Source : Banque de France, Bricongne et Gaulier (2010). Remarquons que nous comptons dans le graphique précédent les filiales d un même groupe comme autant d opérateurs puisque nous utilisons les numéros d identification SIREN. Or, il est probable que plusieurs filiales d un même groupe utiliseront les services d une même EVS, ou bien que le groupe organisera l investissement à l étranger de ses différentes filiales résidentes de façon centralisée. L unité de décision étant dans tous les cas la tête de groupe et non l entreprise repérée par son SIREN, il convient donc d associer chaque SIREN à son groupe en utilisant le fichier des liaisons financières. Ce travail a été réalisé par Jean-Charles Bricongne et Guillaume Gaulier dans le complément C à ce rapport. INVESTISSEMENT DIRECT ÉTRANGER ET PERFORMANCES DES ENTREPRISES 19

3. Répartition des flux d IDE selon la variable «contour» de LIFI, 2000-2007 En % du total Tête de groupe (T) Filiale contrôlée majoritairement (C) Contour élargi, contrôle minoritaire (E) Joint venture (J) «Mouvance» des groupes (M) Absent de LIFI Recettes d'ide entrants capital social 10,1 52,4 2,4 1,3 0,3 33,4 autres opérations 30,1 64,9 0,4 0,7 0,1 3,8 Dépenses d'ide sortants capital social 53,9 37,0 0,3 0,8 0,2 7,9 autres opérations 30,6 65,2 0,4 0,7 0,1 3,1 Sources : Bricongne et Gaulier (2010) d après Banque de France (DGS) et enquête LIFI (INSEE, DSE). Concernant les opérations en capital social, on observe dans le tableau 3 que plus de la moitié des IDE entrants se dirigent vers des filiales contrôlées majoritairement. Au contraire, plus de la moitié des IDE sortants sont le fait des têtes de groupe. S agissant des prêts intra-groupes, les deux tiers des opérations sont réalisés par différentes filiales contrôlées majoritairement, la tête de groupe ne représentant que 30 % des flux. Cette forte proportion des filiales dans les opérations intra-groupes confirme la description faite précédemment des opérations avec les EVS, centralisant les opérations financières des groupes dans une ou plusieurs places étrangères. Il est alors possible de calculer la contribution de la marge extensive (apparition nette de nouveaux opérateurs) et la contribution de la marge intensive (augmentation nette des flux existants) à la croissance des flux d investissements directs entrants et sortants. Le résultat de cette décomposition (marge extensive/marge intensive) est présenté dans le tableau 4 pour la période 2000-2008 pour les entreprises considérées au sein des groupes auxquels elles appartiennent. La distinction entre capital social et autres opérations est conservée. L essentiel de la progression des opérations de prêts intra-groupes se fait par accroissement de la valeur annuelle des flux des opérateurs existants (88 % de la progression des flux entrants et 91 % pour les flux sortants). Ce ne sont pas de nouveaux groupes résidents qui se mettent à réaliser ce type d opérations, mais les mêmes groupes qui utilisent de façon croissante cette facilité. En combinant cette observation avec celle faite plus haut sur les flux agrégés, nous pouvons donc confirmer le résultat selon lequel la dissociation croissante entre flux d investissements directs en balance des paiements et réalité des investissements étrangers s explique par un recours croissant, par les mêmes groupes, aux opérations de financement intra-groupes. 20 CONSEIL D ANALYSE ÉCONOMIQUE