La communauté qui a financé la souscription d'une assurance-vie doit-elle être récompensée lors du divorce?



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Transcription:

Recueil Dalloz 1998 p. 26 La communauté qui a financé la souscription d'une assurance-vie doit-elle être récompensée lors du divorce? François Sauvage La jurisprudence Praslicka (1) n'a pas résolu toutes les questions relatives au sort du contrat d'assurance-vie souscrit par un époux en régime de communauté. Si la question de l'aléa dans le contrat d'assurance-vie fait aujourd'hui diversion (2), il n'en demeure pas moins que le régime de l'assurance-vie en cours au moment de la dissolution de la communauté est encore incertain si le souscripteur a payé les primes avec des deniers communs. Plusieurs raisons justifient ces difficultés persistantes : le succès de l'assurance-vie qui attire à elle une épargne très importante, le grand nombre des divorces, la mauvaise grâce avec laquelle la jurisprudence Praslicka a été reçue par les diffuseurs de produits d'assurance-vie et leurs clients au regard de ses conséquences civiles et fiscales, les controverses doctrinales sur la portée de cette décision, etc. Par sa décision du 10 juill. 1996, la première Chambre civile de la Cour de cassation complète utilement son arrêt Praslicka dans des circonstances de fait différentes. Un mari prévoyant avait souscrit une assurance temporaire-décès (3) au profit de sa femme. Comme il en a en principe le droit, il avait ultérieurement révoqué cette désignation initiale et substitué un tiers à son épouse. A la suite du divorce des époux et lors du partage de la communauté, l'épouse n'avait pas manqué d'exiger qu'il lui soit tenu compte des primes payées au moyen de deniers communs en dépit de la relative modicité des sommes en jeu. La Cour d'appel de Riom lui donne raison et décide que le mari est redevable envers la communauté de l'intégralité des primes acquittées avec des deniers communs. Le pourvoi critique cette décision dans le premier moyen (le second est sans intérêt) en se référant de manière explicite à la jurisprudence Praslicka. Il est au préalable observé dans la première branche du moyen que la valeur d'un contrat d'assurance-vie souscrit avec des deniers communs fait en principe partie de l'actif de communauté comme n'importe quel acquêt. Mais, ajoute immédiatement le pourvoi, cette observation préalable ne porte pas à conséquence en l'espèce puisque l'assurance temporaire-décès est souscrite à fonds perdus et ne comporte pas de valeur de rachat. Aucune valeur ne peut dès lors être portée à l'actif commun. L'arrêt d'appel viole par conséquent l'art. 1401 c. civ. et l'art. L. 132-23 c. assur. (4) car il oblige le souscripteur à rapporter le montant des primes payées avec les fonds de la communauté alors que le contrat n'a en réalité aucune valeur. Dans la seconde branche du moyen, il est précisé que la communauté n'a droit en toute occurrence lors de sa dissolution qu'à la valeur du contrat d'assurance-vie même si celle-ci est nulle et non à récompense pour les primes payées par elle, sauf à violer ensemble l'art. 1401 c. civ. et l'art. L. 132-13 c. assur. (textes qu'avait visés la Cour de cassation dans l'arrêt Praslicka au soutien de sa cassation pour refuser l'ouverture d'un cas de récompense au profit de la communauté et qualifier le contrat d'assurance-vie d'acquêt en valeur). La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle, dans un premier temps, que le tiers désigné bénéficiaire en dernier lieu aura droit au capital assuré à partir du jour de la souscription en application de l'art. L. 132-12 c. assur. Elle précise surtout, dans un second temps, que le mari est redevable des deniers communs utilisés pour payer les primes du contrat en vertu de l'art. 1437 c. civ. car ces deniers ont servi à acquitter une charge contractée dans son intérêt personnel.

La «patrimonialisation» du contrat d'assurance-vie (5) se poursuit. En cas de dissolution de la communauté, alors qu'un contrat d'assurance-vie est en cours, la jurisprudence Praslicka et la jurisprudence Daignan comme elle est déjà nommée (6) doivent être combinées de façon à ce qu'il soit tenu compte à la communauté des primes qu'elle a pu acquitter. De deux choses l'une : soit le contrat comporte une valeur de rachat, auquel cas, par application de l'arrêt Praslicka, cette valeur doit être portée à l'actif commun à partager ; soit le contrat ne comporte pas de valeur de rachat, auquel cas, par application de l'arrêt Daignan, une récompense est due à la communauté à hauteur des primes payées au moyen des deniers communs. Bien que le mot ne soit pas utilisé par la Cour, l'apport essentiel de l'arrêt est de soumettre le contrat d'assurance-vie au régime des récompenses. Si l'art. L. 132-16 c. assur. prévoit que les assurances-vie entre époux peuvent ouvrir droit à récompense lorsque les primes payées avec des deniers communs ont été exagérées au regard des facultés du souscripteur, ce texte est ici hors de cause puisque, d'une part, il ne s'agissait pas d'une assurance-vie entre époux et, d'autre part, le contrat est en cours au moment de la dissolution de la communauté. La Cour de cassation innove donc en appliquant le mécanisme des récompenses de droit commun en dehors du jeu de l'art. L. 132-16 à un contrat d'assurance-vie en cours au moment de la dissolution de la communauté. Reste que l'adéquation du régime des récompenses à un contrat aussi spécifique que l'assurance-vie peut être discutée tant en ce qui concerne le principe même de la récompense (I) qu'en ce qui concerne son montant (II). I. - L'ouverture d'un cas de récompense La raison donnée par la Cour de cassation pour justifier ce nouveau cas de récompense permettra de savoir si la solution adoptée peut être étendue à d'autres hypothèses. 1 - Justification de la solution - La Cour précise qu'il y a lieu à récompense en raison des primes acquittées sur les deniers communs, car la communauté a acquitté une charge personnelle à l'un des époux au sens de l'art. 1437 c. civ. Autrement dit, payer les primes d'un contrat d'assurance temporaire-décès revient à acquitter une charge personnelle au souscripteur. La qualification de charge personnelle est contestable pour deux raisons : 1 - D'une part, il ne s'agit pas d'une charge pesant sur le souscripteur (7). Celui-ci peut en effet payer ou non les primes et en aucun cas il ne doit les acquitter (c. assur., art. L. 132-20). 2 - D'autre part, et surtout, même si on qualifie le paiement des primes de charge, cette charge ne lui est pas personnelle au sens de l'art. 1437 c. civ., c'est-à-dire ne lui est pas personnelle quant à la contribution à la dette. Les primes n'ont pu être acquittées dans l'intérêt personnel de l'époux souscripteur puisqu'elles ont permis à la communauté d'acquérir une créance contre la compagnie d'assurance. Par application de la technique de la stipulation pour autrui, le souscripteur dispose en effet d'une créance contre l'assureur : il peut exiger de celui-ci qu'il verse le capital assuré au bénéficiaire désigné. Le souscripteur qui paie les primes à l'assureur acquiert ainsi à titre onéreux une créance qui entre en communauté comme n'importe quel acquêt (c. civ., art. 1401). La jurisprudence Praslicka précitée en tire la conséquence exacte en cas de dissolution de la

communauté alors que le contrat d'assurance-vie est en cours : le contrat ou tout au moins sa valeur doit être portée à l'actif de communauté. Mais cela doit devoir aussi signifier que, si le contrat n'a pas de valeur, il doit être porté pour zéro à l'actif commun sans que l'on puisse en inférer l'absence de créance du souscripteur contre la compagnie d'assurance. La valeur d'un contrat d'assurance-vie est généralement alignée sur sa valeur de rachat (8) au jour de la dissolution de la communauté. Or, une assurance temporaire-décès n'est pas rachetable (c. assur., art. L. 132-23). Il aurait donc pu être soutenu en l'espèce avec le pourvoi que les primes acquittées avec des derniers communs ont certes permis d'acquérir une créance contre la compagnie d'assurance qui s'oblige à verser le capital assuré au bénéficiaire, mais que cette valeur est nulle à défaut de valeur de rachat. En réalité, la créance du souscripteur ne semble pas dépourvue de toute valeur pécuniaire. On pourrait très bien imaginer que le souscripteur cède ses droits dans le contrat à un tiers acquéreur désireux de souscrire une assurance temporaire en cas de décès au bénéfice d'un tiers de son choix. Si le contrat n'a pas d'ores et déjà été accepté par le bénéficiaire, le cessionnaire acquiert dès lors les droits du souscripteur initial, tire profit du montant des primes d'ores et déjà acquittées qui ont permis de valoriser le capital assuré et peut substituer au bénéficiaire initialement désigné un bénéficiaire de son choix (étant entendu que la tête assurée ne change pas ce qui rend impraticable ce type de cessions). Dans cette hypothèse d'école, comment prétendre toutefois que la créance cédée n'a aucune valeur? Son transfert pourrait donner lieu au versement d'un prix (9). Identifier la valeur de la créance entrée en communauté à la valeur de rachat paraît donc trop rapide et rien n'empêche de donner une valeur intrinsèque à un contrat d'assurance temporaire-décès, valeur qui devra être portée à l'actif commun notamment si la communauté est dissoute alors que le contrat est en cours. Le problème d'évaluation qui résulte de cette qualification (10) ne doit pas masquer l'acquisition à titre onéreux par la communauté d'une créance contre l'assureur, y compris dans les contrats non rachetables. Soucieuse à la fois de contourner les difficultés d'évaluation et de protéger la communauté, la première Chambre civile a préféré recourir au droit commun des récompenses à raison des primes qu'elle a versées pour acquitter une charge personnelle au souscripteur, solution difficile à justifier et à la portée incertaine car en contradiction avec sa jurisprudence Praslicka. 2 - Extension de la solution - La qualification de charge personnelle du souscripteur ouvrant droit à récompense à la communauté peut-elle être étendue au paiement des primes des contrats autres qu'une assurance temporaire-décès et des contrats dénoués au moment de la dissolution de la communauté? Si on admet que le paiement des primes d'une assurance temporaire-décès est une charge personnelle au sens de l'art. 1437 c. civ., alors cette qualification paraît pouvoir s'appliquer aussi à d'autres types de contrats d'assurance-vie sans faculté de rachat (11) tels qu'une assurance de rente immédiate, une assurance de survie, ou une assurance en cas de vie sans stipulation de contre-assurance en cas de décès (V. c. assur., art. L. 132-23). La solution paraît devoir être identique lorsque le contrat est dénoué au moment de la dissolution de la communauté, notamment par le décès de l'époux souscripteur et assuré. La qualification de charge personnelle, quoique contestable en son principe, est suffisamment neutre pour s'appliquer au paiement des primes afférentes à des contrats d'assurance-vie sans valeur de rachat, que ces contrats soient dénoués ou en cours au moment de la dissolution de la communauté. Mais, dans l'hypothèse de contrats dénoués au moment de la dissolution de la communauté, la qualification de donation indirecte aurait permis de parvenir au même résultat tout en étant plus exacte. Elle a en outre l'avantage d'être applicable aux contrats d'assurance-vie rachetables (les plus courants, notamment les assurances en cas de vie contre assurées ou

assurances de capital différé) dénoués par le décès du souscripteur qui ne sont concernés ni par la jurisprudence Daignan - puisqu'il existe une valeur de rachat - ni par la jurisprudence Praslicka - puisque le contrat n'est pas en cours au moment de la dissolution de la communauté (12). Dans les rapports entre le souscripteur et le bénéficiaire désigné par lui, il est admis que l'opération d'assurance-vie comme toute stipulation pour autrui peut révéler une donation indirecte si une intention libérale anime le souscripteur (V. c. civ., art. 1121) (13). Dès lors, pourquoi ne pas avoir utilisé la qualification de donation indirecte portant sur le droit propre conféré au bénéficiaire grâce à des primes acquittées sur les deniers de la communauté pour justifier un droit à récompense à son profit (14)? Sans doute parce qu'au cas présent l'assurance temporaire-décès recouvre une véritable opération de prévoyance sans révéler une intention libérale. La Cour évite ainsi de s'engager sur le chemin périlleux de la casuistique qui obligerait les tribunaux à opérer des distinctions selon les types de contrats, le montant des primes, les liens unissant souscripteur et bénéficiaire, etc. S'il ne s'agit pas d'une opération de prévoyance, la donation indirecte sera irrévocablement constituée par l'acceptation du bénéficiaire à effet rétroactif qui fait naître le droit propre du bénéficiaire au jour du contrat (c. assur., art. L. 132-12). Et dans la mesure où la désignation bénéficiaire dûment acceptée recouvre une donation indirecte, récompense est due à la communauté pour les primes qu'elle a acquittées comme pour toute donation ayant pour objet des biens communs ou plus exactement pour une donation indirecte financée par la communauté au cas présent (15). En dehors du cas de figure spécial réglé par l'art. L. 132-16 c. assur. (assurance-vie entre époux), certains auteurs enseignent d'ailleurs que récompense est due à hauteur de l'intégralité des primes versées avec des deniers communs lorsque le contrat d'assurance-vie souscrit au bénéfice d'un tiers est dissous par le décès de l'époux souscripteur qui met fin par la même occasion au mariage et à la communauté (16). La technique des récompenses sollicitée par la Cour de cassation à tort selon nous pour les contrats sans valeur de rachat en cours au moment de la dissolution de la communauté et fondée sur une justification erronée pour les contrats dénoués à cette date pose la question subséquente du montant de la récompense due à la communauté. II. - Le montant de la récompense La Cour de cassation précise que le montant de la récompense est égal aux primes acquittées au moyen de deniers communs. Cette observation paraît incontestable que l'on se réfère aux règles spéciales de l'art. L. 132-16 c. assur. en matière d'assurance-vie entre époux (sous réserve que les primes soient manifestement exagérées au regard des facultés du souscripteur) ou aux règles d'évaluation des récompenses de droit commun posées par l'art. 1469 c. civ. Mais les frais du contrat payés avec les deniers de la communauté doivent également donner lieu à récompense au même titre que les primes. Si le mécanisme des récompenses est fondé sur le paiement par la communauté d'une charge personnelle à l'époux souscripteur, le montant de la récompense est égal, par application du droit commun de l'al. 1er de l'art. 1469 c. civ., à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant pour le patrimoine débiteur de la récompense. Et s'il est admis que le profit subsistant pour l'époux souscripteur ne peut jamais être égal à zéro lorsqu'il s'acquitte d'une charge personnelle ou lorsqu'il donne indirectement des deniers communs mais qu'il est plutôt inexistant, alors la plus faible des deux sommes est nécessairement la dépense faite à défaut de profit subsistant, c'est-à-dire le montant des primes payées au moyen de deniers communs (augmenté des frais) (17). Cette solution dégagée à propos d'une assurance temporaire en cas de décès en cours au moment de la dissolution de la communauté est également transposable à l'évaluation de la récompense due à la communauté qui a payé les primes d'un contrat dénoué au moment de cette dissolution (18). Le montant de la récompense due à la communauté sera pareillement

égal au montant des primes et des frais acquittés avec des deniers de la communauté. Lorsque le contrat d'assurance-vie comporte une valeur de rachat et est en cours à la date de dissolution de la communauté, la jurisprudence Praslicka impose de porter cette valeur de rachat à l'actif de la communauté. La communauté bénéficie ainsi des intérêts capitalisés et donc du rendement du contrat d'assurance-vie, ce qui n'est pas le cas si la récompense est étalonnée sur le montant de la dépense faite. Exclure le mécanisme des récompenses et admettre contre la Cour de cassation que la valeur d'un contrat même non rachetable doit être portée à l'actif commun comme cela a été proposé si le contrat est en cours au moment de la dissolution de la communauté pose alors un problème d'évaluation déjà évoqué : la valeur du contrat est-elle égale au montant des primes payées cumulées ou au montant du capital assuré, ce qui fera bénéficier la communauté non pas des intérêts capitalisés s'agissant d'une assurance temporaire-décès, mais du bénéfice de mortalité procuré par la technique de l'assurance de répartition? La première solution paraît la plus exacte s'agissant de déterminer la valeur de la créance du souscripteur contre l'assureur. La valeur d'un billet de loto est a priori le prix payé à la Française des jeux pour l'acquérir et non le montant du lot qu'il fera gagner à son porteur. La valeur du contrat d'assurance-vie sans valeur de rachat serait donc proche du montant des primes acquittées, frais du contrat compris. Cette solution pourrait d'ailleurs être logiquement étendue aux contrats comportant une valeur de rachat, mais on ne manquera pas de relever que l'exercice du rachat en cours de mariage bénéficierait le cas échéant à la communauté (19) ce qui rend contestable la limitation de la valeur du contrat aux seuls primes et frais du contrat cumulés. La Cour de cassation aurait donc pu admettre que la créance du souscripteur doit être portée à l'actif commun sans que la valeur de cette créance commune soit supérieure à la récompense dont elle rend la communauté créancière. La solution a l'avantage d'être à la fois plus orthodoxe au regard de la technique de la stipulation pour autrui et de la notion d'acquêt et plus cohérente au regard de la jurisprudence Praslicka tout en emportant des conséquences pratiques très proches de celles de l'arrêt du 10 juill. 1996. En somme, il semble que, pour la première Chambre civile de la Cour de cassation, dès lors qu'un contrat d'assurance-vie avec ou sans valeur de rachat est en cours au moment de la dissolution de la communauté, il convient d'en rapporter d'une façon ou d'une autre la valeur à l'actif de communauté si la communauté a payé les primes, quitte à forcer les cas d'ouverture des récompenses. Un résultat identique aurait pu être obtenu par une qualification exacte de la créance du souscripteur au regard de la stipulation pour autrui. Il pourrait en effet être proposé que : 1 S'agissant des contrats en cours au moment de la dissolution de la communauté : - La créance du souscripteur contre l'assureur doit être portée à l'actif commun en valeur et non en nature par exention de la jurisprudence Praslicka (20). - La valeur du contrat à porter à l'actif commun ne peut être trop éloignée du montant cumulé des primes et des frais payés en l'absence de valeur rachat et est égale à cette valeur de rachat s'il en existe une par application de la jurisprudence Praslicka. 2 En ce qui concerne les contrats dénoués lors de la dissolution de la communauté. - Pour les assurances autres qu'entre époux (21), la donation indirecte consentie par l'époux souscripteur au moyen de deniers communs et ayant pour objet le droit propre conféré à un tiers bénéficiaire ouvre un cas de récompense au bénéfice de la communauté (ce qui suppose en outre que la souscription du contrat se distingue d'une opération de simple prévoyance compte tenu de l'intention libérale poursuivie par le souscripteur) (22).

- Le montant de la récompense est alors égal au cumul des primes acquittées sur les fonds communs, frais du contrat inclus. Mots clés : COMMUNAUTE ENTRE EPOUX * Récompense * Assurance-vie * Tiers * Bénéfice * Prime (1) Cass. 1re civ., 31 mars 1992, JCP 1993, II, n 22059, note Abry ; Defrénois 1992, art. 35349, p. 1159, obs. Champenois ; RGAT 1993, p. 136, note Aubert et Kullmann ; D. 1993, Somm. p. 219, obs. Lucet ; et sur renvoi CA Versailles, aud. sol., 21 juin 1993, RGAT 1994, p. 202, note Maury ; JCP éd. N 1993, Prat. p. 679, et D. 1995, Somm. p. 40, obs. Lucet ; Rev. not. assur.-vie 1993, n 97, p. 42. (2) V. par exemple Kullmann, Contrats d'assurance sur la vie : la chance de gain ou de perte, D. 1996, Chron. p. 205 ; Aulagnier, L'assurance-vie est-elle un contrat d'assurance?, Dr. et patrimoine, déc. 1996, p. 44. (3) Assurance en cas de décès par laquelle l'assureur s'engage à payer le capital souscrit au bénéficiaire du contrat si l'assuré décède avant le terme du contrat. Si l'assuré est encore en vie à l'échéance du terme, l'assureur ne verse rien. Le coût de cette assurance est faible car il correspond à la probabilité de décès de l'assuré au cours d'une période donnée, notamment si l'assuré est jeune et si la période d'assurance est brève. (4) L'art. L. 132-23 c. assur. prévoit expressément que les assurances temporaires en cas de décès ne sont pas rachetables. (5) Delmas Saint-Hilaire et Lucet, Cah. gest. patrimoine, n 57, sept.-oct. 1996, suppl. p. 12. (6) Courtieu, Assurance-vie et communauté conjugale : le droit à récompense des primes, Resp. civ. et assur., nov. 1996, Chron. n 39. (7) Une charge au sens général du terme est ce qui pèse et ce qui incombe par devoir à une personne (Vocabulaire Capitant, sous la dir. de G. Cornu, PUF, 1996, v Charge). (8) Valeur elle-même étalonnée sur la provision mathématique du contrat. (9) V. notre chronique, L'assurance-vie et le patrimoine de la famille, RGDA 1997, p. 13. (10) Comment évaluer en pratique la valeur d'un contrat d'assurance-vie en l'absence d'une valeur de rachat? L'habileté des praticiens et notamment des notaires est à nouveau sollicitée sous la double contrainte de l'accord des parties et de celui de l'administration fiscale qui contrôlera l'évaluation des parties. On peut admettre cependant qu'elle est comprise entre le montant cumulé des primes payées augmenté des frais et le capital assuré (V. infra, II). (11) Car si le contrat est rachetable, la jurisprudence Praslicka est applicable. (12) En effet, au moment où la communauté est dissoute, la créance de l'époux souscripteur contre l'assureur disparaît et cède la place au droit propre du bénéficiaire désigné dans la police contre l'assureur. Elle ne peut donc être portée à l'actif commun. Plus exactement, si on considère qu'elle subsiste tant que l'assureur n'a pas payé le bénéficiaire, elle perd toute valeur au jour de la réalisation du risque assuré et doit être portée pour zéro dans l'actif de communauté (la valeur de la provision mathématique est d'ailleurs de zéro au jour où le contrat se dénoue). (13) V. par exemple Larroumet, Rép. civ. Dalloz, 2e éd., v Stipulation pour autrui, n 52. (14) Sans préjudice de la question de la nullité pour défaut d'autorisation du conjoint sur le fondement de l'art. 1422 c. civ. Mais on sait que, si le souscripteur peut se prévaloir de la

libre disposition des gains et salaires de l'art. 223 c. civ., la jurisprudence Pelletier est en outre interprétée de façon à autoriser le souscripteur à acquitter les primes d'un contrat d'assurance-vie sans avoir à requérir l'accord de son époux (Cass. ass. plén., 12 déc. 1986, D. 1987, Jur. p. 269, note Ghestin). S'agissant vraisemblablement en l'occurrence de primes modiques, on peut supposer qu'elles ont été acquittées au moyen de gains et salaires. (15) On remarquera cependant que si l'opération est qualifiée d'opération de prévoyance et non de libéralité, on ne voit pas très bien sur quel fondement un cas de récompense pourrait être ouvert sauf à qualifier le contrat d'assurance-vie de charge personnelle avec la Cour de cassation, ce qui, on l'a vu, prête à discussion. La qualification de charge personnelle évince ces problèmes de qualifications. (16) Malaurie et Aynès, Les régimes matrimoniaux, Cujas, 1995-96, n 345 s. (17) En ce sens Terré et Simler, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 2e éd., n 666, qui voient plutôt dans l'évaluation systématique de la récompense dans ce cas de figure à hauteur de la dépense faite un cas non prévu par le législateur. (18) Que le fondement assigné à ce chef de récompense soit l'utilisation de deniers communs pour payer une charge personnelle au souscripteur ou pour financer une donation indirecte. (19) V. sur ce point Courtieu, Réflexions inconvenantes sur le droit et la valeur de rachat, Resp. civ. et assur. juin 1995, Chron. n 27. (20) Avec les conséquences fiscales à la clé... et les conséquences civiles : en raison de la jurisprudence Pelletier précitée et de la qualification de bien commun en valeur, l'entrée en communauté de la créance du souscripteur est neutralisée en ce qui concerne les pouvoirs du conjoint du souscripteur sur le contrat : les droits du contrat et notamment celui de révoquer le bénéficiaire sont exclusivement exercés par l'époux souscripteur. (21) Les contrats d'assurance-vie entre époux sont régis par l'art. L. 132-16 c. assur. : récompense est due au décès de l'époux souscripteur et assuré à hauteur des primes manifestement exagérées au regard de ses facultés financées par la communauté. (22) En ce qui concerne toutefois les assurances personnelles au bénéfice de l'époux à la fois souscripteur et bénéficiaire, il pourrait être admis que le bénéfice du contrat est acquis à titre onéreux à raison du paiement des primes et entre en communauté à ce titre comme n'importe quel acquêt. Pour certains auteurs, dans ce cas de figure, le capital assuré est un propre par nature à charge, s'il y a lieu, de récompenser la communauté qui a acquitté les primes par application de l'art. 1404 c. civ. et par analogie avec l'al. 1er de l'art. L. 132-16 c. assur. V. sur l'état de la controverse doctrinale, Lamy assurances 1998, n 3276. Recueil Dalloz Editions Dalloz 2009