L État doit-il abandonner le commerce des vivres aux marchands?



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Transcription:

E. GREGOIRE L État doit-il abandonner le commerce des vivres aux marchands? I rythme D EPUIS le début des années soixante-dix, l agriculture sahélienne traverse une crise profonde qui s est révélée,à l opinion publique lors de la dramatique famine de 1973.1974. Des8;organismes internationaux publics et non gouvernementaux ont alors couvert le Sahel de projets pour accroître la production agricole et tenter d assurer la sécurité alimentaire des pays. Cet objectif - augmenter la production au moins au même que la croissance démographique - demeure upe des préoccupations majeures de ces bailleurs de fonds et des Etats. L organisation de la commercialisation est également un volet important de leur politique car elle doit permettre d assurer un approvisionnement régulier des populations, notamment citadines, et détermine la distribution des revenus tout au long de la filière. Au Niger, ces dernières années ont été marquées par de multiples efforts pour restructurer le marché et assigner de nouvelles fonction à 1 OPVN (Office des produits vivriers du Niger), organisme étatique de commercialisation. Les mesures prises ont été, à quelques nuances près, identiques à celles appliquées ailleurs en Afrique et s inscrivent dans le cadre d un Programme d ajustement structurel. Aussi, nous nous pencherons plutôt ici sur l étude du secteur privé dans le commerce des *vivres et envisagerons s il est à même de prendre la relève de 1 Etat. Le cas des marchands haoussa du Niger (région de Maradi) et du nord du Nigeria (région de Kano) sera particulièrement analysé : en pays haoussa, comme dans d autres régions d Afrique de l Ouest, les commerçants sont organisés de longue date en réseaux et ne constituent pas des entités économiques indépendantes. I1 ne saurait donc être question de les considérer comme de simples agents économiques déconnectés de leur milieu social et en situation de 63

concurrence pure et parfaite. I1 convient, au contraire, de les appréhender comme des groupes structurés et solidaires. Dans le négoce des céréales, ces réseaux sont nombreux et puissants et opérent aussi bien à l échelle régionale que nationale et internationale. Les réseaux régionaux Leur cohésion repose sur des liens d allégeance établis par un libre accord entre un patron (ubangida) et un individu qui accepte de se vouer à son service et de devenir son dépendant (bara). En échange, celui-ci est régulièrement rémunéré sous la forme de dons, voire de commissions et sa vie sociale (mariages, baptèmes) est prise en charge par son patron (1). Ce type de relation cimente les réseaux marchands et permet de relier, par niveaux hiérarchiques successifs, un grand commerçant à des demi-grossistes et à des détaillants. Au cours de la période coloniale, ces réseaux s adaptèrent aux règles de l économie de traite et intervenaient dans la collecte des arachides et la distribution des produits manufacturés importés par les maisons de commerce coloniales. Ils demeurent actuellement encore très opérationnels et actifs dans un commerce comme celui des vivres : les grands négociants de Maradi, les alhazai (sing. alhajz) (2), disposent toujours de dépendants installés dans les grosses bourgades rurales du département, achetant pour leur compte des céréales. Ces derniers ont également des agents qui sillonnent les marchés de brousse ou qui s approvisionnent directement auprès des paysans grâce aux contacts personnels qu ils ont noués avec eux. Ces réseaux sont donc organisés de manière pyramidale, ils collectent et vendent des vivres. Dans un tel système, le poids économique d un individu est lié étroitement à son influence sociale, c est-à-dire à ce que la langue haoussa appelle par une tournure imagée sa N richesse en hommes N (arzikiw mutane). C est ainsi que les riches alhazai de Maradi contrôlent le marché depuis la ville jusqu aux localités les plus reculées de la brousse. Ces réseaux régionaux ont parfois des ramifications qui s étendent à des zones éloignées de leur centre : les commerçants de Maradi ont ainsi des correspondants sur le marché de Katako à Niamey, principal pôle de consommation du Niger, qu ils approvisionnent régulièrement en céréales. (1) E. Grégoire, Les ANiazai de Maradi, (2) Ce titre d alhaji est attribué aux histoire d un groupe de riches marchands sahé- musulmans ayant effectué le pèlerinage à La lietis, Paris, ORSTOM, 1986, 228 p. (Tra- Mecque. En pays haoussa, il témoigne égavaux et Documents, 187). lement de la réussite économique. 64

E. GREGOIRE L aptitude de ces réseaux à réagir et à s adapter efficacement aux conditions du marché (stockage et destockage rapide, par exemple) tranche avec la lourdeur d un organisme tel que I OOPVN qui éprouve maintes difficultés à concurrencer l action de ces commerçants et à enrayer leurs manœuvres spéculatives comme ce fut le cas en 1981 où le prix du sac de,mil atteignit 25 O00 f. CFA en fin de saison sèche alors qu il n était que de 9 O00 francs un an auparavant. Enfin, les liens qu ils ont su tisser avec les paysans, au travers notamment de la pratique du crédit, renforcent leur position sur les marchés. Les réseaux transfrontaliers Le commerce frontalier avec le Nigeria permet au Niger de pallier les fréquentes insuffisances de sa récolte céréalière. Si ces échanges ont pris, depuis une quinzaine d années,,me certaine ampleur, il ne s agit pas toutefois d un phénomène!nouveau : déjà, à l époque coloniale, des flux d arachides traversa ient la frontière tantôt dans un sens, tantôt dans l autre selon le niveau des cours et les fluctuations du taux de change entre le franc et la livre (3). Bien que les conditions climatiques de la production soient globalement assez proches, elles sont toutefois plus favorables dans le nord du Nigeria qu au Niger ; la {pluviométrie moyenne est plus élevée à Kano qu à Maradi, et parfois sensiblement (respectivement 693 mm et 384 mm en 1985). Aussi, le Nigeria peut fournir, volontairement ou involontairement, au Niger les céréales qui lui manquent comme cela se produisit en 1987-1988. Ces échanges frontaliers de produits agricoles s apèrent au sein de réseaux commerciaux très strucqrés qui lient les marchands nigeriens à leurs homologues nigerians : les alhazai de Maradi ont des fournisseurs réguliers de céréales comme des acheteurs habituels d haricot-niébé (4). Si, dans certains cas, il s agit de simples relations d affaires entre ces hommes - on parle alors d abokin haraka -, dans d autres, il existe une relation ancienne d amitié et de confiance ; les affai- res se concluent sur la paro le donnée et les correspondants sont ici des ab~kin umana. Leurs liens dépassent toutefois le cadre de l amitié, car la relation umana a une connotation religieuse, Dieu étant pris à témoin de l accord et des obligations de chacune des (3) J. Collins, (( The Clandestine Move- nationales et réseaux.marchands, les cas du ment of Groundnuts accross the Niger- Muli et du Nigerhord du Neeria, Paris, Club Nigeria Boundary ), Revue cenadienne des étu- du Sahel/ministère de la Coopération, 1988, des africaines, vol. X, 1976, pp. 259-276. 73 p. (4) J.-L. Amselle, E. Grégoire, Politiques 65

deux parties qui ont fait loi de leur engagement (Ya rame da Allah : il a juré sur Dieu). La religion se substitue donc à l écriture, inopérante dans ce milieu où nombreux sont.ceux qui ne savent ni lire, ni écrire. Elle constitue un gage d honnêteté et de sécurité pour les deux partenaires qui appartiennent à.des pays différents et relèvent de législations distinctes incapables de résoudre d éventuels litiges financiers portant sur des transactions transfrontalières. Ces réseaux ont joué un rôle déterminant lors de la campagne de commercialisation 1987-1988, le Niger ayanf enregistré un fort déficit en céréales qu il fallait combler. Aussi, 1 Etat a-t-il eu recours au secteur privé pour approvisionner le pays sous la forme d un appel d offres lancé par 1 OPVN portant sur la livraison de 20000 tonnes de mil. En dépit des stocks que les commerçants de Maradi avaient constitués en prévision d une hausse conséquente des prix, ils ont été amenés à les compléter en se ravitaillant au Nigeria. Pour cela, ils ont procédé de manière directe ou en ayant recours à leurs correspondants locaux. Dans le premier cas, les grands commerçants ont envoyé leurs commis acheter le mil sur les marchés du Nigeria septentrional auprès des commerçants, voire des paysans, mil qu ils ont transporté avec des camions affrétés par-delà la frontière. Dans le second cas, ces mêmes commis concluaient un accord avec leurs correspondants sur les prix et les quantités à livrer moyennant un acompte, le solde étant remis à la livraison à Maradi, les opérations s effectuant en liquide et en naira. Si le franchissement de la frontière ne posait pas de problème jusqu en janvier 1988, celui-ci est devenu dès lors illégal, le Nigeria interdisant toute exportation de céréales pour garantir son propre approvisionnement. Aussi, est-ce en fraude que de nombreux camions traversèrent la frontière, un passeur ou chef de convoi (( ouvrant la route )) en voiture en obtenant la bienveillance des douaniers nigerians par le versement d une somme d argent. I1 convient en outre avec eux de l heure de passage des camions la nuit ou en fin de semaine quand la surveillance se relâche. Le passeur n a plus alors qu à avertir les chauffeurs et il précède le convoi le moment venu. Celui-ci rentre alors au Niger où les importations de vivres sont autorisées. C est ainsi que les alhazai de Maradi, très liés à ceux de Kano et de Katsina, ont procédé pour livrer les quotas de céréales demandés par 1 OPVN. Les réseaux transfrontaliers ont donc tourné les mesures protectrices prises aux frontières par le Nigeria. Et la fermeture terrestre prolongée d avril 1984 à juin 1986, si elle a ralenti le rythme des échanges, ne les a pas supprimés. 66

E. GREGOZRE Les réseaux internationaux Les grands commerçants nigériens sont en relation avec des firmes multinationales européennes ou asiatiques du négoce des grains. Les céréales concernées sont le riz et le maïs, le mil ne faisant l objet que d un commerce intra-africain. Au Niger, un pool d importateurs de riz composé de 35 membres a été constitué en 1987 pour contrôler les importations. Ce pool avait pour tâche d approvisionner le pays en riz par le biais de l importation et par enlèvement de la production nationale ; la délivrance de licences d importation était en effet soumise à un enlèvement proportionnel obligatoire de riz usiné au Niger (20 Yo de la quantité importée). Dans le cadre d une libéralisation plus grande du commerce, ce pool a été supprimé en 1988, l importation de riz ne dépendant que de l octroi d une licence. De plus, la contrainte d achat de 20 Yo du riz du Niger a été abolie en avril 1989 et un système de protection tarifaire est désormais institué : c est à la fiscalité de combler l écart de prix de revient du riz importé et du riz produit au Niger sous la forme d une taxe de péréquation. Ces importations de riz par les commerçants ne sont pas négligeables (47 500 tonnes en moyenne annuelle de 1980 à 1987) (9, d autant plus qu il faut y ajouter les quantités de riz amenés par ces importateurs qui les réexportent ensuite au Nigeria : ce transit aurait porté sur près de 80 O00 tonnes en 1985 et plus de 20 O00 en 1986 (6). Aussi, sont-ils en contact avec Sucres et Derzrées, Continental Grains, Interagru et leurs représentants dans les ports de Lomé et de Cotonou. Certains négociants ne limitent pas leur action au seul Niger, mais sont également présents dans d autres pays au point de constituer de véritables multinationales ouest-africaines du commerce des grains : ainsi, est-ce le cas d un des principaux importateurs de riz au Niger et au Mali dont les activités s étendent aussi au Nigeria où il achemine du riz en le faisant transiter par le Bénin et le Niger. Qu ils soient régionaux ou nationaux, transfrontaliers ou internationaux, ces réseaux marchands jouent un rôle essentiel dans la commercialisation des vivres en intervenant auprès du producteur nigérien pour des céréales comme le mil ou le sorgho ainsi qu au niveau du marché mondial pour le maïs ou le riz dont la production nigérienne est insuffisante. Leur rôle est donc déterminant pour la paysannerie productrice comme pour!es consommateurs citadins. En conséquence, ils constituent pour 1 Etat un groupe de pression (5) D après la direction de la Statistique et du Commerce extérieur du Niger. (6) J.-M. Marchat, La commercidisation du riz et du m2.m Niger, Clermont-Ferrand, 1987, 46 p. (Mémoire de maîtrise, Université de Clermont I). 67

puissant comme un instrument indïspensable pour la définition de sa politique dimentaire. Libéraliser, au profit de qui? Dans. un marché où les commerçants sont en situation oligopolistique, 11 ne semble pas so,u.haitable de s:en remettre au seul secteur prive pour assurer lyapprovisionnement du pays car ce serait laisser la porte ouverte à la spkulation. Ce terme est pris ici non dans le sens de couverture contre le risque de variation de prix par un effort d anticipation d un marché A( parfait n, mais dans le sens d une intervention (rétention du grain par exemple qui a un effet de levier important) visant. à la manipulation d un marché où n existe pas la concumence, pour en tirer profit. Aussi, peut-on regretter que la restructuration de 1 OPVN ait été conçue de telle manière qu elle ne laisse plus à l Office la latitude d intervenir sur le marché. Dans le cadre du Programme d ajustement structurel, l action de 1 OPVN parte désormais sur la seule gestion de l aide et d un stock de réserve utilisé en cas de grave pénurie. Ce stock s élève à 80000 tonnes de mil et de sorgho renouvelé par tiers chaque année selon des procédures d appel d offres. Pour- cela, 1 OPVN s adresse aux commerçants car les coopératives ne parviennent pas à soutenir leur concurrence, faute. de moyens financiers et d une organisation commerciale efficace. Cette intervent;ion de 1 OPVN ne bénéficie donc pas forcément aux paysans, nig6riens car les commerçants préfèrent parfois acheter les ceréales revendues à l Ofice au Nigeria parce que les prix y sont plus bas et qp il s peuvent ainsi se défaire de nairas, monnaie à taux. de conversion aléatoire, obtenus à partir d autres négoces:, La faible rémunération des producteurs: nig&-iens, assez générale ces dernières années, est préoccupante car l e niveau des prix des denrées agricoles est fondamental pour la dynamique sociale des communautés paysannes et leur évolutian technique. CI. Raynaut notait récemment dans Politiqzce africaine (7) : i( l organisation du marché - approvisionnement, a tibauchés, prix, crédit - peut être le facteur d incitation le plus actif ou au contraire, le frein le plus puissant pour la transformation des systèmes de production D. Ainsi, lors du premier appel d offres land en 1985-1986, les commerçants obtinrent de l Office un prix d achat du mil entre 65 et 90 f. CFA le kilogramme alors qu ils l avaient payé aux producteurs autour (7) C. Raynaut, (( L agriculture nigérienne et la crise du Sahel I), Politique africaine, no 28, 1987, pp. 97-107. 68

E. GREGOIRE de 25 à 30 f. CFA. Cette marge, même si elle est amputée de quelques coûts de transport et de commercialisation, reste excessivement élevée. On peut d ailleurs considérer que ce système d appel d offres préconisé par la Banque mondiale, qui espérait mettre ainsi en œuvre les lois de la concurrence, a finalement conforté le pouvoir des gros commerçants qui forment un oligopole d autant plus efficace qu ils sont peu nombreux à avoir accès aux crédits et cautions bancaires et à disposer de moyens de stockage et de transport conséquents. Aussi, en 1989, s efforce-t-on de réduire la taille des lots afin de multiplier les adjudicataires pour favoriser la concurrence et l on procède à des achats directs auprès des paysans, des coopératives et des détaillants pour obtenir des prix plus avantageux que ceux issus des appels d offres et soutenir les prix aux producteurs. Ce sont en définitive les consommateurs, notamment citadins, qui subissent les variations de prix. Ils s,ont, en ce domaine, très tributaires des commerçants, même si 1 Etat est déjà intervenu à plusieurs reprises pour les protéger de la spéculation. En effet, même si leurs habitudes alimentaires tendent à se diversifier et se tourner davantage vers le riz et le maïs, à Maradi par exemple, il n en demeure pas moins que le mil et le sorgho gardent leur préférence car ils sont moins onéreux. Comme pour les producteurs, le cours de ces céréales est capital pour les consommateurs. Ces réseaux haoussa, héritiers de traditions marchandes très anciennes, font preuve d une forte cohésion car leur assise n est pas seulement economique mais aussi sociale, parfois familiale et religieuse : l islam régit en effet, ce monde des affaires où la confiance et la loyauté mutuelles sont de rigueur. Dans le commerce des vivres, ils sont difficiles à contourner parce qu ils interviennent, de longue date, depuis le producteur avec lequel ils entretiennent des relations privilégiées (par le biais du crédit notamment) jusqu à l échelle du marché mondial en passant par Le niveau régional et national. Leur soupiesse et leur caractère transnational font leur force face à des offices céréaliers à forte inertie et des États balkanisés qui ne parviennent pas à harmoniser leur politique alimentaire et qui adoptent parfois des mesures protectionnistes qu ils n ont pas les moyefs de faire respecter ou qui sont tournées avec la complicité de 1 Etat voisin. S ils représentent désormais un substitut crédible?ux organismes publics et sont à même de prendre la relève de l Etat, il n en demeure pas moins qu il semble dangereux de s en remettre à eux seuls pour réguler le système alimentaire comme le souhaitent Certains tenants du libéralisme. Un système d économie mixte où 1 Etat se réserve la possibilité d intervenir et s en donne les moyens par l intermédiaire d un organisme comme 1 OPVN mieux géré qu auparavant, paraîtrait plus approprié au contexte sahélien : le commerce 69

MARCHANDS des vivres y est, en effet, un des secteurs les plus sensibles car il conditionne à la fois, l avenir même des sociétés rurales et la vie quotidienne des citadins. Emmanuel GRÉGOIRE CNRS (UA 94) LE LIMES DE TINGITANE Recherches sur la frontière romaine au Maroc Collection : Études djantiquités africaiiies Par Maurice Euzennat La province de Maurétanie tingitane devint très vite sous l Empire romain un (I limes )), territoire frontalier dont l identité ne se dégagera dans le reste de l Afrique que beaucoup plus tard. Son rôle principal était de protéger les riche9 provinces hispaniques contre des tribus maures difficiles à contrôler. Cette description du limes permet de replacer dans leur cadre géographique les établissements antiques, villes, villages et ouvrages de défense. 22 x 28-392 pages - III Prix: 490F ISBN 2-222-04114-7 I LES PRESSES DU CNRS DIFFUSENT EN EXCLUSIVIT LES EDITIONS DU CNRS BON DE COMMANDE à compléter et à retourner accompagné de votre règlement aux PRESSES DU CNRS, 20-22, rue Saint-Amand, 7501 5 PARIS NOM... ADRESSE... Ouvrage commandé Quantité Prix unit.............-.......... Règlement par : O Chèque bancaire à l ordre des Presses du CNRS Participation aux frais d envoi : 15 F Total... 70