La langue et le réseau social



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Transcription:

La langue et le réseau social Luc Biichlé * (*) a soutenu une thèse de doctorat en 2007 : Langues et parcours d intégration d immigrés maghrébins de France. Université Stendhal Grenoble 3 «Problème de l immigration», «intégration en panne», «immigration choisie», etc., les expressions et circonlocutions ne manquent pas dès qu il s agit d aborder la question de la migration en France. En réponse à ces supposés problèmes, la solution préconisée par la plupart des institutions est généralement essentiellement linguistique (Contrat d Accueil et d Intégration, formations en français, etc.) et émane d une représentation prégnante : «apprendre le français c est s intégrer». Or, même si l on élude les nombreuses autres questions que soulève cette affirmation (qu est-ce que s intégrer? quel français enseigner? qu est-ce que maîtriser une langue? quid du (bi)multilinguisme? etc.) on peut tout de même «renverser la vapeur» et se demander dans quelle mesure la langue, censée conditionner en majeure partie l intégration, n est pas elle-même, dans son apprentissage, subordonnée à ce même proces- sus d intégration. En d autres mots, est-ce parce que l on ne «maîtrise» pas la langue du pays d immigration que le contact avec la nouvelle société ne se fait pas ou est-ce plutôt parce que ce contact ne se fait pas que l on ne «maîtrise» pas cette langue? Les dangers du «tout linguistique» Affirmer qu apprendre le français est le premier atout d une intégration réussie demeure une assertion à démontrer et cette préconisation ne résiste guère à l examen des cas particuliers. En effet, certains migrants parlent un français tout à fait «honorable», parfois beaucoup plus châtié que celui de certains natifs, sans pour autant se sentir intégrés ou être perçus comme tels. On retrouve d ailleurs cette «perplexité identitaire» chez certains descendants de migrants de la deuxième ou troisième génération, résolument francophones, continuant néanmoins à se 94 Ecarts d'identité N 112 / 2008

poser la question de leur appartenance; interrogations que génère d ailleurs également la société d immigration sous des formes diverses telles que la discrimination ou l assignation identitaire. D autre part, cette affirmation fait peser la quasi-totalité de la responsabilité sur la capacité linguistique du seul migrant exonérant ainsi la société dite d accueil et ne laissant guère de place pour d autres pistes à envisager. Or, «les processus d intégration sociale concernent autant les structures de la société d accueil que la volonté des migrants de s adapter» (De Pietro et Matthey, 2003 : 114). Dès que l on relativise l importance de l apprentissage du français dans le processus d intégration, on s aperçoit qu existent de nombreux autres facteurs au titre desquels la structure du réseau social semble jouer un rôle de toute première importance. Deux faits marquants orientent sur cette piste : - au-delà d une trentaine d années, les hommes maghrébins disparaissent quasiment de divers organismes sociaux. - les très faibles différences entre les productions orales de certains primo arrivants et celles de certaines femmes maghrébines installées en France depuis parfois plus de trente ans. Après avoir écarté, entre autres, les éventuelles explications liées à la scolarité pré-migratoire, force est de constater que la différence réside, la plupart du temps, dans la possession ou non d un emploi ; différence selon le genre qui m a d ailleurs été confirmée par la plupart des acteurs sociaux rencontrés : «Les hommes qui ont travaillé, qui ont une expérience professionnelle, ils n ont pas peur de parler, pas peur de s exprimer, on voit qu ils ont été en contact avec le français» (conseillère à l emploi de l ANPE). Le rapport au français, sans présumer de la variété de celuici, semble donc tributaire, ou au moins, à mettre en regard avec l emploi ou l absence d emploi. Or, la plupart du temps, ce dernier induit une extension ou une restructuration du réseau social, il est source de confrontation à la nouvelle société, à sa langue, aux représentations de ses membres et génère souvent une augmentation significative du capital social, ensemble de facteurs qui sont précisément ceux qui engendrent l intégration. En effet, dans la plupart des cas, le migrant, qu il émigre seul ou en famille, perd ou se trouve éloigné du réseau social qui était le sien et la réussite de son intégration passera inéluctablement par la restructuration de celuici : se refaire de nouveaux amis, voisins, collègues, etc. Toutefois, admettre le lien entre intégration et emploi, c est déplacer une partie de la responsabilité intégrationnelle que l on octroie à l apprentissage de la langue vers l emploi ce qui, compte tenu de la conjoncture en France (discrimination à l embauche, chômage de masse), est moins facile à mettre en avant et à assumer. De plus, déplacer une partie du problème de l intégration de la langue vers l emploi équivaut à augmenter la responsabilité de la société d immigration en ne laissant plus reposer sur la seule capacité linguistique du migrant la réussite du processus d intégration. Par conséquent, admettre une volonté, même indirecte, d intégration par l emploi, c est également accepter l idée que, souvent, le devenir linguistique du migrant sera en partie conditionné par le nouveau réseau social dont le travail sera pourvoyeur (Chamberland : 2005). Des points de contact hors emploi Au-delà de la reconstruction du réseau social par l emploi, circonstance généralement très profitable aux hommes, Ecarts d identité N 112 / 2008 95

il existe d autres points de contact avec la nouvelle société qui favorisent l insertion des migrants et, tout particulièrement celle des femmes. Au cours de divers entretiens, deux lieux ont retenu plus particulièrement mon attention : l organisme social voisin ou le centre de formation et l école. Pour ce qui concerne le premier lieu, l organisme social, il m est apparu que bien souvent, même si l objectif de l apprentissage de la langue n est que partiellement atteint, les séances hebdomadaires de formation représentent, pour ces femmes, un premier pas vers la nouvelle société ; elles permettent de rompre l isolement et d échanger avec d autres personnes qui partagent les mêmes difficultés. En cela, elles constituent parfois une première extension du réseau social, une occasion d apprendre la langue et ce, même si les interactions entre apprenants se déroulent parfois en langue(s) d origine(s) (Matthey : 2005). Les déclarations de certaines enquêtées illustrent d ailleurs bien ce propos : «J ai pas, de toute façon de copine française, je parle pas souvent français avec comme ça, des copines du cours de français». La formation en elle-même constitue donc une aide certaine pour l apprentissage de la langue du pays d immigration, ne serait-ce que parce que l on est en contact avec cette dernière, mais elle représente également, et parfois au-delà de l aspect purement didactique, une grande chance d ouverture ou d élargissement du réseau social des personnes, une possibilité de diversification du processus de socialisation. Il est néanmoins difficile de quantifier la part réelle que prennent respectivement l ouverture du réseau social ou les cours dans l apprentissage du français, ce dernier résulte d ailleurs probablement de la conjonction des deux et varie selon les personnes, mais il demeure que, sans le point de contact que représente l organisme de formation (centre social, association, etc.), certaines femmes n auraient quasiment aucun contact (hors enfants et télé) avec la société d immigration et sa langue. Cela signifie également que, dans ces circonstances de contacts, on ne peut pas présumer d une hiérarchie entre apprentissage «scolaire» de la langue et acquisition au sein du réseau social. En outre, la seule activité d apprentissage du français n est pas forcément synonyme d intégration alors que l ouverture du réseau social, même lorsqu elle est «timide», représente un premier pas vers la nouvelle société. Or, ce sont souvent les «petits pas» en direction de celle-ci, la multiplication des interactions, qui sont la base en ce qu ils représentent de participation active à la dynamique du nouveau système (Tap : 1988 ; De Pietro : 1995 ; Rapport du Haut Comité à l Intégration : 1991). En ce qui concerne le rôle de l école, ou, plus précisément, des contacts dont celle-ci est source, le processus est relativement similaire. Les femmes rencontrées sont en effet nombreuses à déclarer avoir «osé» commencer à parler le français avec la maîtresse d école ou les autres personnes qui venaient chercher leurs enfants, surmontant d ailleurs, pour l occasion, une insécurité linguistique quasi paralysante. La déclaration d une enquêtée à cet égard résume assez bien la situation : «Quand je sors, je fréquente, je parle avec les enfants à l école, j emmène les enfants à l école, heu par exemple quand ils sont petits à la maternelle, heu je, je parle avec heu heu l institu-tu-trice, c est comme ça je commence à parler». A nouveau, ce «petit pas» ou cette grande avancée, selon le point de vue, représente l embryon de la reconstitution du réseau social. 96 Ecarts d'identité N 112 / 2008

Contact, insertion et intégration Que ce soit par l intermédiaire de l emploi, lors de l accompagnement des enfants à l école, pendant les commissions, au centre social, etc. la restructuration du réseau social commence, pour de nombreux migrants, par l établissement d un premier point de contact avec la société d immigration, que ce soit dès l arrivée ou ultérieurement. Ce point de contact représente une opportunité d insertion au nouveau système. Cependant, si le contact est établi avec la nouvelle société, il n implique pas toujours l insertion (dans le sens de première phase d intégration) et ne signifie pas forcément un contact linguistique, du moins en production, puisque certaines femmes ne sortent qu accompagnées d un membre de la famille qui fait office de traducteur. D autre part, les interactions transactionnelles ritualisées ou asymétriques (médecin, administration, etc.) qui sont souvent les premières mentionnées, voire les seules, peuvent également représenter des points de contact mais ne sont pas forcément synonymes de multiplexité ni de beaucoup de productions langagières. Le point de contact ne signifie donc pas toujours une ouverture ou une modification de la structure du réseau social (insertion) puisque selon les cas : - le contact sera exploité et pourra entraîner d autres contacts et la restructuration du réseau personnel. Selon le type du nouveau réseau (liens redondants ou non), pourront suivre des confrontations représentationnelles et identitaires, une plus grande exposition à la langue d accueil, une plus grande autonomie et des progrès en français ; - ou le contact ne sera pas exploité (pas d insertion) avec pour conséquence un «figement» à presque tous les niveaux (réseau social dense ou isolant, autonomie, représentations, identité, insécurité linguistique, usage du français, etc.). Il paraît donc possible de dire que, pour certains migrants, l étape qui précède l insertion est la mise à profit ou non de l opportunité offerte par un point de contact et ce, avec ou sans connaissance de la langue ; même si, bien sûr, cette dernière est une aide précieuse. Lorsque le point de contact est exploité et de nouveaux liens sont créés. Ces nouveaux liens vont augmenter le capital social de la personne mais là encore, se présenteront deux possibilités puisque selon le type de liens, le capital social augmentera de manière différente. - Si les nouveaux liens sont créés avec des personnes également originaires du Maghreb et présentant globalement les mêmes «caractéristiques» sociales (redondance), l augmentation du capital social sera moindre et il n y aura qu une faible création de trous structuraux (Merklé : 2004), donc moins de circulation de l information (linguistique entre autres) avec les autres cercles fermés constitués de liens forts (Degenne et Forsé : 2004). Le réseau social demeurera dense et multiplexe produisant un renforcement de la norme (Milroy : 1987) et/ou une moindre exposition des personnes à la nouvelle société et à «sa» langue. - Si les nouveaux liens créés le sont avec des personnes qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques sociales (non-redondance) et sont des «liens faibles», il y aura une meilleure augmentation du capital social et production de trous structuraux qui favoriseront la circulation de l information (linguistique entre autres) entre les cercles fermés. Le réseau social deviendra moins dense et favorisera les contacts avec la nouvelle société et sa langue. Il y aura alors «participation simultanée, dans une mesure variable, à des activités à l intérieur et à l extérieur de la communauté migrante» (De Pietro, 1995 : 180) et Ecarts d identité N 112 / 2008 97

il sera possible de parler de processus d intégration. Il est bien difficile d établir une juste répartition entre le rôle joué par l apprentissage de la langue et celui rempli par le réseau social dans le processus d intégration et ce, peut-être parce que chaque parcours est différent, que les deux sont inextricablement liés et que l ensemble nécessite plus ou moins de temps. Toutefois, la restructuration du réseau personnel et l évolution des pratiques langagières semblent, dans de nombreux cas, aller de pair avec l augmentation du capital social et, puisque «moins de sociabilité entraînerait moins d intégration» (Merklé, 2004 : 72), il paraît, à l inverse, pertinent de penser que plus de sociabilité augmenterait l intégration. Chaque opportunité de contact avec la nouvelle société représente donc une occasion d initier le processus d insertion qui peut mener à l intégration. Toutefois, certains points de contact semblent «accélérer» ce processus. C est notamment le cas du travail et ce peut-être parce que celui-ci requiert plus fortement l usage du français, du moins lorsque les employés ne sont pas majoritairement issus d un même groupe ethnique, qu il augmente les contacts avec la nouvelle société, donne une autonomie financière et interdit d être accompagné. Enfin, on retiendra également le rôle que jouent certains Français dits «de souche» (camarades des enfants, autres parents, enseignants, employeurs, acteurs sociaux, etc.) protagonistes des échanges ou instigateurs des contacts, et à travers eux, une partie du rôle intégrationnel inhérent à la société dite d accueil. Une question subsiste cependant dans l articulation entre apprentissage de la langue et impact du réseau social : comment, en effet, déterminer si c est l exposition à la langue qui déclenche l apprentissage ou l apprentissage qui génère l exposition? Une fois encore, les deux paraissent très liés, complémentaires, et variables en fonction des personnes et de leurs parcours. Quoi qu il en soit, la hiérarchie qui place la langue comme principal moteur apparaît de moins en moins fondée, voire contreproductive, parce qu elle masque d autres facteurs essentiels ou d autres velléités moins avouables et, parce qu elle ne distribue pas les responsabilités de l intégration de manière équitable entre le migrant et la société d accueil. Or, ces responsabilités incombent aux deux acteurs, le migrant et la société censée l accueillir, avec pour chacun, son lot de devoirs et d enrichissement. n Références bibliographies n CHAMBERLAND, C. (2005) : «Intégration linguistique des immigrants et intervention en milieu de travail», in L intégration des migrants en terre francophone, aspect linguistiques et sociaux, Actes du séminaire de Neuchâtel, Suisse, 4-5 décembre 2001, Editions LEP loisir et pédagogie, Le Mont-sur-Lausanne, 173-180. n DEGENNE, A., FORSE, M. (2004) : Les réseaux sociaux, 2eme édition, Armand Colin, Paris. n DE PIETRO, JF., MATTHEY, M. (2003) : «Plurilinguisme et plurilinguisme» in Plurilinguisme, enjeux identitaires, socio-culturels et éducatifs, Lorenza Mondada & Simona Pekarek Doehler (eds.), 133-145. n MATTHEY, M. (2005) : «Le français à l école et ailleurs, langue des apprentissages et de la socialisation», in L intégration des migrants en terre francophone, aspect linguistiques et sociaux, Actes du séminaire de Neuchâtel, Suisse, 4-5 décembre 2001, Editions LEP loisir et pédagogie, Le Mont-sur-Lausanne, 145-159. n MERKLE, P. (2004) : Soc i o l o g i e d e s r é s e a u x s o - ciaux, La Découverte, Paris. n MILROY, L. (1987) : Language and social network (second Edition), Language in Society, Oxford. n TAP, P. (1988) : La société Pygmalion? Intégration sociale et réalisation de la personne, Dunod, Bordas, Paris. 98 Ecarts d'identité N 112 / 2008