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Transcription:

Commentaire Décision n 2015-497 QPC du 20 Novembre 2015 Association Groupement d employeurs AGRIPLUS (Modalités d application de l obligation d emploi des travailleurs handicapés) Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 septembre 2015 par le Conseil d État (décision n 389293 du même jour) d une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l association Groupement d employeurs AGRIPLUS portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 1111-2, L. 5212-2, L. 5212-14, dans sa rédaction issue de la loi n 2008-1249 du 1 er décembre 2008, et du second alinéa de l article L. 5212-3 du code du travail. Dans sa décision n 2015-497 QPC du 20 novembre 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le second alinéa de l article L. 5212-3 du code du travail. Le Conseil a déclaré conformes à la Constitution les mots «à due proportion de son temps de présence dans l entreprise au cours de l année civile» figurant à l article L. 5212-14 du même code, sous une réserve d interprétation. I. Les dispositions contestées A. Présentation et historique des dispositions contestées 1. L obligation d emploi des travailleurs handicapés L article L. 5212-2 du code du travail oblige les employeurs occupant au moins vingt salariés à employer, dans la proportion de 6 % de l effectif total des salariés, à temps plein ou à temps partiel, des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés. L origine de l obligation d emploi des travailleurs handicapés (OETH) réside dans la volonté, au lendemain de la première guerre mondiale, de reclasser les nombreux mutilés de guerre. La loi du 26 avril 1924 assurant l emploi obligatoire des mutilés de la guerre a donc créé une obligation d emploi en leur faveur.

Par la suite, une obligation de réserver des emplois aux travailleurs handicapés a été imposée aux entreprises par la loi n 57-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs handicapés. À ce système jugé inefficace et complexe 1 a été substituée une obligation unique à la charge de l employeur par la loi n 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l emploi des travailleurs handicapés : occuper dans son effectif 6 % de personnes handicapées, la loi précisant à l époque que ce taux devait être respecté en 1991. L objectif poursuivi était «de créer une dynamique en faveur de l accès à l emploi des travailleurs handicapés en prenant en compte les contraintes économiques des employeurs et en les associant pleinement à la politique qui leur est proposée» 2. Le régime des travailleurs handicapés résultant de la loi du 10 juillet 1987 et des réformes ultérieures se trouve aujourd hui codifié au sein des dispositions applicables à certaines catégories de travailleurs (Livre II, Cinquième partie), aux articles L. 5211-1 et suivants du code du travail. Désormais, l OETH est instituée par l article L. 5212-2, dans sa rédaction issue de l ordonnance n 2007-329 3, qui dispose que : «Tout employeur emploie, dans la proportion de 6 % de l effectif total de ses salariés, à temps plein ou à temps partiel, des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés, mentionnés à l article L. 5212-13». Les conditions de son application sont précisées par les articles suivants : elle s applique aux entreprises employant au moins 20 salariés (art. L. 5212-1) ; l employeur soumis à cette obligation doit adresser une déclaration annuelle à l administration et, à défaut d une telle déclaration, il est considéré comme ne satisfaisant pas à l obligation d emploi (art. L. 5212-5) ; cette obligation s applique établissement par établissement dans les entreprises à établissements multiples (art. L. 5212-3) ; les entreprises assujettie à l OETH peuvent s en acquitter selon des modalités différentes : 1 P. Auvergnon, L obligation d emploi des handicapés, Revue de droit social 1991, p. 596. 2 Exposé des motifs du projet de loi n 681 3 Cette ordonnance a été ratifiée par la loi n 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l ordonnance n 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail. 2

- de manière partielle, soit en passant des contrats de fourniture, de soustraitance ou de prestations de services avec des entreprises adaptées, des centres de distribution de travail à domicile, des établissements ou services d aide par le travail ou des travailleurs indépendants handicapés reconnus bénéficiaires de l obligation d'emploi (art. L. 5212-6), soit en accueillant en stage des personnes handicapées, dans la limite de 2 % de l'effectif total des salariés de l entreprise (art. L. 5212-7), soit en accueillant des personnes handicapées pour des périodes de mise en situation en milieu professionnel (art. L. 5212-7-1) ; - de manière totale, en faisant application d un accord de branche, de groupe, d entreprise ou d établissement agréé prévoyant la mise en œuvre d un programme annuel ou pluriannuel en faveur des travailleurs handicapés (art. L. 5212-8) ; en versant au fonds de développement pour l insertion professionnelle des handicapés prévu à l article L. 5214-1 une contribution annuelle pour chacun des bénéficiaires de l obligation qu il aurait dû employer (art. L. 5212-9 à L. 5212-11) ; le mode de calcul des effectifs, afin de déterminer quels salariés doivent être pris en compte au numérateur et au dénominateur, résulte de la combinaison des articles L. 1111-2 et L. 5212-14 ; bénéficient de cette obligation les travailleurs handicapés tels que définis par l article L. 5212-13. 2. Le calcul des effectifs de l entreprise pour l assujettissement à l obligation d emploi des travailleurs handicapés a. Les règles générales de calcul des seuils d effectifs L article L. 1111-2 du code du travail définit, pour la mise en œuvre des dispositions du code du travail, des règles générales de calcul des seuils d effectifs. Ainsi : sont intégralement pris en compte dans l effectif de l entreprise les salariés titulaires d un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile ; sont pris en compte dans l effectif de l entreprise, à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents, les salariés titulaires d un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d un contrat de travail intermittent, les salariés temporaires et les salariés mis à la 3

disposition de l entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an 4 ; enfin, sont pris en compte, en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail, les salariés à temps partiel. b. Les règles spéciales de calcul du seuil d effectifs pour l OETH L article L. 5212-3 du code du travail précise, pour certaines catégories d entreprises, le calcul des effectifs pour la mise en œuvre de l OETH. Notamment, son second alinéa, contesté dans la décision commentée, prévoit que les entreprises de travail temporaire (ETT) ne sont soumises à l OETH que pour leurs salariés permanents. La notion de «salariés permanents» correspond aux salariés «non liés par un contrat de travail temporaire» 5 tel que défini par les articles L. 1251-1 et suivants du code du travail. Ces salariés permanents sont ceux qui, dans une ETT, participent au fonctionnement de la structure et qui n ont donc pas vocation à être mis à la disposition d une entreprise utilisatrice. 3. Le calcul du nombre de bénéficiaires de l OETH Pour vérifier si une entreprise respecte la proportion de 6 % de travailleurs handicapés, elle doit opérer une division dans laquelle elle prend en considération, au numérateur, les travailleurs remplissant les conditions pour être qualifiés de travailleurs handicapés et, au dénominateur, l ensemble des travailleurs de l entreprise. Les règles de calcul du dénominateur sont celles prévues aux articles L. 1111-2 et L. 5212-3, tandis que les règles de calcul du numérateur sont celles prévues à l article L. 5212-14. L article L. 5212-14 du code du travail prévoit en effet comment chaque travailleur handicapé employé est pris en compte pour le respect de l OETH. Dans sa rédaction issue de la loi n 2008-1249 du 1 er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques 4 Toutefois, les salariés titulaires d un contrat de travail à durée déterminée et les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure, y compris les salariés temporaires, sont exclus du décompte des effectifs lorsqu ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d un congé de maternité, d un congé d adoption ou d un congé parental d éducation. 5 Selon l accord du 23 janvier 1986 relatif aux salariés permanents des entreprises de travail temporaire. 4

d insertion, cet article pose le principe d une prise en compte selon le temps de présence du salarié dans l entreprise, sans tenir compte de la nature ou de la durée de son contrat de travail, tout en distinguant selon que la durée de travail des salariés est inférieure ou non à la moitié de la durée légale ou conventionnelle. La réforme de 2008 avait notamment pour objet de supprimer l obligation de présence d au minimum six mois au cours de l année pour prendre en compte un salarié handicapé, l objectif étant de ne pas pénaliser les entreprises qui recrutent des handicapés sur des courtes périodes ou en fin d année 6. Il faut noter que, depuis lors, l article L. 5212-14 du code du travail a été modifié. En effet, sa version actuellement en vigueur résulte de la loi n 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l alternance et la sécurisation des parcours professionnels (loi «Cherpion»), qui a inséré un dernier alinéa selon lequel «les personnes mises à disposition de l entreprise par un groupement d employeurs sont prises en compte dans les mêmes conditions que les salariés de l entreprise.». Selon les travaux parlementaires, cet ajout partait du constat que les personnes salariées des groupements «n ont pas vocation à être des salariés temporaires de l entreprise auprès de laquelle ils sont mis à disposition, mais des permanents intermittents. Il est donc logique qu elles soient prises en compte, pour l obligation d emploi des travailleurs handicapés au même titre que les salariés de l entreprise» 7. L objectif était de faire en sorte que les travailleurs handicapés mis à disposition par un groupements d employeurs soient pris en compte dans les entreprises utilisatrices dans les mêmes conditions que les salariés permanents de ces entreprises, c est-à-dire à due proportion de leur temps de présence dans l entreprise au cours de l année civile, mais en dérogeant aux dispositions plus contraignantes prévues à l article L. 1111-2 pour «les salariés mis à disposition de l entreprise par une entreprise extérieure» (en particulier l exigence d avoir travaillé depuis au moins un an pour être pris en compte ou encore d être présent dans les locaux de l entreprise utilisatrice au jour du décompte) 8, afin de continuer d inciter ces dernières à embaucher des handicapés auprès du groupement. B. Origine de la QPC et question posée Estimant que son effectif était inférieur au seuil légal de vingt salariés (en ne prenant en compte que les effectifs travaillant dans la structure elle-même et non 6 Compte-rendu des débats de la 1 ère séance du 6 octobre 2008, J.O. Débats A.N. 7 Exposé sommaire des motifs de l amendement créant le dernier alinéa de l article L. 5212-14 du code du travail 8 Réponse n 12111 du Secrétariat d État chargé de l emploi publiée dans le JO Sénat du 19 août 2010. 5

ceux mis à disposition de ses entreprises adhérentes), l association Groupement d employeurs AGRIPLUS considérait qu elle n était pas assujettie à l OETH. Elle n avait donc pas souscrit la déclaration annuelle relative à l OETH prévue par l article L. 5212-5 du code du travail, pour l année 2009. Une absence de déclaration équivalant à un manquement de l employeur au titre de son obligation, la directrice régionale adjointe de la concurrence, de la consommation, du travail et de l emploi de Languedoc-Roussillon a prononcé à l encontre de l association requérante la sanction prévue par l article L. 5212-12 du code du travail. L association requérante a formé un recours contre cette sanction devant le tribunal administratif de Montpellier qui, par un jugement du 21 mai 2013, lui a donné raison. Par un arrêt du 17 mars 2015, la cour administrative d appel de Marseille a partiellement annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier. L association requérante s est pourvue en cassation le 30 juin 2015. À cette occasion, elle a soulevé une QPC portant sur les dispositions du second alinéa de l article L. 5212-3 du code du travail, ainsi que sur les dispositions des articles L. 1111-2, L. 5212-2 et L. 5212-14 du même code. Par une décision du 11 septembre 2015, le Conseil d État a renvoyé cette QPC au Conseil constitutionnel au motif que «le moyen tiré de ce qu elles [les dispositions contestées] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d égalité, soulève une question présentant un caractère sérieux». II. Examen de la constitutionnalité des dispositions contestées L association requérante invoquait deux griefs distincts. À l encontre des dispositions du second alinéa de l article L. 5212-3 du code du travail, elle formulait un unique grief. Selon elle, ces dispositions méconnaissent le principe d égalité devant la loi garantit par l article 6 de la Déclaration des droits de l homme et du citoyen de 1789 dès lors qu elles instituent une différence de traitement entre les entreprises de travail temporaire et les groupements d employeurs qui ne serait pas justifiée par un motif d intérêt général. À l encontre des dispositions combinées des articles L. 1111-2, L. 5212-2 et L. 5212-14 du code du travail, elle formulait également un unique grief. Selon elle, ces dispositions méconnaissent le principe d égalité devant les charges publiques garanti par l article 13 de la Déclaration de 1789, dès lors que les salariés d un groupement d employeurs mis à disposition d une entreprise 6

utilisatrice ne sont pas pris en compte au numérateur du ratio permettant de calculer le nombre de bénéficiaires de l obligation d emploi des travailleurs handicapés, alors qu ils sont pris en compte au dénominateur de ce ratio. Au vu de ces griefs, le Conseil a considéré que la QPC portait uniquement sur les dispositions suivantes : le second alinéa de l article L. 5212-3 et les mots «à due proportion de son temps de présence dans l entreprise au cours de l année civile» figurant au premier alinéa de l article L. 5212-14 du code du travail 9 (cons. 6). A. La jurisprudence constitutionnelle en matière d égalité devant la loi et les charges publiques Aux termes de l article 6 de la Déclaration de 1789 : «La loi... doit être la même pour tous, soit qu elle protège, soit qu elle punisse». Le Conseil constitutionnel en tire la règle selon laquelle «le principe d égalité ne s oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu il déroge à l égalité pour des raisons d intérêt général, pourvu que, dans l un et l autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l objet de la loi qui l établit» 10. Sur le fondement de l article 13 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel considère «qu en particulier, pour assurer le respect du principe d égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l égalité devant les charges publiques» 11. Le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître du principe d égalité devant la loi à propos de règles opérant des distinctions en droit du travail. Ainsi, dans sa décision n 89-257 DC du 25 juillet 1989 12, le Conseil a estimé que la référence faite par la loi aux notions de salariés «âgés» ou de salariés présentant «des caractéristiques sociales» particulières, qui sont destinées à être 9 Dès lors que les dispositions de l article L. 5212-14 du code du travail auxquelles la QPC était restreinte correspondaient à une rédaction encore en vigueur, le Conseil constitutionnel, à l inverse de la décision de renvoi, n a pas précisé dans les motifs et le dispositif de sa décision relatifs à ces dispositions (cons. 12 à 14 et art. 2) de quelle rédaction il était saisi, à l instar de ce qu il fait habituellement lorsqu il est directement saisi d un article dans sa rédaction en vigueur. 10 Ce qui a été rappelé, par exemple, dans la décision n 2010-601 DC du 4 février 2010, Loi relative à l entreprise publique La Poste et aux activités postales, considérant 11. 11 Voir par ex. la décision n 2014-456 QPC du 6 mars 2015, Société Nextradio TV (Contribution exceptionnelle sur l impôt sur les sociétés seuil d assujettissement), cons. 5. 12 Décision n 89-257 DC du 25 juillet 1989, Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, cons. 12. 7

précisées par les partenaires sociaux sous le contrôle des administrations et des juridictions compétentes, loin de méconnaître le principe d égalité devant la loi, permet d en assurer l application à des situations diversifiées. Dans sa décision n 99-423 DC du 13 janvier 2000 13, le Conseil a estimé que le législateur a pu, sans porter atteinte au principe d égalité, exclure du bénéfice du complément différentiel de salaire les salariés à temps complet et les salariés à temps partiel recrutés postérieurement à la réduction du temps de travail sur des postes qui ne sont pas équivalents à ceux occupés par des salariés bénéficiant de la garantie. Dans sa décision n 2012-232 QPC du 13 avril 2012 14, le Conseil était saisi du 1 de l article L. 1235-14 du code du travail. Cet article excluant l application de l article L. 1235-11 du code du travail, qui prévoit que l absence de respect des exigences relatives au plan de reclassement des salariés en cas de procédure de licenciement pour motif économique a pour conséquence une poursuite du contrat de travail ou une nullité du licenciement des salariés et une réintégration de ceux-ci à leur demande, sauf si cette réintégration est devenue impossible,pour les salariés ayant moins de deux ans d ancienneté dans l entreprise, le Conseil a estimé qu en retenant un critère d ancienneté du salarié dans l entreprise, le législateur s est fondé sur un critère objectif et rationnel en lien direct avec l objet de la loi. Il en a déduit que les dispositions en cause n avaient pas méconnu le principe d égalité devant la loi. De même, dans sa décision n 2012-242 QPC du 14 mai 2012 15, le Conseil a jugé que les dispositions du 13 de l article L. 2411-1 et des articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du code du travail, qui ne soumettent pas à des règles différentes des personnes placées dans une situation identique, ne méconnaissent pas le principe d égalité devant la loi. B. L application à l espèce 1. La constitutionnalité du second alinéa de l article L. 5212-3 du code du travail L association requérante soutenait que ces dispositions méconnaissent le principe d égalité devant la loi dès lors que pour l assujettissement à l obligation d emploi des travailleurs handicapés, elles excluent, pour les entreprises de travail temporaire, la prise en compte des salariés mis à disposition d entreprises 13 Décision n 99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, cons. 61. 14 Décision n 2012-232 QPC, 13 avril 2012, M. Raymond S. (Ancienneté dans l entreprise et conséquences de la nullité du plan de sauvegarde de l emploi), cons. 3 et 5. 15 Décision n 2012-242 QPC, Association Temps de Vie (Licenciement des salariés protégés au titre d un mandat extérieur à l entreprise), du 14 mai 2012, cons. 11. 8

utilisatrices, alors qu elles la prévoient pour les groupements d employeurs et que les groupements d employeurs et les entreprises de travail temporaire, qui exercent la même activité de fourniture de main-d œuvre à des entreprises utilisatrices, sont placés dans la même situation et qu aucun motif d intérêt général ne justifie qu ils fassent l objet d un traitement différent (cons. 9). Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief. Il a d abord relevé l existence d une différence de traitement entre les groupements d entreprises et les entreprises de travail temporaire au regard de la prise en compte des salariés mis à disposition d entreprises utilisatrices pour apprécier l assujettissement à l OETH, du fait de la dérogation instituée par le second alinéa de l article L. 5212-3 du code du travail au bénéfice des seules entreprises de travail temporaire (cons. 10). Le Conseil a, toutefois, considéré que cette différence de traitement est justifiée par une différence de situation. Il a, en effet, considéré que les groupements d entreprises se distinguent des entreprises de travail temporaire en raison, d une part, des «liens juridiques entre le groupement et les employeurs qui y adhèrent» et, d autre part, de «la répartition des responsabilités entre le groupement et ses membres, ceux-ci étant tenus solidairement des dettes du groupement à l égard de ses salariés» (cons. 11). Dès lors, le Conseil a jugé que le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d égalité, «retenir des modes de comptabilisation des salariés distincts pour la détermination de l obligation d emploi des travailleurs handicapés» (cons. 11). En conséquence, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d égalité devant la loi. Dès lors que le second alinéa de l article L. 5212-3 du code du travail ne méconnaissait aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil l a déclaré conforme à la Constitution (cons. 11.). 2. La constitutionnalité des mots «à due proportion de son temps de présence dans l entreprise au cours de l année civile» figurant au premier alinéa de l article L. 5212-14 du code du travail L association requérante reprochait à ces dispositions d instituer, en méconnaissance du principe d égalité devant les charges publiques, une différence de traitement injustifiée au détriment des groupements d employeurs «dès lors que les salariés d un groupement mis à disposition d une entreprise utilisatrice sont pris en compte pour la détermination de l assiette de l assujettissement à l obligation d emploi des travailleurs handicapés, alors qu ils ne sont pas pris en compte pour apprécier si le groupement d employeurs satisfait à l obligation d emploi des travailleurs handicapés» (cons. 12). 9

Le Conseil constitutionnel a d abord rappelé qu en vertu des dispositions combinées des articles L. 1111-2 et L. 5212-2 du code du travail, tous les salariés d un groupement d employeurs, qu ils soient permanents ou mis à disposition d une entreprise utilisatrice, sont pris en compte pour vérifier si ce groupement est assujetti à l obligation d emploi des travailleurs handicapés (cons. 13). Il a déclaré ces dispositions conformes au principe d égalité devant les charges publiques en assortissant cette déclaration d une réserve d interprétation. Il a ainsi jugé que «les dispositions contestées ne sauraient, sans créer de rupture caractérisée de l égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que les salariés d un groupement d employeurs mis à disposition d une entreprise utilisatrice soient pris en compte dans le nombre des bénéficiaires de l obligation d emploi des travailleurs handicapés, lorsqu ils sont dénombrés dans l assiette d assujettissement du groupement à l obligation d emploi des travailleurs handicapés» (cons. 14). En conséquence, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d égalité devant les charges publiques. La formulation de la réserve permet de la lier au mode de prise en compte des salariés du groupement d employeurs au dénominateur du ratio d emploi des travailleurs handicapés «lorsqu ils sont dénombrés dans l assiette d assujettissement du groupement à l obligation d emploi des travailleurs handicapés». Dans l hypothèse où le législateur ferait un choix de comptabilisation des salariés d un groupement d employeurs mis à disposition d une entreprise utilisatrice dans les seuls effectifs de cette entreprise, cette réserve serait ainsi neutralisée. En revanche, tant que ces salariés sont comptabilisés dans l effectif du groupement d employeurs, une telle réserve demeure valable. Dès lors que les mots «à due proportion de son temps de présence dans l entreprise au cours de l année civile» figurant au premier alinéa de l article L. 5212-14 du code du travail ne méconnaissaient aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil les a déclarés conformes à la Constitution sous la réserve mentionnée ci-dessus (cons. 14). 10