Atteinte cardiaque dans les myopathies

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Transcription:

Atteinte cardiaque dans les myopathies D. Duboc, J. Varin, A. Lazarus, B. Eymard, Z. Ounnoughene, H.M. Bécane* Latteinte cardiaque est fréquente dans les myopathies génétiques (1). Elle associe, d une myopathie à l autre, une dysfonction ventriculaire et des troubles du rythme et de la conduction qui peuvent conduire à la mort subite (2). La cardiopathie peut être au premier plan, et il revient alors au cardiologue de penser à une maladie musculaire si celleci était méconnue. La démarche dandinante, la difficulté à se lever de l accroupissement, du siège ou du lit d examen, le décollement des omoplates sont autant de signes témoignant de la faiblesse de certains muscles. L attention du praticien sera également retenue par un visage atone (déficit de la musculature faciale), la chute de paupière, la voix nasonnée, la main qui reste crispée (signant la myotonie). La modification du volume des muscles (atrophie et/ou hypertrophie), la présence de rétractions tendineuses des coudes et des chevilles seront recherchées. Il 24 L atteinte cardiaque est fréquente au cours des maladies neuromusculaires. Cette atteinte peut être dissociée de l évolution de la maladie musculaire périphérique, et parfois même être au premier plan de la scène clinique. Certaines myopathies exposent à la mort subite, par un mécanisme rythmique. Le développement d outils de caractérisation phénotypique cardiaque comme l IRM aide à la décision de prise de mesures préventives, telles que la stimulation ou l implantation de défibrillateur. Dans quelques myopathies peu évoluées et peu évolutives, la transplantation cardiaque peut être proposée en cas d insuffisance cardiaque réfractaire. Mots-clés : Myopathie - Mort subite - Trouble du rythme et de la conduction - Insuffisance cardiaque. Points forts * Service de cardiologie, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75679 Paris Cedex 14. existe également des cardiomyopathies primitives isolées, sans atteinte du muscle squelettique, qui peuvent être liées à des anomalies génétiques habituellement responsables de maladies musculaires diffuses, mais leur expression est alors exclusivement cardiaque. PRINCIPALES DYSTROPHIES ASSOCIANT ATTEINTE SQUELETTIQUE ET CARDIAQUE Dystrophie myotonique de Steinert (DM) La DM est la plus fréquente des dystrophies musculaires de l adulte, avec une prévalence de 2,1 à 14,3 pour 100 000 ; sa transmission est autosomique dominante. Le début survient habituellement autour de 20 à 30 ans, mais des formes précoces (néonatales et infantiles avec retard intellectuel) et tardives (au-delà de 40 ans) ne sont pas rares. Cette affection, qui combine une atteinte musculaire et plurisystémique, se caractérise par les éléments suivants : myotonie des mains, faciès évocateur (ptosis, diplégie faciale, atrophie massétérine et temporale, calvitie chez l homme), déficit atrophiant du cou et des muscles distaux (mains et pieds), atteinte plurisystémique : cataracte, diabète, somnolence et atteinte cardiaque (3). L atteinte cardiaque, non corrélée aux autres symptômes (en particulier à la sévérité de la faiblesse musculaire), affecte une majorité de patients. Les troubles conductifs sont les plus fréquents (90 % dans la série de Church). Ils portent sur la conduction et l automaticité (dysfonction sinusale, BAV de tous les degrés, blocs de branche, complets ou incomplets), et s aggravent progressivement de 3 à 5,5 % par an pour le PR et de 5 à 11 % par an pour QRS (2). Les troubles du rythme viennent en seconde position (15 %, série de Church). Il s agit principalement de flutter ou de fibrillation auriculaire, plus rarement de troubles du rythme ventriculaire. La dysfonction ventriculaire gauche dans un contexte de cardiopathie dilatée est plus rare. La mort subite est un risque majeur de la DM, y compris chez le sujet jeune, affectant selon les séries de 2 % à plus de 30 % des patients (4). Les troubles conductifs et rythmiques, ces derniers non prévenus par le pacemaker simple, sont généralement impliqués. Néanmoins, en l absence habituelle d enregistrement cardiaque au moment du décès, il est difficile d en définir la cause, qui peut ne pas être cardiaque (embolie pulmonaire). L atteinte cardiaque, souvent peu symptomatique, doit être dépistée et contrôlée par un ECG biannuel et un holter ECG annuel. Une exploration du faisceau de His comportant une étape de stimulation pour détec- La Lettre du Cardiologue - n 355 - mai 2002

ter un trouble latent de l excitabilité sera effectuée dans les circonstances suivantes : 1. anomalies franches (conduction, rythme) à l ECG ou au holter ; 2. présence de signes fonctionnels (palpitations, malaises, précordialgies), même si l exploration électrocardiographique est normale ; 3. en cas d intervention chirurgicale sous anesthésie générale. Lazarus et al. (5) ont, sur ces critères, effectué un enregistrement endocavitaire chez 83 patients. Un allongement du HV était trouvé chez 75 % des patients, supérieur à 70 ms, dans 41 % des cas. Onze patients sur 20 avaient des anomalies de conduction infrahissienne, alors que l ECG de surface était normal. Dans 41 % des cas, une arythmie auriculaire était induite. Le pourcentage était de 18 % pour les arythmies ventriculaires, avec un âge moyen de survenue de 31 ans, très significativement plus bas que chez les patients sans arythmie. Le déclenchement d une arythmie ventriculaire comme des tachycardies ventriculaires polymorphes ou des fibrillations ventriculaires était associé à l existence d anomalies morphologiques et métaboliques cardiaque en IRM (6). L existence d un substrat anatomique détectable pour ces arythmies induites, habituellement jugées comme non spécifiques, témoigne probablement de leur signification pronostique particulière dans cette affection génétique à haut risque de mort subite (6). Dans notre expérience, en cas d allongement du HV supérieur à 70 ms, la mise en place d un pacemaker est fortement recommandée, même chez des patients asymptomatiques. Il faut impérativement recourir à un matériel possédant des mémoires holter, qui permettent d enregistrer les événements conductifs et rythmiques. L amiodarone est le traitement de choix des troubles du rythme, qu ils soient supraventriculaires ou ventriculaires. Les antiarythmiques de classe IC sont formellement contre-indiqués. À côté de l atteinte cardiaque, les autres facteurs de gravité sont l intensité de la faiblesse, qui peut conduire au fauteuil roulant, l insuffisance respiratoire (par dysfonctionnement diaphragmatique), les troubles de déglutition. Ces facteurs, qui peuvent s associer, rendent compte du mauvais pronostic de la DM avec une diminution franche de la durée de vie, en moyenne autour de 50-55 ans (4). La mutation responsable de la maladie est une expansion d un triplet nucléotidique CTG situé dans la région 3 non traduite d un gène localisé sur le chromosome 19, codant pour une protéine-kinase. Le nombre de triplets CTG, grossièrement corrélé à la gravité de la DM, dépasse toujours 50 chez le patient DM (sujet normal : entre 5 et 35). La taille du triplet augmente de génération en génération, ce qui explique une tendance à l aggravation de la maladie d une génération à l autre (phénomène d anticipation). Les corrélations entre la longueur de la mutation et la sévérité des troubles de conduction et des troubles rythmiques sont discutées (5, 7). La fonction et les cibles de la myotonine-kinase codée par le gène DM restent mal connues. Le diagnostic de DM s appuie sur la formule clinique, les antécédents familiaux (myopathie, cataracte, faiblesse musculaire, mort subite inexpliquée), et trouve une confirmation définitive par la détection de la mutation sur échantillon sanguin. Cette détection est systématique pour confirmer le diagnostic, y compris chez des sujets asymptomatiques qui sont susceptibles de transmettre la maladie et de développer des complications de la maladie. Emery-Dreifuss La myopathie d Emery-Dreifuss est une dystrophie beaucoup plus rare que le Steinert et que les myopathies de Duchenne et de Becker, débutant habituellement dans l enfance. Cette dystrophie est aisément reconnaissable par sa formule clinique associant une cardiopathie et une atteinte musculaire peu déficitaire avant tout marquée par des rétractions des coudes (bloqués en flexion), du cou et des chevilles. L atteinte cardiaque associe une cardiopathie dilatée avec dysfonction ventriculaire, des troubles de la conduction auriculo-ventriculaire et intraventriculaire, ainsi que des troubles rythmiques avec une fréquence particulièrement élevée de la fibrillation auriculaire. Le risque de mort subite est très élevé, y compris chez des patients porteurs de pacemaker, du fait de troubles du rythme ventriculaire (8, 9). Comme pour la dystrophie myotonique, aucune corrélation n est retrouvée entre l atteinte musculaire squelettique et les troubles cardiaques. L atteinte cardiaque peut être isolée dans des familles où d autres sujets présentent l atteinte musculaire (8). La transmission est variable, soit de type récessif lié à l X, soit de type autosomique dominant. Cette hétérogénéité génétique s explique par le fait que deux gènes sont en cause, le premier situé sur le chromosome X (Xp28), codant pour l émerine, le second situé sur le chromosome 1 (locus 1q11-23), codant pour la lamine, qui est déficiente dans la forme dominante d Emery- Dreifuss. Les mutations sont très variées pour les deux gènes. Dans les formes dues à une anomalie de la lamine (laminopathies), la survenue de néomutations est fréquente, rendant compte de cas sporadiques. Lamine et émerine sont deux protéines voisines, situées dans la membrane nucléaire. D autres mutations du gène de la lamine ont été rapportées dans des tableaux différents de l Emery-Dreifuss : 1. cardiomyopathie dilatée isolée particulière par la transmission dominante et l association à des troubles rythmiques et conductifs (8, 9) ; 2. une forme de myopathie des ceintures de transmission dominante sans rétractions tendineuses et avec cardiopathie dilatée avec troubles conductifs et rythmiques (Van der Kooy). Le diagnostic de l Emery-Dreifuss repose sur le phénotype clinique musculaire rétractile, la cardiomyopathie dilatée avec troubles conductifs et rythmiques et le mode de transmission. S il s agit d une forme liée à l X, la recherche de l anomalie protéique sera effectuée : mise en évidence d une absence d émerine sur le muscle (absence d immunomarquage des noyaux et Western-Blot) et/ou lignées lymphoblastoïdes (Western-Blot), puis détection de la mutation sur le gène de l émerine. S il s agit d une forme dominante, le déficit protéique n étant pas actuellement identifiable, c est l étude directe des mutations du gène de la lamine qui sera réalisée. S il s agit d une forme sporadique, la détection tissulaire de l émerine sera effectuée ; si elle est normale, la recherche de mutation de la lamine sera pratiquée. La même démarche sera proposée devant une cardiopathie dilatée avec troubles conductifs et /ou rythmiques. La Lettre du Cardiologue - n 355 - mai 2002 25

La prise en charge de la cardiopathie est essentielle, y compris chez des patients asymptomatiques sur le plan cardiaque et musculaire, imposant une enquête familiale rigoureuse. Une surveillance stricte régulière, notamment à la recherche d arythmie, devra être instituée. En cas de trouble du rythme ventriculaire spontané ou déclenché, la pose d un défibrillateur implantable sera le plus souvent indiquée. De la même façon, des troubles de conduction justifiant d un stimulateur cardiaque feront indiquer un appareillage à fonction défibrillante, étant donné le risque d arythmie ventriculaire grave. La greffe cardiaque est envisageable chez ces malades, à un stade avancé de dysfonction ventriculaire. 26 Myopathies de Duchenne et de Becker La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD), dont l incidence est d environ 1/3 000 chez le garçon, débute avant 5 ans et conduit, entre 10 et 12 ans, à une perte de la marche. Les progrès thérapeutiques (chirurgie de la scoliose et des rétractions, mise en route d une ventilation assistée, traitement de la cardiopathie) ont amélioré le confort des patients et allongé la survie, mais l évolution reste létale autour de l âge de 20-25 ans du fait de l atteinte cardiorespiratoire (10). La myopathie de Becker (DMB) se distingue de la DMD par une fréquence dix fois plus faible, une survenue plus tardive (y compris à l âge adulte), et surtout une sévérité moindre, avec une possibilité de marche conservée au-delà de 20 ans, parfois beaucoup plus. Dans les deux cas, on retrouve une atteinte à prédominance pelvi-fémorale, peu sélective, une hypertrophie des mollets, une cardiomyopathie dilatée et une franche élévation des CPK. La DMD et la DMB sont deux formes alléliques liées au même gène situé en Xp21 et codant pour la dystrophine, dont la déficience est à l origine de la myopathie. Les deux affections sont dues à une déficience de la dystrophine, fragilisant la membrane musculaire. La cardiopathie est constante dans la DMD, très fréquente dans la DMB, marquée avant tout par une cardiomyopathie dilatée. L ECG dans la DMD est précocement caractérisé par de grandes ondes Q dans les dérivations précordiales droites et de grandes ondes R en précordiale droit avec rapport R/S > 1 en V1. La tachycardie sinusale est très fréquente, dès l âge de 5 ans ; en revanche, les troubles du rythme tant auriculaires que ventriculaires sont plus rares (10). Les troubles conductifs surviennent dans la moitié des cas. Il s agit en majorité d anomalies atriales, plus qu infranodales. L échocardiographie détecte une hypokinésie ventriculaire postérobasale et l étude de la fraction d éjection isotopique permet de quantifier précisément la dysfonction ventriculaire. Dix à 40 % des patients décèdent de défaillance cardiaque, qui peut être précipitée par l insuffisance respiratoire et l hypertension pulmonaire (11). Dans le Becker, les anomalies cardiaques sont du même type que dans le Duchenne. La sévérité de la cardiopathie n est pas corrélée à l atteinte musculaire d un patient à l autre, y compris au sein d une même fratrie. Les femmes porteuses de la mutation (hétérozygote Duchenne ou Becker), habituellement asymptomatiques, peuvent développer la cardiopathie. Enfin, dans certains cas, la cardiopathie est complètement isolée, sans atteinte du muscle squelettique. Il s agit d un tableau de cardiopathie dilatée, affectant l homme, particulière par une transmission liée à l X. La mutation, dans ces cas, peut porter sur le promoteur musculaire du gène de la dystrophine (12). Dans le muscle squelettique, mais pas dans le muscle cardiaque, il existe une compensation de l absence de l isoforme musculaire par les isoformes cérébrales et cérebelleuses de la dystrophine (Muntoni). D autres mutations à l origine d une cardiomyopathie isolée surviennent dans le domaine central du gène de la dystrophine. La physiopathologie de la cardiopathie isolée n est pas connue dans ces derniers cas. Le diagnostic de DMD et de DMB repose sur le mode de transmission (garçon touché et mère transmettrice) et le phénotype (valeur de l hypertrophie des mollets et de l atteinte des quadriceps). Il doit toujours être confirmé par le déficit musculaire en dystrophine sur la biopsie. Dans la DMD, la protéine n est pas détectable tant par la technique d immunomarquage sur coupe qu en immunoprécipitation sur muscle solubilisé. Dans la DMB, l expression de la dystrophine est réduite mais détectable en immunomarquage, sous forme d un marquage sarcolemmique irrégulier ou discontinu. En Western-Blot, la quantité de dystrophine est diminuée et la taille de la protéine réduite. Une délétion du gène de la dystrophine est détectée par les techniques de PCR multiplex et de Southern-Blot dans environ deux tiers des cas de DMD et de Becker ; les autres mutations sont ponctuelles, beaucoup plus difficiles à détecter. Si la biopsie musculaire est difficile (myopathie avancée) ou refusée, l enquête débutera par la détection d une délétion. Si celle-ci est absente (ce qui n élimine pas le diagnostic), seule la biopsie musculaire permettra de trancher. Le traitement de la cardiopathie fait appel, en cas de dysfonction ventriculaire, aux inhibiteurs de l enzyme de conversion et aux bêtabloquants. La greffe cardiaque, indiquée lorsque la défaillance myocardique est majeure, n est réalisable que lorsque l atteinte musculaire et respiratoire est modérée (formes ambulatoires de Becker, cardiomyopathie isolée). Les résultats sont encourageants, avec parfois un recours à une assistance circulatoire préalable. La transplantation n est pas envisageable dans la myopathie de Duchenne (déficit musculaire et insuffisance respiratoire majeurs). Myopathie facio-scapulo-humérale Cette myopathie, fréquente chez l adulte, de transmission dominante, se caractérise par une atteinte faciale, scapulaire et brachiale, asymétrique. L atteinte cardiaque est rare, se caractérisant par des troubles du rythme (13). Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence sur prélèvement sanguin d un marqueur génétique spécifique de l affection, situé sur le chromosome 4. Myopathies métaboliques Si les myopathies mitochondriales constituent la principale cause de myopathie métabolique associée à une atteinte cardiaque, d autres affections métaboliques plus rares s accompagnent éga-.../... La Lettre du Cardiologue - n 355 - mai 2002

.../... lement de cardiomyopathie : lipidose par anomalie de la bêtaoxydation ou déficit du transport intracellulaire en carnitine avec, dans ces deux cas, une réponse à l administration de carnitine, glycogénoses (forme infantile du déficit de la maltase acide = maladie de Pompe, déficit en enzyme débranchante, enzyme branchante, amylopectinose, maladie de Danon). Autres myopathies génétiques Surcharge en desmine La myopathie par surcharge en desmine (filament intermédiaire des myofibrilles) débute à l âge adulte et se manifeste par une atteinte musculaire diffuse (muscles proximaux et distaux des membres, muscles respiratoires) et une cardiopathie hypertrophique avec troubles conductifs et rythmiques (14). La transmission est autosomique dominante. Le diagnostic repose sur la biopsie musculaire, qui révèle une surcharge en desmine. Deux gènes sont impliqués : celui de la desmine et celui d une protéine chaperonne de la desmine, l alpha-cristalline. Myopathies congénitales Les myopathies congénitales forment un ensemble de myopathies correspondant à une anomalie de développement musculaire et se manifestent le plus souvent dès la petite enfance. Elles sont définies par leur signature histologique. Une cardiomyopathie a été rapportée dans les myopathies à central cores (rarement), multicores, myopathies à bâtonnets. CONCLUSION De nombreuses affections musculaires comportent une atteinte cardiaque, qui est l un des éléments majeurs du pronostic. L atteinte cardiaque peut être la manifestation initiale et/ou dominante de la myopathie, conduisant à consulter le cardiologue, qui doit savoir la replacer dans un cadre diagnostique. Bibliographie 1. Urtizberea Andoni J, Duboc D, Schwartz K, Bonne G. Dilated cardiomyopathy and related cardiac disorders in muscular dystrophy. The Muscular Dystrophy. Coll. Oxford 2001, Chapter 11 : 202-22. 2. Duboc D, Varin J, Bécane HM, Bonne G, Ounnoughenne Z, Lazarus A. Neuromuscular disorders and sudden death. Fighting sudden cardiac death. A worldwide challenge. Coll. futura 2000 Chapter VII. Pediatrics : 399-402. 3. Hawley RJ, Milner MR, Gottdiener JS, Cohen A. Myotonic heart disease : a clinical follow-up. Neurology 1991 ; 41 : 259-61. 4. Mathieu J, Allard P, Potvin L, Prevost C, Begin P. A 10 year study of mortality in a cohort of patients with myotonic dystrophy. Neurology 1999 ; 52 : 1658-62. 5. Lazarus A, Varin J, Ounnoughene Z, Eymard B et al. Relationships among electrophysiological findings and clinical status, heart function, and extent of DNA mutation in myotonic dystrophy. Circulation 1998 ; 99 : 1041-6. 6. Vignaux O, Lazarus A, Carlier P et al. Right ventricular magnetic resonance imaging abnormalities in myotonic dystrophy and correlation with electrophysiologic testing findings. Radiology 2002 (sous presse) 29

7. Melacini P, Villanova M, Menegazzo E et al. Correlations between cardiac involvement and CTG trinucleotide repeat length in myotonic dystrophy. J Am Coll Cardiol 1995 ; 25 : 239-45. 8. Bonne G, Mercuri E, Muchhir A, Eymard B et al. Clinical and molecular genetic spectrum, of autosomal dominant Emery-Dreifuss muscular dystrophy of the lamins A/C gene. Ann Neurol 2000 ; 48 : 170-80. 9. Bécane HM, Bonne G, Varnous S et al. High incidence of sudden death in a new form of conduction due to lamins A/C gene mutation. Pace 2000 : 23 : 1661-6. 10. Perloff JK. Cardiac rhythm and conduction in Duchenne s muscular dystrophy : a prospective study of 20 patients. J Am Coll Cardiol 1984 ; 3 : 1263. 11. Mukoyama M, Kondo K, Hizawa K et al. Life spans of Duchenne muscular dystrophy patients in the hospital care program in Japan. J Neurol Sci 1987 ; 81 : 155. 12. Muntoni, Cau M, Ganau et al. Deletion of the dystrophin muscle - promoter region associated with X-inked dilated cardiomyopathy. N Engl J Med 1989 ; 329 : 921-5. 13. Laforet P, De Thoma C, Eymard B et al. Cardiac involvement in genetically confirmed facioscapulohumeral dystrophy. Neurology 1998 ; 51 : 1454-6. 14. Fardeaux M, Vicart P, Caron A et al. Familial myopathy with desmin storage seen as a granulo-filamentar, electron-dense material with mutation of the alphab-cristallin gene. Rev Neurol (Paris), 2000 ; 156 (5) : 497-504. AUTOQUESTIONNAIRE FMC 1. Le mode de transmission de la maladie de Steinert est autosomique récessif. 2. La mort subite sous pacemaker est fréquente dans la dystrophie d Emery-Dreifuss autosomique dominante. RÉPONSES FMC 1. FAUX : la transmission est autosomique dominante, justifiant une enquête chez les ascendants et dans la fratrie. Si un membre de la famille est porteur asymptomatique, des examens cardiologiques sont cependant indiqués, étant donné la dissociation fréquente entre l atteinte cardiaque et les autres manifestations de l affection. 2. VRAI : les troubles du rythme ventriculaire sont très fréquents. Cela justifie l argumentation d un défibrillateur préventif, si un pacemaker est par ailleurs indiqué. 30 La Lettre du Cardiologue - n 355 - mai 2002