REVUE DE RESTRUCTURATION SOCIALE JEANTET Paris, Mai 2016 1
REVUE DE JURISPRUDENCE «RESTRUCTURATION SOCIALE» (Mai 2016) La clause de mobilité ne dispense pas l employeur d obtenir l accord du salarié en cas de changement d employeur Cass. Soc. 19 mai 2016, n 14-26.556... p.3 Même en l absence d accord collectif, l employeur peut moduler le temps de travail des salariés Cass Soc. 11 mai 2016, n 15-10025... p.4 L obligation de reclassement s impose à l employeur pour les salariés qui ont accepté un plan de départ volontaire Cass, Soc. 19 mai 2016, n 15-12137 et n 15-11047... p.5 L employeur n a pas à faire état de la situation économique du groupe dans la lettre de licenciement Cass. Soc, 3 mai 2016, n 15-11046... p.6 En cas de transfert d entreprise, l obligation de payer l indemnité pour travail dissimulé pèse sur le repreneur Cass. Soc, 11 mai 2016, n 14-17496... p.7 2
LA CLAUSE DE MOBILITE NE DISPENSE PAS L EMPLOYEUR D OBTENIR L ACCORD DU SALARIE EN CAS DE CHANGEMENT D EMPLOYEUR 1 La Cour de Cassation rappelle qu en cas de changement d employeur intervenant en dehors du champ d application de l article L.1224-1 du code du travail, l accord exprès du salarié s impose, quand bien même le salarié serait lié par une clause de mobilité dans son contrat de travail. Dans l espèce soumise à la Cour de cassation, Air France a rompu un marché concédé à la société Aircar afin de le confier à la société Aéropass, les deux sociétés appartenant au même groupe, Transdev. Plusieurs salariés d Aircar ont ainsi vu leur contrat de travail transféré à Aéropass. Ils ont contesté en justice la validité de leur transfert, prétendant qu il était intervenu sans que leur accord ait été au préalable sollicité. Ils ont alors sollicité des dommages-intérêts et des indemnités de rupture de la société Aircar pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des rappels de salaire de la société Aéropass. Les salariés ont été déboutés de leurs demandes par la cour d appel, qui a considéré que les contrats de travail avaient été transférés dans les conditions édictées par la convention collective applicable. Or, cette convention «n impose pas à l employeur de recueillir l accord exprès des salariés» en cas de changement de prestataire, changement que les salariés avaient, au demeurant, accepté dans la mesure où ils avaient continué leur activité avec Aéropass. En outre, relève la cour d appel, les contrats de travail des salariés prévoyaient une clause autorisant la substitution à leur employeur de toute personne morale apparentée au même groupe, ce qui était le cas en l espèce. En apparence bien argumenté, le raisonnement de la cour d appel n a cependant pas résisté à la Cour de cassation. Pour la Cour de cassation, une clause de mobilité par laquelle un salarié accepterait une mutation dans une autre société, quand bien même celle-ci appartiendrait au même groupe que celui dont relève son employeur, est nulle. Elle ajoute qu à l exception de l article L.1224-1 du code du travail, tout changement d employeur, même prévu conventionnellement, requiert nécessairement l accord exprès et préalable du salarié. Cet accord ne peut donc résulter de la seule poursuite par le salarié de son contrat de travail sous la direction du nouvel employeur. 1Cass. Soc. 19 mai 2016, n 14-26.556 3
MEME EN L ABSENCE D ACCORD COLLECTIF, L EMPLOYEUR PEUT MODULER LE TEMPS DE TRAVAIL DES SALARIES 2 Dans l affaire qui lui a été soumise le 11 mai 2016, la Cour de Cassation a rappelé que, même en l absence d accord collectif, l employeur peut moduler le temps de travail des salariés sans leur accord. Il doit néanmoins consulter au préalable les représentants du personnel. En l espèce, l Union locale des syndicats de la CGT des aéroports de Paris a assigné la société Aérobag afin de lui interdire, sous astreinte, de décompter le temps de travail des salariés sur des périodes de 4 semaines, en l absence de l accord préalable de ceux-ci. La cour d appel a accueilli cette demande, jugeant qu à défaut d accord collectif, la modulation du temps de travail des salariés sur une période supérieure à une semaine entrainait une modification de leurs contrats de travail qui nécessitait l accord des salariés concernés. La Cour de Cassation a censuré le raisonnement des juges du fond au motif qu en l absence d accord collectif sur la modulation du temps de travail, les articles D.3122-7-1 et D.3122-7- 2 du code du travail autorisent l employeur à moduler de manière unilatérale la durée du travail sous forme de périodes de travail de 4 semaines maximum chacune. Le régime supplétif en matière de modulation est l une des modifications prévues par le projet de loi El Khomri. Aux termes du projet de loi, l employeur non couvert par un accord d aménagement du temps de travail pourra aménager unilatéralement le temps de travail sur une période ne pouvant excéder 4 semaines pour les entreprises de plus de 50 salariés. Cette période sera portée à 9 semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés. Enfin, il ne sera pas possible de moduler, par accord d entreprise, le temps de travail sur une période excédant 12 mois dans la mesure où une telle modulation requerra la conclusion d un accord de branche. 2 Cass Soc. 11 mai 2016, n 15-10025 4
L OBLIGATION DE RECLASSEMENT S IMPOSE A L EMPLOYEUR POUR LES SALARIES QUI ONT ACCEPTE UN PLAN DE DEPART VOLONTAIRE 3 Dans un arrêt du 19 mai 2016, la Cour de Cassation a rappelé l étendue de l obligation de reclassement qui pèse sur l employeur à l égard des salariés acceptant la rupture de leur contrat de travail en application d un plan de départ volontaire mis en œuvre dans le cadre d un PSE. Un projet de réorganisation et de regroupement entrainait la fermeture de plusieurs établissements de la société groupe Seb Moulinex. Un PSE avait alors été mis en place, lequel s accompagnait de mesures incitatives au départ volontaire. Plusieurs salariés ayant refusé une proposition de modification de leurs contrats de travail en raison du transfert de leurs postes, ont néanmoins accepté de rompre leur contrat de travail dans le cadre d un plan de départs volontaires («PDV») en signant avec leur employeur une convention de rupture d un commun accord. Toutefois certains d entre eux ont, par la suite, considéré que la rupture de leur contrat de travail était abusive, l employeur ayant manqué à son obligation de reclassement interne. La Cour de Cassation a confirmé l argumentation des juges du fond, considérant que lorsque les départs volontaires prévus dans un PSE s'adressent aux salariés dont le licenciement est envisagé en raison de la réduction des effectifs, sans engagement de l employeur de ne pas les licencier si l'objectif n'est pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail des intéressés, l'employeur est tenu à l égard de ces salariés de l obligation de reclassement interne telle qu elle était prévue dans le plan de sauvegarde de l emploi. Or, en l espèce, en omettant de proposer aux salariés des emplois disponibles dans les sociétés du groupe, l employeur a violé son obligation de reclassement, ce qui rend la rupture des contrats de travail sans cause réelle et sérieuse 4. Ainsi, l employeur ne sera exonéré de son obligation de reclassement à l égard des salariés optant pour le PDV que si ce PDV exclut tout licenciement, quand bien même le nombre de candidats au départ serait insuffisant au regard de l objectif de postes à supprimer. 3 Cass, Soc. 19 mai 2016, n 15-12137 4 Dans le même sens : Cass, Soc. 19 mai 2016, n 15-1104 5
L EMPLOYEUR N A PAS A FAIRE ETAT DE LA SITUATION ECONOMIQUE DU GROUPE DANS LA LETTRE DE LICENCIEMENT 5 Dans un arrêt rendu le 3 mai 2016, la Cour de Cassation se prononce sur l étendue du formalisme de la lettre de licenciement dans le cadre d un licenciement pour motif économique lorsque l entreprise appartient à un groupe de sociétés. Bien qu il soit de jurisprudence constante que lorsqu une entreprise appartient à un groupe de sociétés, les difficultés économiques invoquées doivent être appréciées au niveau du secteur d activité du groupe auquel appartient la société qui licencie, la question qui a été posée ici à la Cour de Cassation était de savoir de savoir si la lettre de licenciement devait expressément faire état de la situation économique du secteur d activité du groupe. En l espèce, une société mise en liquidation judiciaire est partiellement cédée à une autre société. Les contrats de travail des salariés sont alors transférés au repreneur qui, dans le cadre d un licenciement économique collectif, licencie plusieurs d entre eux. L un de ces salariés considère que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l employeur s était contenté, dans la lettre de licenciement, de ne faire état que de ses propres difficultés économiques, faisant ainsi abstraction des autres entreprises du groupe relevant du même secteur d activité que lui. La Cour de Cassation considère que la lettre de licenciement, bien qu elle doive, conformément à l article L. 1233-16 du code du travail, énoncer les motifs économiques conduisant l employeur à procéder à la rupture du contrat de travail, n a pas pour autant à préciser le niveau d appréciation de la cause économique dans l hypothèse ou l entreprise appartient à un groupe. Pour la Cour de cassation, «ce n est qu en cas de litige qu il appartient à l employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué». Le projet de loi El Khomri a finalement conservé le périmètre d appréciation des difficultés économiques au niveau du groupe, alors qu il avait envisagé, dans un premier temps, d apprécier les difficultés économiques au niveau du secteur d activité commun aux entreprises du groupe implantées sur le seul territoire national. 5 Cass. Soc, 3 mai 2016, n 15-11046 6
EN CAS DE TRANSFERT D ENTREPRISE, L OBLIGATION DE PAYER L INDEMNITE POUR TRAVAIL DISSIMULE PESE SUR LE REPRENEUR 6 Dans l affaire soumise à la Cour de Cassation le 11 mai 2016, le contrat de travail d une salariée est transféré à un nouvel employeur, à la suite d une cession de fonds de commerce. La salariée est licenciée quelques mois plus tard et saisit le conseil de prud hommes en réclamant à son ancien employeur des indemnités pour travail dissimulé, considérant avoir fait des heures supplémentaires non déclarées par ce dernier. La cour d appel refuse d accéder à sa demande, considérant que le nouvel employeur ne pouvait être tenu de la créance de dommages et intérêts pour travail dissimulé qui ne peut sanctionner que les agissements de l ancien employeur. La Cour de cassation censure le jugement de la cour d appel. Les indemnités pour travail dissimulé sont exigibles si et seulement s il y a rupture du contrat de travail. Ainsi, en cas de transfert d entreprise, quand le contrat de travail se poursuit avec le nouvel employeur, c est à ce dernier, une fois le contrat de travail rompu, que le salarié doit demander le paiement des indemnités pour travail dissimulé. Surprenant au premier abord, la décision de la Cour de cassation n en est pas moins logique. Si le contrat de travail est transféré en application de l article L.1224-1 du code du travail, le salarié ne peut pas réclamer d indemnisation pour travail dissimulé à son employeur dans la mesure où le contrat de travail les liant n a pas été rompu mais seulement transféré au nouvel employeur. Le transfert du contrat de travail emporte alors transfert des potentielles créances que la salariée a à l égard de son ancien employeur. Dès lors, si le repreneur licencie la salariée, l indemnité sera due par celui-ci. Le repreneur pourra cependant se retourner contre l ancien employeur en remboursement des indemnités versées à la salariée. 6 Cass. Soc, 11 mai 2016, n 14-17496 7