Antoine Leblanc 1, Daniel Annequin 2, Maryline Feuillet 3, François-André Allaert 4, Jean-Louis Salomon 5, Chantal Rousseaux 6, Philippe Reinert 7

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Transcription:

Dossier Trois questions peuvent aider au dépistage des migraines de l enfant en médecine de ville Antoine Leblanc 1, Daniel Annequin 2, Maryline Feuillet 3, François-André Allaert 4, Jean-Louis Salomon 5, Chantal Rousseaux 6, Philippe Reinert 7 1 Service de pédiatrie, Centre Hospitalier Sud Francilien, 91014 Evry cedex <antoine.leblanc@ch-sud-francilien.fr> 2 Hôpital Armand Trousseau, 75012 Paris 3 Centre Hospitalier Mémorial de Saint-Lô, 50009 Saint-Lô 4 CEN-BIOTECH, 21000 Dijon 5 Centre Hospitalier François Quesnay, 78200 Mantes La Jolie 6 NUKLÉUS, 75013 Paris 7 Rédacteur en chef de Médecine Thérapeutique Pédiatrie Il peut paraître surprenant d inclure dans ce numéro thématique de MTP dédié aux urgences cette étude observationnelle de la migraine de l enfant. Cette affection, parfois très pénible et invalidante, est gravement sous-diagnostiquée chez l enfant. Elle est aussi sous-traitée par défaut de diagnostic. Pourtant, sa fréquence est estimée dans la littérature entre 2,7 % et 11 % des enfants. Certaines formes par la sévérité des troubles de la conscience et du tableau associant céphalée, vomissements et douleurs abdominales peuvent à juste titre inquiéter l urgentiste quand il s agit de la première crise! Cette étude porte sur plus de 10 000 enfants et recherche ceux ayant répondu positivement aux trois questions clés devant faire suspecter le diagnostic de migraine (au moins deux épisodes de céphalée au cours des 6 derniers mois, céphalée suffisamment intense pour limiter les activités et accès de pâleur pendant la crise). Elle retrouve une incidence de 11,9 % chez les garçons et de 8,3 % chez les filles. Il est aussi intéressant de constater que les crises débutent pour plus de 25 % des enfants avant l âge de 5 ans et enfin qu un simple interrogatoire peut conduire au diagnostic, et donc au traitement. Mots clés : migraine, céphalée, hypertension intracrânienne, coma doi: 10.1684/mtp.2008.0213 mtp Tirés à part : A. Leblanc Chez l enfant, la prévalence de la migraine a progressé de façon continue ces vingt dernières années [1]. Elle varie entre 2,7 % et 11 % en fonction des tranches d âge considérées et des critères diagnostiques utilisés [2-4]. La douleur et le cortège de symptômes qui accompagnent la migraine perturbent les activités de la vie quotidienne, et la récurrence des crises est à l origine d un absentéisme scolaire. Bien qu invalidante, la migraine reste cependant souvent méconnue, vraisemblablement sousdiagnostiquée, chez l enfant [5, 6]. Le diagnostic de migraine est clinique [1, 3, 6] : il est basé sur l interrogatoire, la description des crises et sur l examen clinique de l enfant (réflexes, pression artérielle, fond d œil ). Il n est pas nécessaire de voir l enfant en pleine crise, ni de lui 363

Trois questions peuvent aider au dépistage des migraines de l enfant faire passer de nombreux examens complémentaires (scanner, EEG, radio ) [3-5]. Si la migraine de l enfant, comme celle de l adulte, est une céphalée sévère évoluant par crises stéréotypées, elle se distingue cependant de celle de l adulte par des crises plus courtes, une localisation bilatérale plus fréquente et/ ou frontale le plus souvent, une tonalité moins souvent pulsatile, des troubles digestifs souvent au premier plan (nausées, vomissements, douleurs abdominales) et une pâleur inaugurale fréquente avec des cernes oculaires [5-8]. Le dépistage des enfants présentant des céphalées migraineuses est essentiel, afin de permettre un traitement précoce, de diminuer le handicap social et l impact des crises sur la qualité de vie. En effet, l objectif du traitement est, une fois le diagnostic posé, de réduire la fréquence et l intensité des crises. Le médecin généraliste ou le pédiatre sont en première ligne pour assurer un dépistage précoce des migraines, poser le diagnostic et prescrire un traitement. L Anaes (HAS aujourd hui) a édité en 2002 des recommandations de prise en charge diagnostique et thérapeutique [8] de la migraine chez l enfant mais celles-ci sont encore insuffisamment connues. Une actualisation des critères diagnostiques de l International Headache Society (IHS) a été proposée en 2004 [9] (tableau 1). L objectif de ce travail était de savoir si un questionnaire simplifié pouvait faciliter le repérage des enfants migraineux en médecine de ville et d évaluer la valeur prédictive positive de ce questionnaire de dépistage. Tableau 1. Critères diagnostiques de la migraine pédiatrique sans aura A) Au moins 5 accès remplissant les critères B à D. B) Céphalées durant de 1 à 72 heures. C) Céphalées ayant au moins 2 des caractéristiques suivantes : 1) Localisation unilatérale/bilatérale/fronto-temporale, mais non occipitale. 2) Caractère pulsatile. 3) Intensité modérée à sévère. 4) Aggravation par l activité physique ordinaire ou évitement de cette activité ; D) Au moins un signe d accompagnement : 1) Nausées et/ou vomissements. 2) Photophobie ou phonophobie.pouvant interférer avec le comportement de l enfant E) Non attribuable à une autre affection. (examen physique et neurologique normal entre les crises) D après Olesen J. International Classification of Headache Disorders. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2004 ; 75 : 808-11. Patients et méthode Une étude épidémiologique observationnelle transversale, a été menée en médecine générale et en pédiatrie de ville, entre mai et octobre 2006. L objectif principal de l étude était de déterminer si une réponse positive à 3 questions simples posées en consultation permettait de dépister l existence de céphalées migraineuses probables chez des enfants et adolescents. Les objectifs secondaires étaient d évaluer la fréquence des céphalées en général dans cet échantillon d enfants. Puis, chez les enfants suspectés d être migraineux d approfondir la démarche diagnostique et de décrire les caractéristiques des céphalées migraineuses et leur prise en charge. Sélection des patients et recueil des données Les médecins généralistes et pédiatres participant à l étude étaient tirés au sort à partir d un fichier professionnel. Chacun d entre eux devait poser 3 questions aux 50 premiers enfants âgés de 5 à 15 ans (ou à leur parent) vus successivement en consultation, quel que soit le motif de celle-ci. Le questionnaire simplifié à appliquer comportait 3 items : Votre enfant a-t-il eu («as-tu eu») durant les 6 derniers mois, au moins 2 épisodes de maux de tête importants? Ces maux de tête ont-ils limité son (ton) activité? Ces maux de tête étaient-ils accompagnés de pâleur? En cas de réponse positive aux trois questions, le médecin remettait aux parents ou à l adolescent un auto-questionnaire développé et validé par le Centre de la migraine de l enfant de l Hôpital d Enfants Armand Trousseau, Paris. Ce questionnaire qui reprend les principaux critères de la classification ICHD-II (International Classification Headache Disorders 2004) établie par l IHS [9], visait à connaître : les caractéristiques sociodémographiques de l enfant : âge, sexe, poids ; l existence ou non d antécédents familiaux de migraines ; les caractéristiques des maux de tête : date, âge de début, fréquence et durée des crises les plus fortes, localisation, signes d accompagnement ; le retentissement des maux de tête sur la vie quotidienne ; le traitement habituel des céphalées. Ne pouvaient être inclus dans l étude, les enfants dont les parents ne savaient ni lire ni écrire ou refusaient leur participation ou les enfants déjà inclus dans un essai thérapeutique. Analyse statistique Les analyses statistiques ont été réalisées avec les paramètres statistiques classiques (moyenne, écart-type, 364

intervalle de confiance à 95 % pour les variables quantitatives. Les profils cliniques des céphalées ont été comparés en fonction de l âge du patient et de l ancienneté de ses troubles migraineux. Les comparaisons des variables qualitatives ont été réalisées par le test du chi2 et pour les variables quantitatives par le test de Student. Le seuil de significativité était fixé à 5 %. La valeur prédictive positive (VPP) d une réponse positive à ce questionnaire simple à l égard d une céphalée migraineuse a été calculée. Résultats Deux cent quarante praticiens (201 médecins généralistes et 39 pédiatres), représentatifs des médecins français en termes d âge et de localisation, ont participé à l étude. Ils ont inclus 10 633 enfants, âgés en moyenne de 9,4 ± 3,0 ans, en proportion égale entre les deux sexes (50,7 % de garçons). Parmi eux, 29,5 % des enfants avaient éprouvé au moins 2 épisodes de maux de tête au cours des 6 derniers mois. Ce pourcentage croît significativement avec l âge passant de 20,4 % avant 8 ans à 38,9 % entre 12 et 15 ans (p < 0,0001). Au total 10,0 % (n = 1 053) ont répondu positivement aux 3 questions de «dépistage», c est-à-dire avaient présenté au cours des 6 derniers mois au moins 2 épisodes de maux de tête, limitant leur activité quotidienne et s accompagnant de pâleur. La proportion d enfants ayant répondu oui aux 3 questions varie en fonction de la tranche d âge (p < 0,0001) (figure 1) et elle est, tous ages confondus, plus importante chez les garçons (11,9 % vs 8,3 % ; p < 0,0001). Caractéristiques des céphalées migraineuses probables Parmi les 1 053 enfants ayant répondu «oui» aux 3 questions, 950 (90,2 %), ont retourné leur autoquestionnaire. Le tableau 2 reprend les principales caractéristiques de ces patients. Tableau 2. Principales caractéristiques des patients inclus dans l étude Effectif N = 950 Âge moyen Âge d apparition des céphalées 10,6 ± 2,8 ans 6,8 ± 3,5 ans %defilles 59,0% Âge < 8 ans 16,2 % Âge compris entre 8 à 11 ans 40,8 % Âge 12 ans 42,95 % Antécédent familial de migraine 1etplus 84,1% Parmi les enfants suspectés d être migraineux, 84,1 % avaient au moins un antécédent familial de migraine, chez la mère (63,6 %), le père (21,9 %) ou un grandparent (34,7 %) voire des oncles et tantes (22,6 %). Les premiers maux de tête étaient apparus avant l âge de 5 ans chez plus d un quart des enfants (27,7 %). L ancienneté des céphalées était en moyenne de 3,8 ± 3,1 ans. Près des trois quarts des enfants (72,8 %) avaient eu au moins 5 crises dans leur vie. Cette proportion augmentait avec l ancienneté des céphalées, passant de 57,6 % chez les enfants souffrant depuis moins de 2 ans à 88,5 % chez les enfants souffrant depuis plus de 2 ans (p < 0,0001). La fréquence des crises était estimée à plus d une fois par semaine chez 9,94 % des enfants et plus d une fois par mois chez 42,2 % (figure 2). La fréquence augmentait avec l ancienneté des céphalées et, notamment, 45,8 % des enfants souffrant depuis 2 ans éprouvaient une crise plus d une fois par mois versus 30,9 % de ceux qui souffraient depuis moins de 2 ans (p = 0,0001). Les crises les plus fortes duraient entre 1 et 12 heures chez 76,4 % des enfants. La distribution des durées des crises est présentée dans la figure 3. La durée des crises augmente significativement : avec l âge : 9,2 % des enfants de moins de 8 ans avaient des crises de plus de 12 heures contre 10,7 % 20 % 15 % 10 % 5 % 0 % 15,4 % 10,0 % 5,4 % Moins de 8 ans De 8-11 ans 12 ans et plus 60 % 50 % 40 % 30 % 20 % 10 % 0 % 9,9 % plus d'1 fois/sem 42,2 % plus d'1 fois/mois 34,8 % plus d'1 fois/trim 13,1 % moins d'1 fois/trim Figure 1. Proportion d enfants ayant répondu oui aux 3 questions en fonction de l âge (p < 0,0001). Figure 2. Fréquence de survenue des crises. 365

Trois questions peuvent aider au dépistage des migraines de l enfant 50 % 40 % 30 % 20 % 10 % 0 % 19,1 % 34, 6 % 31, 8 % 13, 7 % moins d'1 h de 1 à 2 h de 2 à 12 h 12 h et plus Figure 3. Durée des crises les plus fortes. de ceux âgés de 8 à 11 ans et 18,6 % de ceux de 12 ans et plus (p = 0,0001) ; avec l ancienneté des maux de tête : 10,1 % des enfants souffrant depuis moins de 2 ans avaient des crises de plus de 12 heures contre 14,8 % de ceux qui souffrent depuis plus de 2 ans (p < 0,001). Chez plus de la moitié des enfants (59,9 %), la douleur était évaluée à 7 et plus sur une EVA de 0 à 10. L intensité de la douleur croît avec l âge et l ancienneté des maux de Vertiges Vomissements Maux de ventre Pulsatilité Nausées Photophobie Pâleur Phonophobie Interruption du jeu Figure 4. Signes d accompagnement des céphalées. tête. La douleur était estimée à 8 chez 38,3 % des plus de 12 ans vs 26,6 % avant cet âge (p = 0,0001) et chez 33,6 % des enfants céphalalgiques depuis plus de 2 ans vs 26,9 % de ceux dont les céphalées sont plus récentes (p = 0,0004). Les signes d accompagnement les plus fréquents (accompagnant toutes ou certaines crises) sont représentés dans la figure 4. Pratiquement tous les signes d accompagnement de la migraine augmentaient significativement avec l âge (tableau 3). Seules les crises qui entravent les jeux de l enfant ou sont accompagnées de pâleur n étaient pas influencées par l âge de l enfant (non présentées dans le tableau ; p : NS). Parmi les céphalées décrites, 60,9 % remplissaient tous les critères de l IHS 2004 et étaient donc vraisemblablement des migraines (61,7 % des filles et 59,8 % des garçons, 50,9 % des moins de 12 ans et 73,6 % des 12 ans et plus). Ce pourcentage atteignait 77,6 % lorsque l on ne prenait pas en compte le critère de 5 crises minimum et 41,5 % 47,2 % 66,8 % 74,4 % 77,6 % 79,0 % 84,1 % 86,4 % 93,3 % 0 % 10 % 20 % 30 % 40 % 50 % 60 % 70 % 80 % 90 % 100 % Tableau 3. Influence de l âge sur la fréquence des signes d accompagnement des céphalées de l enfant <8ans De8à11ans 12 ans p Douleur pulsatile 79,2 % 84,3 % 90,3 % < 0,01 Besoin de s allonger 86,1 % 88,5 % 92,4 % < 0,05 Douleur augmentée par l activité physique 85,1 % 88,7 % 96,9 % < 0,0001 Nausées 74,8 % 77,8 % 81,6 % < 0,05 Vomissements 42,4 % 44,0 % 53,3 % < 0,01 Phonophobie 83,2 % 93,1 % 94,6 % < 0,0001 Photophobie 77,4 % 83,1 % 88,7 % < 0,01 Vertiges 40,8 % 39,9 % 50,7 % < 0,01 Amélioration au réveil 98,6 % 91,7 % 93,1 % < 0,05 366

94,4 % si l on ne prenait en compte ni le nombre ni la durée des crises. Dans 65 % des cas, les céphalées avaient déjà été évoquées avec un médecin et ce taux atteignait 74,1 % en cas de migraines probables (céphalées répondent aux critères de l IHS). Traitement des céphalées Les traitements, comme déclarés par les patients, sont dominés par l ibuprofène (75,7 %), le paracétamol (69,5 %) loin devant l aspirine (24,0 %) et les autres traitements (< à 3 %). Cette répartition par ordre de fréquence des traitements prescrits ne variait pas en fonction de l âge des enfants et seule la fréquence de prescription de l ibuprofène augmentait avec la durée des crises ; l ibuprofène étant majoritairement prescrit pour les crises allant de 1 à 12 heures (p < 0,01). L ibuprofène était jugé efficace dans 62,2 % des cas, l aspirine dans 43,7 %, le paracétamol dans 37,3 % et les antimigraineux dans 10,0 % des cas. L efficacité de l ibuprofène variait avec la durée des crises, jugé moins performant notamment en cas de crises de plus de 12 heures (p < 0,05), et avec la fréquence des crises (p < 0,01). Il en était de même pour l aspirine et le paracétamol, mais sans différence statistiquement significative. Discussion Les céphalées sont un problème de santé fréquent chez les enfants et les adolescents. Dans les pays industrialisés, la migraine est le principal diagnostic porté chez les enfants se plaignant de céphalées. La migraine est responsable d un absentéisme scolaire notable, voire de retard scolaire [10, 11]. Cette étude confirme la fréquence des céphalées répétées chez l enfant (près de 30 % des enfants déclarent avoir eu au moins 2 épisodes au cours des 6 derniers mois) ; certaines études avançant des chiffres de 25 % chez les jeunes enfants, voire de 75 % chez les adolescents [10, 11]. Dans ce travail, et grâce au questionnaire simplifié de dépistage proposé, un certain nombre de données épidémiologiques apparaissent ou sont confirmées : une prévalence des céphalées possiblement migraineuses selon les critères retenus dans ce travail de 10 %, avec une augmentation de la fréquence des céphalées possiblement migraineuses avec l âge (passant de 5,4 % en dessous de 8 ans à 15,4 % entre 12 à 15 ans) ; un sex-ratio avec tous âges confondus une prédominance de garçons concernés (11,9 % versus 8,3 % pour les filles). De précédents travaux avaient déjà établi la prédominance masculine pendant l enfance puis l inversion du sex-ratio après la puberté (jusqu à 3 femmes pour 1 homme à l âge adulte). Est-ce à dire que le phénotype de l affection évolue avec l âge? des antécédents familiaux de migraine extrêmement fréquents (84,1 %) mais il s agit surtout d antécédents maternels (63,2 %). Les données concernant l évolution de la migraine de l enfance à l âge adulte sont très limitées. la fréquence des antécédents familiaux confirme également le caractère «génétique» ou congénital de l affection [12]. Données importantes à prendre en considération : Le début des céphalées est souvent précoce (27,7 % avant 5 ans) comme retrouvé dans la littérature [10, 11]. La fréquence des crises augmente avec l âge et l ancienneté des troubles. Au-delà de 2 ans d ancienneté, 45,8 % des enfants font plus d une crise par mois, contre seulement 30,9 % avant 2 ans d évolution. Il en est de même pour la durée des crises. Les crises de plus de 12 heures concernent 9,2 % des enfants de moins de 8 ans et 18,6 % de ceux ayant plus de 12 ans. L intensité de la douleur est jugée importante (EVA 7 dans 59,9 % des cas), et elle augmente avec l âge et l ancienneté des troubles. De même, la fréquence des signes d accompagnement augmente avec l âge. Toutes ces constatations tendent à plaider pour une reconnaissance et une prise en charge la plus précoce possible. Le test de dépistage simple en 3 questions est un premier élément d orientation. Sa valeur prédictive positive est correcte (60,9 %), si l on retient les cas remplissant les critères de migraine de l enfant de l IHS (tableau 1). Il serait intéressant de connaître la sensibilité et la spécificité de ce test. Les enfants migraineux consultent très rarement un spécialiste. Les trois raisons invoquées par les parents sont l ignorance du diagnostic, le fatalisme face à la migraine dans les familles de migraineux et la crainte d une manipulation du symptôme par l enfant [5]. Dans cette étude, les céphalées avaient déjà été abordées avec un médecin (65,0 %) et ce taux passe à 74,1 % chez les enfants ayant répondu à l autoquestionnaire et dont les céphalées correspondent aux critères IHS de la migraine pédiatrique. Et lorsqu il y avait eu évocation antérieure le diagnostic posé par le médecin était bien celui de migraine dans 94,5 % des cas. De nombreuses études sont en cours, qu il s agisse d études de population, d études familiales ou de jumeaux, de travaux de recherche sur d éventuelles anomalies métaboliques (comme une hypofolatémie [13], un déficit en coenzyme Q10 [14]) ou sur l association à des polymorphismes géniques (certaines mutations homozygotes de la méthylènetétrahydrofolate réductase [13]). 367

Trois questions peuvent aider au dépistage des migraines de l enfant Sur le plan de la prise en charge, l ibuprofène est le traitement le plus prescrit (75,7 %) avec le paracétamol (69,5 %), loin devant l aspirine, ce qui prouve que certains messages sont passés. La «supériorité» de l ibuprofène établie chez l adulte n est pas aussi bien documentée chez l enfant faute d études randomisées contrôlées. Une récente méta-analyse [15] conclut néanmoins que seuls l ibuprofène et le sumatriptan, ont une efficacité supérieure au placebo. Parmi les triptans, l efficacité des différentes molécules est variable chez l enfant. Il aurait été intéressant de faire préciser les modalités d utilisation des analgésiques au cours des accès migraineux. C est un aspect important de la thérapeutique dans la mesure où plus le traitement est débuté précocement, meilleure est l efficacité [16], et où il est établi qu un migraineux sait parfaitement reconnaître dans une céphalée le début d une migraine [17]. Quant au traitement de fond, en l absence d études randomisées contrôlées, l incertitude subsiste. De nombreux traitements ont été testés de la toxine botulique à l acupuncture en passant par le topiramate et l oxycarbamazépine [18]. Un élément important apparaît être l éviction des facteurs déclenchants éventuels lorsqu ils ont été identifiés. Toutefois, les données de la littérature sont discordantes sur les éventuels bienfaits des régimes d exclusion (les 5C des Anglo-Saxons pour cheese, chocolate, coffee, coke, citrus fruits) Conclusion Le questionnaire de dépistage, simple, utilisé dans l étude apparaît comme un moyen d identifier des enfants chez qui un diagnostic de migraine peut être évoqué, diagnostic à confirmer et affiner ensuite en utilisant les critères de l IHS. Le dépistage précoce de la migraine est important si l on considère l aggravation apparente de la maladie avec l âge. Le traitement de la crise repose sur l ibuprofène, en première intention, traitement qui doit être pris rapidement dès les premiers signes, pour éviter une crise plus intense, et en général plus durable et plus rebelle. En cas de difficulté à gérer les crises ou si leur fréquence est telle qu il faille envisager un traitement de fond, le recours à une consultation ou un centre spécialisé s impose. Remerciements. Cette étude a été soutenue par le laboratoire Wyeth Santé Familiale. Nous remercions vivement les 240 praticiens qui ont pris de leur temps pour réaliser cette étude : sans eux, elle n aurait pas vu le jour. Références 1. Hershey AD, Winner PK. Pediatric migraine: recognition and treatment. J Am Osteopath Assoc 2005 ; 105(4 Suppl 2) : 2S-8S. 2. Hershey AD. Pediatric headache. Pediatr Ann 2005 ; 34(6) : 426-9. 3. Annequin D, Tourniaire B, Massiou H. Migraine and headache in childhood and adolescence. Pediatr Clin North Am 2000 ; 47 : 617-31. 4. Lewis DW. Toward the definition of chilhood migraine. Curr Opin Pediatr 2004 ; 16 : 628-36. 5. Annequin D, Tourniaire B. Migraine et céphalées de l enfant et de l adolescent. Arch Pediatr 2005 ; 12 : 624-9. 6. Annequin D. Migraine in children. Arch Pediatr 2006 ; 13 : 811-4. 7. Annequin D, et al. Migraine et céphalée chronique de l enfant. Rev Neurol 2000 ; 156(4S) : 68-74. 8. Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l adulte et chez l enfant : aspects cliniques et économiques Synthèse des recommandations Octobre 2002. ANAES. Octobre 2002. http//www.has-sante.fr Rubrique Publications. 9. Olesen J, Steiner TJ. International Classification of Headache Disorders. 2 nd edn (ICDH-II). J Neurol Neurosurg Psychiatry 2004 ; 75 : 808-11. 10. Barnes NP, Jayawant S. Migraine. Arch Dis Child Educ Pract ed 2005 ; 90 : 53-7. 11. Winner P, Hershey AD. Epidemiology and diagnosis of migraine in children. Curr Pain Headache Rep 2007 ; 11 : 375-82. 12. Hershey AD. Genetics of migraine headache in children. Curr Pain Headache Rep 2007 ; 11 : 390-5. 13. Bottini F, Celle ME, Calevo MG, et al. Metabolic and genetic risk factors for migraine in children. Cephalalgia 2006 ; 26 : 731-7. 14. Hershey AD, Powers CW, Vockell AL, et al. Coenzyme Q10 deficiency and response to supplementation in pediatric and adolescent migraine. Headache 2007 ; 47 : 73-80. 15. Silver S, Gano D, Gerretsen P. Acute treatment of paediatric migraine : a meta-analysis of efficacy. J Paediatr Child Health 2008 ; 44 : 3-9. 16. Goadsby PJ, Zanchin G, Geraud G, et al. Early vs non-early intervention in acute migraine Act when mild. A double blind, placebo-controlled trial of almotriptan. Cephalalgia 2008 ; 28 : 383-91. 17. Ng-Mak DS, Cady R, Chen YT, et al. Can migraineurs accurately identify their headaches as «migraine» at attack onset? Headache 2007 ; 47 : 645-53. 18. Ryan S. Medicines for migraine. Arch Dis Child Educ Pract Ed 2007 ; 92 : ep50-5. 368