Le téléphone portable au volant Jean Chapelon et Pierre Sibi (ONISR)
Contexte 2003 : interdiction d'utiliser le téléphone portable tenu en main uniquement au volant en France. Cette décision s'appuyait sur un petit nombre de preuves scientifiques. Malgré la réglementation, l'utilisation du téléphone portable au volant est une pratique courante et le nombre d'infractions constatées est élevé. 2005 : parution d'une étude australienne venant préciser le sur-risque d'accident lié à l'utilisation en conduisant du téléphone portable tenu en main (risque de 4,9) et aussi avec un kit mains-libres (3,8). => Nécessité de faire le point des connaissances et d'estimer l'enjeu
Plan 1. Présentation de la méthode 2. Revue de la littérature scientifique 3. Première estimation de l'enjeu du téléphone portable (2007) 4. Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008)
1. Présentation de la méthode D une manière générale, l analyse de l effet d un facteur comme l usage du téléphone sur la conduite se fait en combinant deux types d études : Les recherches épidémiologiques qui montrent une corrélation entre l exposition au facteur (le fait de téléphoner) et l augmentation du risque d'avoir un accident. Les recherches expérimentales qui démontrent et expliquent, à l'aide de protocoles expérimentaux, l'impact du téléphone portable sur la tâche de conduite (par rapport à d'autres situations de conduite).
1. Présentation de la méthode L effet d un facteur = l exposition au facteur x le sur-risque Dès lors, pour un pays donné, l analyse de l effet d un facteur peut se faire 4. soit en refaisant les études épidémiologiques qui permettent à la fois d évaluer le sur-risque mais aussi l exposition au facteur donc le risque attribuable (nombre de vie sauvées si personne ne téléphonait au volant) 5. soit en mesurant seulement l exposition au facteur et en prenant en considération le sur-risque démontré par d autres études épidémiologiques Compte tenu de la complexité des études épidémiologiques, c est le deuxième choix qui a été fait ici.
Plan 1. Présentation de la méthode 2. Revue de la littérature scientifique 3. Première estimation de l'enjeu du téléphone portable (2007) 4. Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008)
2 - Revue de la littérature scientifique Les études expérimentales Un très grand nombre d'étude, notamment au cours de la dernière décennie. Cela a permis à Caird de faire une méta-analyse (Accident Analysis and Prevention, juillet 2008). Les principaux effets du téléphone sur la conduite sont : - les temps de réaction sont augmentés, que l'on téléphone avec un kit mains-libres ou avec le téléphone tenu en main, - la discussion avec un passager est aussi source de distraction, mais elle peut plus facilement être régulée,
2 - Revue de la littérature scientifique Les études expérimentales Les autres effets constatés : - avec le téléphone tenu en main, on observe généralement une réduction de la vitesse, pour compenser la diminution des capacités. On ne l'observe pas avec le kit mains-libres. - le conducteurs n'augmentent pas leurs interdistances, - lors de la conversation, les conducteurs ne font pas particulièrement de déviation de trajectoire.
2 - Revue de la littérature scientifique Les études épidémiologiques Si les recherches expérimentales ont montré que l'utilisation du téléphone en conduisant altérait les performances de conduite, les recherches épidémiologiques permettent de calculer le risque lié à l'utilisation du téléphone portable au volant Ce sont des recherches qui demandent la mise en œuvre de moyens importants, de ce fait elles sont assez rares. Une première recherche, réalisée en 1999 au Canada, qui souffrait toutefois de problèmes méthodologiques, avait montré un risque de 3,9. En 2005, une nouvelle recherche épidémiologique, avec une méthodologie plus perfectionnée, a été réalisée en Australie (Mc Evoy).
2 - Revue de la littérature scientifique Les études épidémiologiques La recherche de McEvoy (2005) Cadre : 456 conducteurs admis dans un service d'urgence de Perth entre avril 2002 et juillet 2004 suite à un accident de la route. Pour ces 456 conducteurs l'utilisation du téléphone est regardée au moment de l'accident et à un moment de conduite sans accident dans les jours précédents. Au moment de l'accident Conduite hors accident Nombre de cas Utilisation du téléphone 456 40 801 25
2 - Revue de la littérature scientifique Les études épidémiologiques La recherche de McEvoy (2005) Cadre : 456 conducteurs admis dans un service d'urgence de Perth entre avril 2002 et juillet 2004 suite à un accident de la route. Pour ces 456 conducteurs l'utilisation du téléphone est regardée au moment de l'accident et à un moment de conduite sans accident dans les jours précédents. Le sur-risque d'avoir un accident est de : 4,9 avec le téléphone tenu en main, 3,8 avec un kit mains-libres.
Plan 1. Présentation de la méthode 2. Revue de la littérature scientifique 3. Première estimation de l'enjeu du téléphone portable (2007) 4. Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008)
3 - Première estimation de l'enjeu du téléphone portable (2007) A l'étranger, des approches quantitatives ont été menées en réalisant des sondages au bord des routes. Aux Etats-Unis, l'utilisation du téléphone portable est relevée à des intersections lorsque les véhicules sont arrêtés. En 2005, 974 000 observations ont été faites, la part de conducteurs utilisant un téléphone tenu en main était de 6%, celle avec un kit mains-libres de 0,7%. En Grande-Bretagne, des observations sont faites au bord des routes avec l'utilisation d'un détecteur de téléphone portable depuis 2004. En 2007, environ 100 000 véhicules ont été observés, la part de conducteurs de véhicules légers téléphonant au volant était de 1,4 %, dont 0,4 % avec un kit mains-libres.
3 - Première estimation de l'enjeu du téléphone portable (2007) L ONISR a fait réaliser un sondage fin 2006 permettant d'évaluer la fréquence d'appel chez les conducteurs à qui il arrive de téléphoner en conduisant. Le principe du sondage consistait à demander aux conducteurs combien de kilomètres ils avaient roulé la veille et le dernier week end et combien d appels ils avaient passés ou reçus. Ceci a permis de calculer la fréquence d appel : 1 appel tous les 67 km en semaine et 1 appel tous les 111 km le week-end. A partir de ces données, la part des conducteurs qui téléphonent (avec le téléphone tenu en main ou avec le kit mains-libres) dans la circulation à un instant donné a été évaluée à 2,4%.
3 - Première estimation de l'enjeu du téléphone portable (2007) En utilisant les risques calculés dans la recherche de Mc Evoy, on peut alors évaluer la réduction du nombre d'accidents si aucun conducteur ne téléphonait en conduisant à 7% à 8%. Il s'agit donc d'un enjeu important. L estimation peut cependant être considérée comme fragile car reposant sur la base d un sondage déclaratif. C'est pourquoi il est apparu nécessaire d améliorer cette estimation en mettant en place des observations au bord des routes de l'utilisation du téléphone portable au volant.
Plan 1. Présentation de la méthode 2. Revue de la littérature scientifique 3. Première estimation de l'enjeu du téléphone portable (2007) 4. Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008)
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) Il s'agit du premier sondage d'observation de l'utilisation du téléphone portable au volant réalisé en France. Un premier test a été réalisé en juillet 2007 pour déterminer la méthodologie. Le test n a pas permis de définir une méthode de mesure de l'utilisation du téléphone avec un kit mains-libres notamment en s aidant du détecteur utilisé par les Anglais. Les paramètres relevés par les enquêteurs étaient les suivants : le conducteur a le combiné en main et sur l oreille, le conducteur a le combiné main mais pas sur l oreille le conducteur n a rien de tout cela.
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) La campagne de mesure a été engagée de la manière suivante : 81 sites sur les différents types de réseau (voir la carte) : 23 sur autoroutes 23 en rase campagne sur RN ou RD 35 en agglomération Période : mois de décembre 2007, janvier, février, mars 2008 Moment de la journée : entre 10h et 17h Durée des observations : 25 minutes Véhicules observés : véhicules légers, camionnettes, poids lourds, bus
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) Résultats (1/3) Nombre d'observations selon le type de réseau et la catégorie de véhicules Effectifs % Nombre de véhicules observés 15335 100,0% - autotoutes de dégagement 3799 24,8% - autoroutes de liaison 4502 29,4% - routes nationales et départementales en rase campagne 2489 16,2% - agglomération 4545 29,6% - véhicules légers 11723 76,4% - camionnettes 1608 10,5% - poids lourds 1932 12,6% - bus 72 0,5%
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) Résultats (2/3) Taux d utilisation selon le type de réseau Effectifs % tenu en main et à l'oreille % tenu en main mais pas à l'oreille % rien de tout cela Type de réseau : - autotoutes de dégagement 3799 1,9% 0,2% 97,8% - autoroutes de liaison 4502 2,6% 0,2% 97,2% - routes nationales et départementales en rase campagne 2489 1,8% 0,4% 97,8% - agglomération 4545 1,8% 0,7% 97,5% Total des observations 15335 2,0% 0,4% 97,5% Estimation du taux global* 1,9% 0,5% 97,7% * En tenant compte de la répartition du trafic selon les différents types de réseau
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) Résultats (3/3) Taux d utilisation selon le type de véhicules Effectifs % tenu en main et à l'oreille Proportion IC 95% % tenu en main mais pas à l'oreille % rien de tout cela Type de véhicules : - véhicules légers 11723 1,9% [ 1,63-2,12 ] 0,4% 97,7% - camionnettes 1608 3,0% [ 2,21-3,89 ] 0,4% 96,5% - poids lourds 1932 2,3% [ 1,66-3,00 ] 0,3% 97,4% - bus 72 0,0% 0,0% 100,0% Le taux d'utilisation du téléphone tenu en main à l'oreille est significativement plus élevé pour les camionnettes par rapport aux véhicules légers
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) Ce taux est supérieur à celui qui avait été estimé dans la note de l'onisr en avril 2007 : 0,96 % pour le téléphone au volant tenu en main. Le fait que les mesures aient été faites seulement en journée, peut éventuellement sur-estimer quelque peu le taux si on considère qu'au milieu de la nuit un conducteur aura moins tendance à téléphoner. Cependant le trafic de nuit est faible (10% environ du trafic total), cela ne modifierait donc que très faiblement le taux. En considérant un risque de 4,9 pour le téléphone tenu en main, l'enjeu pour le téléphone tenu en main seul serait alors de 6 à 7%.
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) L'utilisation du kit mains-libres n'a pas pu être mesurée depuis le bord des routes. Pour mieux connaître cet enjeu, un nouveau sondage a été réalisé en mars 2008, dont les principaux résultats sont les suivants : Le kit mains-libres semble plus fréquemment utilisé que le tenu en main. La répartition est de l'ordre 36 % pour le tenu en main et de 64 % pour le kit mains-libres en nombre de conducteurs, mais elle est beaucoup plus élevée en kilométrage parcouru (rapport de 1 à 4 ) car les conducteurs avec kit mainslibres téléphonent beaucoup plus. Au total, le résultat du sondage aboutit à une évaluation de la pratique de 1,2 % pour le kit mains libres et de 0,3 % pour le tenu en main.
4 - Nouvelle estimation de l'enjeu du téléphone portable au volant (2008) On note donc une forte discordance entre les déclarations et les observations, expliquée en partie par le fait qu une des pratiques est illégale, l'autre non. Au vu de ces résultats, on peut cependant penser que la part de conducteurs qui téléphonent avec un kit mains-libres dans la circulation à un instant donné est supérieure à 1%. Le sondage a permis également de recueillir des informations sur la lecture ou l'écriture de SMS en conduisant : ceux qui téléphonent au volant, lisent en moyenne un SMS tous les 350 km et envoient un SMS tous les 670 km. Cette pratique qui ne peut que se développer semble donc non négligeable.
Conclusion L utilisation du téléphone au volant est un enjeu fort pour la sécurité routière : 6 % pour le seul usage interdit du téléphone tenu en main L usage du SMS bien que pour l instant très limité, doit être pris en considération pour les prochaines années Il faut poursuivre à l'avenir les mesures sur le bord des routes pour mieux suivre le phénomène à raison d'une session par an Il est important d essayer des méthodes pour mesurer l usage du kit mainslibres