Les agences de notation sociétale : quel impact réel?



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Transcription:

ÉMILIE ALBEROLA *, CHRISTIAN DE PERTHUIS ** Les agences de notation sociétale : quel impact réel? À côté des agences de notation financière comme Standard & Poor s, Moody s ou Fitch Rating, qui fournissent aux investisseurs, sous la forme d une notation synthétique, une information relative au risque de défaut attaché aux titres de créance échangés sur le marché financier, s est développée une nouvelle famille d acteurs de la notation : les organismes de notation extrafinancière. Ces acteurs fournissent aux investisseurs une information synthétique sur les risques sociétaux (sociaux, environnementaux et de gouvernance) auxquels l entreprise s expose. Ces agences de notation sociétale analysent essentiellement des grandes entreprises qui ont recours au marché de capitaux. Indubitablement, l agence Vigeo, dirigée par Nicole Notat, est l organisme de notation sociétale le plus connu en France. Mais il est loin d être le seul. La récente étude de l Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) recense plus de trente organismes pratiquant ce type d activité dans le monde 1. Ces agences recueillent des informations sur les pratiques sociales et environnementales des entreprises, les analysent et émettent un jugement sous * Rapporteur du groupe de travail «Notation sociétale : évolutions et perspectives» de l Obser - vatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), chargée de mission à Novethic. ** Professeur associé à l Université Paris-Dauphine, conseiller à la Caisse des dépôts. la forme d une notation synthétique. L apparition puis le développement de ces agences s inscrivent clairement dans le mouvement dit de «l investissement socialement responsable» (ISR), qui vise à incorporer des critères environnementaux et sociaux dans le choix des investissements. On connaît le poids considérable exercé par les trois grandes agences de notation financière sur le fonctionnement des marchés financiers et donc sur les émetteurs. L émergence de la notation extra-financière est-elle susceptible d avoir un impact aussi décisif? Après les déboires des Enron, Worldcom et autres Parmalat, nombre d investisseurs aimeraient pouvoir se prémunir contre les risques non détectables par l analyse financière et échappant donc aux grilles de la notation classique de crédit. Il ne faut pourtant pas se bercer d illusions. Malgré le poids de leur nombre, les agences de notation sociétale exercent à l heure actuelle une influence limitée sur le fonctionnement du marché des capitaux. Plusieurs voies sont cependant susceptibles d élargir cette influence à l avenir. 1. ORSE / 2005, «Guide des organismes d ana - lyse sociétale», ADEME, ORSE. Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005 33

L INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE ET L ÉMERGENCE DE LA NOTATION EXTRA- FINANCIÈRE Le marché de la notation sociétale des entreprises, initié aux États- Unis, est relativement jeune. Il est apparu pour répondre aux besoins des gestionnaires d actifs financiers désireux d intégrer des dimensions non-finan - cières dans leurs choix d allocation de portefeuille. À l origine promu par des considérations éthiques ou religieuses, l ISR a rejoint dans les années 90 les préoccupations du développement dura ble. C est ce qui a contribué à sa diffusion en Europe et au Japon. Aujour - d hui, l ISR vise à intégrer les dimensions écologiques et sociales du dévelop pement durable dans un processus d investissement financier. La communauté américaine des Quakers peut être considérée comme l initiatrice de l ISR : dès 1758, elle lance à Philadelphie son premier mot d ordre de boycott des activités économiques recourant à l esclavage. Il faut ensuite attendre un peu plus d un siècle pour que la loi abolisse cette pratique (13 e amendement de la Constitution des États-Unis adopté en 1865). Ce courant de l investissement éthique a constamment existé aux États-Unis. Dans les années 20, il toucha les investissements financiers des fondations liées aux communautés religieuses qui développèrent des méthodes visant à exclure de leur portefeuille toute entreprise pratiquant des activités contraires à leur éthique. Dans les années 70 ce mouvement s est élargi aux particuliers à qui fut offerte la possibilité de placer leurs économies dans des fonds de placement collectifs éthiques : certains grands investisseurs institutionnels rentrèrent à cette occasion sur le marché de l ISR. Dans les années 80, le mouvement de boycott de l apartheid en La communauté américaine des Quakers peut être considérée comme l initiatrice de l ISR : dès 1758, elle lance à Philadelphie son premier mot d ordre de boycott des activités économiques recourant à l esclavage. Afrique du Sud élargit à nouveau le spectre de l investissement éthique, mais posa de nouvelles questions méthodologiques. C est pour contribuer à formaliser ces méthodologies qu a été créée en 1990 la première agence de notation sociétale aux États-Unis. Il s agit de KLD 2, qui a été mise en place sous l impulsion de Amy Domini qui joua un rôle majeur dans la professionnalisation de l investissement éthique aux États-Unis. L un de ses premiers produits a été l indice éthique DSI-400, sélectionnant 250 entreprises en fonction de leur performance sociétale. À l exception du Royaume- Uni où la notation sociétale s est développée dès le début des années 80, les marchés européens de la notation extra-financière sont nettement plus récents. D une façon générale, les métiers de la gestion d actifs s y sont développés plus tardivement. L ISR n y est apparu qu à la fin des années 90, en réponse aux nouvelles préoccupations du développement durable. Les agences de notation sociétale se sont développées en cherchant à mettre au point des méthodes utilisables par les investisseurs et gestionnaires d actifs spécifiques au contexte européen. D une façon générale, ces méthodes ont moins recours aux critères d exclusion sectoriels a priori répondant à des considérations éthiques. La jeunesse de la notation sociétale renvoie ainsi à celle de l ISR et à la diversité de ses formes d expression. Le périmètre exact de la notation sociétale est donc mouvant et impossible à cerner une fois pour toutes. Pour l essentiel, nous avons ici retenu les frontières, nécessairement conventionnelles, qui correspondent à la troisième édition du guide des organismes de notation sociétale réalisée par l Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE). Radioscopie du marché de la notation extra-financière En 2005, sept organismes de notation sociale et environnementale ont été recensés en Amérique du Nord dont quatre sur le marché pionnier des États- Unis. Leur activité est très majoritairement concentrée sur leur marché intérieur, à l exception d Innovest qui a développé une stratégie d exportation vers l Europe et l Asie. Chacun de ces organismes reste cependant d une taille très limitée : le plus important d entre eux, Innovest, n employait en 2004 que trente-trois personnes. En Europe, l apparition de ces organismes est plus récente et s est accélérée à partir de 2000. En 2005, une trentaine d organismes de notation sociétale ont été identifiés. Étant de loin le premier marché européen de l ISR, le marché de la notation sociétale britannique est le plus concurrentiel. Les organismes Core Ratings, EIRIS, Ethical Screening, PIRC, SERM, Socia Center et Trucost se partagent le marché, avec une large prédominance de l agence EIRIS. Dans une moindre mesure, le marché helvétique également se singularise par un nombre élevé d organismes de notation et se distingue par une forte activité de notation sociétale interne au sein des sociétés de gestion qui proposent des fonds ISR. La concurrence est aussi présente sur les marchés français et allemand qui comptent chacun entre trois et quatre acteurs nationaux. À l opposé, la Suède, les Pays-Bas ainsi que l Espagne disposent chacun d un seul acteur national : GES Invest ment Services en Suède, Dutch Sustaina bility Research (DSR) aux Pays-Bas et FED en Espagne. En situation intermédiaire, les marchés belge et italien comptent deux organismes : Deminor et Ethibel en Belgique et Avanzi Sri Research et E-Capital Partners en Italie. Depuis son émergence, le marché français de la notation extra-financière a connu de fortes évolutions. L agence 2. Kinder Lydenberg Domini Research Analystics Inc. 34 Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005

LES AGENCES DE NOTATION SOCIÉTALE : QUEL IMPACT RÉEL? Graphique 1. Parts de marché des organismes de notation sociétale sur le marché français de l ISR au 31 mars 2005 SIRI Ecos Oekom Proxinvest Déminor CFI E KLD Core Ratings Comp any Ethibel SAM Innovest Eiris Vi geo Source : Novethic. 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% Tableau 1. Les organismes de notation extra-financière dans le monde au 1 er janvier 2005 Europe Allemagne IMUG Royaume-Uni CoreRatings Allemagne Oekom Research Royaume-Uni Eiris Allemagne Scoris Royaume-Uni Ethical Screening Belgique Deminor Ratings Royaume-Uni PIRC Belgique Ethibel Royaume-Uni Serm Belgique Stock at Stake Royaume-Uni SociaCenter Espagne FED Royaume-Uni Trucost France BMJ Ratings Suède GES Investment Services France CFIE Suisse Centre Info France Ethifinance Suisse SiRi Company France Vigeo Suisse Covalence Italie Avanzi Suisse Inrate Italie E-Capital Partners Suisse SAM Research Pays-bas DSR Afrique- Asie Pacifique Amérique du Nord Afrique du Sud Sustainability Research & Intelligence Canada Ethic Scan Australie CAER Canada Innovest Australie Corporate Monitor Canada JRA Australie RepuTex États-Unis Calvert Australie Siris États-Unis KLD Corée du Sud Eco Frontier Co États-Unis ISS Japon The Good Bankers États-Unis IRRC Japon Integrex Source : ORSE. pionnière Arese, créée en 1997 par Geneviève Férone, avec le soutien de la Caisse des dépôts et des Caisses d épargne, a été apportée en juillet 2002 à l organisme Vigeo dirigé par Nicole Notat. En octobre 2002, l exprésidente d Arese a alors créé, en partenariat avec Core Ratings, un bureau français de cette agence britannique, filiale également de Fimalac, l actionnaire de Fitch Ratings. L objectif était d évaluer le risque global des entreprises en associant la notation sociétale à la notation financière, réalisée par Fitch. En mai 2004, le cabinet de conseil BMJ a pris le contrôle de Core Ratings France, Fimalac restant actionnaire à hauteur de 34 % de la nouvelle entité BMJ Ratings. À côté de ces deux acteurs interviennent EthiFinance, le CFIE et le bureau parisien de l agence américaine Innovest qui a été ouvert en 2002. Le marché français de la notation sociétale ne compte ainsi pas moins de cinq acteurs installés sur la place. En Asie, en Australie et en Afrique du Sud, des organismes annoncent également réaliser de la notation sociétale. Au Japon, deux agences, The Good - Bankers et Integrex, se répartissent le marché de l ISR où les préoccupations environnementales dominent largement les problématiques sociales. En Corée du Sud, Eco-Frontier Co, fondé en 1995, partenaire d Innovest, y couvre le marché émergent de l ISR. En Australie, les agences CAER, Corporate Monitor, Reputex et Siris se partagent ce marché en pleine croissance. Enfin, en Afrique du Sud, depuis 2002, Sustainability Research & Intelligence offre aux investisseurs des services de notation des risques sociétaux des entreprises sud-africaines. Ce tour d horizon révèle que la notation extra-financière est aujourd hui pratiquée sur la totalité des places financières des pays développés. Cette activité est le fait d un grand nombre d acteurs qui opèrent l essentiel ou la totalité de leur activité sur leur marché domestique. En France, l agence Vigeo, qui affiche l ambition de devenir un acteur européen de référence, n est encore guère sortie de son espace Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005 35

domestique. La structure initialement binationale de CoreRatings a de même disparu avec la cession en 2004 de CoreRatings UK à une société de service norvégienne. Seules quelques sociétés anglo-saxonnes ou suisses, comme Eiris, Innovest et SAM, semblent exercer une partie significative de leur activité à l international. La structure du marché de la notation extra-financière est donc bien différente de celle de la notation financière qui est fortement intégrée avec trois acteurs dominant le marché mondial. De la collecte d informations à son traitement méthodologique : la nécessaire professionnalisation des pratiques Comme la notation financière, la notation sociétale repose sur un double processus : la constitution de bases de données à partir de la collecte d informations et le traitement de ces informations à travers une batterie de critères d évaluation qui aboutit à une note synthétique. La construction de bases de données constitue le nerf de l activité de ces organismes. Elles leur assurent la crédibilité de la notation délivrée et leur propre réputation. Dans cette perspective, la capacité d accumuler des séries historiques de données extra-financières opposera progressivement une vraie barrière aux nouveaux acteurs de ce marché. Les méthodes de collecte d informations et les sources utilisées varient peu d un organisme à l autre : soit l organisme établit une relation directe avec l entreprise, soit il a recours à d autres sources d information émanant de l ensemble des parties prenantes de l entreprise. La consultation de l entreprise s effectue couramment par l envoi d un questionnaire qui aborde précisément les critères et les indicateurs utilisés pour la notation, complété par des relations directes ponctuelles ou régulières avec les entreprises. Au-delà du questionnaire, les analystes consultent largement les publications légales de l entreprise. Pour vérifier au mieux ces informations, les organismes multiplient leurs sources et consultent les médias et certaines parties prenantes de l entreprise (les ONG, les syndicats, les pouvoirs publics, etc.). La récente arrivée des analystes sell-side sur le marché du traitement de l information extrafinancière contribue à faciliter le dialogue entre les entreprises et les investisseurs sur ces questions. Cette première étape de la notation requiert nécessairement une taille certaine des organismes de notation. Aujourd hui, pour remédier à leur insuffisance de moyens financiers et humains, les agences développent des solutions transi - toires qui ne permettront sans doute pas d assurer la même efficacité qu un large dispositif de collecte d informations interne à l organisme. Plusieurs réseaux internationaux d organismes sont nés ces dernières années dans l objectif de partager les bases de données. Le réseau de parte - naires le plus important, SiRi Company, ras semble 11 organismes de notation extra-financière et couvre plus de 4 000 entreprises. Le réseau European Cor po rate Governance Service (ECGS), spécialisé sur les questions de gouvernement d entreprise, réunit 8 organismes indépendants. Après la collecte intervient le traitement de l information. En la matière, les méthodologies de traitement divergent sen siblement d un organisme à l autre, notamment sur deux aspects : la pratique de critères discriminatoires et les critères d évaluation utilisés. La pratique de critères d exclusion a été le premier principe utilisé par les fonds religieux américains qui évinçaient les entreprises des industries du tabac, de l alcool, des armes et du jeu, etc. Audelà de sa dimension éthique, la sélection négative offre également aux investisseurs une méthode efficace d identification et d éviction des grands Comme la notation financière, la notation sociétale repose sur un double processus : la constitution de bases de données à partir de la collecte d informations et le traitement de ces informations à travers une batterie de critères d évaluation qui aboutit à une note synthétique. risques sociétaux de leurs portefeuilles d actifs. Cette notation sociétale se base sur une grille de critères définis à partir de référentiels et de normes, qui ont recueilli le plus large consensus sur les enjeux de la responsabilité sociale des entreprises. Il s agit de normes développées par les grandes organisations internationales telles que les normes des droits de l homme et du travail et toutes autres conventions, principes et recommandations émis à l attention des entreprises. À partir de ce référentiel légitimé, sont généralement retenus pour notation les domaines des ressources humaines, des relations avec les clients et les fournisseurs, de l en vironnement, du gouvernement d en - treprise et des relations avec la société civile. Pour évaluer les entreprises, la majorité des organismes adopte la méthode du scoring. Cette méthode statistique permet d analyser la situation de l entreprise sur la base d une série de critères pondérés selon leur degré d importance. L objec - tif est d obtenir une note globale qui positionne l entreprise sur une échelle de notation en comparaison des entreprises de son secteur. L inves tisseur intègre ensuite cette notation dans son processus de décision d investissement. D autres organismes appliquent une méthodologie de sélection dite screening positive ou négative qui consiste à inclure ou exclure des entreprises selon qu elles répondent ou non à des critères sociaux et envi - ronne mentaux définis. D autres organismes rendent compte de la situation de l entreprise en produisant des sustai na - bility scenario ou des profils qui identifient les opportunités et les ris ques sociaux et environnementaux de l entreprise. Après quelques années d exercice, la pratique de la notation reste fragile quant à sa robustesse méthodologique 36 Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005

LES AGENCES DE NOTATION SOCIÉTALE : QUEL IMPACT RÉEL? et son efficacité de mesure. Pour pouvoir effectivement fournir aux investisseurs un instrument de mesure du risque sociétal des entreprises dans lesquels ils investissent, les organismes de notation devront être capables d améliorer leurs processus sur deux domaines : cation de l infor mation financière, les régulateurs sont restés discrets sur le rôle, le mode de traitement et la certification de l information extra-financière communiquée dans le cadre réglementaire de la loi NRE et de la loi sur la sécurité financière. au plan quantitatif, les agences doivent être en mesure de drainer suffisamment de ressources économiques pour financer la mise en place de réelles capacités de traitement de l information. Quel - ques chiffres donnent une idée de la dimension des enjeux : pour réaliser ses notations financières, pourtant bien plus normées que les notations sociétales, une agence comme Moody s utilise les services de plus de 2 500 personnes, dont 1 000 analystes répartis dans 19 pays dans le monde. Son chiffre d affaires annuel atteint 1,4 milliard de dollars. Un calcul approximatif suggère que ce sont là des ordres de grandeur près de 100 fois supérieurs à ceux des moyens mobilisés par la totalité des agences de notation sociétale recensées dans le travail de l ORSE. Un premier enjeu est clairement l intérêt d une plus grande harmonisation des grilles et des échelles de notation qui permettrait une comparaison sectorielle beaucoup plus facilement qu actuellement où le recours à plusieurs organismes rend cette appréciation difficile. Muni de critères harmonisés, le commanditaire de la notation n aurait plus qu à insérer cette information standardisée dans son processus de décision d investissement. Il conviendrait alors que les critères extra-financiers les plus pertinents fassent consensus sur ce marché de la notation sociétale et plus largement sur le marché de la gestion d actifs. Les critères qui ont trait à la gouvernance des entreprises pourraient typiquement entrer dans ce cas de figure. Une seconde critique porte sur le manque de caractère dynamique et prévisionnel de cette notation sociétale. La question fondamentale n est pas de savoir si les notations reflètent, à un moment donné, les performances et les risques sociaux et environnementaux de l entreprise mais si ces mêmes notations ont un caractère prospectif. La notation financière indique le pourcentage de chance qu un émetteur, noté à l origine à un certain niveau, fasse défaut à un horizon de temps défini. Quelle est aujour d hui la capacité de prévision de la notation extra-financière? Les orga - nismes de notation sociétale devront être en mesure d offrir une information synthétique qui réponde aux besoins de couverture de risques des investisseurs. De manière générale, une bonne inté - gration de l information extra-financière dans les décisions d investissement nécessiterait qu il y ait un continuum depuis la production de l information extra-financière réalisée par les entreprises jusqu à sa notation opérée par ces agences. Or, à l heure actuelle, alors qu il existe une obli gation légale de certifi - En quête de nouveaux modèles économiques Depuis son émergence, le marché de la notation extrafinancière se déve loppe par accroissement du nombre des acteurs. Cette situation concurrentielle tranche avec le marché de la notation financière dont la structure oligopolistique accroît l influence sur le marché international des capitaux. L évo lution des attentes des investisseurs via la croissance de l ISR est à l origine de l essor de ce nouveau marché de la notation. Mais elle ne permet pas d assurer des ressources économi - ques suffisantes pour fournir aux agences la rentabilité et l indépendance de leur notation. Pour pouvoir effectivement influencer le fonctionnement du marché des capitaux, les organismes de notation sociétale devront être capables d inscrire leur fonctionnement dans des modèles économiques plus robustes. Ces modèles économiques doivent réunir deux types de conditions : Depuis son émergence, le marché de la notation extra-financière se déve loppe par accroissement du nombre des acteurs. Cette situation concurrentielle tranche avec le marché de la notation financière dont la structure oligopolistique accroît l influence sur le marché international des capitaux. au plan qualitatif, les voies choisies pour élargir les moyens de la notation extra-financière doivent permettre d assurer l indépendance de la notation. Ceci pose en premier lieu la question de l indépendance des notations fournies par des sociétés engagées par ailleurs sur d autres métiers. Une partie de la notation sociétale est en effet produite par des entreprises pratiquant d autres activités financières, le plus souvent de conseil ou de gestion d actifs. Il y a ici un risque de conflits d intérêt, une même entité pouvant difficilement être à la fois juge et partie. La recherche de diversi - fication des sources de financement, notamment par adjonction d activités de conseil aux émetteurs à celle de notation, pose le même genre de difficulté. La recherche de modèles économiques viables et rentables est un trait commun aux activités pratiquées sur un nouveau marché. En matière de notation extra-financière, elle passera par une consolidation du marché qui n est pratiquement pas amorcée. Elle prendra du temps et dépendra à l avenir de la façon dont toute la chaîne de traitement de l information sur les marchés financiers prendra en compte ou non l information d origine extra-financière. L histoire de la notation financière illustre bien les conditions d apparition de ce type de modèle 3. 3. Gerst, C. et Groven, D. (2004), To B or not to B, le pouvoir des agences de notation en ques tion, Village mondial. Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005 37

Le métier de la notation financière démarra à New York, au début du siècle dernier. Il fut initié par deux artisans dont les noms sont aujourd hui reproduits plusieurs milliers de fois par jour sur les écrans d information financière : John Moody lança sa société d information financière en 1909 et fut le premier à avoir l idée de publier un système de notes, comprenant neuf échelons, dont la meilleure était déjà «Aaa». Il ne resta pas très longtemps seul. Un certain John Fitch se lança dans l activité d analyse financière dès 1913 et commença à publier sa propre échelle de notation dans le fameux Fitch Bond Book. Les noms et les notes ont traversé le siècle, mais la structure du marché et les modèles économiques associés ont beaucoup changé. Graphique 2. Performances comparées de l indice Domini 400 Social Index au 30 avril 2005 Value of $1 invested 7.5 7 6.5 6 5.5 5 4.5 4 3.5 3 2.5 2 1.5 1 0.5 DS 400 S&P 500 Russell 1000 Jan-90 Jan-91 Jan-92 Jan-93 Jan-94 Jan-95 Jan-96 Jan-97 Jan-98 Jan-99 Jan-00 Jan-01 Jan-02 Jan-03 Jan-04 Jan-05 Jan-06 Source : KLD Research & Analytics Inc. Les premières agences de notation fonctionnaient, jusqu à la fin des années 60, comme des journaux auxquels s abonnaient les investisseurs. Dans les années 70, leur modèle économique a évolué en raison de l élargissement des marchés de capitaux et de la politique de labellisation introduite par l organisme de supervision du marché financier américain, la Securities and Exchange Commission (SEC). De simple opinion vendue par les agences à la communauté des investisseurs, la notation est devenue un élément incontournable pour émettre du Tableau II. Les grandes familles d indices boursiers socialement responsables au 1 er mars 2005 Nom Organisme Organisme de l indice d analyse sociétale financier FTSE/JSE SRI Index Sustainability Research & Intelligence (Afrique du Sud) JSE Ethibel Sustainability Indexes Ethibel (Belgique) Standard & Poor s Jantzi Social Index Canada JRA (Canada) Dow Jones Indexes ASPI Eurozone Index Europe Vigeo (France) STOXX Ltd NaturAktienIndex IMUG (Allemagne) SECURVITA E-capital Partners Ethical Indexes E-capital Partners (Italie) SIX/GES Ethical Index GES investment (Suède) News Agency Direkt FTSE4Good Indexes Eiris (Royaume-Uni) FTSE group Calvert Social Index Calvert (États-Unis) Calvert KLD indexes KLD (États-Unis) Domini Dow Jones Sustainability Indexes SAM Research (Suisse) Dow Jones Indexes STOXX Ltd Source : ORSE. papier obli gataire sur le marché des capitaux. Cette mutation a conduit à une consolidation de la notation financière au profit de trois acteurs Moody s, Standard and Poor s et Fitch et à une profonde mutation de leur modèle économique : les trois agences ne sont plus financées par les investisseurs, mais par les émetteurs qui ont besoin de leur note pour accéder au marché des capitaux. Les agences sont ainsi devenues un point de passage obligé, une sorte de visa sans lequel il est impossible d accéder au marché de la dette. Cette obligation constitue pour les trois agences une sorte de rente de fait qui assure leur rentabilité et bloque l entrée de nouveaux acteurs sur le marché. De l expérience de la notation financière, on peut retirer deux leçons pour les agences de notation extra-financière. La première est que seule une consolidation du secteur permettra aux acteurs d accéder à une taille minimale indispensable pour assurer une activité de recueil et de traitement de l information fiable et reconnue. La diversification des sources de financement par les acteurs représente un moyen complémentaire mais pose d évidentes questions de conflits d intérêt entre les équipes d analystes réalisant des notations pour le compte des investisseurs et celles opérant pour des clients externes. La seconde leçon est sans doute la plus déterminante pour le long terme. La consolidation de l activité de notation financière est réellement intervenue lorsqu elle est apparue comme un élément incontournable du traitement de la chaîne d information rattachant les émetteurs aux investisseurs finaux. Or, malgré la croissance de l ISR, la notation extra-financière ne joue pas (ou pas encore?) un tel rôle : l ISR et ses critères sociétaux concernent pratiquement exclu sivement le marché secondaire des actions. À la différence de la notation 38 Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005

LES AGENCES DE NOTATION SOCIÉTALE : QUEL IMPACT RÉEL? financière, la notation sociétale n est donc pas utilisée sur le marché primaire des émissions, celui qui agit le plus directement, via l apport des moyens de financement, sur le fonctionnement de l économie réelle. Le poids de la notation sociétale est donc tributaire du rôle que jouera demain l ISR sur le marché des capitaux. autres indices indique également une sous-performance financière du compartiment de l ISR. Il est ainsi difficile de prôner la diffusion de ces critères extrafinanciers au nom du seul rendement financier. En revanche, l ISR peut jouer un rôle avant-coureur pour internaliser ces externalités qui représentent un risque financier potentiel. sécurisé. En effet, fonder les prises de décisions d investissement sur des critères purement financiers comme les marchés financiers le font depuis des décennies ne suffit pas à éviter des crises comme Enron ou Parmalat et de faire revenir le long-termisme dans l ensemble des décisions des partenaires de la finance de marché. L ISR, pour quoi faire? L apparition et le développement de l ISR se sont principalement effectués sur le marché secondaire des actions cotées. Tant qu il se limite à ce créneau, l ISR permet de mieux répondre aux besoins de labellisation éthique ou sociétale des investisseurs et des émetteurs, mais son impact sur le fonctionnement réel de l économie reste limité. Trois voies sont de nature à renforcer cet impact : une internalisation croissante du non-financier dans le financier ; une meilleure contribution de l analyse sociétale à la couverture des risques à long terme des investisseurs ; l élargissement de la pratique de la finance responsable aux activités de financement (émissions, capital développement, financement de projet). 1. Les liens avec la performance financière. Certains organismes de notation sociétale se sont associés à des fournisseurs d indices boursiers pour créer des indices dont la sélection des entreprises se réalise à partir de leurs notations. Ces indices socialement responsables cons - tituent des indicateurs statistiques de la performance financière d un panel de valeurs par rapport à son indice de référence. En 2005, 11 familles d indices socialement responsables dans le monde sont identifiées. À l heure actuelle, l information rétrospective de ces indices boursiers ne permet pas de justifier l incorporation de critères extra-financiers sur le marché des capitaux au nom du seul rendement financier. Le DSI-400 est le seul indice ISR ayant un historique supérieur à 10 ans. Entre 1990 et 2005, sa performance boursière a été légèrement supérieure à celle de l indice de référence du S&P 500. La majorité des 2. Une meilleure contribution de l analyse sociétale à la couverture des risques de moyen et long terme. Il convient alors de chercher l efficacité de la notation sociétale dans sa capacité d élargir la vision des risques à long terme et d assurer une gestion du couple rendement/risque plus efficiente. La notation sociétale pourrait venir compléter les instruments d évaluation des risques existants en analysant des risques extra-financiers, non-évalués par la notation financière, qui pourraient avoir un impact sur la performance financière des entreprises. Des externalités sociales et environnementales de l activité économique des entreprises, dont les impacts peuvent survenir à long terme, peuvent réellement se transformer en éléments de coût qui vont directement impacter l information financière, tel est le cas des émissions de CO 2. La notation sociétale peut anticiper ces risques extrafinanciers émergents. La notation sociétale pourrait venir compléter les instruments d évaluation des risques existants en analysant des risques extra-financiers, non-évalués par la notation financière, qui pourraient avoir un impact sur la performance Au-delà du simple cadre de l ISR, l intégration de l information extra-financière entreprises. financière des dans l analyse financière est minime. Mais l intérêt est là. Du point de vue des acteurs du traitement de l information financière, le véritable enjeu pour l analyse financière serait d intégrer l information sociétale stratégique qui serait susceptible de modifier, sur un horizon déterminé, les comptes financiers. De manière plus globale, l enjeu principal de l apport de l information extra-financière serait de rétablir un mode de fonctionnement des marchés de capitaux qui soit plus Aujourd hui, cette question du long terme se pose clairement aux investisseurs institutionnels qui se doivent d assurer des rendements à des horizons plus longs. La notation sociétale pourrait contribuer à une meilleure appréhension de ces risques sociaux et environnementaux de long terme et ainsi permettre une couverture de ces risques plus efficiente. C est dans ce sens qu en 2005 le Programme des Nations unies pour l Environ nement et le Pacte mon dial ont lancé l initiative Principles for Responsible Investment, dans le but de développer et de promouvoir un ensemble de principes pour permettre l intégration de pratiques d investissement responsable dans la gestion financière classique. Car, jusqu à présent, sur ce thème de la respon sa bilité de l investisseur dans la prise en compte des risques extrafinanciers, il n y a pas eu d efforts pour définir mondialement des principes de l investissement promouvant la res pon sabilité des investisseurs institutionnels pour la prise en compte de ces nouveaux risques de dimension extra- financière et longtermiste. 3. L ISR et le financement de l économie. L élargissement du champ de la finance responsable aux activités de financement de l économie représente enfin un levier essentiel. Les agents économiques recevront en effet de réelles incitations si l intégration de critères ISR dans leur pratique facilite leurs accès au finance- Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005 39

ment. Trois évolutions sont susceptibles d y contribuer : les méthodologies de l ISR doivent déborder le compartiment du marché secondaire pour s insérer dans la mécanique des émissions de nouveaux titres. Le marché primaire reste en effet le véritable point de passage entre l économie réelle et le monde de la finance. La notation financière a gagné ses let - tres de noblesse grâce à son rôle, parfois jugé excessif, sur le marché primaire. Il en sera de même pour la notation sociétale le jour où les émetteurs auront la conviction qu une bonne performance en matière sociétale, attestée par une agence extra-financière, permet dans la réalité d accéder plus facilement au marché des capitaux. À quand la première émission ISR sur le marché des capitaux? dans la même veine, l incorporation de critères ISR au capital développement constitue un potentiel intéressant, mais inexploité. Par nature, le capital développement s inscrit dans le moyen et long terme et permet de drainer des ressources financières vers les entreprises non cotées qui appartiennent au gisement des PME. L ab - sence quasi totale de l ISR sur ce créneau d activité est donc particulièrement regrettable. Elle résulte en partie de la faiblesse des modèles éco no - miques des agences sociétales qui n ont pas les moyens de réaliser les inves tis - sements nécessaires pour péné trer ce nouveau marché. l application des critères de l ISR à l activité de financement de projet a été lancée dans le cadre des «principes de l équateur». Depuis 2002, une dizaine de banques internationales ont adopté ces principes qui sont issus des grilles de sélection environnementales et sociales développées par la filiale spécialisée de la Banque mondiale. Pour les mettre en pratique, il sera donc nécessaire de recourir à des évaluations qui sont du ressort de la notation extrafinancière. Si ces pratiques se développent effectivement, ce type de notation pourrait être appliqué à la titrisation, technique de plus en plus utilisée de refinancement et de couverture contre le risque. Industrie naissante, la notation extrafinancière est dans une phase de recherche qui s applique aussi bien aux volets méthodologiques qu aux modèles économiques à trouver. Ce double mouvement s effectue dans un environnement fortement médiatisé qui peut conduire Bibliographie à surestimer l impact réel de cette nouvelle activité : focalisée sur le créneau du marché secondaire des actions, la notation sociétale joue essentiellement un rôle de labellisation auprès des entreprises et des investisseurs. Contrai re ment à la notation financière, elle n influence pas le coût du capital, ce qui limite considérablement son impact sur le fonctionnement des marchés financiers et le comportement des émetteurs. Grâce à l amélioration du traitement de l information sociétale, ces nouveaux acteurs contribuent cepen dant à injecter de nouvelles dimensions qui pourraient demain jouer un rôle significatif sur les marchés financiers. Pour ce faire, les acteurs de la notation sociétale devront trouver les voies d une consolidation leur permettant d atteindre une taille critique et élargir la niche du marché secondaire des actions cotées sur lequel ils interviennent. Ils sont pour cela très dépendants du rôle que jouera l ISR sur le marché des capitaux. g Alberola, É. (2005), «Informations extra-financières et marchés de capitaux : enjeux et perspectives pour les entreprises», Étude n 62, Club Finance Internationale HEC. Gerst, C. et Groven, D. (2004), To B or not to B, le pouvoir des agences de notation en question, Village mondial. ORSE (2005), «Guide des organismes d analyse sociétale», ADEME, ORSE. ORSE (2005), «La notation extra-financière : évolutions et perspectives», Rapport de groupe de travail. ORSE (2004), «La certification des informations sociales et environnementales», Rapport de groupe de travail. Perthuis, C. de (2003), «La génération future a-t-elle un avenir?», Collection Ulysse, Belin. Perthuis, C. de et Petit, J. P. (2005), La Finance Autrement, Dalloz. 40 Sociétal N 50 g 4 e trimestre 2005