Une faille dans le dépistage du cancer colorectal : le cancer d intervalle



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Cancéro dig. Vol. 4 N 3-2012 - 145-149 145 DOI 10.4267/2042/47608 Mise au point Une faille dans le dépistage du cancer colorectal : le cancer d intervalle A pitfall in the screening of colorectal cancer: the interval cancer René Lambert Visiting Scientist, Screening Group, International Agency on Research on Cancer, 150, Cours A. Thomas, F-69372 Lyon Cedex 08 lambert@iarc.fr Résumé Le risque de cancer colorectal se mesure par 3 paramètres : l incidence, ou nombre de cas survenus dans une année est évaluée en taux standardisé sur l âge pour 100 000 personnes La mortalité, ou nombre de décès par le cancer considéré survenus dans la même année est aussi un taux standardisé pour 100 000 personnes. La survie est représentée par le taux de survie des cas incidents, 5 ans après détection. En France ce taux était de 55,4 % chez l homme et 61,5 % chez la femme, en 1990-1994. Les facteurs de risque sont la consommation excessive de viande et insuffisante de fruits et de légumes et l excès de poids. La prévention secondaire implique la détection précoce du cancer au stade curable ainsi que le traitement des adénomes colorectaux précurseurs. De nombreux pays développés ont institué un dépistage de masse de ce cancer par un test filtre le test du sang occulte fécal suivi d une coloscopie chez les personnes dont le test est positif. Le dépistage de masse réduit la mortalité par cancer de 15 à 18 % dans les essais européens, sans impact sur l incidence. Le dépistage individuel repose sur une coloscopie primaire sans test filtre, et réduit l incidence comme la mortalité ; cependant, il ne met pas à l abri d un cancer déclaré entre 2 et 5 ans après une coloscopie faussement négative. Le risque de cancer d intervalle n est pas négligeable et représente au moins 50 % des cancers détectés dans ces protocoles de surveillance. Ces cancers prédominent sur le colon proximal, d exploration endoscopique plus difficile. Mots-clés Cancer colorectal ; Cancer d intervalle ; Dépistage ; Coloscopie ; Sigmoïdoscopie ; Prévention primaire Abstract The risk of colorectal cancer in a country is evaluated through 3 parameters: Incidence, the number of cases occurring in a year, is expressed as an age standardized rate for 100 000 persons Mortality is also an age standardized rate for 100 000 persons. Survival is evaluated as a survival rate 5 years after detection of incident cases; in 1990-1994 in France this rate was 55.4% in men and 61.5% in women. Risk factors for this cancer are the excessive consumption of meat, with excess weight of the person, and low consumption of fruit and vegetable. Secondary prevention is based on early detection of curable cancer and treatment of precursor colorectal adenomas. Many developed countries have organized mass screening with a filter test, the fecal occult blood test and colonoscopy in persons positive to the test. In Europeans trials this strategy reduced mortality by 15% to 18% without having impact on the incidence of this cancer. Individual screening directly based on a primary colonoscopy has a significant impact on mortality and incidence. However interval cancer may occur 2 to 5 years after a false negative colonoscopy. There is a significant risk of interval cancer which represents at least 50% of cancers detected in the surveillance programs. Interval cancer is more frequent in the proximal colon, which is more difficult to explore. Keywords Colorectal cancer; Interval cancer; Screening; Colonoscopy; Sigmoidoscopy; Primary prevention aln.editions

146 Cancéro dig. Vol. 4 N 3-2012 Introduction Dans la base de données GLOBOCAN [1], le nombre de nouveaux cas de cancer colorectal est estimé pour 2008 en Europe à plus de 400 000 pour les 2 sexes. Chez l homme, avec 229 000 cas incidents pour cette année, ce cancer s inscrit en fréquence derrière le cancer de la prostate ; chez la femme, avec 203 000 cas incidents, il s inscrit en fréquence derrière le cancer du sein. Une action de prévention par les autorités de santé publique est donc justifiée dans les pays européens. En France métropolitaine, en 2008, le nombre de cas incidents est estimé à 39 000, dont 21 000 hommes et 18 000 femmes. Pendant cette même année, la prévalence (5 ans) de ce cancer, c est-à-dire le nombre de personnes en vie avec cette maladie déclarée, est estimée à 62 069 hommes et 55 070 femmes. Le risque de cancer colorectal et sa prévention Comme pour chaque site de cancer, à l échelle d un pays ou d une région du monde, l impact du cancer colorectal est évalué par 3 paramètres, rapportés à une année précise : 1) L incidence est le nombre de cas nouveaux survenant en une année, ce nombre est présenté sous forme d un taux pour 100 000 personnes de la population. Ce taux est standardisé pour l âge, ce qui permet la comparaison du risque entre différents pays. En France, le taux d incidence standardisée du cancer colorectal est à 28,9 chez l homme et 16,1 chez la femme en 1998-2002, dans le registre du cancer du Bas-Rhin [2] ; le taux global estimé pour la France en 2008 selon la base de données GLOBOCAN est 36,0 chez l homme et 24,1 chez la femme [1] ; 2) La mortalité liée à ce cancer est estimée dans les mêmes conditions comme un taux standardisé sur l âge pour 100 000 personnes ; en France, le taux de mortalité standardisée est à 14,1 chez l homme et 8,7 chez la femme dans la base de données GLOBOCAN [1] ; 3) La survie du cancer est représentée par le taux de survie 5 ans après la détection et l enregistrement dans un registre de cancer. Le taux de survie est global et calculé pour tous les cas de cancer à partir des registres ayant un bon suivi de mortalité ; ce taux est aussi calculé de façon sélective pour chacun des stades I à IV du cancer au moment de la détection. En France, le taux de survie à 5 ans du cancer colorectal pendant la période 1990-94 est de 55,6 % chez l homme et 61,5 % chez la femme, dans l étude CONCORD [3]. Les interventions de prévention du cancer sont classées en deux catégories, primaires et secondaires : 1) La prévention primaire intervient sur les facteurs de risque du cancer liés à l environnement et au style de vie. Une importante analyse épidémiologique conduite en Angleterre [4] estime que 25 % des cancers pourraient être évités par prévention primaire efficace ; 2) La prévention secondaire repose sur la détection précoce du cancer au stade curable chez des personnes asymptomatiques, ce qui impose des examens de dépistage systématiques. Pour le cancer colorectal, les facteurs de risque sont liés à la consommation excessive d alcool et de calories liées à la viande, à la consommation insuffisante de fibres végétales et à l excès de poids. La prévention secondaire de ce cancer par la détection précoce repose souvent sur une stratégie de dépistage en 2 temps : un test «filtre», la recherche du sang occulte fécal, est suivi chez les personnes ayant un test positif, par la détection endoscopique directe de la lésion en coloscopie. Un complément important de la coloscopie est la destruction des précurseurs bénins du cancer que sont les polypes adénomateux. Aux États-Unis, l incidence du cancer colorectal (2 sexes) étudiée pour 9 registres régionaux de cancer [5] a diminué entre 1975 et 2003 (59,4 puis 49,5) ; cette variation s explique par l impact de la destruction endoscopique de polypes adénomateux qui n ont donc pas évolué en cancer. L exploration radiologique du colon, y compris par la technique virtuelle, détecte bien les lésions en relief de la muqueuse [6], mais ne dispense pas de la coloscopie pour la preuve histologique, et la résection des adénomes précurseurs du cancer. En alternative au dépistage en deux temps, la coloscopie est aussi utilisée comme test primaire de diagnostic, mais le caractère pénible de la préparation colique, le déficit de la compliance, le coût de l examen, le risque de complications, sont autant de freins. Lésions néoplasiques colorectales et test du sang occulte fécal Au niveau d un pays, le dépistage du cancer colorectal s adresse aux personnes dont l âge offre un risque significatif de cancer colorectal, c est-à-dire dans la tranche d âge 50-70 ans ou 50-74 ans, pour les 2 sexes. À l échelle collective, le test filtre sélectionnant pour la coloscopie doit être simple, de prix peu élevé et sans effets secondaires graves. Ce test doit être répété en «rounds» pratiqués à intervalle annuel ou bisannuel. La proportion de faux négatifs définit la sensibilité du test. Les faux négatifs sont à l origine des «cancers d intervalle» qui se déclarent entre 2 «rounds» de dépistage. Si la proportion de faux positifs du test est trop élevée, avec trop d examens inutiles, l impact du dépistage peut être négatif, comme dans l exemple du test PSA pour le cancer de la prostate chez l homme. De nombreux pays (Europe, Japon, Amérique du Nord) ont adopté pour le dépistage de masse du cancer colorectal, la recherche du sang occulte fécal, par le «Fecal occult blood test». Ce test basé sur une réaction colorée bleue à la résine de gaïac (FOBT-g) de l hémoglobine humaine, réagit aussi à l activité peroxydasique d aliments contenant de l hémoglobine animale et de certains légumes. Il y a donc des faux positifs par rapport au cancer ; il y a aussi des faux négatifs à l origine de cancers d intervalle car la réaction est positive pour 50 % des cancers et pour 10 à 15 %

Cancéro dig. Vol. 4 N 3-2012 147 seulement des adénomes. En France, le dépistage du cancer colorectal par cette méthode est inscrit dans un programme national, sous l égide de l INCa. Le test FOBT-g est progressivement remplacé par un test immunologique (FOBT-i) spécifique de l hémoglobine humaine qui est la fois plus sensible et plus spécifique [7]. Lésions néoplasiques colorectales et coloscopie La coloscopie est pratiquée après une préparation assurant un lavage complet de toute la surface de la muqueuse colique et sous sédation profonde. L examen doit être fait avec un appareil bénéficiant des progrès les plus récents de l imagerie en haute définition. Il demeure particulièrement difficile de mettre en évidence les lésions planes car la détection repose sur un changement de couleur de la surface, plus que sur une dépression ou une élévation du relief muqueux. Il faut alors faire appel à la chromoscopie à l aide de solutions diluées d indigo carmin et aux techniques de traitement de l image, en particulier le N.B.I. pour mettre en évidence les anomalies de la forme des crêtes épithéliales. La fibrosigmoïdoscopie flexible [8] est aussi proposée pour le dépistage des lésions néoplasiques colorectales. Les contraintes liées à cet examen sont moindres pour le patient (simple lavement colique) et pour l opérateur, sans nécessité de sédation profonde. L exploration est limitée à la partie distale du gros intestin (rectum et sigmoïde) et si l examen est positif, une coloscopie intégrale doit être demandée en deuxième intention. La sigmoïdoscopie peut être utilisée en dépistage. La stratégie recommandée dans l étude pilote est d associer à la recherche du sang occulte fécal, une sigmoïdoscopie flexible, facilement réalisée par des infirmières à un moindre coût. Les résultats du dépistage du cancer colorectal La détection du cancer à un stade curable par le dépistage chez des personnes asymptomatiques, améliore la survie habituellement rapportée sous forme d un taux relatif de survie à 5 ans ; elle réduit aussi la mortalité sans modifier l incidence. La détection et le traitement des précurseurs n interviennent pas sur la survie ou la mortalité par cancer, puisque celui ci n est pas déclaré ; il y a aussi un impact de réduction sur l incidence à l échelle collective du pays ; c est le cas aux États-Unis [5]. Cette détection des précurseurs revient à une prévention primaire réduisant l incidence du cancer puisqu il ne se développe pas de cancer. Les cancers colorectaux d intervalle qui se déclarent entre 2 «rounds» de dépistage et surviennent donc après un test négatif, sont autant d échecs et témoignent de la sensibilité du test. Dépistage par le test du sang occulte fécal Plusieurs études randomisées ont évalué l impact du dépistage par le sang occulte fécal sur la mortalité par cancer colorectal. Le degré de prévention du cancer dépend de la généralisation du test de dépistage, ainsi que de son efficacité globale après l examen de détection chez les personnes ayant un test positif. Plusieurs essais randomisés ont évalué la prévention du cancer colorectal par la recherche du sang occulte fécal suivie d une coloscopie chez les personnes ayant un test positif au cours de «rounds» successifs. Le premier essai conduit aux États-Unis publié en 1993 [9], réduit la mortalité de 33 % et l incidence de 20 % ; mais la sensibilité trop élevée du test réhydraté au cours des «rounds» successifs entraîne une coloscopie chez 38 % des personnes testées. Les tests conduits en Europe et publiés en 1996 sur un rythme biennal des «rounds» sont moins efficaces, mais compatibles avec le coût / efficacité d un dépistage de masse, car le pourcentage des personnes examinées en coloscopie ne dépasse pas 5 %. La réduction de la mortalité est plus faible (15 %) dans l essai anglais [10] conduit à Nottingham et dans celui (18 %) conduit au Danemark [11], alors qu il n y a pas de réduction de l incidence. Dépistage primaire par la coloscopie Le risque de développer un cancer colorectal après une coloscopie négative est très faible s il n y a pas d adénomes laissés en place ; la surveillance par coloscopie peut alors être proposée à intervalles de 5 ans [12]. La résection des précurseurs du cancer, les polypes adénomateux en coloscopie, a un effet préventif sur la mortalité par cancer colorectal ; celle-ci est réduite de 53 % dans une étude avec un suivi médian de 15,8 années [13]. La polypectomie des adénomes en coloscopie a un impact sur l incidence du cancer et la réduction de l incidence du cancer au cours d une surveillance de 5,9 ans varie entre 20 % et 45 % selon le groupe de référence utilisé pour la comparaison [14]. Cependant, deux publications mettent en évidence des limites à l efficacité préventive de la coloscopie. La détection du cancer dans le colon proximal est moins efficace en raison du caractère souvent incomplet de la coloscopie ainsi que de la détection plus difficile des lésions néoplasiques planes, plus fréquentes dans le colon proximal. Une étude conduite en Allemagne, dans la Sarre [15] compare la détection d un cancer du colon chez les personnes qui ont déjà eu une coloscopie et chez celles dont c est le premier examen. Un cancer du colon distal est détecté moins souvent (3,1 %) chez ceux dont c est le 2 e examen, que chez les autres (9,1 %). Un cancer du colon proximal est trouvé avec la même fréquence (3,1 % et 2,7 %) dans les 2 groupes ; l efficacité de détection du premier examen était donc faible pour le colon proximal. Une autre étude, conduite au Canada [16] a comparé la fréquence d une coloscopie antérieure chez des personnes décédées d un cancer colorectal et chez des témoins en bonne santé. L effet préventif de la coloscopie antérieure est net pour le colon distal (risque réduit à 0,33) et nul pour le colon proximal (risque à 0,99).

148 Cancéro dig. Vol. 4 N 3-2012 Dépistage par la fibrosigmoïdoscopie L impact préventif du dépistage par fibrosigmoïdoscopie, suivie d une coloscopie si le premier examen est positif, a été analysé aux États-Unis dans une étude cohorte avec un suivi de 8 années [17]. Le dépistage endoscopique réduit la mortalité de 40 % et l incidence de 44 %. Le cancer colorectal d intervalle Définition du cancer d intervalle Le cancer d intervalle se déclare entre 2 «rounds» de dépistage et mesure la sensibilité du protocole au diagnostic de cancer. Le cancer d intervalle peut survenir dans 2 conditions distinctes : après un test filtre positif si la lésion colique a été méconnue au cours de la coloscopie ; après un test filtre «faux négatif» qui n a donc pas été suivi d un test de détection endoscopique. Les caractères des cancers d intervalle survenus après une coloscopie négative ont été comparés à ceux des cancers détectés par le dépistage en Allemagne [15] : les cancers d intervalle sont plus fréquents dans le sexe féminin et plus souvent localisés dans le colon proximal, ces caractères sont liés aux difficultés techniques de la coloscopie qui est souvent incomplète et plus difficile chez la femme. On peut espérer que le nombre de cancers d intervalle sera réduit par l utilisation du test immunologique (FOBT-i) du sang occulte fécal, plus sensible, mais il en résultera plus de coloscopies, donc une augmentation du coût et des complications. Cancer d intervalle dans les études randomisées du dépistage Une étude pilote a été conduite en Angleterre entre 2002 et 2007 [18] dans 3 régions d Écosse, sous contrôle du comité national de dépistage avec la méthodologie du test de dépistage par le sang occulte fécal déjà utilisée (Hardcastle) suivi d une coloscopie si le test est positif. Trois «rounds» de dépistage se sont succédé. Le nombre de cancers détectés par dépistage diminuait aux «rounds» successifs : 351 au 1 er, 208 au 2 e, 139 au 3 e. En revanche, le nombre des cancers d intervalle était stable avec les chiffres respectifs de 193, 213 et 229 dans les trois «rounds» successifs. Ainsi dans la dernière période, le nombre des cancers d intervalle était plus élevé que celui des cancers trouvés par dépistage. Le pourcentage de cancers détectés à un stade précoce était plus élevé pour les cas détectés par dépistage que pour les cancers d intervalle. Toujours en Angleterre, une étude randomisée du dépistage du cancer colorectal par le test du sang occulte fécal suivi de coloscopie si le test est positif, a comporté 5 «rounds» successifs [19]. La sensibilité du système de dépistage pour le cancer colorectal est évaluée à 59 % en comparant le nombre de cancers détectés par ce système (236) au nombre de cancers d intervalle (164), qui est loin d être négligeable. Au Danemark, l étude randomisée du même système de dépistage [20] poursuivie avec 3 «rounds» à intervalle de 2 ans a montré que 52 % des cancers colorectaux détectés sont des cancers d intervalle, ce qui est loin d être négligeable. En France, au cours d une étude randomisée sur le même principe avec un suivi de 5 «rounds», 57,8 % des cancers colorectaux qui surviennent sont des cancers d intervalle [21]. Selon la proportion de stades précoces, les cancers d intervalle sont plus avancés que les cancers détectés par le dépistage. Les proportions relatives de cancers aux stades I et II sont de 57,4 % dans les cancers d intervalle et 73,8 % dans les cancers détectés par le système de dépistage [21]. Conclusion En perspective, la progression explosive de la biologie moléculaire permet de développer de nouveaux tests filtres pour le dépistage du cancer, basés sur des nucléotides, fragments spécifiques des acides nucléiques de la tumeur. Ces tests plus sensibles et plus spécifiques sont pratiqués soit dans les selles, soit surtout par un prélèvement sanguin ce qui sera bien plus pratique et mieux accepté. Dans l attente du prochain bouleversement de la stratégie de dépistage, on peut aujourd hui suggérer que le dépistage efficace du cancer colorectal détection précoce du cancer et traitement des précurseurs néoplasiques repose sur une généralisation plus poussée de la coloscopie primaire, sans faire appel au test du sang fécal. Cette stratégie justifie un encouragement des autorités nationales de Santé Publique à condition que les critères de qualité soient assez élevés tant pour la détection du cancer et des adénomes, que pour le traitement endoscopique des précurseurs. Références Aucun lien d intérêt déclaré 1. Ferlay J, Shin HR, Bray F, Forman D, et al. GLOBOCAN 2008 v1.2, Cancer Incidence and Mortality Worldwide: IARC CancerBase No. 10 [Internet]. Lyon, France: International Agency for Research on Cancer; 2010. 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