ACCUEILLIR UN ENFANT DIFFÉRENT : UNE CHANCE. VOUS AVEZ DIT UNE CHANCE?



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Transcription:

Jean DESBONNET ACCUEILLIR UN ENFANT DIFFÉRENT : UNE CHANCE. VOUS AVEZ DIT UNE CHANCE? Résumé : Le père d un petit garçon porteur d une trisomie 21 exprime ici ses interrogations à l égard de l intégration scolaire en milieu ordinaire. Il rappelle les obstacles que rencontrent ceux qui veulent en faire bénéficier leur enfant et interpelle ceux qui ont mission de la promouvoir. Mots-cles : intérgration, trisomie 21. La présence d un enfant différent, parce que porteur d un handicap est sans aucun doute un plus pour la structure d accueil, que ce soit un établissement de la petite enfance ou une école. En effet elle propose un travail sur la tolérance, l acceptation, la citoyenneté Parent d un enfant porteur d une trisomie 21, intégré dans une classe de CE1/CE2 ordinaire, je ne peux que souscrire à cette affirmation. Néanmoins envisager un argumentaire sur ce thème amène, dans ma position, à l interroger. C est donc une réflexion impliquée que je propose ici. L intégration, pour les familles, n est pas une situation, mais d abord un projet qu il n est pas toujours simple de mener à son terme et qu il faut replacer dans son contexte. L INTÉGRATION : UN CONTEXTE SPECIFIQUE Lorsque l enfant paraît s il se présente porteur d un handicap, le cercle de famille est pour le moins décontenancé. Que ce soit à la naissance ou plus tard, que la révélation soit attendue ou imprévue, annoncée avec plus ou moins de délicatesse, il s agit d un choc que chacun digère, supporte, encaisse, dépasse à sa façon. Ainsi, il y a sans doute une spécificité de la position de parent d enfant handicapé qu il n est pas inutile de comprendre dans sa globalité. En effet, si cette parentalité particulière a souvent été réfléchie sous l angle du retentissement affectif et psychologique, du travail de deuil à faire, des attitudes de surprotection ou de rejet il apparaît que la réalité est bien plus complexe. En effet, sans nier aucunement le trouble émotionnel produit par l irruption du handicap au sein d une famille, il n est pas inutile de rappeler qu elle produit également des effets dans son économie financière, organisationnelle et sociale. La vie des parents d un enfant handicapé n est pas tout à fait pareille à celle des autres. Là où, dans les premiers mois, les nourrissons «poussent plus ou moins SPIRALE - Revue de Recherches en Éducation - 2001 N 27 (39-43)

J. DESBONNET tout seul», l enfant handicapé va demander des soins supplémentaires. Il va falloir le conduire à des consultations hospitalières, des séances de rééducation. Il y aura peut-être des interventions chirurgicales plus ou moins porteuses d angoisse et désorganisant également le rythme de vie par des nuits à passer au chevet du petit malade, les visites à lui rendre. Son développement psychomoteur sera plus lent, il demandera encore du temps à son père et à sa mère pour les actes de la vie quotidienne, propreté, alimentation, habillage, quand les autres de son âge seront capables de se débrouiller tout seuls. De ce fait, le faire garder pour quelques heures ou quelques jours sera plus problématique et tant la vie culturelle que les loisirs des parents s en ressentiront. Tout ceci coûte du temps, de l énergie, mais aussi de l argent quand certaines mères doivent arrêter de travailler. Il faudra peut-être changer de voiture, faire des travaux d accessibilité dans la maison. Vivre avec un enfant handicapé à la maison complique la vie, et la société le sait. Elle apporte une aide financière à la famille, mais pour l obtenir, il faut effectuer un certain nombre de démarches, subir des examens, remplir des dossiers, se présenter devant des commissions aux sigles rébarbatifs, apprendre à se retrouver dans un paysage administratif inconnu. Certes, il est normal que l octroi d une prestation supplémentaire, d une allocation spéciale soit justifiée. Il faut néanmoins se rendre compte que cela oblige les parents à l épreuve de la stigmatisation. Il leur faudra entendre la désignation de leur fils ou de leur fille en des termes scientifiques ou juridiques qui peuvent faire mal. Ils dépendront également du jugement d autrui qui n aura pas toujours l attitude d empathie attendue. Les parents parlent souvent du parcours du combattant et le terme est sans doute proche de la réalité, non seulement dans l image de difficulté qu il renvoie mais aussi par l image belliqueuse qu il suggère. Mettre au monde et élever un enfant différent, transforme une famille ordinaire en famille différente, parfois certaines peuvent avoir le sentiment d être regardées elles même comme inadaptées, handicapées. On peut noter, par exemple, que lorsqu une mère va inscrire son enfant ordinaire à l école, on lui demande son nom et son adresse, mais quand elle présente son enfant à l I.M.E. 1, on l interroge sur sa grossesse et son accouchement! C est pourquoi certains parents peuvent avoir l impression de payer dans leur relation aux institutions, leur refus de suivre le conseil d abandon donné plus ou moins clairement à la naissance. Ils font sans doute leur, cette conclusion de Danielle Moyse : «Dans ce contexte, s il n est pas explicitement interdit de mettre au monde des enfants atteints de certaines anomalies, de telles naissances peuvent-elles être réellement acceptées?» 2. Il ne faudrait pas croire, à la lecture de ce qui précède qu il n y a pas de joie ni de bonheur à accueillir un enfant porteur de handicap. Il y en a, et de grands, d autant plus que l espoir était absent. Mais je ne partage pas l opinion de ceux qui professent qu il s agirait d une chance. Le poids de la vie quotidienne et le positionnement social que cela impose reste un réel prix à payer. 1 I.M.E. : Institut médico-éducatif 2 «Le risque de naître différent», Esprit, n 12, décembre 1999, p. 74. 40

ACCUEILLIR UN ENFANT DIFFERENT : UNE CHANCHE? L INTÉGRATION : UN PROJET C est dans ce contexte que se pose la question de l intégration scolaire. Ce n est pas l idée de tous les parents et il n y a pas place pour le jugement en la matière. Il est simplement regrettable que la décision puisse être davantage le résultat d un discours de professionnels de la santé, de l éducation ou de l enseignement plus que d une réelle évaluation des capacités de l enfant. Car s il s agit là d abord d un rêve, il me paraît primordial, pour l enfant, que ce soit ses parents qui aient la parfaite maîtrise de le transformer en un projet qui donnera lieu pour aboutir à la mise en œuvre de procédures dont on verra qu elles ne sont pas toujours simples ni transparentes. Il est maintenant connu que c est une orientation posée par la loi et soutenue par les textes réglementaires. Les média relayent l information, des associations, des membres du corps enseignant font connaître leurs réalisations, des parents témoignent individuellement et collectivement. Voilà qui donne espoir à ceux dont les opinions, la perception de leur enfant et du rôle de l école, l histoire personnelle et l expérience avec la crèche ou la halte garderie, mais aussi le militantisme, la disponibilité, la capacité à lutter vont dans le même sens. Mais nous en sommes là au temps de l universalité. Quand il s agit de passer à l actualisation pour tel enfant, les choses peuvent vite être différentes. Je peux témoigner qu il est des cas où le processus se passe simplement, sans trop de difficultés, avec des gens ouverts, volontaires, compétents ou cherchant à le devenir. Mais si chacun connaît ce genre de situation, chaque famille en a rencontré d autres où les choses sont beaucoup plus difficiles. Il peut s agir de complications administratives (demande de bilan psychologique pour l entrée en école maternelle à quatre ans), d intégration à temps tellement partiel (deux demi-journées par semaines) que la socialisation et le repérage est impossible ainsi chacun sait que «ça dépend», des instituteurs, des équipes, des écoles, et que rien n est jamais gagné d avance ni définitivement. C est avec cette inconnue dans la tête, porteuse d insécurité et d angoisse que les parents vont à la rencontre de l école pour la première inscription. Ils la retrouveront d ailleurs d année en année à l occasion de chaque passage en C.C.P.E. 3 Il faut donc être prêt à soutenir le regard éventuellement stigmatisant de l interlocuteur, ses questions spécifiques, son possible mouvement de recul. Il faudra pouvoir répondre à ses réticences et argumenter à son tour pour emporter la décision. L INTÉGRATION : UNE STRATEGIE Ainsi, puisque l intégration n est jamais gagnée d avance, il faut mettre en place le dispositif qui mettra toutes les chances de son côté. Et cela n est pas simple, car lorsqu il est question de refuser peu ou prou l intégration d un enfant ou d y 3 C.C.P.E. : Commission de circonscription préélémentaire et élémentaire. Commission habilitée à décider l intégration d un enfant porteur d une déficience à l école ordinaire ou son orientation vers un établissement spécialisé. 41

J. DESBONNET mettre un terme, les parents ne sont pas en position de force. Certes ils ont le dernier mot dans la décision d inscription mais quel espoir vont ils fonder sur la présence de leur enfant dans un établissement qui ne souhaite pas le recevoir? Par contre «en face» le discours est beaucoup plus fort. D abord il est tenu par des techniciens qui de plus détiennent l argument massue de l aveuglement des parents sur les compétences réelles de leur enfant, sur le deuil qu ils n ont pas encore su en faire. Il y a trente ans de cela, le même discours était tenu sur les parents qui prétendaient que les enfants mongoliens d alors étaient capables d apprendre à lire et à écrire. Ce type de discours qui s autorise de sa seule origine est à l évidence déstabilisant et difficilement contestable par ceux qui en sont l objet. Pourtant à y bien regarder l argumentaire est beaucoup moins solide. On peut y déceler la crainte, honorable, de l enseignant craignant de ne pas savoir y faire correctement ou d être débordé, on peut y entendre la conséquence d une classe surchargée, de la présence, déjà d enfants difficiles (mais pourquoi est-ce le mien qui doit en faire les frais?), On peut y déceler également, il faut l avouer, une difficulté à accepter l autre différent, la peur qu il engendre et l absence de volonté de se remettre en question et d aller y voir d un peu plus près. Mais c est rarement à ce niveau de discours que les choses se disent. Beaucoup plus souvent, il est question du bien être de l enfant et du mal être de ses parents, toujours de l enfant en difficulté, jamais des situations invalidantes crées par l école. Comment donc s y prendre? Chacun le fera avec ce qu il est et avec les arguments qu il maîtrisera le mieux. Certains chercheront à passer en force, d autres s appuieront sur le juridique, d autres joueront plus sur la séduction, d autres encore chercheront des soutiens syndicaux ou politiques, d autres enfin toutes ses positions seront tenues aussi bien par les personnes individuellement que par les associations qui les représentent et les défendent. C est à ce moment qu ils se sentent eux aussi victimes de discrimination puisque là où il y a obligation pour les uns il y a interdiction pour les autres et qu il leur faudra déployer des stratégies et des argumentaires qui ne sont pas demandés aux familles ordinaires. On peut s apercevoir que si le discours des enseignants cache parfois les vraies raisons de leur position, celui des parents n est pas toujours plus authentique. On voit bien qu on est dans une négociation où il faut essentiellement trouver le bon argument pour convaincre l autre : où il est question du rapport des techniques du marketing avec l intégration des enfants différents à l école! On y rencontre ces scènes surprenantes dans lesquelles des parents expliquent à des enseignants pourquoi il est bon que les enfants apprennent à lire et à écrire. Pour les enfants ordinaires, pourtant la question ne se pose pas. Alors pourquoi les parents d enfants extraordinaires doivent-ils argumenter cette évidence (que les apprentissages cognitifs sont utiles aux enfants) en risquant de tomber dans une vision purement utilitariste de ces acquisitions scolaires et en perdant de vue leurs dimensions culturelle et humanisante? C est au cours de ce type d échange que l on voit apparaître ces notions d école citoyenne et de chance pour celle-ci d accueillir des enfants différents. Si, sur le fond, l argument est recevable, c est son utilisation qui est, me semble-t-il, contestable. Quel parent au monde met son enfant à l école pour le bien de 42

ACCUEILLIR UN ENFANT DIFFERENT : UNE CHANCHE? celle-ci? quel est le sens de cette situation où je me trouve proclamant : «acceptez mon gamin dans votre école, c est bon pour elle, pour vous, pour les autres enfants et la démocratie en général.»? Parent d un enfant en difficulté d apprentissage, si je souhaite qu il soit intégré dans une école ordinaire, c est d abord parce que c est sans doute le meilleur endroit pour qu il y apprenne à lire, écrire, compter, tant qu il en a les capacités, mais pour que de toutes les façons, il s y cultive, s ouvre au monde, se socialise avec ses difficultés et ses richesses comme n importe quel autre enfant. Ainsi, si je mets mon enfant à l école, c est parce que je crois que c est bon pour lui. Je sais qu il faudra que l un s adapte à l autre et réciproquement et je veux bien prendre ma part dans ce travail qui je n en doute pas non plus sera bon pour les deux. CONCLUSION : L INTÉGRATION, UNE CHANCE? Il est sans doute difficile pour un père qui considère que, si avoir un enfant porteur d un handicap n est pas obligatoirement un grand malheur, ce n est pas non plus véritablement une vraie chance, de devoir argumenter que, pour l école, par contre ça pourrait en être une. Et c est sans doute de cette position que vient une dernière interrogation : l institutionnalisation de l Ecole, ses habitudes, ses rigidités, son manque de moyens financiers, la mettent ils, ici ou là, à ce point en difficulté pour faire vivre en son sein même ses valeurs fondatrices, qu il faille ainsi les lui rappeler? Jean DESBONNET Abstract : A father whose boy has Down s syndrom shares his thoughts about mainstreaming in school. He lets us know about the difficulties one has to overcome in order to get a child mainstreamed, and asks for the help of those who can make it possible. Key words : mainstreaming, Down s syndrom 43